Depuis quelques années, l’IA nous est servie à toutes les sauces comme étant la solution aux problèmes que nous avons, voire à ceux que nous n’avons même pas d’ailleurs, et ce, quel que soit le domaine. Le petit monde de l’audio n’échappe bien évidemment pas au phénomène et nous avons donc vu apparaître ces derniers temps bon nombre de plug-ins carburant à l’intelligence artificielle. Si quelques-uns de ces joujoux sont devenus de véritables « game changer », beaucoup tombent malheureusement plus du côté artifice qu’autre chose. Du coup, à force de voir le terme utilisé à tort et à travers, nous sommes nombreux à regarder d’un air méfiant les nouveaux produits estampillés « IA »…
Sauf que le plug-in que je m’apprête à passer sur le grill aujourd’hui ne sort pas de nulle part ! En effet, la smart:reverb est signée Sonible. Or, l’éditeur autrichien fait partie des précurseurs en matière d’intelligence artificielle appliquée à l’audio. J’avais d’ailleurs eu le plaisir de tester leur tout premier outil du genre dès sa sortie en 2015 et il faut bien avouer que l’égaliseur Frei:raum était tout simplement bluffant pour l’époque. Depuis, la marque a continué sur sa lancée avec les plug-ins smart:EQ et smart:comp que je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’essayer, mais qui ont plutôt bonne presse. Ainsi, cette smart:reverb a largement de quoi attiser la curiosité. Est-elle à la hauteur de ce que nous sommes en droit d’attendre d’un outil de traitement audio « intelligent » en 2020 ? C’est ce que nous allons voir…
Chit-chat
Disponible en 64 bits pour Mac et PC aux formats VST, VST 3, AAX et AU, la smart:reverb s’installe très facilement. Pour l’autorisation, l’utilisateur a le choix : liée à la machine grâce à un numéro de licence (jusqu’à deux machines) ou liée à un dongle USB iLok 2. Simple et efficace, merci, bonsoir.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, évacuons les « à côtés » qui sont loin d’être négligeables. Tout d’abord, sachez que l’interface graphique est redimensionnable à l’envi. De plus, un système de comparaison A/B est présent. Bref, mes marottes habituelles sont comblées, merci Sonible et que les autres éditeurs en prennent de la graine !
Outre les boutons de « reset », « bypass » et autres fonctions de gestion des presets, le bandeau supérieur du plug-in offre un fort bienvenu couple Undo/Redo ainsi qu’un switch donnant accès à quelques options : tutoriel de démarrage rapide, activation des bulles d’aide contextuelle, notification de disponibilité d’une mise à jour, ou bien encore la possibilité de définir le dosage dry/wet par défaut sur 100 % wet si vous êtes plutôt du genre à utiliser vos réverbérations au travers de bus auxiliaires.
Enfin, notez que l’utilisation du plug-in n’implique aucun ajout de latence et qu’une instance consomme au maximum 0.5 % de CPU sur ma machine (Mac Pro fin 2013 Hexacoeur Xeon 3,5 GHz – 32 Go DDR3), ce qui est somme toute honnête.
Bon, passons maintenant aux choses sérieuses !
Reverb Learning
Le principe même de cette smart:reverb la rend relativement déstabilisante de prime abord pour qui a l’habitude des réverbérations traditionnelles. Oubliez ici les algorithmes classiques du type Plate, Room, Hall et autre Chamber. Bye-bye également aux premières réflexions et queues de réverbe. Quant au raisonnement selon la conception d’un espace acoustique réaliste, c’est la même tisane. La smart:reverb est en rupture totale avec ces paradigmes, puisqu’elle ne vise pas à placer les différents éléments au sein d’un espace, mais plutôt à tailler sur mesure une sensation d’ambiance spécifique à chaque instrument. Une fois cette notion intégrée, son utilisation est somme toute simple.
