De nombreuses solutions logicielles sont dédiées à la performance live. Étrangement, Usine Hollyhock II de Sensomusic n’est pas mentionnée aussi souvent que les autres. Et pourtant...
Des instruments classiques aux instruments synthétiques et électroniques, les possibilités offertes aux musiciens live ont décuplé, et si l’offre est en priorité orientée vers les joueurs de claviers, les autres praticiens ne sont pas oubliés : des batteries électroniques aux contrôleurs à vent de type EVI ou EWI, des capteurs MIDI pour guitare/basse à la JamStik+, ou à la nouvelle lutherie faisant de moins en moins appel à des conceptions existantes en termes d’instruments, comme le Karlax (qui vient de faire son entrée au Conservatoire de Paris, youpi !), les Audio Cubes, le LinnStrument, l’Artiphon, l’Oval, voire des interfaces comme Leap Motion, les solutions sont nombreuses et permettent de répondre à la fois aux envies de commande via MIDI ou OSC, et aux types de gestes que l’on souhaite effectuer.
Mais cela ne se limite pas à l’émetteur, au contraire le récepteur aussi évolue. Par récepteur, on entend bien sûr l’outil qui va produire le son, en interaction directe, pour une improvisation plus ou moins débridée, ou via une préparation pré-live afin de lancer/modifier de l’audio existant, de transformer des messages MIDI/OSC ou de capter/transformer l’audio créé en parallèle par soi-même ou un autre instrumentiste. Live d’Ableton est évidemment l’une des premières références à venir en tête, même s’il a depuis évolué et prétend (pas toujours avec raison, voir sa gestion plutôt pénible de la latence et des bus) remplir des fonctions de mixage et de post-production. Live est un excellent logiciel pour le… live, et c’est déjà énorme. Parfois, il ne vaut mieux pas essayer de porter plus haut que son coût…
Tout aussi évidemment doit être mentionné Bitwig Studio, développé par un équipe de développeurs travaillant précédemment chez Ableton. Son workflow original et ses possibilités au regard des instruments virtuels en font un compétiteur de poids face à Live.
On ne saurait non plus passer sous silence Mainstage d’Apple qui, pour 29,99 euros (!) offre tous les instruments, effets et banques de sons et boucles de Logic Pro (si, si !) au sein d’un environnement idéal pour le joueur de claviers, qui pourra en assigner autant que désiré à un nombre d’instruments et de pistes uniquement limité par la puissance de l’ordinateur hôte (et du contenu en RAM), tout en ayant la possibilité d’appliquer des traitements sur de l’audio entrant via les entrées de la carte son. On peut ainsi imaginer un Concert (regroupant les Patches et Sets, différentes hiérarchies de présets) et pour chaque morceau live, paramétrer les instruments pour le joueur de clavier, les réverbes et délais pour la chanteuse, et pourquoi pas des simulations d’amplis, des pédales d’effets pour les guitaristes/bassiste, voire des sons ou séquences pour les pads du batteur, le tout pilotable en temps réel via les potards et faders d’un ou plusieurs contrôleurs MIDI…
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Bizarrement, on mentionne moins souvent Usine de Sensomusic. Pourtant, qui aura assisté à un concert d’Olivier Sens, l’un des créateurs (et pédagogue, et contrebassiste, et pianiste, un des grands du jazz contemporain français) d’Usine avec Yan Le Déan et Martin Fleurent, l’aura vu créer et intervenir sur la musique via le logiciel — et depuis peu avec le contrôleur Leap Motion — et aura compris le potentiel de ce produit maintenant nommé Usine Hollyhock II. L’histoire de ce dernier ne date effectivement pas d’hier puisque la première version, simplement nommée Usine, est apparue en mars 2006, la V2 quatre mois plus tard, la V3 un an après, puis la V4, la V5 en février 2010, et enfin en décembre 2012 la version Usine Hollyhock (rose trémière…). Et voici la version II, parue en mars de cette année.
