Après une version 9 maintes fois mise à jour au cours de 5 dernières années, Ableton revient enfin avec la dixième mouture de Live. Au programme : bien des choses qu’on attendait, mais aussi quelques surprises…
Voilà 5 ans presque tout ronds qu’Ableton nous avait proposé la dernière version de son fameux séquenceur. Mais on ne peut pas dire pour autant que l’éditeur allemand se soit reposé durant ces cinq années, 7 mises à jour majeures et pas moins de 26 mises à jour mineures – les unes comme les autres absolument gratuites – ayant été produites durant cette période-là, sans compter le développement de la seconde version du contrôleur dédié Push ainsi que celui de la norme Link, véritable petite révolution. A tel point qu’aux yeux de certains, cette version 10 du séquenceur apparaîtrait presque comme ne méritant pas totalement son chiffre rond !
Qu’en est-il exactement ? C’est ce que je vous propose d’explorer ensemble, soit en vidéo avec un nouvel épisode d’On refait le Patch, soit en texte :
Évolutions structurelles
Pour commencer ce banc d’essai, il est important de signaler quatre évolutions structurelles majeures d’Ableton Live. La première tient dans l’intégration définitive de Max for Live au sein même du logiciel, suite au rachat par Ableton de l’entreprise Cycling 74 qui produisait et entretenait Max. Il ne s’agit donc plus d’un élément extérieur à Live, mais bien d’un élément pleinement constitutif du logiciel.
Les fonctionnalités ouvrent un champ d’exploration quasi infini, allant du développement des possibilités de modulation à de nouvelles fonctionnalités MIDI et audio en passant par la mise en relation avec des domaines sortant même du cadre strictement musical (la commande de robots via des ordres MIDI par exemple). Outre les packs fournis par Ableton, on peut d’ailleurs trouver de très nombreux modules développés par une communauté très active de développeurs bénévoles. Toutefois, les fonctionnalités liées à Max ne sont pour l’instant débloquées que sur la version Suite de Live (voir encadré). Pour la version Standard, il faudra acheter la licence, et la version Intro ne peut pas en bénéficier.
Les deux autres évolutions sont intimement liées entre elles et concernent les fonctions de sauvegarde et d’annulation de tâche. Chaque sauvegarde simple via CTRL-S ou CMD-S selon les systèmes d’exploitation engendre maintenant automatiquement la création d’une sauvegarde de copie ou backup avec la date et l’heure inscrites dans le nom du fichier. L’historique d’annulation n’est en outre plus supprimé par les sauvegardes ! Il est donc désormais possible d’annuler, après une sauvegarde, une action antérieure à celle-ci. Tout simplement royal !
Enfin, l’ensemble de l’interface du logiciel est passée en mode vectoriel, autorisant en théorie tous les redimensionnements possibles
O Browser
Le browser s’est vu apporter trois modifications majeures : la possibilité de taguer tous les éléments qu’il contient selon 7 critères, une nouvelle gestion des dossiers, et enfin la possibilité de télécharger et d’installer directement à partir du browser les pack d’extension d’Ableton que l’on devait auparavant aller chercher sur le site de l’éditeur. Commençons par les tags.
Ceux-ci sont colorés et portent chacun le nom de leur couleur jusqu’à ce qu’ils soient renommés par nos soins en quelque chose de plus parlant. Le fait qu’ils soient peu nombreux peut être un avantage, car cela nous oblige à particulièrement bien réfléchir à l’organisation des éléments du browser. Et le fait qu’ils soient colorés rend leur identification particulièrement efficace dans les longues listes de certains dossiers du browser (listes sur lesquelles nous reviendrons dans le dernier paragraphe de l’article…)
Concernant lesdits dossiers, on peut désormais choisir ceux que l’on souhaite afficher, et ceux que l’on souhaite masquer. Attention toutefois, cette fonction ne se limite qu’aux dossiers d’origine de Live, les dossiers créés par l’utilisateur restant constamment visibles. C’est une bizarrerie au sein d’un concept par ailleurs intéressant.
Enfin, la possibilité offerte dorénavant par Live de charger les packs Ableton directement à partir du browser mérite d’être saluée. D’autant que le téléchargement peut être interrompu et repris à tout moment, et que les mises à jour desdits packs sont également concernées. Il est à noter que pour l’instant en tout cas, seuls les packs gratuits sont pris en compte, les packs payants non encore achetés n’étant pas affichés dans le browser. Notre contact chez Ableton nous a indiqué qu’il ne s’agissait donc pas de proposer une boutique en ligne au sein même du logiciel, comme on a pu le voir chez certains concurrents.Parfait !
