Après le Domino, Eowave réchauffe une nouvelle fois la planète musique avec le Magma, un module analogique avec séquenceur inspiré d’une certaine série vintage SH… alors, super hot ?
Eowave est une marque française qui vient de fêter ses 10 ans, connue pour ses capteurs destinés aux performers et ses boîtes à malice électroniques. Deux moutures de Perséphone et un synthé à ruban plus tard, elle a présenté le Domino, un tout petit synthé analogique sous forme de module, en 2011. Mais cette année à Frankfort, nous avons eu le plaisir de découvrir et filmer un projet beaucoup plus ambitieux, aboutissement de deux ans de recherche : le Magma. Quelques mois plus tard, les premières versions commerciales commencent tout juste à sortir de l’atelier maison de Tintury (Nièvre, 200 habitants), où elles sont produites de façon artisanale et numérotées à la main. L’une d’entre elles vient tout juste de nous parvenir. Quels sont les atouts de cette nouvelle offre sur un marché du synthé analogique de plus en plus dynamique ? Avec une question corollaire : combien de temps les petites sociétés artisanales pourront-elles encore montrer leur dynamisme sans éveiller les grandes ?
Monolithe noir
Le Magma arbore fièrement la mention “Handmade in France”. On perçoit immédiatement le côté qualitatif et artisanal de ce module monolithique compact : tôle épaisse pliée, finition peinture noire cuite au four, fond fixé à la main avec 4 énormes vis à tête fendue peinte, 4 supports caoutchouc collés… c’est agréable et cela inspire confiance ! La façade est recouverte d’une pellicule imprimée type Lexan, comme sur certains Moog ou DSI. Au total, on dispose de 19 potards, un encodeur-poussoir (tempo / programmes / données / trigger), 22 petits boutons circulaires à diode centrale et 16 diodes supplémentaires encerclant ces boutons. Les potards sont à axe métallique solidement ancré au PCB, mais pas vissées. Leur écartement suffisant permet une préhension confortable tout en conservant une certaine compacité au module (24 × 20 × 3 cm). Construit pour voyager !
La connectique, située à l’arrière, est plutôt sobre : entrée et sortie jack 6,35 vissées à la coque (sympa !), prise USB, entrée Midi (donc pas de sortie Midi DIN, comme sur un Minitaur) et borne pour alimentation externe (type bloc à l’extrémité, comme on n’aime pas !). La prise USB permet d’émettre et recevoir les notes et les Control Change Midi des 48 paramètres de synthèse, mais pas encore de dumper les données des programmes / séquences (une mise à jour d’OS le permettant est en cours de développement). L’unique sortie audio fait office de prise casque ; l’entrée permet d’envoyer un signal externe dans le filtre (genre une BAR), à un niveau ajustable avec un trimmer accessible par un petit trou situé sur le panneau arrière ; il faut toutefois utiliser une source de niveau ligne suffisant, car le signal est envoyé sans amplification dans le filtre, où il sera atténué ; on aurait préféré un potard avec gain, même mini… on aurait aussi apprécié un interrupteur secteur !
À l’intérieur du Magma se trouvent 2 PCB : une grande carte pour les commandes en façade et une toute petite comprenant les circuits de synthèse et la connectique audio. Les composants sont montés en surface du côté supérieur, donc impossible de prendre une photo sans tout démonter…
Manipulation visqueuse
Le Magma peut opérer suivant 14 modes sélectionnables à l’aide de la touche Shift en conjonction avec une touche de mode. La machine démarre par défaut en mode Note (séquenceur), prête à jouer, les 2 rangées de touches inférieures permettant de modifier les pas ou entrer dans les autres modes tandis que les séquences tournent sans interrompre le flux créatif. La sélection des programmes / motifs se fait rapidement, selon 2 méthodes : une fois la banque choisie (Shift + Bank), on fait défiler les 64 programmes avec l’encodeur ; ou alors, on utilise les 2 rangées de 8 touches, en maintenant l’une du bas (Sous-banque) puis en appuyant sur l’une du haut (programme). Nous avons beaucoup apprécié le fait d’avoir un synthé analogique avec séquenceur à pas doté de mémoires.
