Un an à peine après avoir pris sa revanche, Yamaha sort la version 2 de son échantillonneur professionnel. Avec plus de 60 nouvelles fonctions, le jeune Aspirant 3000 est devenu Lieutenant. Garde à vous !
Il y a un an, l’A3000 succédait au TX16W, célèbre pour sa qualité sonore indéniable et son OS épouvantable. Si l’on en croit l’excellent accueil du public et de la presse (C.F. PlayRecord n°16), le A3000 a fait oublier son aïeul en très peu de temps, grâce à un prix très compétitif vues les spécifications annoncées et une qualité sonore remarquable. C’est à peu près le temps qu’a mis E-mu pour sortir une version évoluée de son ESI32. Du coup, l’A3000 s’est retrouvé coincé entre le S2000 Akaï et l’ESI4000 E-mu sur le segment des échantillonneurs professionnels moyenne gamme. Ayant compris que la guerre se situait dans la fourchette 10000–15000 F, Yamaha a rapatrié son soldat à la base et là, surprise : un manuel supplémentaire de 50 pages décrivant plus de 60 nouvelles fonctions. Plus qu’une simple mise à jour, le constructeur a littéralement entrepris les grandes manœuvres. A vos rangs, fixe !
Rappel à l’ordre
L’A3000 est un échantillonneur stéréo 16 bits en rack 19 pouces 2U, polyphonique sur 64 voix et multitimbral sur 16 canaux simultanés. Sa Rom de 2 Mo peut être augmentée jusqu’à 128 Mo par l’ajout de barrettes SIMM 72 broches de capacité 4, 8, 16 ou 32 Mo et de temps d’accès inférieur à 70ns. Une interface SCSI2 50 broches est intégrée de base et la machine peut recevoir une carte optionnelle délivrant 6 sorties analogiques supplémentaires et 2 entrées – sorties numériques S/PDIF au format Cynch et optique. Le son est excellent et l’OS d’origine est bien plus convivial que son prédécesseur. Avouons-le, on parvient relativement rapidement à utiliser les 5 potentiomètres rotatifs en conjonction à la matrice de boutons servant à sélectionner les différents modes et fonctions de la machine en dépit d’un LCD alphanumérique 2 × 40 caractères et d’abréviations pas toujours claires. Parmi les innombrables qualités de la machine, citons les trois excellents processeurs d’effets capables chacun de produire 54 algorithmes (jusque 16 paramètres programmables et une modulation dynamique), l’échantillonnage – à la volée – de plages multiples de CD et la modification des paramètres en temps réel (on peut ainsi garder la touche enfoncée en édition, comme sur un automatique !). Alors, pourquoi l’améliorer ? D’abord parce que la concurrence fait le siège de la forteresse, ensuite parce que l’A3000 originel n’est pas exempt de tout reproche : un seul LFO assez dépouillé (pas de synchro, 4 formes d’ondes), une perte des points de bouclage après resampling ou encore une gestion approximative des disquettes. En avant, marche !
Revue des troupes
La V2 réside sur une Eprom qui annule et remplace l’ancienne puce après un simple échange standard et quelques centaines de francs (c’est d’ailleurs le seul composant « amovible » de la carte mère du A3000). Ce qui signifie que la mise à jour est purement logicielle. Autrement dit, le LCD ne devient pas graphique et les boutons ont toujours tendance à répondre de façon assez aléatoire. De même, l’interface SCSI est toujours de base, la carte d’entrées – sorties supplémentaires est en option (et vraiment pas chère), la Ram d’origine de 2 Mo culmine à 128 Mo et le lecteur de disquettes, d’une mécanique très musclée (on peut véritablement parler d’éjection du disque), est toujours aussi lent. Ces remarques, bien qu’elles méritent d’être faites, ne figureront donc pas au verdict final pour des raisons de bon sens.
Commençons par les effets, qui deviennent dorénavant disponibles non seulement à l’entrée (aussi bien pour le resampling interne que pour l’échantillonnage « mouillé » de sources externes) mais surtout à toutes les sorties (principales, séparées et numériques). Bravo ! Moins spectaculaires mais tout aussi utiles, deux nouvelles configurations des processeurs apportent de la souplesse aux routages du son : les effets 1 et 2 peuvent être mis en parallèle puis envoyés dans 3 (1 // 2 => 3) ou les effets 1 et 3 peuvent être envoyés indépendamment dans 2 (1 => 2 <= 3, une prise sur les deux fronts de 2 par 1 et 3 !). Enfin, une nouvelle fonction permet de copier les réglages d’un des processeurs dans n’importe quel autre, dans le même programme ou dans un autre. La Grande Vadrouille !