Je vous propose maintenant de continuer avec ce qui est sans aucun doute l’une des principales nouveautés de cette version !
Midi capture
Il s’agit de la grande surprise de cette nouvelle mouture. En quoi cela consiste ? Tout simplement en l’enregistrement des données MIDI entrantes dans Live… sans avoir à enclencher préalablement la moindre procédure d’enregistrement ! Vous ouvrez votre séquenceur, vous jouez sur votre clavier-maître, et d’un simple click vous récupérez dans un clip tout ce que vous venez de jouer ! Merveilleusement simple, quasiment magique ! Bien sûr, cela existait déjà chez certains concurrents comme Logic ou Cubase, mais la différence c’est qu’ici, la fonction MIDI capture évalue également le tempo auquel vous avez joué ! En revanche, elle ne sait pas encore reconnaître une signature rythmique, ou faire la différence entre un rythme binaire ou ternaire – vous resterez en 4/4 même si vous jouez en 6/8. Peut-être l’objet d’une future évolution de la fonction ?
En ce qui concerne les données enregistrées, la fonction MIDI Capture saisit tous les messages MIDI correspondant aux paramètres de jeu (note on/off, vélocité, aftertouch, etc), mais également les messages MIDI CC. Elle analyse vos « intentions » de jeu et met en boucle celle qu’elle considère être la dernière d’entre elles, tout en conservant et affichant hors de la boucle ce qui précède. Si un clip est déjà actif sur une piste armée, tout ce qui sera capturé en plus le sera en overdub sur ledit clip.
Si aucun clip n’est actif sur la piste concernée, un nouveau clip sera créé.
Si un clip est actif sur une autre piste pendant la capture, la longueur de boucle de la capture s’adaptera à celle du clip déjà actif. Si la capture est plus longue que le clip actif, seule la dernière partie correspondant à la longueur de la boucle du clip actif sera bouclée, même si la totalité de ce que vous avez joué sera bien capturée.
Je conseille vraiment de programmer un raccourci clavier ou MIDI sur cette fonction car vous risquez de l’utiliser beaucoup. En effet, elle s’avère très rapidement totalement indispensable et l’on réalise assez vite qu’en fait, cette fonction résume à elle seule toute la philosophie de Live !
Et puisque nous parlons de nouvelles fonctionnalités dont vous aurez du mal à vous passer, voici l’arrivée triomphante du Multi-edit MIDI qui piaffe au sein de la nouvelle interface ! Car oui…
Le Multi-Edit piaffe
On peut dire que cela fait longtemps qu’on attendait cette fonction ! Enfin, on dispose aujourd’hui de la possibilité d’éditer de manière très simple plusieurs clips MIDI simultanément, jusqu’à 8 très exactement, soit en les sélectionnant tous d’emblée, soit en ajoutant des clips supplémentaires à un clip déjà en cours d’édition. Les notes des différents clips apparaissent dans leurs couleurs respectives, et il suffit de cliquer sur l’une d’elles pour l’éditer, quel que soit son clip d’appartenance. Si des notes de clips différents se superposent à un endroit précis du piano-roll et que la note que vous souhaitez éditer se trouve cachée par celle d’un autre clip, pas de souci : au-dessus du piano roll se trouve une barre de sélection qui vous permet de mettre au premier plan les notes du clip que vous souhaitez éditer parmi les autres. On fait difficilement plus simple. En revanche, on ne peut pas modifier les automations de clips dans ce mode d’édition, ce qui est un peu dommage.
Les améliorations ont été passablement nombreuses également concernant l’édition et le mixage. On saluera notamment l’agrandissement de la zone de saisie des clips avec la souris, ce qui nous épargne de devoir viser spécifiquement la barre de titre desdits clips avec le curseur, sachant que ces derniers sont maintenant éditables de manière plus étendue sans devoir forcément recourir à la fenêtre d’inspection.
Autre ajout notable : pn peut dorénavant inverser uniquement une sélection au sein d’un clip audio, là où seul le clip entier pouvait être inversé dans Live 9. La sélection en question peut être également stretchée directement dans la fenêtre d’arrangement, tandis que le contenu des clips audio et MIDI lui-mêlme peut maintenant être déplacé dans la fenêtre d’arrangement, sans que pour autant le clip soit déplacé. Parfait pour faire des essais de décalage de contenu sur la timeline tout en conservant le clip à sa place d’origine. Enfin, Live 10 nous gratifie d’une navigation dans la fenêtre d’arrangement facilitée grâce à la combinaison de la molette de la souris et des touches shift, ctrl (ou pomme), alt, etc.