Au cours du test, nous avons pu mettre la main sur la V1 du manuel complet (en anglais) en cours de finalisation : il est très didactique, avec un tas de schémas et pictogrammes très clairs, sans oublier quelques touches d’humour. La lecture est fortement recommandée pour bien comprendre la logique de fonctionnement de la machine, en particulier l’utilisation de la touche Shift et des 2 lignes de 8 commandes situées en partie inférieure, car le Magma a pas mal de fonctions doubles bien utiles…
Pour la partie synthèse, il convient d’assimiler l’organisation concentrique des commandes, pour le moins originale : le premier « cercle » concentre le mixage des formes d’onde ; le deuxième comporte la section VCO à gauche (accordage en haut, modulations en bas) et la section VCF à droite (coupure / résonance en haut, modulations en bas) ; enfin le troisième « cercle » est dédié aux sources de modulation : LFO à gauche et enveloppes à droite.
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Point plombant un peu les manipulations en live, certains boutons agissent sur deux paramètres : par exemple, le même bouton permet de changer l’octave du VCO (0, +1, +2, 3) et le décalage d’octave du Sub (-1, –2), ce qui fait 8 pressions successives pour atteindre tous les paramètres (en cycle) ; un autre bouton conjugue la source de modulation de la PWM (3 choix) avec la synchronisation du Sub (2 choix), ce qui fait 6 pressions successives ; dernier exemple encore plus significatif, le même bouton combine le choix des 8 formes d’onde des LFO et les 3 modes de cycle, soit 24 pressions successives ! Ce choix de conception, qui n’est pas sans rappeler notre vénérable Cavagnolo Exagone vieux de 30 ans, limite le nombre de commandes au détriment de l’intuitivité. Pour finir ce chapitre, signalons l’existence d’une fonction permettant de générer des sons et des séquences aléatoires, amusant !
Sous le manteau
Le Magma est présenté comme synthé analogique monophonique doté d’un séquenceur à lignes orienté basses. Il est inspiré, d’après le concepteur, par les synthés vintage de la série SH Roland (mono-oscillateur à ondes mixables). Mais en commençant à manipuler la bête, on se rend compte que c’est bien plus que cela. La machine renferme 256 programmes répartis en 4 banques, dont 64 contiennent des sons et motifs d’usine. Les niveaux audio sont trrrrès élevés, les bargraphes de notre console tapent déjà dans le jaune à volume moyen ! C’est d’autant plus agréable que le bruit de fond est bas. Très vite, on est séduit par ce son tantôt épais et gras, tantôt coupant, voire clair.
On enchaîne les programmes et on commence à tripoter les potards ; après tout, le Magma est fait pour cela. La manipulation est intuitive et efficace, tant qu’on reste en surface. Rapidement, on apprécie la richesse de l’oscillateur bien fourni, avec ses formes d’onde mélangeables et son Sub désynchronisable ; en modulant la largeur de l’impulsion avec un premier LFO et le niveau des ondes avec un second LFO, le son s’anime, s’enrichit. On pousse encore les niveaux et le son se met à saturer d’une manière très musicale. Vive l’analo ! Le filtre a son mot à dire et on ne peut s’empêcher de faire évoluer le Cutoff en temps réel, on ne se refait pas… en bas, c’est lourd, gras, présent. À résonance moyenne, le son s’éclaircit, devient acidulé sans pour autant écraser le niveau global du signal ; on retrouve bien le caractère d’un certain SH-101. En exagérant la résonance et les niveaux d’entrée, le son devient plus trash, plus sale ; Sub à fond avec une pointe de bruit blanc et cela devient crado à souhait, tout en restant musical. Attaque à zéro, on réduit progressivement le Sustain et on baisse le Decay de l’enveloppe de filtre : ça claque bien ! On se concentre alors sur le motif : on change rapidement le sens de lecture, on altère chaque pas, on ajoute un peu de groove, on bidouille les 3 pistes de modulations. Pendant tout ce temps, le Magma ne s’est pas arrêté de tourner, l’inspiration est restée intacte…
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Haute pression
Le Magma est équipé d’un oscillateur complexe commandé par une horloge numérique. Ceci permet un accordage parfait sans chauffe. Que les amateurs de VCO purs n’aient aucune crainte, comme nous l’avons vu, ce VCO (continuons à l’appeler comme cela), par sa conception originale, délivre un signal gras à souhait. Qui plus est, la distinction VCO/DCO est un peu superflue sur un synthé mono-oscillateur. Cette richesse est, pour commencer, liée au fait que le VCO délivre 4 formes d’onde simultanées : une dent-de-scie, une impulsion, une Sub carrée et un bruit blanc analogique. Mieux, chaque forme d’onde peut être mixée précisément à l’aide de 4 potards, ce qui n’est pas sans rappeler le MiniBrute (et le SH-101). Encore mieux, dès qu’on pousse le niveau des formes d’ondes au-delà de 75%, on crée une saturation naturelle très agréable, qui engraisse le son.
