Le célèbre fabricant anglais présente deux nouveaux plugs, les Midnight EQ et Midnight Compressor, inspirés de produits mythiques de sa production, la série ISA.
Prendre le pli ou pas ? Il semble que quasiment aucun des fabricants (plus ou moins) historiques de matériel audio, professionnel ou semi-pro, n’échappe à la tentation, ou peut-être à la nécessité en ces temps difficiles, de proposer une ou plusieurs déclinaisons logicielles de produits ayant fait leur réputation dans le monde du “solide”.
Focusrite n’en est pas à son coup d’essai, puisque les versions D2/D3 de ses processeurs de la série Red Range ont longtemps fait partie intégrante de l’arsenal des utilisateurs de Pro Tools. Puis vinrent la série Liquid (dont le Liquid Channel en 2003), la Forté Suite (2003), la Plugin Suite (2008), la Scarlett Plugin Suite (2009). Aujourd’hui, c’est au tour de la Midnight Plugin Suite de faire son apparition, reprenant une partie des modules déclinés pour la Forté Suite jusque-là réservée aux utilisateurs de Pro Tools, à savoir l’EQ et le compresseur, respectivement modélisés, selon l’éditeur, d’après l’ISA110 et l’ISA130. Rappelons que les deux ont été conçus par rien moins que Rupert Neve.
Introducing Midnight
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La suite (de deux plug-ins) est donc proposée pour Mac (Intel et non-Intel, merci…) et PC, aux formats VST, AU (32 et 64 bits) et RTAS (32 bits PC et Mac Intel seulement). L’activation se fait via Internet par le biais d’un fichier de licence à télécharger après avoir rempli un certain nombre de renseignements sur le site de l’éditeur. La procédure complète (inscription plus téléchargement) peut se faire online ou offline (depuis un autre ordinateur).
Un manuel .pdf en français est disponible, relativement succinct et l’on ne se lasse pas de “Les façades représentées à l’écran sont remarquablement détaillées comme la puissante et douce modélisation par DSP qu’elles dissimulent et qui produit un son Focusrite classique « à tomber par terre ». Le manuel, s’il n’est pas très copieux, est suffisamment clair et pédagogique pour qu’un total néophyte en matière de compression puisse comprendre ce que ce vocable et l’utilisation du principe recouvrent. Notons cependant que Focusrite n’est pas très clair dans ces citations d’inspiration, car si le compresseur ISA130 est très clairement mentionné dans la présentation globale et dans sa partie dédiée (“Le Compresseur Midnight est modélisé d’après le légendaire compresseur matériel ISA 130”), l’ISA110 n’est mentionné qu’une fois dans l’introduction globale, sans autre indication formelle d’une modélisation précise.
Passons aux plugs.
Paramètres et inversion
Première constatation, l’éditeur a fait un excellent travail graphique : le bleu nuit métallisé, les potards chromés et les indicateurs de niveaux à aiguille sont du meilleur effet, bien loin du design des ISA110 et 130, tranche verticale (lunch-box ou pour console, L40) ou rack (ISA110 Reissue, ISA115, version double et ISA131) et petits boutons jaunes, là où la Forté Suite avait joué le jeu de la ressemblance. Mais le changement de façade et de look montre aussi que certaines fonctions des originaux ne sont plus implémentées sur ces versions, ou de façon différente.
Commençons par l’EQ, qui offre une configuration classique : filtres passe-haut et passe-bas, deux shelving (fréquence et gain) et deux paramétriques (fréquence, gain et facteur Q). Un potard de Gain de sortie et un indicateur de niveau de sortie complètent l’outil. Rappelons que le modèle original est un préampli non pas à composants discrets, mais à… circuits intégrés (ampli op 5534, etc.) !
Disparus l’inverseur de phase (mais toute DAW en dispose), le bouton d’activation des EQ par section (paramétrique, Shelf, hi et lo-pass, et c’est bien dommage), le bouton “x3” qui permettait de passer d’une bande de fréquences à une autre sur les paramétriques (par exemple, la plage 40 à 400 Hz basculait en 120 à 1200 Hz) et le témoin de surcharge. En revanche, et par rapport à la version hardware, les fréquences deviennent glissantes au lieu d’être crantées sur quelques valeurs, au niveau des Shelves et filtres (ces derniers affichent une pente de 18 dB/oct.). Et l’informatique permet cette fois d’incrémenter les réglages par pas d’une unité (voire 0,1), si nécessaire.
On peut accéder à ces réglages ultra-fins via automation, ou dans Logic par la vue Controls dont dispose chaque plug. Car les plug-ins Focusrite en dehors de quelques fréquences repères (moins nombreuses visuellement que sur l’original) ne disposent d’aucun affichage numérique via l’interface (fréquence, Q ou gain), ni de possibilité de les entrer via pavé numérique (sauf à basculer en mode Controls).