Toujours à ce sujet, on peut dorénavant aisément zoomer et dézoomer sur une sélection via la touche Z et la combinaison SHIFT+Z, que ce soit en vue d’arrangement, ou sur le piano roll pour les clips MIDI, ou sur la vue de forme d’onde pour les clips audio. Quel bonheur par rapport aux versions précédentes, où tout se faisait via la fonction loupe de la souris qui ne s’avérait jamais réellement précise !
Mentionnons encore que es courbes d’automation peuvent désormais être masquées d’un simple clic sur un nouveau bouton spécialement dédié. Leur édition s’est également vue grandement améliorée en ce qu’il est maintenant possible de déplacer un point d’automation en-dehors des points qui l’entourent, sans plus aucune contrainte.
Autre fonctionnalité qui était grandement attendue : la possibilité de créer enfin des sous-groupes de pistes… et à volonté s’il vous plaît ! Juste le bonheur pour beaucoup d’utilisateurs ! Enfin, je me permets de signaler ici une dernière évolution importante : le bouton de panoramique de chaque piste peut dorénavant être configuré en bouton de double stéréo.
Bref, comme vous le voyez, une foule de petites choses ont évoluées, répondant pour la plupart à des souhaits exprimés depuis longtemps par la communauté. Maintenant que nous avons fait le tour des fonctionnalités d’édition de toutes sortes, penchons-nous toutefois sur ce qu’Ableton nous offre en termes de nouveaux outils sonores, à commencer par Drum Buss.
The Drum Buss is calling us…
De quoi s’agit-il ? Tout simplement d’un ensemble de traitements audio principalement destinés aux instruments percussifs, comme son nom ne nous l’aurait vraiment pas fait deviner, n’est-ce-pas ?
On a donc quatre sections différentes. La première regroupe une distorsion et un compresseur, la deuxième regroupe un effet de crunch plutôt adapté au travail sur fréquences médiums et hautes ainsi qu’un gestionnaire de transitoires, la troisième section sert à travailler davantage dans le bas du spectre, et enfin la quatrième offre la visualisation du niveau de sortie des basses fréquences et de signal principal ainsi qu’un potard de gestion de la balance entre signal d’origine et signal traité.
Tout dans ce plug-in est fait pour être le plus simple à utiliser. La distorsion offre ainsi la possibilité de choisir entre trois pré-règlages (soft, medium et hard) définissant sa nature, le tout étant ensuite piloté par un potard d’intensité. Le compresseur est lui aussi préreglé et ne se présente que sous la forme d’un unique poussoir de type on/off. Le préréglage en question s’avère particulièrement pertinent et polyvalent, avec notamment un bon respect des transitoires. Logique, si l’on considère que le plug-in possède son propre traitement les concernant !
Ce dernier est à l’image des autres composants du drum bus, c’est-à-dire géré par un seul bouton rotatif. A l’extrême gauche on obtient un son sec qui n’est quasiment plus composé que des transitoires d’attaque, mais qui accroît grandement le caractère percussif de l’ensemble. A l’extrême droite en revanche, ce sont les harmoniques du son ainsi que les éventuels éléments de reverbération qui sont accentués, proposant un rendu sonore plus riche mais moins percutant.
La fonction de crunch s’adresse quant à elle, comme je le disais, aux fréquences medium et hautes, et concerne donc plutôt la caisse claire et les cymbales. Dans les faits, cette fonctionnalité rajoute surtout de la brillance. On peut diminuer cet effet de brillance et l’ajout de fréquences potentiellement indésirables grâce à un filtre passe-bas intégré.
Enfin, dans la section concernant les basses fréquences, on peut ajouter aux coups de grosse caisse un son bas harmonique dont on peut régler l’intensité, la fréquence et le temps de disparition. En ce qui concerne la fréquence, on peut même fixer celle-ci à la note MIDI la plus proche ! Avec une bonne automation, on peut ainsi créer une véritable ligne de basse calquée sur les coups de grosse caisse.