Introducing Sensomusic Usine Hollyhock
Le logiciel est en téléchargement chez Sensomusic, ne nécessite pas d’installation particulière (un simple glissement dans Applications sur Mac) et est autorisé via une clé d’activation, un nom d’utilisateur et un mot de passe pour le forum. Le logiciel est mono-utilisateur mais multiposte, jusqu’à cinq ordis, merci m’sieur l’éditeur. Petit reproche quand même, il faut parfois fournir à nouveau les codes pour que le logiciel soit activé.
Question compatibilité, à partir d’OS 10.7 pour Mac (10.6 n’est plus officiellement suivi), en version 32 bits (pour le moment, le 64 bits devrait arriver sous peu) et à partir de Windows Vista (Seven et 8, et sans support officiel pour XP), en 32 et 64 bits. Plusieurs versions sont disponibles à l’achat, la Pro (119 euros) et l’Addict (449 euros). La différence entre les deux consiste en des updates gratuits à vie, le support direct avec l’équipe de Sensomusic, l’accès à toutes les futures versions beta et preview ainsi qu’à un forum privé.
À noter qu’un tarif préférentiel est offert pour les deux versions pour une durée indéterminée, mettant la Pro à 69 euros et l’Addict à 249 euros.
À l’Usine !
Après installation, l’ouverture est quasi immédiate et l’on accèdera aux différents réglages audio, MIDI et autres via le symbole de la roue dentée, sachant que le nombre de paramètres est assez impressionnant, permettant de pleinement configurer le logiciel, de la destination des présets aux couleurs, de la taille des différents buffers aux assignations DMX/Art-Net (oui, on peut piloter de la lumière), de la vidéo au réseau, de l’OSC aux plug-ins, etc.
L’architecture du logiciel est assez claire : une organisation modulaire, avec à la base un espace de travail (workspace) au sein duquel on va organiser divers racks et patches, modules de production sonore et traitements, audio et MIDI, à piocher dans la vaste bibliothèque fournie aussi bien que dans les dossiers de plugs installés sur l’ordinateur hôte (jusqu’à quatre dossiers à choisir dans l’onglet Setup). L’éditeur fournit un grand nombre de modules déjà construits, mais l’on dispose aussi d’un éditeur de patches, permettant de créer soi-même instruments, effets, outils de commandes, dans une approche sinon identique, tout du moins similaire à celle de logiciels comme Max/MSP, Reaktor et dans une certaine mesure Tassman (pour certains modules, et liste non exhaustive, bien sûr).
On commence en général par un espace vide, même si de nombreux templates et exemples sont fournis pour comprendre ou partir d’une base préétablie. Les panneaux (terme retenu par l’éditeur, désignant un ensemble de commandes, de raccourcis, de menus) de base seront toujours le menu principal à gauche constitué d’icônes renvoyant à diverses fonctions du logiciel, un Master en haut avec les activations de lecture, la gestion du volume principal, un Synchro (interne et externe, avec affichage SMPTE), un menu secondaire ainsi qu’un affichage contextuel (complété par un panneau d’aide) présentant les commandes en fonction de l’objet sélectionné. Ce workspace inclut par défaut un Rack vide (l’analogie avec le monde réel, matériel reste pertinent).
Un rack peut être audio (en provenance de l’extérieur, des sampleurs et modules fournis d’usine, ha, ha, des instruments virtuels possédés, etc.), lumière ou vidéo. Un simple glisser-déposer d’un objet vidéo (aux formats compatibles, pas tous testés, mais impossible d’ouvrir du .m4v, du .flv ou un vieux .mpg, par exemple) dans le workspace ou dans un rack vidéo intègrera le film dans Usine, qui se déclenchera en synchro avec les commandes de transport. Un reproche, si la vidéo contient de l’audio, on ne pourra le contrôler dans Usine, les objets audio n’ayant aucune action dans le rack vidéo. Dommage.
