Il en va de la synthèse audio comme de la biochimie : lorsqu'on veut faire de grandes choses, c'est au coeur de la cellule qu'il faut descendre. Native l'a bien compris et nous livre un vrai labo sonore pour bricoler les entrailles du gros son : Reaktor 5.
Il en va de la synthèse audio comme de la biochimie : lorsqu’on veut faire de grandes choses, c’est au coeur de la cellule qu’il faut descendre. Native l’a bien compris et nous livre un vrai labo sonore pour bricoler les entrailles du gros son : Reaktor 5.
Connu pour ses instruments et effets virtuels de haute tenue (Kontakt, Absythn, B4, FM7, Guitar Rig ou encore le duo Kompakt/Intakt, base de tous les expandeurs virtuels signés Zero G et EastWest), Native Instruments revient avec la cinquième version de Reaktor, l’un de ses plus anciens logiciels. Une version attendue au tournant, pourrait-on dire, car si cette usine à gaz modulaire a su générer une communauté d’utilisateurs aussi fidèle qu’active, force est de constater que Reaktor, dans sa version 4, marquait le pas face à ses concurrents : d’un côté les puissants Max/MSP et Pure Data, de l’autre les petits poucets que sont SynthEdit ou SynthMaker, capable de générer des plug-ins VST à la volée…
Bref, Native se devait de frapper fort pour cette version 5, en réalisant une évolution majeure de Reaktor. Mais avant de voir si le développeur teuton a su remplir son contrat, il convient de revenir sur l’essence même du logiciel pour tous ceux qui ne le connaîtraient pas.
Qu’est-ce que Reaktor ?
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Il est difficile de décrire un tel logiciel en deux mots, puisqu’il présente de multiples facettes. Pour résumer, disons qu’il s’agit d’un environnement de travail permettant de créer des instruments et effets logiciels, en reliant des modules (LFO, filtres, contrôles) par des câbles virtuels. Détail qui a son importance : le soft est livré avec toute une collection d’instruments/effets prêts à l’emploi, cependant que l’utilisateur peut accéder à une importante bibliothèque en ligne de montages réalisés par la communauté des fans.
Reaktor est donc tout à la fois :
- un bundle (ensemble) d’instruments et d’effets virtuels
un synthétiseur modulaire virtuel
un atelier virtuel pour construire ses instruments/effets.
- De fait, on peut distinguer différents niveaux d’utilisation de Reaktor. On peut d’abord se contenter d’utiliser les instruments et effets créés par d’autres, voir en faire des super-instruments en les agglomérants.
- On peut ensuite construire ses propres instruments et effets à partir de la bibliothèque de modules fournis, bibliothèque qui comporte des filtres, des oscillateurs, des traitements audio ou des commandes
- Enfin, et c’est la grande nouveauté de cette version 5, on peut désormais construire ses propres modules avec le niveau de travail Core Audio.
A qui est-ce destiné ?
Indéniablement, Reaktor n’est pas le logiciel qu’on a dans son set « au cas où ». Exigeant un certain apprentissage et un minimum de connaissances en synthèse et en acoustique (ou la volonté de les acquérir), ce logiciel est destiné aux gens capables d’investir du temps pour le maîtriser et en tirer la quintessence. Sachez aussi qu’il se destine avant tout à produire des sonorités électroniques et synthétiques. Si vous être branché jazz acoustique ou musique traditionnelle pure et dure, vous risquez fort de ne pas être séduit par ses possibilités.
Par contre, si vous aimez essayer des trucs, triturer des potars pendant des heures pour trouver LE son, si vous avez toujours rêvé de construire votre synthé avec votre texture sonore propre, si vous cherchez des applications un peu tordues que vous ne trouvez pas sur le marché, ce logiciel est fait pour vous.