Il convient tout d’abord de sélectionner un profil d’instrument parmi les sept proposés : Universal, Drums, Snare, Guitar, Keys, Vocals, Speech. Dommage qu’il n’y ait pas plus de profils disponibles. Quid des cordes, des cuivres, etc. ? Rien de bien gênant cependant, le profil Universal faisant la blague la plupart du temps. Une fois le profil adéquat sélectionné, il suffit de lancer la lecture et d’enclencher le mécanisme d’apprentissage pour qu’en quelques secondes l’IA propose une réverbération de base en guise de point de départ spécialement conçu pour convenir aux caractéristiques spectrales et temporelles du signal source. À partir de là, un pad XY propose d’affiner le rendu selon deux axes de travail : d’un son intimiste à un son riche sur l’axe des abscisses, d’une réverbe artificielle à naturelle sur l’axe des ordonnées. L’ensemble est simple, diablement efficace et permet de trouver son bonheur très rapidement.
Sous cette matrice, trois potentiomètres offrent de plus amples raffinements :
- Width joue sur la largeur stéréo de la réverbération ;
- Color influence la balance spectrale du rendu avec une pâte sonore de plus en plus sombre pour des valeurs négatives ou de plus en plus clinquante pour des valeurs positives ;
- Clarity agit comme une sorte d’effet de « ducking » de façon à dissocier le signal source du signal réverbéré et d’ainsi garantir une intelligibilité optimale.
Encore une fois, c’est simple et efficace. Mention spéciale pour le potard Clarity dont la puissance est tout bonnement bluffante.
Pour compléter ce tableau de base, nous avons bien entendu droit à quelques réglages plus conventionnels : le temps de réverbération, le pre-delay malheureusement sans possibilités de synchronisation au tempo, les niveaux dry et wet avec une option de chainage afin de faire évoluer ces deux réglages de façon proportionnelle (la somme des deux niveaux sera toujours égale à 100 %).
Enfin, un bouton « Freeze » permet, comme son nom l’indique, de capturer et figer la réverbération actuellement produite pour générer un signal sauce drone alors que le switch « Infinite » donne un temps de réverbération infini. Ces deux fonctions ont le mérite d’exister, mais sont un tantinet décevantes, car « Freeze » induit une coupure de volume trop conséquente lorsqu’elle est désactivée pour passer inaperçue et les deux bloquent la majorité des autres réglages, ce qui empêche toute expérimentation… Cependant, je dois avouer que rien qu’avec les paramètres que nous venons de voir, il est possible d’obtenir une palette sonore assez large de réverbérations particulièrement bien taillées pour chaque signal source spécifique, et ce, de façon très intuitive et en un tournemain qui plus est. Que demande le Peuple ?
D’autant que le joujou offre beaucoup plus que cela, comme nous allons le voir dans la prochaine section…
Le petit futé
Jusqu’ici, nous n’avons parlé que des réglages occupant seulement le tiers gauche de l’interface du plug-in. Or, le cœur de l’affichage est occupé par deux magnifiques graphiques qui ne sont pas là qu’en guise de décoration : le « Particle Display » et le « Temporal Shaper ». En fait, lorsque smart:reverb analyse le signal source, c’est justement pour adapter au mieux les paramètres de ces deux sections. De plus, la manipulation du pad XY et des autres potards modifie ces sections de façon à rester cohérent avec l’analyse. Il est cependant possible de prendre la main histoire de sculpter plus avant la réverbération obtenue, jusqu’à taper dans des réverbes tenant plus de l’effet qu’autre chose, ce qui est ma foi fort agréable.
Le « Particle Display » permet, d’une part, de visualiser en un clin d’oeil l’évolution spectrale et temporelle du signal réverbéré grâce à un superbe affichage sous forme de « particules » animées, ce qui s’avère très instructif, et d’autre part, d’agir directement sur cette évolution au travers de nœuds qu’il est possible de déplacer selon l’axe temporel horizontal. Il est ainsi très simple de déterminer les vitesses de déclin des différentes zones spectrales.
