Trois pianos prestigieux, un parc de micro en conséquence, et la possibilité de jouer sur différents modes d’enregistrement au moment du mixage : voilà le programme du dernier Refill de monsieur Tête d’Hélice, qui oriente clairement son piano virtuel du côté de la production pratique et efficace.
Trois pianos prestigieux, un parc de micro en conséquence, et la possibilité de jouer sur différents modes d’enregistrement au moment du mixage : voilà le programme du dernier Refill de monsieur Tête d’Hélice, qui oriente clairement son piano virtuel du côté de la production pratique et efficace.
Une énième banque de piano, ah ben tiens, il nous manquait plus que ça, hein, pensez-vous sans délayer…Oui, c’est vrai qu’on est pas mal engoncé dans le pléthorique quand on doit aujourd’hui choisir un piano virtuel, tant les éditeurs les plus prestigieux n’arrêtent pas de nous présenter leur copie, avec toujours le même thème de dissertation : comment faire sonner votre bécane comme un Steinway double queue.
Et c’est vrai, c’est toute une rhétorique que d’arriver à distiller en quelques Go toute la quintessence du piano, l’un des plus flamboyants virtuoses en matière de sophistication instrumentale. Pourtant, Propellerhead n’hésite pas à s’y coller à son tour, décidément décidé à clouer le bec à tous ceux qui prétendent encore que Reason est une station de travail uniquement dédiée à l’électro.
Et comme à son habitude, l’éditeur suédois est avant tout fidèle à sa philosophie de l’efficacité et du pratique en nous proposant ici une diva tout ce qu’il y a de plus discrète côté poids. En effet, il est difficile de faire rentrer un piano de concert dans sa chambre de bonne et c’est une des bonnes raisons pour laquelle on se rabat en général sur une solution virtuelle. Il n’est pourtant pas moins ardu de déverser sur son disque dur les 40 Go de martèlements intempestifs souvent nécessaires à des banques dites sérieuses.
Or là, pas d’angoisse au moment de l’installation, et nul besoin de sacrifier votre collection de DivX favoris pour faire frétiller la bête ! Propellerhead fait dans le grand slim avec 2 Refills qui ne vous feront pas honte dans leur bikini, puisque la version 24 bits ne pèse que 1.3 Go, et que la version 16 bits, quant à elle, ne dépasse même pas les 600 Mo. Incroyable, non ? Ou alors, de qui se moque-t-on ? Surtout qu’en plus, lorsque l’on regarde le beau coffret kaki, on s’aperçoit que pour ce prix là, on nous offre non seulement un piano, mais 3 pianos !
De la marque !
Steinway D |
Et pourtant, c’est vrai, sur quelques centaines de mégas, Reason Piano nous fait tenir un Steinway D Grand (274 cm), considéré comme le nec plus ultra en matière de facture de piano, un Yamaha C7 Grand (227 cm), réputé pour son attaque claire et acérée, très prisée pour les enregistrements de jazz et de rock, ainsi qu’un second Steinway, un modèle droit, le K Upright, offrant la tonalité plus légère des cordes courtes, tout en conservant une chaleur exceptionnelle pour un piano droit. Du très beau monde donc, regroupant dans un éclectisme raffiné le fleuron de la manufacture de prestige, et pour lequel un traitement spécial s’impose dans les grandes largeurs. C’est donc après avoir subi un accordage particulièrement méticuleux que nos trois merveilles vont être multi-échantillonnées dans une immense cabine avec parquet, pour profiter de toutes les résonnances naturelles des instruments.