On ne peut définitivement que saluer l’ingéniosité de ce plug-in qui parvient à allier des traitements puissants et variés à une ergonomie simplissime, tout comme le nouveau plug-in Pedal
Pedal dure
Passons maintenant à la seconde merveille parmi les nouveaux jouets que nous propose Ableton pour satifaire nos oreilles. « Pedal » est en fait un pédalier composé de trois pédales virtuelles – overdrive, distort et fuzz – qui proposent chacune une distorsion plus accentuée, le tout accompagné de potards de gain d’entrée, de volume de sortie et de balance des signaux d’origine et traité, et enfin d’un EQ.
Le réglage overdrive et assez doux et chaleureux, le réglage « distort » est quand à lui plus agressif, et enfin le réglage « fuzz » permet de créer des sonorités beaucoup plus … disruptives. Evidemment, ce plugin est avant tout prévu pour être utilisé sur un guitare, mais le claviériste que je suis a trouvé beaucoup de plaisir à l’utiliser également.
Entrons un peu plus en détail dans le fonctionnement. Les trois segments de l’EQ ne sont pas traités chacun de la même manière. Les basses et les medium sont gérés chacune par un filtre d’accentuation, fixé respectivement à 100 Hz pour les basses et à 500, 1000 ou 2000 Hz pour les mediums selon la position de petit sélecteur situé en-dessous. Les aigus quand à eux sont gérés par un filtre en plateau fixé à 3,3 kHz.
En résumé, Pedal propose la même philosophie de simplicité et de puissance que Drum Buss. Mais c’est véritablement avec Echo que l’on va passer aux choses sérieuses !
Echo, co, co
Echo est LE gros plugin d’effet proposé par Ableton dans la dernière version de son séquenceur. A la base il s’agit d’un effet de retard, inspiré par les vieux effets analogiques tels que les Roland Space echo, WEM Copicat et Morley Oil Can. Dans les faits, on se trouve en face d’un plugin dont les compétences dépassent largement celles d’un simple processeur d’écho, comme nous allons le voir. Mais commençons par le début.
Nous disposons de trois modes de gestion du retard : stereo, ping pong et mid/side (gauche : mid et droite : side), toujours très pratique lorsque l’on souhaite pouvoir conserver une compatibilité mono à son projet ! Puisqu’on parle de monophonie, précisons qu’un potard permet de régler de manière totalement progressive la répartition du signal, entre monophonie et stéréophonie extrêmes.
Par défaut, les canaux gauche et droite sont liés entre eux, mais on peut les séparer d’un simple clic. Toutefois, même lorsqu’ils sont liés, les deux canaux peuvent bénéficier d’un niveau de décalage réglable indépendamment pour chacun d’entre eux : bon point !
On a bien entendu le choix entre un retard synchronisé au tempo général du morceau basé sur des les fractions de temps relatives bien connues de tous les musiciens électroniques, ou un retard sur des valeurs de temps absolues exprimées en millisecondes. J’ai eu le plaisir de constater que ce choix pouvait d’ailleurs s’exprimer indépendamment selon les canaux gauche et droit. Là encore, c’est très bien vu !
Ce qui est également très appréciable, c’est que l’on peut jouer sur la hauteur harmonique de l’écho en modifiant son temps de retard… ou pas, grâce à un petit switch fort justement nommé « repitch ». .Le tout étant parfaitement automatisable, cela autorise les effets de hauteur les plus intéressants, d’autant que le feedback peut être amené à 150 % pour un effet plus renforcé. Ainsi, une fréquence de répétition courte avec un feedback puissant permet d’obtenir des métalliques à partir de sons percussifs, permettant alors de les harmoniser.
Tous les paramètres précédemment cités sont représentés non seulement par la position des potards concernés, mais également par un très judicieux visuel de type tunnel, qui présente les choses de manière extrêmement synthétique et évocatrice. Ici aussi, on retrouve le souci de simplicité et d’accessibilité déjà évoqué pour les précédents effets.
Mais Echo est plus riche encore que cela. Il embarque en effet une reverb très simple mais positionnable en pré-FX, post-FX, ou bien sur la ligne de feedback, un double-filtre passe-haut/passe-bas, un LFO et une section « character » un peu plus ésotérique mais néamoins efficace. La réverbe ne dispose que de très peu de réglages (position, intensité, et niveau de decay) mais fait correctement le job. Le filtre (dont l’interface peut être déployée à volonté) est très correct, mais manque à mon sens de personnalité. On n’obtiendra pas des effets de résonnance et de « sweeping » aussi puissants que ceux que l’on peut atteindre avec un vénérable OhmBoyz, par exemple. Autre différence avec le OhmBoyz, le LFO n’est affectable qu’au retard et au filtre, avec des niveaux de modulations indépendants et pouvant être multipliés par 4 d’un simple clic. Toutefois, il ne faut pas oublier que dans l’univers Ableton Live, toutes les limitations concernant notamment les sources de modulations (mais pas uniquement) peuvent souvent être levées par le recours à Max For Live ! Toujours à propos du LFO, il est à noter que l’on peut bénéficier d’un suiveur d’enveloppe.