Là où le Magma se démarque davantage encore, c’est au niveau du mix des ondes, individuellement modulables par un second LFO (LFO2) accessible via la touche Shift + les 4 potards), ce qui crée des évolutions spectrales très intéressantes. L’onde impulsion a une largeur modulable sur une plage de 50 à 95%, soit à la main (disons plutôt au potard !), soit avec le LFO1, soit avec l’enveloppe de filtre (ENV2), comme sur le SH-101 ou le Kobol. Le Sub offre une onde carrée à 1 ou 2 octaves sous la fondamentale ; il peut être synchronisé au VCO (comme un vrai Sub) ou désynchronisé. Dans ce dernier cas, il opère à l’unisson ou une octave sous le VCO, presque comme un VCO indépendant, puisque sa phase et son Detune sont indépendants du VCO : résultat, un son encore plus gras ! Le pitch global peut être modulé par le LFO1 et une enveloppe AD simplifiée (ENV3), à quantité d’action bipolaire. Bien vu ! Enfin, un Glide vient apporter une touche de portamento fort sympathique (on peut le déverrouiller dans le séquenceur). La priorité de note n’est pas réglable, c’est par défaut la dernière note jouée.
Roche en fusion
Le Magma est équipé d’un filtre passe-bas 4 pôles résonants, lui aussi inspiré des SH vintage Roland ; traduction pour les techniciens : basé sur des OTA. Dommage que l’on doive se contenter d’un seul mode ou d’une seule pente. Il est très sélectif, ce que les adeptes des basses sombres apprécieront. Cutoff à zéro et VCA à fond, rien ne passe ! Il apporte un grain bien à lui : dans le style gras lorsque la résonance est au mini, acide quand on l’augmente et agressif (dans le bon sens du terme) quand on la pousse à l’auto-oscillation. Avec des niveaux élevés en entrée (externes, par exemple), le filtre déchire littéralement. Bref, un filtre qui décoiffe, qui sait être rentre-dedans sans être strident.
Côté commandes numériques, lorsque la résonance dépasse un certain seuil, on entend clairement les pas de la fréquence de coupure, comme souvent sur les analogiques à mémoires, mais c’est tout à fait acceptable. Le Cutoff est modulable par une enveloppe (ENV2, dont la polarité peut être inversée), le LFO1 et le suivi de clavier (sur une échelle de 0 à 200%). Le volume final est quant à lui modulable par une enveloppe séparée (ENV1) et la vélocité de frappe (via un clavier externe ou le CC Midi correspondant). La courbe de vélocité, par défaut linéaire (donc un peu raide), est à ce stade non éditable. Une réponse logarithmique serait bienvenue pour nos mains si délicates. En échangeant avec le concepteur, il nous a avoué qu’il était prévu de pouvoir moduler le Cutoff avec la vélocité, dans une future mise à jour d’OS, avec d’autres trucs déjà intégrés au départ dans la partie hardware, en prévision de mises à jour.
Pâte à moduler
Comme nous l’avons déjà vu, chaque section du Magma est modulable par un certain nombre de sources : 2 LFO, 3 enveloppes, la vélocité et le suivi de clavier. Les LFO sont numériques, ce qui leur permet d’être synchronisés à l’horloge Midi (division temporelle réglable de 4 mesures à 1/32 de note). Ils ont une large plage de fréquence, allant de 10 secondes par cycle à 290 Hz (niveau audio). Ils offrent 8 formes d’ondes (triangle, rampe, dent de scie, carré, aléatoire, bruit numérique, escaliers ascendants, escaliers descendants) et 3 modes de jeu (libre, redéclenché, coup unique) ; un petit fondu d’entrée aurait été vraiment parfait, tant pis… Les paramètres du second LFO se modifient avec la touche Shift, logique ! Rappelons que le LFO1 peut moduler la largeur d’impulsion, le pitch et le filtre, alors que le LFO2 est dédié au mixage des 4 ondes du VCO (dent de scie, impulsion, Sub carré, bruit), avec niveaux de modulation indépendants.