Première question : allons-nous retrouver une énième section paramétrique “idéale” dont seule la fonction de transfert aura été modélisée (différence entre signal entrant et sortant) ou bénéficiera-t-elle d’une modélisation plus “complète”, intégrant d’autres paramètres ? Afin de comprendre le pourquoi de cette question, il faut se référer à deux choses : d’abord le livre L’Audionumérique de Curtis Roads pour les types de filtres et d’EQ et leur comportement, notamment au niveau des rebonds, de la phase et autres effets induits (les lecteurs assidus d’AF connaissent l’importance du bouquin et l’histoire de sa dernière version française) et puis ce site, rhythminmind dont l’auteur a publié un très édifiant papier (en anglais seulement) sur les EQ paramétriques logiciels (voir aussi la discussion sur Audiofanzine à ce sujet).
Entre la citation extraite du site d’Algorithmix, les exemples qu’il propose (pas d’audio, hélas), il y a de quoi reconsidérer les paramétriques qui peuplent nos bundles et ceux inclus d’origine dans nos DAW. Bref. Pour en revenir à la première partie de la question : si le Midnight EQ, dans sa partie paramétrique, est de même conception que d’autres, en cherchant à reproduire les réglages sur un autre EQ paramétrique (sachant que les valeurs de gains et Q, voire de fréquences, ne sont pas forcément normalisées), on devrait arriver à une annulation en procédant à une opposition de phase. Eh bien, ce n’est pas le cas.
Comportement
Ce n’est pas faute d’avoir cherché, avec tout un tas d’EQ paramétriques, de ceux d’Apple aux Waves, en passant par Sonnox, Universal Audio, PSP, Nomad, BIAS, etc., mais il a été impossible de procéder à des annulations via opposition de phase en restant dans des limites raisonnables de configuration (c’est-à-dire que n’est pas retenue une annulation s’il a fallu quinze paramétriques pour reproduire la courbe d’un seul du Midnight EQ…). Les tentatives les plus proches ont été obtenues avec l’EQ Sonnox, avec le Cambridge d’UA (étonnant, non ?) et surtout le TC EQ Sat, à qui il ne manquait pas grand-chose pour arriver à une annulation totale (avec une seule bande active) que ce soit en boost ou en cut, voir la capture d’écran A : en rouge, le bruit blanc, en orange, ce que laisse passer le Cut à 886 Hz (n’oublions pas que l’on est en opposition de phase, donc, normalement, rien n’est audible, sauf s’il y a modification d’une des deux pistes) et en vert ce qui reste après réglages du TC. Même chose capture B avec un boost à 5,17 kHz.
Mais toutes ces recherches ont permis d’entendre et de voir comment se comporte la section paramétrique, que l’on qualifiera de “très musicale” en opposition à “pas du tout précise”. Entendons par là qu’elle sera très intéressante pour donner une sonorité particulière, un boost ou un cut assez large, mais qu’il ne faudra surtout pas lui demander de travailler sur une fréquence précise avec un Q serré (pardon…). Si l’on se fie à la règle de calcul du Q, les indications données par Focusrite (de 0,67 à 4) devraient correspondre pour le Q le plus ouvert à peu près à une octave et demie et pour le plus fermé, à trois demi-tons. On est loin du compte. Un manque de précision qui peut être parfois gênant.
Les graphes sont d’ailleurs assez parlants quant à ce que laisse passer une bande d’EQ paramétrique une fois ouverte dans le cas de deux fichiers en opposition de phase. La largeur de bande est, hum, très large, même si elle varie bien entendu en fonction du gain, fidèle en cela à l’original, tout du moins dans le principe de comportement.
Et du côté des autres sections de l’EQ ? Eh bien, c’est pareil… Voilà pour exemple, ce pied de BD, avec repisse.
Commençons par appliquer un filtrage en dessous de 50 Hz, fondamentale de la grosse caisse.
La correction semble un peu forte, ce que corrobore l’analyseur (capture C), qui révèle que la coupure commence non à 50 Hz, mais à 75 Hz, soit une demi-octave au-dessus. Et qu’une octave plus bas, là où nous devrions être à –18 dB selon les spécifications du plug, le 25 Hz est 33 dB en dessous… Hum, on comprend que le filtre puisse paraître efficace. Par acquit de conscience, j’ai vérifié à d’autres fréquences, l’EQ réagit quasiment de la même manière, c’est-à-dire en commençant plus haut, et donc en coupant plus sévèrement que suivant la pente annoncée : par exemple sur du bruit blanc, et un réglage à 330 Hz (le plafond), la coupure commence à 550 Hz et on se retrouve avec un 165 Hz à 23 dB sous la fréquence de coupure (choisie). La progression n’est pas constante, mais le comportement reste égal.