La section Character permet quand à elle de modifier l’ensemble du rendu sonore selon quatre ensembles de paramètres : un gestionnaire de side-chain, un gate, un générateur de bruit et « wobble » qui agit sur le temps de délai. Enfin, on dispose indirectement d’un effet de distorsion lorsque l’on pousse le potard de gain d’entrée et que l’on baisse celui du volume de sortie, sachant que cet effet peut également être attribué au signal non-traité.
Vous l’aurez compris : l’ensemble de ces fonctionnalités fait d’Echo un outil très puissant et polyvalent, et pourtant, tout comme les outils précédemment décrits, toujours très simple d’emploi. Il est toutefois temps à présent de nous pencher sur ce qui représente à mon sens le véritable plat de résistance de cette nouvelle version d’Ableton en termes de plugins: le synthétiseur à tables d’ondes Wavetable.
Révisons nos tables !
Ce qui frappe d’emblée, c’est la puissance sonore du bestiau. Jusque-là, les instruments proposés par Ableton étaient sympathiques mais il faut reconnaître que même Operator, considéré jusqu’à présent comme le navire amiral desdits instruments, manquait un poil de personnalité sonore. Il est intéressant à ce sujet de constater que la communication d’Ableton tend à présenter les choses sous l’angle de « nos plugins visaient une certaine neutralité, et maintenant nous avons décidé de proposer des outils qui offrent une véritable personnalité sonore » : une démarche qu’ils avaient d’ailleurs commencé à adopter avec le Glue Compressor, apparu avec la version 9 et inspiré du Blue Compressor de DBX.
Avec le Wavetable, Ableton s’attaque à une concurrence non seulement développée, mais surtout de très haute qualité. On parle quand même de mastodontes du marché comme le vétéran Massive ou le plus récent Serum. Or, le petit dernier d’Ableton s’en sort extrêmement bien, et ce dans tous les domaines qu’il aborde. Que ce soient des basses, des pads ou des leads, on est dans du très gros son !
Je vous en laisse juge avec les exemples suivants, basés sur les presets du monstre :
- wavetable 1 00:26
- wavetable 2 00:12
- wavetable 3 00:12
- wavetable 4 00:12
Mais la nouveauté n’est pas seulement à chercher ici au niveau sonore. On sent qu’Ableton a accordé une importance particulière à l’aspect visuel et plus exactement à l’ergonomie visuelle de son nouveau synthé. Jusqu’ici les développeurs de synthés virtuels étaient nombreux à chercher à proposer des interfaces graphiques rappelant fortement l’aspect visuel et l’interface des synthétiseurs physiques, c’est-à-dire basés sur des potentiomètres, des poussoirs, des tirettes etc. Si cela permettait aux habitués de hardware de ne pas se retrouver totalement perdus, cette manière de faire ne tirait pas partie de l’ampleur exceptionnelle des possibilités offertes par l’informatique et l’affichage sur écran. Ableton se plaçait certes un peu en dehors de cette logique-là, suivant la volonté de maintenir une cohérence visuelle de ses plugns avec l’environnement général un peu austère de Live. Toutefois, le résultat en termes d’utilisation pertinente (ou non) des possibilités de l’informatique était le même.
Avec Wavetable, on entre clairement dans une autre dimension. Tout d’abord, l’éditeur n’hésite plus à offrir à l’utilisateur le maximum de confort. Grâce notamment à la nouvelle vectorisation de l’interface de Live, on peut en effet étirer celle de Wavetable à volonté, jusqu’à lui faire occuper la totalité l’écran si on le souhaite, comme on peut le voir sur l’illustration ci-contre. Mais en parallèle de ce surcroît de confort, Ableton nous offre surtout une toute nouvelle dimension didactique à laquelle peu d’éditeurs nous ont habitués. L’interface de Wavetable s’avère d’une grande clarté, et il est extrêmement aisé de comprendre ce que l’on est en train de faire sans nécessiter d’avoir une grande expérience de la synthèse.