Manuels et installation
Le bébé se présente dans une boîte de belle taille très propre sur elle, avec un joli volet ouvrant qui permet d’annoncer la couleur (ou tout au moins d’attirer le client). Rien qu’au poids, on voit qu’il ne s’agit pas d’une grosse boîboîte avec juste un CD dedans (comme certains éditeurs. Suivez mon regard…). La chose se confirme à l’ouverture puisqu’on y trouve un CD et trois manuels : le manuel Utilisateur qui de l’instllation à la liste des modules, vous donne les bases pour vous servir du logiciel, le manuel Instruments, qui s’attarde sur les nombreux ensembles l’accompagnant (à l’exception des ensembles « Classic » issus de Reaktor 4 et documentés par un PDF) et le manuel Core Audio, qui détaille le fonctionnement de l’édition de bas niveau. Mine de rien, voici une très bonne idée : séparer les différentes parties dans trois manuels permet de n’avoir ouvert sur le bureau ou les genoux qu’un livret de taille raisonnable (format de poche A5) au lieu d’un énorme bouquin. Et il est plus facile de trouver une information dans un livre de 200 pages que de 700.
Les trois guides sont bien rédigés : pas d’approximations de langage ou des tournures ambiguës ici. Il s’agit de toute évidence d’une véritable rédaction en français, claire, dans une langue directe et concise, parfaitement compréhensible. La typographie et la mise en page rendent le tout très lisible tandis que de nombreuses captures d’écran illustrent le texte. Cerise sur le gâteau, le texte ne manque pas d’humour et s’il ne vous fera sûrement pas plier en quatre, il rend quand même plus agréable l’abord d’un logiciel aussi conséquent.
Un excellent point, donc, pour les manuels.
Installation & autorisation
L’installation se fait facilement, sans soucis. Tout est clair et rapide : ça respire le sérieux une fois de plus. La procédure d’enregistrement du logiciel consiste à lancer un utilitaire qui, après analyse d’un certain nombre de composants de l’ordinateur (CPU, carte mère, OS), envoie une sorte de fiche d’identité au site de Native Instrument, lequel renvoie un numéro d’ordre pour déverrouiller le logiciel.
La carte son n’est pas prise en compte dans cette analyse. On peut donc en changer sans passer par la procédure d’autorisation. Par contre, un changement d’OS obligera à refaire la procédure. Est-ce préférable aux dongles qu’on peut égarer et occupent des ports USB, mais permettent d’utiliser son logiciel sur n’importe quelle machine ? Question de goût et de besoin. Quoi qu’il en soit, ces mesures anti-piratages sont quand même contraignantes pour l’utilisateur et on peut préférer la démarche de certains éditeurs préfèrent miser sur une certaine relation de confiance avec leurs clients.
Après l’enregistrement, un petit tour s’impose dans la section des mises à jour du site de Native, histoire de récupérer une mise à jour pour la version plug-in VST, à télécharger en cas de crash avec l’hôte utilisé.
Puisqu’on en parle, Reaktor 5 fonctionne en mode autonome (standalone) et avec les interfaces VST, RTAS, AudioUnit, DXi, ASIO, CoreAudio et OSC (Open Sound Control). L’ouverture est donc de mise…
Pour en terminer avec ce chapitre, précisons que quelques paramétrages sont nécessaires au premier lancement du logiciel, afin de lui faire reconnaître (et choisir) la carte son, de désigner les entrées et sorties MIDI ou de paramétrer le driver et la latence… Tout ceci se fait rapidement et facilement.
Le grand méchant Look ?
Une fois le logiciel lancé, l’ouverture de quelques ensembles fournis permet d’établir un premier contact graphique avec le logiciel. L’interface est claire et tous les contrôles sont assez faciles à manipuler. Par contre, les polices d’affichage des noms des contrôles sont petites et pas toujours très lisibles. Selon la résolution d’écran, on aura parfois à plisser les yeux et approcher son nez de celui-ci. Pas glop !