Autre tentative avec le High Shelf. Prenons notre bruit blanc.
Appliquons-lui une modification de 12 dB à partir de 7 kHz. Profitons-en pour rappeler le comportement d’un shelf : quand on parle de 12 dB à 7 kHz, il faut comprendre cette fréquence comme celle à laquelle le plateau (shelf) est stabilisé au gain recherché. Cette fréquence est nommée fréquence centrale ou charnière (corner frequency).
Là encore, l’écoute semble indiquer que la correction est très large, ce qui est confirmé par l’analyse : la pente commence en effet à 940 Hz (capture D). Heureusement, le plateau, lui, est bien à + 12 dB.
On notera d’ailleurs que la particularité des Shelves de l’ISA110 semble avoir été reprise, à savoir un Q constant, ce qui implique une pente toujours semblable quelque soit la fréquence, une des signatures sonores du préampli (capture E).
On le voit, le but semble avoir été de réaliser un EQ sonnant bigger than life, flatteur, bref, un outil qu’il faut utiliser les yeux fermés… Ce qui ne veut pas dire que le plug ne sonne pas en fonction de ce que l’on cherche à entendre. Une fois habitué au comportement des Shelves, par exemple, on trouve facilement le bon réglage. Mais il faut perdre ses habitudes et ne plus chercher à faire correspondre ce qu’entendent nos oreilles à ce qui est indiqué sur le plug, corriger véritablement en aveugle, car les aigus paraîtront plus brillants, les graves plus profonds, les bas-médiums plus solides, etc., puisqu’à chaque fois, une plus large bande de fréquences que celle visée sera modifiée.
En tenant compte de ces éléments, voici un petit test sur une boucle batterie (un loop stéréo)-guitare, un peu sourde.
Puis après, avec un nettoyage et éclaircissement du bas, et un peu de brillance pour remonter les attaques de la guitare (pas de compression).
Ce qui permet ensuite de rajouter une basse bien ronde.
La même chose après un petit renforcement (via EQ toujours) de l’attaque de la batte grosse-caisse (difficile à attraper, puisqu’il faut lutter entre ce que l’on entend, le réflexe d’aller paramétrer la fréquence entendue, et la non-correspondance avec celle produite par l’EQ…). Le manque de précision du Q empêche de cibler précisément la fréquence de la frappe, ce qui fait que le bas de la caisse claire remonte, mais cela reste en définitive dans l’esprit du son recherché. Le problème ne se serait pas posé avec des fichiers séparés. Ou avec un EQ plus précis.
Ultime précision : ces comportements particuliers se retrouvent aussi à haute résolution (les exemples ont été testés jusqu’en 96 kHz), l’exemple précité du High Shelf montre une coupure commençant cette fois à 1670 Hz et des poussières.
Compressons, pressons…
Si l’on veut chipoter (chipotons, chipotons), Focusrite aurait dû préciser que son Midnight Compressor est modélisé d’après l’étage de compression seul de l’ISA130, puisque ce dernier était un module complet de traitement de la dynamique qui embarquait, outre un compresseur (et limiteur), un expandeur/gate, un dé-esseur/exciter et une section EQ (filtres passe-haut, passe-bas, EQ en cloche).
Même qualité graphique que son acolyte, et une présentation claire avec cette fois deux indicateurs à aiguilles, un pour le Threshold (avec choix entre signal entrant ou sortant) et l’autre pour la réduction de gain. On dispose d’un potard de réglage du signal entrant (±18 dB), d’un Threshold (notons qu’il commence à –10 dB), d’un Ratio (de 1,5 dB à l’infini), d’un réglage glissant d’attaque (sans indication temporelle), d’un Release (de 0,1 à 4 secondes) avec mode auto-débrayable et d’un Make Up Gain (de 0 à 40 dB). Ultime réglage, un potard Blend, afin de mélanger directement dans le plug le signal Wet et Dry, ce qui est une excellente idée permettant ainsi de produire de la compression parallèle instantanément sur la tranche en cours de traitement. Il manquera bien sûr la souplesse apportée par le fait de pratiquer ce trafic sonore via un bus, mais la fonction est suffisamment rare pour ne pas être saluée comme il se doit. Pas de réglage Knee, l’éditeur précisant que le Midnight Compressor fonctionne en mode Soft Knee.