Les débutants pourront donc facilement s’y adonner et obtenir rapidement des résultats gratifiants, tandis que les plus experts se plongeront dans la manipulation approfondie des paramètres avec d’autant plus de plaisir. Puisqu’on parle des paramètres, il est d’ailleurs temps de décrire un peu ce que nous réserve ce beau joujou dans le domaine.
On a donc droit à deux oscillateurs à tables d’ondes, un sous-oscillateur, 2 filtres, trois enveloppes, et une matrice de modulation sur laquelle je reviendrai. Les tables d’ondes se répartissent indépendamment pour chaque oscillateur en onze catégories, comprenant chacune entre dix et trente tables différentes. Au sein de chacune de ces dernières, on peut choisir une onde spécifique ou bien naviguer entre celles-ci grâce aux LFOs, aux enveloppes, ou à tout autre moyen de modulation proposé par la matrice, ou bien encore par certains plugins MAX externes à Wavetable.
Les LFOs proposent cinq formes d’ondes (les classiques ondes sinusoïde, triangulaire, dent de scie descendante, carrée et bruit), qui peuvent toutefois être modifiées grâce au paramètre « shape ». Les enveloppes sont des ADSR classiques, avec toutefois la possibilité d’agir en plus sur la pente de chaque segment. La première enveloppe agit directement sur l’étage d’amplification du synthé, mais peut être également affectée à la modulation de n’importe quel autre paramètre, comme les deux autres enveloppes. Contrairement à l’enveloppe d’amplification, ces dernières bénéficient de paramètres supplémentaires permettant notamment de régler les valeurs de départ et d’arrivée (l’attaque ne part plus forcément de 0, qui n’est plus non plus obligatoirement la valeur atteinte après le release). Les trois enveloppes peuvent en outre être paramétrées pour être bouclées sur elles-mêmes, leur faisant alors adopter un comportement de LFO, ou bien encore pour ne pas tenir compte de la période de sustain.
Les deux filtres sont exactement du même type que les filtres généraux de Live tels qu’ils ont été renouvelés à la sortie de Live 9.5 (cf test de Push 2 et Live 9.5).Toutefois, on peut les utiliser soit en série, soit en parallèle.
Enfin la matrice de modulation offre dix sources (les 3 enveloppes, les 2 LFOs, ainsi que les sources liées au jeu que sont la vélocité, la hauteur de note entrante, le pitch bend, l’aftertouch et la molette de modulation), qui peuvent être affectées à… l’ensemble des paramètres du synthétiseur ! Il suffit de cliquer sur l’un d’entre eux pour que la ligne le concernant soit placée en surbrillance dans la matrice ou soit automatiquement créée si aucune source de modulation ne lui avait été affectée jusqu’ici. Il suffit ensuite de régler le niveau de modulation du paramètre en question en fonction de chaque source et le tour est joué. Simplissime et extrêmement puissant !
Cerisier sur la pâtisserie, on dispose d’un mode unisson permettant de grossir encore le son qui fonctionne selon six algorithmes différents en autorisant l’empilement d’un maximum de huit voix.
De nouveaux instruments et outils
En plus de Drum Buss, Pedal, Echo et Wavetables, Ableton nous offre un certain nombre d’autres nouveautés. On bénéficie ainsi de nombreux packs téléchargeables (cf le paragraphe concernant le browser). Bien entendu, il y a ceux qui étaient déjà disponibles pour Live 9, mais certains d’entre eux ont été spécialement remaniés pour Live 10. D’autres en revanche ont été intégralement créés pour Live 10. Il sera toutefois important de se rappeler que ces ajouts sont totalement dépendants de la version de Live que l’on aura choisi (cf encadré ).
Il s’agit aussi de différencier ce qui représente de véritables nouveaux instruments comme « Drum Booth », un ensemble très riche de kits de batteries acoustiques, ou « Electric Keyboards » qui propose comme son nom l’indique des banques de sons de claviers Wurlitzer A 200, Fender Rhodes Suitcase et Hammond C3, d’autres packs comme « Synth Essentials » qui regroupe essentiellement des nouveaux presets pour les synthés virtuels de Live (alors que le nom pourrait éventuellement faire fantasmer sur des banques de sons tirées de synthés de légende).
En dehors des packs téléchargeables, Ableton a également légèrement remanié deux de ses outils de base, à savoir les plug-ins « utility » et « EQ eight ». Utility dispose maintenant de la possibilité de convertir en mono tout signal stéréo en dessous d’une fréquence seuil (très utile sur la piste master pour traiter l’ensemble du signal!), d’une nouvelle gestion de l’inversion de phase du signal en entrée plutôt qu’en sortie, ainsi que d’un bouton de gain qui permet enfin de couper totalement le son. Pour EQ eight, le principal outil d’égalisation de Live, sa limite inférieure de traitement est maintenant de 10 Hz contre 30 Hz précédemment.