Par ailleurs, comme dit Los Teignos (notre cher rédac chef), c’est beau comme un coucher de soleil sur Berlin Est ! Sachant Native Instrument capable de faire mieux graphiquement, on se dit qu’il s’agit d’un choix délibéré pour bien montrer qu’on est dans le sérieux, là ! Que ceci n’est ni un jouet ni un petit logiciel à quelques euros pour réaliser un morceau en 5 mn. Bref, on sent une volonté délibérée de fournir un environnement austère ciblant les ingénieurs et plutôt que les saltimbanques farfelus.
Si j’ai personnellement une large préférence pour les interfaces sobres plutôt que pour les softs qui se donnent des airs d’arbre de Noël, rien n’oblige à faire dans le sinistre pour autant. Eh, m’sieur Native ! Tu te rappelles qu’on fait de la musique ? Un peu de plaisir ne gâche rien !
D’autant que l’interface n’est pas sans défauts, comme on le voit avec les menus déroulant translucides. A leur propos, on ne peut pas parler de réussite, ni esthétiquement, ni en terme de lisibilité. Bref, soit une partie du capital de Native est détenu par un fabricant de lunettes, soit il faut changer le responsable graphique. Mais dans tous les cas, le visuel n’est vraiment pas la grande réussite de ce logiciel.
Le plus drôle, c’est que sur ce point précis, Reaktor 5 s’en tire bien mieux que certains concurrents dont même les admirateurs regrettent l’extrême austérité. Avec cette version disposant désormais de possibilités de skins, on peut s’attendre à voir apparaître des visuels un peu plus sympathiques. Mais il faut bien reconnaître que l’exemple des instruments fournis ne laisse pas présager un premier prix de beauté à l’exception de rares exemples. Ceci dit, ce qui concerne le logiciel lui-même et non les instruments est au moins clair et lisible, à défaut d’être gai.
Autre point : le logiciel est intégralement en anglais. Est-ce un problème ? Difficile pour moi qui parle le grand breton et suis un vieil habitué des termes techniques anglais, de me mettre à la place de quelqu’un qui n’aurait aucune de ces connaissances. J’aurai toutefois tendance à penser que la non-francisation est plutôt un avantage. En effet, la plupart des gens connaissent la signification des termes anglais sans forcément en connaître la traduction littérale (quand elle existe). Quant à ceux qui décideraient de se lancer dans la réalisation d’ensembles sans rien y connaître, ils devraient de toutes façons apprendre les termes, quelle que soit leur langue. Et comme les manuels sont parfaitement clairs…
L’ergonomie
Pour terminer, il est important de signaler que la plus grande partie des contrôles des ensembles peut être pilotée directement en MIDI, via un simple paramétrage par MIDI Learn, réalisé en 2 temps 3 mouvements. Excellent.
Petit bémol : un des éléments de contrôle se présente sous forme de zones dans laquelle on peut bouger la souris pour faire varier un (ou plusieurs) paramètres en X et un (ou plusieurs) en Y. La fonction MIDI Learn est également implémentée pour ce contrôle, mais uniquement pour un axe. Logique : comment le logiciel est-il sensé savoir quel axe contrôle le signal MIDI reçu ? Pour piloter le second axe, il faudra donc passer par la palette des propriétés du contrôle, où l’on peut entrer le numéro de contrôleur MIDI, mais hélas pas utiliser le MIDI Learn. La chose est dommage, mais elle ne nuit néanmoins pas à l’implémentation MIDI, qui est globalement excellente, d’autant qu’avec la bonne stabilité du logiciel, il y a de quoi bien s’éclater en live.
Ca sonne ?