Côté dynamique, on s’est limité à 4 niveaux de vélocité, ce qui peut paraître un peu léger par rapport à certains pianos virtuels qui en offrent jusqu’à 20. Mais cette option de restriction, qui permet bien sûr à la banque de conserver sa ligne, et de ne pas encrasser trop notre RAM (pas de Direct Streaming dans Reason) tout en réduisant le temps de chargement des patches (qui est toutefois assez conséquent dès que l’on travaille en multi-piste), est compensée par la multiplication des angles et des distances d’enregistrement. C’est ce que l’éditeur nomme avec verve l’Hypersampling, mais que l’on pourrait traduire en clair par « multi-sampling réalisé intelligemment… »
Hypersampling
Yamaha C7 |
Comme l’explique Propellerhead dans la présentation de son produit, Reason Piano est destiné avant tout à la production. C’est pourquoi a été mis ici l’accent sur la prise de son à géométrie variable, afin de procurer des instruments virtuels non pas seulement enregistrés de façon à sonner avec brio, mais aussi et surtout de façon à s’intégrer facilement et efficacement dans un mixage. Si en effet de nombreuses banques de sons consacrées au piano offrent des samples de qualité obtenus avec une production soignée (studio, piano, micros, édition…), elles n’en restent souvent pas moins difficiles à faire sonner de façon réaliste et homogène dans une orchestration complète.
Cela vient en premier lieu du fait que la plupart du temps, on utilise lors des séances d’enregistrement une seule paire de micros placés à proximité des marteaux, ou en tout cas toujours très près de la table d’harmonie. On obtient ainsi un son certes très précis, avec une dynamique optimale, mais qui peut parfois s’avérer difficile à « arrondir » pour se glisser en douceur dans l’intimité d’un mixage, nécessitant en tout cas l’utilisation de réverbes pas toujours faciles à régler, et gourmandes en CPU.
C’est ici que l’Hypersampling arrive avec sa grande cape noire pour nous mettre l’ambiance en douceur, sans prise de tête et avec naturel. En effet, ce qui avait déjà très bien fonctionné pour les batteries acoustiques (rappelez-vous le magnifique Reason Drumkit qui nous avait réchauffés tout l’hiver dernier avec ses caisses claires enthousiastes et ses grosses caisses bien dodues, permettant de programmer des drumtracks d’un réalisme acoustique particulièrement réussi) est à nouveau à l’honneur pour cet autre instrument à percussion qu’est le piano. Ainsi, au lieu du traditionnel binôme gauche/droite, on se retrouve ici avec au total une dizaine de micros placés en différents points d’enregistrement, et procurant ainsi 10 pistes fonctionnant dans Reason selon 4 paires stéréos plus 2 monos, reflétant non seulement les différentes caractéristiques particulières de chaque micro, mais aussi les différents angles et distances de position.
Mic mac…
Les différentes pistes proposées au mixage sont donc de 5 types différents. La première paire stéréo est enregistrée avec des Dedrik de Geer M49 en position XY. C’est une piste très dynamique, avec beaucoup de brillance, propice aux rythmiques précises. La seconde, que l’éditeur nomme « jazz », est réalisée avec une paire de Neumann M269 à lampe, l’un placé sur le côté du piano, et l’autre à l’arrière. Ils donnent une ambiance plus ample, avec beaucoup de corps, mais avec toujours une attaque franche.
Les micros d’ambiance, qui font la troisième piste stéréo, sont des Neumann M250 pour les Steinway et des AKG C24 pour le Yamaha. Ils sont placés à 4.5 mètres du piano, et à une dizaine de mètres l’un de l’autre.
Les micros plats posés au sol sous le piano offrent la dernière piste stéréo. Ce sont des Sennheizer PZM. Ils sont destinés à récupérer toutes les basses fréquences de l’instrument, ainsi que les résonances du parquet.
Viennent ensuite 2 pistes mono, l’une procurée par un Roter R122 à ruban, offrant un spectre plutôt étroit dans les fréquences medium, et l’autre captée avec un Beyerdynamic M380, placé sous le piano, lui aussi offrant un registre de basses fréquences chaleureuses, mais plus définies que celle des Sennheiser. C’est donc grâce à ces 5 vecteurs de notre voilure acoustique, offrant des couleurs très distinctes, que l’on aura tout loisir de mixer, pour trouver le son dont on a besoin…
Le son
On est tout d’abord surpris par la justesse dynamique des patches. Malgré les seuls 4 niveaux d’échantillonnage, on ne sent absolument aucun palier de vélocité, et l’expression est facile à obtenir, sans avoir besoin d’adapter son jeu pour adoucir les angles. On sent tout de suite une fluidité idéale, et le système des diverses ambiances et couleurs que l’on mixe à volonté contribue efficacement à cette sensation de toucher gracieux.