Enfin, l’une des nouveautés qui m’a le plus réjoui est Shaper, le nouveau générateur de formes d’ondes de type LFO, fonctionnant grâce à Max. Il permet de dessiner ses propres formes d’ondes et de l’affecter à jusqu’à 8 destinations différentes. Là encore, on retrouve la même philosophie qui a présidé à la création des autres plug-ins intégrés à cette nouvelle mouture de Live : puissance et simplicité.
Mais au fait…
Qu’en est-il du Push ?
Aujourd’hui, il est clair qu’Ableton n’imagine plus son séquenceur phare sans son contrôleur dédié, Push. Et dans cette logique, il n’est pas surprenant de voir que cette nouvelle mouture du logiciel apporte aussi pas mal de nouveautés concernant Push 2. La principale est l’apparition du mode « clip », qui permet dorénavant de bénéficier d’un affichage des notes du clip directement sur l’écran du Push. Ce nouveau mode permet également de définir le bouclage du clip et de rogner celui-ci directement à partir du Push.
Si l’intention derrière ce nouveau mode est hautement louable et que le tout fonctionne de manière tout à fait agréable pour des lignes mélodiques simples, il en va autrement lorsqu’il s’agit d’afficher des accords. En effet, la relativement faible hauteur d’écran empêche d’afficher aussi bien des repères de hauteur de notes, ce qui peut rendre complexe l’identification des notes en question. Et les pads n’aident pas beaucoup non plus, la répartition des notes sur ces deniers faisant souvent en sorte qu’une même note va se retrouver représentée plusieurs fois sur la matrice, rendant encore plus difficile la lecture d’accords, notamment dans le nouveau mode d’affichage « séquenceur mélodique + 32 notes ». En revanche, on appréciera que des accords complexes puissent être représentés dans toute leur amplitude, l’affichage de l’écart entre les notes d’un accord s’adaptant en fonction du nombre de notes à afficher.
Parmi les autres évolutions proposées, on peut par ailleurs accéder beaucoup plus facilement que par le passé à l’option « 16 niveaux de vélocité par pad ». En ce qui concerne l’affichage, EQ 8 bénéficie d’une nouvelle visualisation du spectre, les enveloppes dans tous les plug-ins ont subi un lifting, et les compresseurs disposent maintenant d’une représentation graphique de la compression en cours. On notera enfin que l’on peut dorénavant router directement le sidechain à partir du Push.
En attendant Live 11
Comme d’habitude, il s’agit pour terminer d’évoquer tous les aspects gênants dans cette nouvelle version de Live, à commencer par le browser.
J’ai déjà signalé plus haut que je ne comprenais pas pourquoi la nouvelle fonction de masquage ne s’appliquait pas aux dossiers utilisateur, mais ce n’est pas le seul grief que j’ai à l’encontre du browser.
On pourrait ainsi envisager un nombre de tags disponibles un peu plus important, sept étant à mon sens un nombre légèrement insuffisant; sans compter qu’on aimerait pouvoir bénéficier d’un nombre plus important de critères de tri (par exemple le BPM pour les samples…).
Cela m’amène à la question de la taille qu’atteignent certains dossiers d’origine de Live. La navigation au sein desdits dossiers peut devenir très pénible. Sur le Push, la difficulté peut s’en trouver accrue du fait que les noms de certains fichiers trop longs sont coupés, ce qui est d’autant plus embêtant que ces longs noms contiennent souvent des informations sur la nature du fichier, infos qui ne peuvent figurer que dans le nom car le browser ne propose pas d’autre solution pour les prendre en compte… Bref, vous l’avez compris, ça se mord la queue !
Puisqu’on parle du Push, j’attends personnellement certaines évolutions. Tout d’abord, j’aimerais que certaines fonctionnalités de Live soient un peu mieux implémentées. Ainsi, la nouvelle fonction de stéréo séparée sur les pistes n’est pas reprise sur le Push.J’aimerais également pouvoir commander le gel et dégel des pistes directement à partir du contrôleur, ou bénéficier d’une fonction simple de transposition des clips. Ensuite, certains plugs n’ont toujours pas l’ensemble de leurs paramètres mappés sur le contrôleur d’Ableton. Enfin, le placement de certaines fonctions selon les boutons rotatifs du Push pourrait être revu afin d’en améliorer l’ergonomie.