L’ouverture de presets d’usine permet de se rassurer sur ce point : non seulement Reaktor sonne, mais il semble avoir un grain bien a lui malgré la diversité des instruments et des sons qu’il propose. On sent d’emblée qu’on a sous la main un univers sonore à la fois vaste et profond. Evidemment, on n’est pas dans le gros son analogique, mais pas dans la froideur numérique non plus. Disons plutôt dans le gros son numérique ne manquant pas d’une certaine chaleur… A ce sujet, on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas un peu too much, étant donné que la musique n’est pas faite que de gros sons. Mais ne perdons pas de vue qu’on est dans les presets, faits pour montrer les possibilités sonores du logiciel et impressionner l’acheteur. Ce dernier aura tout loisir de peaufiner ses sons et instruments. Or, qui peut le plus peut le moins…
Par contre, déception en ce qui concerne les filtres résonnants. Ceux testés sur les presets et ensembles d’usine ne m’ont pas mis en transe. Autant le cutt-off fonctionne parfaitement au point de pouvoir rendre les sons inaudibles, autant la résonance semble curieusement bridée quand on habitué aux filtres hardwares. Par exemple, j’avoue avoir eu beaucoup de mal à obtenir un effet que je fais souvent sur ma MC-505, à savoir un passe-bas réglé très bas avec une grosse résonance pour obtenir de grosses harmoniques basses. Par contre, dans les aigus, la résonance donne bien et on peut vite se vriller les oreilles si on n’y prend pas garde. Souhaitons que le travail au niveau Core permette désormais d’obtenir des filtres plus radicaux.
Ca sonne !
Les instruments et effets fournis de base avec Reaktor sont, pour la plupart, tout simplement excellents ! Non seulement ils sonnent, mais ils sont « inspirants ». Pout tout dire, je suis pressé de terminer le tour d’horizon du logiciel et cet article pour m’attaquer au deux ou trois morceaux qu’à peine découvert, Raktor m’a déjà inspiré.
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Pour illustrer une partie de l’univers sonore que Reaktor peut offrir, j’ai tout me même réalisé un petit morceau joint à cet article. Il s’agit d’un instrumental sans mélodie, un peu décousu mais qui montre bien ce qu’on peut sortir du logiciel en quelques heures de découverte. Recourant à 7 ensembles enregistrés sur 7 pistes avec la version standalone de Reaktor, cet exemple a été mixé sous Sonar. Aucun effet ni traitement n’a été appliqué aux pistes et sons, si ce n’est une compression multibande pour le mastering final. Le mixage a donc uniquement consisté à travailler les volumes et panoramiques. Quant aux sons, ils sont tous issus des snapshots (presets) d’usine, même si je ne me suis pas privé d’utiliser leurs possibilités de réglages et/ou de jeu au clavier et que j’ai usé et abusé du morphing de snapshots (voir encadré).
Ecouter le morceau de démo
(Format MP3)
La partie d’intro a été réalisée avec SpaceDrone, un générateur d’ambiances. J’ai beaucoup aimé cette ambiance de forêt qui se transforme en son synthétique assez urbain.
Un autre générateur sonore que j’ai utilisé ici est Skrewell. Il permet de générer des sons vraiment magnifiques, originaux et, ce qui ne gâche rien, il est superbe avec son énorme fenêtre de visualisation sur laquelle se dessinent des images spectrales monochrome de toute beauté. Probablement le seul ensemble de Reaktor à l’esthétique tellement réussie qu’on se plairait à en projeter l’image en live – s’il était un peu plus utilisable en live. Au passage, voilà un des avantages de Reaktor par rapport à un collection d’instruments virtuels traditionnels. Cet ensemble est somptueux, mais dédié au design sonore, il est peu utilisable en live à cause de l’absence de contrôle de déclenchement du son (il démarre dès qu’on le lance). Mais qui souhaite l’utiliser en live n’a théoriquement qu’à le modifier pour le mettre en conformité avec ses goûts et ses besoins. Evidemment, cela demande évidemment un peu d’apprentissage comme nous le verrons plus bas.