Bataillon de filtres
Nous avions déjà applaudi à grands coups de canon les filtres résonants du A3000 d’origine, implantés sous la forme de 6 algorithmes comportant 2 filtres passe-bas, 2 filtres passe-haut, 1 filtre passe-bande et 1 filtre à réjection de bande. Dans la V2, 10 nouveaux algorithmes détonants viennent compléter l’arsenal de la machine. Si les 3 premiers sont assez classiques (un passe-bas et deux filtres à crête unique), les 7 suivants sont bien plus intéressants, car ils mettent en jeux 2 fréquences de coupure distinctes : on trouve pêle-mêle un Twin Peaks (à double crête), un Twin Dips (à double creux, c’est-à-dire deux résonances négatives), un double passe-bas, un double passe-haut et trois combinaisons (passe-bas + crête, passe-haut + crête et passe-bas + passe-haut). En fait, au lieu de régler les deux fréquences de coupure, on accède à un paramètre cutoff et un paramètre distance (plus communément appelé séparation) qui peut prendre des valeurs positives ou négatives. De quoi transformer la forme d’onde la plus anodine en un monstrueux balayage de filtre ou redonner un peu de résonance à une onde acoustique un peu pâlotte, les réglages se montrant très dociles. Une grande réussite ! Et pour augmenter un peu le feeling, rien de tel qu’un peu de modulation aléatoire de la fréquence de coupure et de la résonance. Mieux, les paramètres distance et gain du filtre deviennent des destinations de la matrice de modulation du A3000 (de même que la vélocité et le numéro de note Midi viennent gonfler les rangs des sources de modulation). Ces filtres ont vraiment des tripes et faute d’entrer en auto-oscillation, ils sont capables de distordre à souhait dès que l’on pousse la résonance. La Grosse Bertha à portée de main !
A mon commandement
Sur le A3000, une touche baptisée « Command » autorise l’accès à différents paramètres suivant la page menu en cours. Beaucoup d’améliorations de la V2 s’obtiennent par cette touche, d’emploi pas toujours commode, mais encore plus incontournable qu’avant. Il faudra s’y faire. Commençons par les fonctions de copie revues et corrigées : désormais, il est possible de copier, d’un programme à un autre (ou au même), soit tous les paramètres (y compris les échantillons et les banques d’échantillons), soit les assignations d’échantillons et les paramètres d’édition rapide, soit les réglages d’effets. De même, la plupart des réglages peuvent être copiés d’un échantillon (ou d’une banque d’échantillon) vers un autre (ou une autre). Cette souplesse est cependant limitée par l’impossibilité de copier les paramètres propres à la forme d’onde tels que la tessiture (notes basse, haute et d’origine), les points de troncature ou les points de bouclage. Dommage, car cela aurait été pratique pour créer des boucles rythmiques de longueurs exactement identiques en un tour de potentiomètre ou presque.
Dans le même ordre d’idées, de puissantes fonctions de remapping ont été ajoutées : déplacement ou extraction d’échantillons d’une banque vers une autre ou vers un programme (et réciproquement) avec copie automatique des samples déplacés afin de ne pas affecter les originaux lors de la copie. Le tout en conjonction avec une fonction de gel (Freeze) permettant de conserver (ou non) les paramètres originaux des samples lors de la copie. Pilotage en doubles commandes !
Sampling armé
Première bonne nouvelle pour ceux qui aiment échantillonner eux-mêmes, l’affichage graphique par segments des niveaux sources est maintenant disponible pendant l’enregistrement. Il ne manque plus qu’un indicateur de clipping ! Une fois l’ennemi encerclé, la fonction Extract permet de tronquer l’onde entre deux points à définir. En passant par la page Loop, on découvre avec joie que les adresses de début – fin peuvent être remplacées par la longueur de la boucle, et ceci soit en unité temporelle soit en battements. Imbattable pour les boucles rythmiques ! Mieux, une fonction de division de boucle tronçonne en un éclair une boucle en boucles plus petites (nombre et longueur au choix) et les place automatiquement sur des touches adjacentes du clavier (note de départ à déterminer), tout cela en une seule opération. Le paradis pour remixeurs ! Tant qu’on y est, une fonction Remix produit des bouclages aléatoires plus ou moins éloignés des points originaux avec plus ou moins d’intensité (et d’intérêt). Hélas, toujours pas de bouclage alterné en vue.
Ensuite, un petit détour par la page Crossfade Loop laisse apparaître un second type de courbe de transition (exponentiel en plus de linéaire) pour plus de souplesse et ce, sur chaque boucle (sustain et release). Sans faire la fine bouche, il manque tout de même des courbes de type equal power, mix ou sinus (pour espérer un peu plus longtemps que le bouclage ultime soit encore possible quand rien n’a encore marché jusque-là). Pour se consoler, remarquons que les points de bouclage ne sont dorénavant plus perdus après utilisation des fonctions Resampling (Time Stretch et Pitch Convert). Au département sampling, l’A3000 a pris du galon !