Autre sujet qui me chagrine : l’impossibilité d’accéder à l’ensemble des fonctionnalités du logiciel lorsqu’il s’agit d’affecter des raccourcis clavier ou des commandes MIDI. Je m’explique.
Grosso modo, dans Live, seules les fonctionnalités visibles à l’écran peuvent être affectées à un raccourci clavier ou une commande MIDI. Je vous ai cité plus haut la nouvelle fonction de zoom activable via la touche Z. Or cette fonction n’est pas « visible à l’écran ». Si pour une raison quelconque, j’affecte donc Z à une autre fonction du logiciel, non seulement je perds la fonction de zoom, mais je ne peux réaffecter cette dernière à aucun autre raccourci, puisque n’étant pas visible à l’écran elle ne fait pas partie des fonctionnalités accessibles pour les affectations ! C’est dommage pour Live car son principal concurrent, Bitiwg, offre cette possibilité, tout comme celle de sauvegarder plusieurs configurations différentes de raccourcis clavier ou MIDI.
Il serait temps qu’Ableton se mette à jour à ce niveau-là ! Une autre fonctionnalité proposée par Bitwig et qu’Ableton ne prend pas encore en charge tient dans la compatibilité avec WASAPI, la norme instaurée par Microsoft depuis Windows 8 et qui est l’équivalent du Core Audio d’Apple? Notre contact chez Ableton nous a toutefois confié que l’éditeur était conscient de la demande à ce sujet.
Au-delà de ces petits manques, disons aussi un mot sur les différentes versions de Live 10. Je considère que la version standard qui n’inclut ni Max, ni Wavetable, ni Pedal, ni Echo n’est vraiment intéressante que pour quelqu’un n’ayant pas le budget nécessaire pour se procurer la version Suite. Or celle-ci est déjà tellement mieux fournie que la version Standard, notamment en termes de packs d’extension, qu’il me semble qu’Ableton aurait pu au moins laisser Pedal ou Echo faire partie du line-up de la version Standard. Car dans l’etat actuel des choses, celle-ci apparaît comme bien pauvre en comparaison, et la volonté d’Ableton d’inciter l’achat de la version Suite comme bien trop évidente.
Et puisque l’on parle d’intentions commerciales potentiellement étranges, je souhaite terminer par un sujet un peu particulier. Il a en effet été fait mention que la gestion des sysex par Ableton Live allait être rendue possible via des modules Max for Live, mais que le développement de ces modules serait laissé aux bons soins de la communauté bénévole des développeurs Max. Je suis peut-être pessimiste, mais la perspective d’un gros éditeur se reposant sur le travail d’une communauté bénévole m’interroge fortement.
Conclusion
Cette version de Live ne manque pas d’atouts, et n’est certainement pas une version au rabais. La capture MIDI, le multi-edit, les améliorations des fonctions d’édition en fenêtre d’arrangement ainsi que des fonctions de sauvegarde et d’annulation, mais aussi et peut-être surtout les excellents outils audio que sont Drum Bus, Pedal, Echo et davantage encore le nouveau synthétiseur virtuel Wavetable représentent autant de très bons points à mettre au crédit de ce Live dixième du nom.
Et puis il y a l’intégration définitive de Max for Live.
Max qui offre tant de possibilités.
Mais Max aussi qui interroge.
Tout d’abord, ce qui est peut-être la plus importante évolution apportée par Live 10 n’est accessible directement qu’aux acheteurs de la version la plus chère du séquenceur, la version Suite. On peut donc subodorer qu’Ableton cherche à pousser les futurs acheteurs à privilégier cette version au détriment des autres. Sentiment qui est encore accentué par le fait que Pedal, Echo et Wavetable ne sont également disponibles d’emblée que sur cette version, ce qui rend notamment la version Standard assez peu intéressante au regard de son rapport qualité-prix.
Max pose également une autre question qui pourrait peut-être s’avérer un écueil pour Ableton si la firme n’y apporte pas de réponse appropriée. En effet, le développement des modules de Max for Live repose pour beaucoup sur la communauté de développeurs passionnés… et bénévoles ! Ableton résistera-t-il à la tentation de se reposer sur cette main-d’oeuvre gratuite pour combler certaines lacunes de son logiciel ? Au vu de ce qui nous a été répondu concernant la prise en charge des sysex, la question mérite peut-être d’être posée.