En ce qui concerne l’attaque, les mesures effectuées donnent un temps d’attaque inférieur à 0,5 ms, ce qui est extrêmement rapide, et maximum d’à peu près 260 ms. La limite de –10 dB du Threshold pourra être compensée par le niveau de signal entrant, même si l’on prend alors le risque de changer la réponse du plug, cette dernière dépendant aussi comme celle de tout compresseur qui se respecte du niveau entrant.
Le son du plug est assez doux, il est difficile d’obtenir un “écrasement” comme on peut en paramétrer sur d’autres logiciels, mais il se comporte très bien sur toutes sortes de matériaux sonores, des guitares aux voix. Son utilisation sur un bus est aussi intéressante, en particulier sur les batteries grâce à son attaque extrêmement rapide. Si le son est relativement transparent en général, on notera quand même qu’avec des temps d’attaque et release courts, le compresseur ajoute sa propre cuisine d’harmoniques (et de non-harmoniques, plus embêtant), voir la capture F (en rouge la sinusoïde de base, en jaune, ce qu’ajoute le compresseur). Et il ne dispose visiblement pas (“écoutivement” pas ?) d’une fonction lookahead, car des réglages trop violents produiront les artefacts redoutés lors de l’utilisation de compresseur, des clics sur les premières attaques. OK, c’est ce que produit un compresseur hardware, mais on aurait pu éviter le souci du détail à ce point, ou en tout cas proposer une alternative.
Voici quelques exemples audio, le premier sur la guitare déjà utilisée, afin de réduire les attaques.
Ensuite sur la boucle de batterie. D’abord seule, puis selon deux compressions très différentes.
Et ensuite façon compression parallèle grâce au Blend, puis une version encore plus “compressée/saturée”.
Dernier exemple, sur une voix issue d’une bibliothèque de boucles. D’abord telle quelle, puis compressée de manière à raboter quelques crêtes, rendre le phrasé plus linéaire et récupérer quelques dB pour une gestion plus simple du mix.
Bilan
Passée les quelques surprises de l’EQ, on se fait à son utilisation. Même si les indications peuvent sembler parfois inutiles, et malgré l’idée qui veut que l’on ne mixe qu’avec ses oreilles, pouvoir disposer d’indications fiables, permettant de paramétrer directement une fréquence entendue (ben oui, si on travaille avec ses oreilles, c’est bien qu’on devrait reconnaître les fréquences, non ?) est parfois indispensable, suivant les conditions de travail. Et ce serait nier un des apports de la MAO qui est d’associer la vision à l’oreille, dans un rapport jusque-là inédit. Nouvel outil, nouvelles habitudes…
On pourrait ainsi dire que l’EQ est un EQ pour musicien (rien de péjoratif) plus qu’un EQ pour ingé-son, son manque de précision empêchant un véritable travail normalement dévolu à un paramétrique. Le Midnight EQ a sa propre personnalité, ce qui est déjà pas mal en ces temps où l’on nous vend parfois des réservoirs membraneux pour des fanaux. Mais de là à dire qu’il est indispensable dans un arsenal sonore, il y a un pas que je ne franchirai pas. Peut-on faire aussi bien bien avec les EQ intégrés aux DAW ? Franchement, dans le cas de Logic, par exemple, le Channel EQ (on reste dans les EQ à phase non linéaires) propose la même chose plus deux paramétriques. Et honnêtement, rien de ce qui est possible avec le Midnight EQ ne semble impossible (avec un peu de temps passé, certes, les résultats étant très rapides avec le Focusrite) avec le Channel EQ, l’inverse n’étant en revanche pas vrai, à cause du manque de précision.
Le Compressor lui, est plutôt doux, très à l’aise sur des corrections fines plutôt que des grosses compressions/saturations. Mais quel dommage que Focusrite n’ait pas modélisé l’ensemble, il y avait des choses à faire avec les EQ, le gate et les possibilités de sidechaining originaux… On apprécie néanmoins l’apport du potard Blend permettant la compression parallèle sur une tranche, et son subtil apport en harmoniques. Son comportement est plutôt fidèle à celui d’un compresseur hardware VCA, des lieues au-dessus de la version VCA du compresseur intégré de Logic, par exemple, et on peut raisonnablement penser au-dessus de la majeure partie des compresseurs intégrés aux DAW. De plus son attaque très rapide est un avantage, que l’on ne trouve que sur quelques rares compresseurs logiciels. Qui, eux, sont beaucoup plus chers que la suite Midnight, puisque les deux plugs sont disponibles au doux tarif de 109 € prix public TTC.
À ce prix (on les trouve facilement moins chers), si l’on cherche à agrandir son “parc” de logiciels avec des outils simples et dotés d’un son intéressant, la solution Midnight peut être un complément intelligent. En revanche, si l’on possède déjà EQ et compresseurs autres que ceux inclus dans la DAW utilisée, il y a un risque possible de redondance.