En effet, les pistes de micros éloignés, avec beaucoup moins de projection de puissance, permettent d’arrondir les angles et de créer des patches romantiques, notamment celles des micros au sol qui apportent une présence aussi chaleureuse qu’envahissante, tandis que les pistes de proximité offrent des tonalités brillantes et rythmiques. Si l’on souhaite par contre un son plus neutre, pas trop envahissant, le côté vintage très convaincant du micro à ruban, idéal pour les mix chargés, réussira à parfaitement s’intégrer dans la plupart des ambiances. Ainsi, simplement en mixant les 5 prises de son, on obtient une infinité de nuances qui permettent non seulement d’obtenir des instruments agréables et réalistes à jouer, mais aussi de ne plus se prendre la tête au moment du mix si l’on se rend compte, comme si souvent, que le son choisi au départ d’une compo ne convient plus vraiment à l’arrivée, quand toutes les autres pistes ont été enregistrées.
De plus, comme on ne travaille ici qu’avec des pistes acoustiques, enregistrées simultanément et dans un même espace, l’homogénéité ne pose aucun problème, et les ambiances créées, même si elles s’éloignent beaucoup des sentiers battus, restent toujours naturelles et onctueuses, musicales.
Si cependant on tient à pousser l’Hypersampling dans ses derniers retranchements, il est tout de suite possible de sauter dans la cinquième dimension, grâce à la puissance et à l’ergonomie des Combinators, qui ont été la grande révolution de la version 3 de Reason. Voici quelques exemples sonores : 80's grand yamaha, chris griffin yamaha, dave darlington yamaha, hornby’s honor, massive upright, niklas fickte large grand steinway, shep producer steinway k droit.
Combinator
Ces petits racks d’instruments, modulables à l’infini et si pratiques à utiliser, sont évidemment largement employés dans Reason Piano. Ils offrent bien sûr la possibilité d’user à l’envie des nombreux patches d’usine, qui sont fournis pour décliner déjà sur une gamme immense les diverses possibilités de la banque, avec notamment des pianos de « producteurs », ainsi que des choix d’ambiances précis, agrémentés de compresseurs et d’égalisation.
Mais ils permettent aussi de prendre directement la main, en plus du mix des différents micros, sur de nombreux paramètres sonores, comme la résonance du release, la présence (un boost des fréquences autour de 5000 Hz), le bruit des marteaux, ou l’intensité des infrabasses (grâce à un filtre low cut). Enfin, quelques patches utilisant la réverbe RV7000 ouvrent une fenêtre sur les inépuisables horizons de sound design qui s’offrent à nous dès que l’on met en route l’incroyable machine à FX qui vrombit dans Reason, et dont bien sûr ce Refill pourra amplement tirer parti.
Conclusion
À l’usage, Reason Piano s’avère de plus en plus convaincant. Certes, il ne faut pas s’attendre à un miracle, et l’on ne trouvera pas forcément ici LE piano transcendantal définitif de l’espace. Pourtant, au fur et à mesure que l’on se promène dans les différents instruments proposés par les patches d’usine, on s’aperçoit que cette banque est avant tout très agréable à jouer, précise, souple, musicale et réaliste. Le moteur audio de Reason apporte une fois de plus toute sa fluidité, sa puissance d’édition et sa stabilité dans le traitement de ces patches légers et efficaces. Finalement, on va avoir de plus en plus de mal à s’en passer, tant tout cela paraît simple et pratique, sans jamais être cheap. Bref, une réussite discrète, mais généreuse, qui séduira sans aucun doute les Reasonneurs à la recherche du réalisme, mais aussi de la polyvalence. Qui peut le moins peut le plus, n’est-ce pas ?
[+] La simplicité, le réalisme, le système de mixage des pistes, l’ergonomie des Combinators
[-] Le temps de chargement des patchs