Le « Temporal Shaper » permet, quant à lui, d’agir sur les courbes d’évolution temporelle de trois composantes sonores de la réverbération :
- Decay (en vert) pour l’énergie ;
- Spread (en orange) pour la propagation au sein de l’image stéréo ;
- Density (en rose) pour la densité.
Notez qu’il est possible de limiter l’action du réglage « Spread » à une certaine plage de fréquences via le « Particle Display ».
À l’usage, ces deux sections sont fort intuitives et ouvrent des perspectives assez réjouissantes. Il est par exemple possible de créer une réverbe initialement mono qui gagne en largeur stéréo tout au long du déclin, ou bien encore de concevoir une sorte de réverbération inversée avec une énergie et une densité nulles à l’origine et maximales au bout d’un certain temps de déclin. Bref, largement de quoi faire turbiner votre créativité. Il est toutefois dommage que Sonible n’ait pas poussé le concept un cran au-dessus en proposant par exemple une synchronisation au tempo et des grilles temporelles magnétiques de façon à faire « groover » chacun de ces paramètres au rythme de votre composition. De même, la possibilité d’ajouter des points aux enveloppes du « Temporal Shaper » aurait pu rendre la smart:reverb diablement efficace en termes de Sound Design.
Avant de voir la bête en action, il me reste à évoquer rapidement la section escamotable « Pre-Filter EQ » qui, comme son nom le laisse supposer, propose d’égaliser succinctement le signal source avant qu’il n’attaque la réverbe. Deux filtres sont disponibles avec pour chacun le choix entre des courbes HP, LP, Hi-Shelf, Lo-Shelf et filtre en cloche. Pas grand-chose à dire ici, si ce n’est qu’une troisième bande n’aurait pas été de refus.
Bien, il maintenant grand temps de mettre la bestiole en situation.
iReverb
Contrairement à d’habitude, cette séance d’écoute se fera au travers d’une vidéo. J’espère que ce changement de support vous plaira ! Bon visionnage et rendez-vous après ça pour la conclusion de ce banc d’essai.
Après mûre réflexion…
Suite à ce banc d’essai, plusieurs constats s’imposent. Tout d’abord, cette smart:reverb n’est pas pour tout le monde. Si vous êtes dans une optique de création d’environnements acoustiques réalistes, comme cela peut être le cas dans la musique orchestrale par exemple, cet outil n’est clairement pas le choix le plus adéquat. De même, si vous ne tenez pas à remettre en question vos vieilles habitudes de travail au travers des grands classiques de la réverbération algorithmique, passez votre chemin.
En revanche, en guise d’habillage d’ambiance pour les musiques actuelles privilégiant la sensation sonore au réalisme acoustique, il faut bien reconnaitre que le joujou de Sonible fait mouche. Une fois pris le pli, l’utilisation est on ne peut plus intuitive, le rendu est d’une qualité impeccable et la palette sonore suffisamment large pour ne pas devenir répétitive à la longue.
Bien sûr, la smart:reverb n’est pas parfaite. Cependant, il s’agit d’un outil innovant, diablement fonctionnel tel quel et qui promet un futur pour le moins jouissif si tant est que l’éditeur veuille bien creuser le sujet plus avant. En effet, le potentiel sur le plan « groovy » comme sur celui du Sound Design est énorme à mon humble avis. Le jour où Sonible travaillera la question de la synchronisation au tempo, je suis persuadé que ce beau joujou deviendra réellement un incontournable.
En attendant, je vous invite à télécharger la version d’évaluation afin de vous forger votre propre avis. Ne tardez pas trop, car Sonible propose actuellement un tarif de lancement cumulable avec plusieurs autres réductions si vous êtes déjà client chez eux ou si vous naviguez dans le milieu éducatif (enseignant ou étudiant), rendant ainsi l’outil encore plus attractif…