Côté audio, un rack vide offre un Input, un espace pour les Patches (à charger ou créer via double-clic) et un Output. Les différents formats d’entrée/sortie vont du mono au surround (jusqu’au 22.2, jusqu’à 64 canaux…). On peut insérer un des nombreux outils audio, comme des quasi-instruments dont cinq sampleurs différents entre lesquels choisir lorsqu’on ouvre un ficher audio (d’un classique échantillonneur sans resynthèse à un autre disposant d’un moteur granulaire, en passant par un répondant aux notes MIDI, etc.), des Groove Machines, combinant lecture de samples et grille de programmation, ou des effets (à choisir entre délais, distos, processeurs de dynamique, EQ et filtres, outils de transposition, de freeze, de pan, des réverbes, modulateurs en anneau, outils de scratch, ou divers séquenceurs d’effets). On peut aussi y intégrer des instruments et instruments/effets à choisir dans la Library très copieuse (ne pas oublier de télécharger les Add-Ons régulièrement mis à disposition, rooh, il y a même un module Oblique Strategies…), entre Loopers, Grain, Pan à gogo, etc.
Même si Usine n’est définitivement pas une STAN, on dispose quand même de nombreux outils MIDI, dont un Piano Roll, un processeur d’événements aléatoires, des pseudos-séquenceurs (mais incroyablement inspirants), des Patches conçus pour être pilotés via le contrôleur Leap Motion, etc. Évidemment, l’utilisation avec des instruments virtuels AU ou VST ne pose aucun problème, et pendant que l’on agit façon Theremin sur un son, une boucle, on peut improviser sur des sonorités plus traditionnelles de l’autre main, tout en traitant d’autres événements audio entrants. Les possibilités de routing sont d’une simplicité extrême, la plus simple étant simplement de prendre un rack et de le placer en tant qu’Input dans un autre…
Cerise sur le gâteau, l’éditeur a intégré une Grille, un séquenceur permettant de placer LES Racks dans une grille, de déterminer leurs conditions de lecture, bouclage avec tout un ensemble de réglages pour les fades, la synchronisation et surtout permettre de créer des automations très complètes, prenant en compte les paramètres des Patches des Racks. Bref, pas vraiment une STAN, mais quand même : on peut imaginer des séquences extrêmement complexes tout en pouvant intervenir en direct sur les différents paramètres des Patches inclus au fur et à mesure de leur déclenchement…
Il est bien entendu impossible de mentionner tout ce qui constitue Usine Hollyhock II. Le manuel pourra déjà répondre à certaines questions. De même, une démo audio n’aurait eu aucun sens, voici donc une des nombreuses prestations d’Olivier Sens, avec Usine. Et il faut aller le voir en concert.
Bilan
Usine Hollyhock II fait partie de ces logiciels impressionnants, dans tous les sens du terme. D’abord parce qu’il demande un certain temps d’apprentissage, vu sa richesse. Bien sûr on peut dans un premier temps se « contenter » de travailler « en surface », c’est-à-dire avec toutes les facilités offertes par sa conception modulaire, via les Racks et Patches à assembler dans le Workspace, et à piloter en direct ou via la Grille, et les automations et autres subtilités offertes par cette dernière.
Mais c’est en rentrant dans les profondeurs du logiciel que l’on créera exactement ce que l’on souhaite, en y intégrant gestion de la lumière et de la vidéo. Et c’est là aussi qu’Usine est impressionnant, tant les possibilités sont nombreuses, et tant il semble difficile de le prendre en défaut. Quelques reproches, bien sûr : les animations avec la souris (surlignage de la fonction survolée) sont trop rapides, ce qui fait que l’on n’est pas toujours sûr d’être là où l’on veut cliquer, l’impossibilité de muter le son inclus dans une vidéo et le fonctionnement en 32 bits sous Mac OS X (même si l’éditeur annonce la sortie du 64 bits pour cette année).
Pour les quelques fois où je monte encore sur scène, j’utilise un Rhodes et un clavier de commande MIDI, le tout relié à un Mac et un iPad, en traitant tout ça via différents effets, Mainstage étant l’outil retenu entre autres pour ses possibilités d’assignations MIDI. Évidemment, le lancement de boucles et autres séquences est un peu compliqué… Pour ce que cela vaut : au début du test de Usine Hollyhock II, j’essayais tout ce qui me passait par la tête en termes de configurations, avec pour but d’essayer de répondre à diverses interrogations quant au live, notamment dans une approche autre que celle de classique joueur de claviers (via mon contrôleur Leap Motion). Après une première semaine de test, j’ai acheté la licence.