Le Débarquement
Incontestablement, l’A3000 V2 a envie de conquérir le monde. La compatibilité des formats a été revue et corrigée (Akaï, E-mu, Roland, AIFF, WAV) ainsi que la compatibilité avec les disques durs, lecteurs CD Rom, Jaz et autres Zip SCSI du commerce (liste non fournie mais de toutes façons, un bon essai vaut mieux qu’une longue liste). Ensuite, l’export des échantillons (un par un) ou des banques d’échantillons (les échantillons constituant la banque sont exportés l’un après l’autre) au format AIFF est autorisé. Mieux, la sauvegarde sur disquettes multiples est maintenant (enfin !) possible. Plus fort, si au beau milieu de la sauvegarde, on est à cours de disquette formatée, l’A3000 s’empresse d’arranger les choses sans interrompre la séquence de sauvegarde (formatage + écriture simultanée). Bien vu ! Hélas, toute disquette appartenant au même contingent de sauvegardes multiples est « grillée » une fois pour toutes : impossible d’y sauvegarder d’autres données, même si on n’a utilisé que quelques octets. Pire, on ne peut visualiser le détail des fichiers sur des disquettes multiples. Pour enfoncer le clou, l’export AIFF sur disquettes multiples est impossible, et comme l’A3000 n’affiche toujours pas la taille des fichiers en interne ou sur disquette, ce sera la loterie. De quoi nous dégoûter de ces horribles trucs lents et grinçants en plastique ! Surtout que maintenant, un paramètre Play&Load permet de jouer pendant le chargement depuis les disques durs, reconnus dorénavant jusqu’à une capacité maximum 8 Go par partitions de 1 Go. Ceci signifie entre autre que l’A3000 est capable de s’approvisionner chez les concurrents utilisant des partitions multiples de disques durs ou Cdroms (tels que Akaï). Division blindée !
Portés disparus
Dans la série des reproches, commençons par le manuel de mise à jour, absolument exhaustif mais très peu explicite. Ensuite, le séquenceur basique intégré n’a presque pas évolué, ce qui signifie pas d’overdub, de quantisation ou d’édition a posteriori. De plus, son emploi bloque la machine en mode séquence, si bien qu’il est toujours impossible de ré-échantillonner sa sortie en lecture. Pour sa part, le nouveau LFO (complet et avec synchro Midi) se situe au niveau programme, donc il s’applique globalement à tous les échantillons dudit programme, sur les 16 canaux Midi (terrain miné !). Toujours plus ennuyeux, la V2 n’apporte aucune faculté d’édition partielle de formes d’ondes. Ainsi, il est toujours inconcevable d’effectuer des réglages sur une partie d’un échantillon sans affecter le reste de l’onde, sauf bouclage et troncature. Ce qui signifie que les fonctions « couper / copier / coller » sont aux abonnés absents, de même que les interventions classiques sur une portion d’onde : pas de suppression d’un clic indésirable au beau milieu d’une onde, pas d’insertion d’un second échantillon, ou encore pas de normalisation sur une fin de son à déclin trop brutal. Une limitation qui fera gronder les Q.G. des Sound Designers les plus difficiles ! Enfin, nous attendons toujours une fonction Undo cruellement absente : autrement dit, toute action entreprise est définitive et même si certains traitements disposent d’une pré-écoute (instantanée mais plus ou moins fiable) ou même si une fonction Revert permet de remplacer une onde en édition par sa version stockée sur disque, on ne peut que grogner. Silence dans les rangs !
Décorations
Dans sa version 2, l’A3000 est sans conteste arrivé à maturité, avec addition en quantité importante de fonctionnalités réellement utiles. Sur beaucoup de points, la machine est devenue à la fois très performante et plus simple d’utilisation, avec des astuces et automatismes qui sont autant de temps gagné pour la créativité. Sur le plan sonore, les nouveaux filtres sont une grande réussite. Du point de vue de l’édition des échantillons, de nouvelles fonctions sont venues compléter intelligemment le tableau. Quant à la gestion des paramètres sonores, le grand ménage a été fait entre les échantillons, les banques d’échantillons et les programmes et si la logique d’empilage des paramètres propre à Yamaha n’est pas toujours très intuitive, le ciel s’est nettement éclairci. Tant mieux ! Pour faire notre mauvaise tête, nous avons surtout regretté le manque d’édition partielle au sein d’une même onde et l’absence totale de fonction Undo. Ceci dit, l’A3000 V2 mérite ses galons d’officier, mais pour le grade de Général, ce sera pour plus tard. Allez, rompez les rangs !
Glossaire
Partition : séparation d’un même support physique de stockage en des parties indépendantes
Pitch convert : altération de la tonalité d’une onde sans en changer la vitesse de reproduction
Time stretch : modification de la vitesse d’une onde sans en changer la tonalité d’origine