Les enveloppes, bien que numériques elles aussi, savent se montrer très rapides, avec des segments d’attaque variant de 2 ms à 10 secondes. L’ENV1, de type ADSR, est assignée au VCA final. L’ENV2, également de type ADSR, est assignée au filtre et à la largeur d’impulsion de l’onde Pulse. Enfin, Eowave a prévu une 3e enveloppe pour le pitch, de type AD, avec quantité de modulation bipolaire, cool ! Le déclenchement des enveloppes peut être actionné en mode simple (uniquement lorsque la note est relâchée) ou multiple (dès qu’une note est enfoncée). Avec le Magma, on se rend compte que les LFO et enveloppes analogiques ont un peu vécu en 2012, et que les processeurs embarqués ont suffisamment de puissance pour générer des niveaux audio tout à fait acceptables, avec notamment les avantages des modulations en temps réel et de la synchro Midi.
Séquence explosion
Le séquenceur du Magma est conçu comme un séquenceur analogique vintage, avec 4 lignes de 16 pas. La programmation peut se faire sans jamais interrompre la lecture des séquences, super ! La première ligne est dédiée à la note (hauteur et durée) alors que les 3 autres sont assignables à des modulations en temps réel. Pour activer un pas en mode Note, on se sert des 2 lignes de 8 pas. En maintenant un pas, on peut modifier sa note avec l’encodeur-poussoir. Les diodes de la rangée supérieure s’allument alors pour indiquer la note jouée sur le pas, sauf qu’une même diode indique à la fois une touche blanche et la touche noire immédiatement supérieure (si elle existe) : ainsi, C et C# sont toutes deux représentées par la première diode, D et D# par la deuxième, ce qui ne facilite pas la vie.
Pour tenir une note sur plusieurs pas, on appuie sur le pas de départ puis sur le pas d’arrivée afin de signifier l’intervalle souhaité. Pour créer une ligne de modulations, il suffit de sélectionner la piste souhaitée (M1 à M3) et de bouger un potard pour que le Magma lui assigne immédiatement. Il ne reste plus qu’à « touiquer » le potard pour chaque pas pour que les choses se mettent en mouvement. Lorsqu’un pas est modulé sur une ligne, la LED correspondante est allumée. La fonction Swing permet de décaler globalement les pas 1–5–9–13 (avance ou retard), alors que la fonction Shuffle fait la même chose pas par pas. On peut même changer le sens de lecture à la volée (avant, arrière, alterné, en plus du mode aléatoire). Avec le bouton Tune, on transpose le motif globalement, alors que le bouton Volume règle la modulation de vélocité. On peut même transposer le motif avec un clavier Midi externe. Ensuite, rien n’empêche de changer, indépendamment pour chacune des 4 lignes, la durée totale (nombre de pas) ou la division temporelle (échelle de 1 à 16 par rapport à l’horloge interne ou Midi) ; c’est très intéressant, car cela permet de créer des motifs qui semblent ne jamais se répéter, par exemple transposer un motif à chaque nouveau cycle ! Le tempo est commandé avec l’encodeur ou la touche Shift, faisant office de Tap Tempo lorsqu’on appuie dessus quatre fois de suite. Les motifs sont liés aux programmes, mais on peut changer jusqu’à 8 motifs pendant le jeu sans changer de programme. De même on peut sauvegarder un motif sans sauvegarder le programme modifié.
Éruption finale
Nous voici arrivés au terme de ce voyage au cœur de la matière explosive, brulante et lumineuse. Le Magma tient bien ses promesses, on le branche et c’est parti, même pas besoin de l’allumer ! Devant une offre nouvelle actuellement abondante en synthés analogiques mono (MiniBrute, Minitaur et maintenant Magma), le choix est cornélien. Le Minitaur est clairement orienté basses, avec ce bas imposant inimitable et une synthèse basique : spécificité et efficacité. Le MiniBrute est un synthé plus singulier, avec un univers sonore profond bien à lui et une excellente connectivité : originalité et tripotage. Le Magma a quant à lui son propre caractère, forgé sur un son gras à souhait, un VCO dopé pour épaissir la sauce, un filtre très musical, des modulations bien pensées, des mémoires directement accessibles et un séquenceur à pas capable de tourner en continu sans interrompre le flux créatif : il est naturellement destiné aux musiciens live qui aiment faire évoluer des séquences cycliques en triturant les potards, sans forcément avoir recours à un clavier… et dans ce domaine, il excelle !
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