Entre ensuite l’instrument immédiatement reconnaissable à l’écoute puisqu’il prononce son nom : Travelizer. C’est le seul de cette démo qui soit tiré de la collection « classic », laquelle regroupe des ensembles réalisés avec de précédentes versions de Reaktor. Il s’agit d’un transformateur de samples qui permet de contrôler la lecture du sample (position de départ, lecture en avant/arrière, balayage, bouclage…) et de nombreux paramètres de modulation, via une matrice de contrôle qu’un retrouve souvent dans les ensemble de Reaktor, Cette dernière consiste en une zone où l’on peut faire bouger une croix avec la souris, avec contrôles de paramètres selon les axes X et Y. Savoureux car intuitif, et offrant de vastes horizons créatifs pour peu qu’on l’utilise conjointement avec le morphing de snapshots,
La première rythmique qui rentre est réalisée avec Massive, une superbe groovebox (look mis à part) dotée de réglages intuitifs.
Dès cet instant et presque jusqu’à la fin du morceau, on peut entendre une nappe réalisée avec le synthé Subharmonic, qui produit des sous harmoniques en lieu et place des harmoniques normales de la fondamentale.
Si les snapshot d’usine m’ont souvent semblé bien sages pour un synthétiseur reposant sur une telle technique de production sonore, un certain nombre sont tout à fait intéressants et montrent les grandes de ce synthé, à l’interface relativement simple,
Rentre ensuite la rythmique d’Aerobic, une autre groovebox. Derrière ce nom qui fleure bon les années 80, les collants bleu turquoise et les jambières en laine rose se cache en fait une véritable machines à rythmiques qui tuent, et dont certains sons ne sont pas sans évoquer la machinedrum d’Elektron.
Au niveau du break, la boîte à rythme Sinebeat2 rentre en jeu. A l’opposé sonore d’Aerobic, cette dernières produit des rythmiques au son fin mais extrêmement présent. Il n’y ensuite rien de neuf pour la fin du morceau où l’on retrouve les instruments précédemment cités.
Comme vous le voyez, il y en a pour tous les goûts et sans me lancer dans une description exhaustivede tous les ensembles proposés, je peux vous affirmer que quantité et qualité vont de paire. Rien que pour les instruments et effets qu’il renferme, Reaktor semble un bon parti.
Attention toutefois à ne pas tomber dans le piège des snapshots impressionnants. A s’en contenter et ne pas développer ses propres sons, on risque de se retrouver rapidement avec des sonorités et textures immédiatement reconnaissables.
Un piège rencontré aussi bien avec d’autres logiciels que les machines et synthés hardware.
Oui, mais
Au delà de cet aspect, la partie « Instrument » de Reaktor présente aussi quelques défauts agaçants. Si nous ne reviendrons pas sur l’esthétique douteuse de l’interface, triste en général et laide à l’occasion, on regrettera qu’il soit impossible d’ouvrir simultanément plusieurs ensembles avec la version Standalone. C’est bien dommage, notamment pour le live. Dans ce contexte, on aura deux solutions : soit passer par un hôte pour ouvrir plusieurs instances du plug-in Reaktor, au prix d’une consommation de ressources plus importantes (avec les risques que cela comporte en live), soit réaliser préalablement des ensembles contenant tous les instruments et effets dont on a besoin.
Puisqu’on parle de plug in, il est à noter que Reaktor travaille, dans cette version, un peu différemment que dans la version Standalone : ainsi, on n’a pas accès aussi facilement à certaines choses. C’est assez logique, compte tenu qu’on est sensé travailler ses ensembles en standalone et les utiliser comme instruments finis en plug-in. Mais pourquoi dans ce cas a t-on accès à la structure de l’instrument et apparemment pas, par exemple, au paramétrage MIDI du slider de morphing de snapshots ? Mystère !
Enfin, certaines choses peuvent parfois ne pas parfaitement fonctionner. Ainsi m’est-il arrivé d’avoir des craquements audio lors de la manipulation d’un potar dans une simple construction d’un tutoriel alors que la jauge du processeur ne dépassait pas quelques pourcents. Ce qui n’est par contre pas arrivé avec les instruments fournis sauf en morphant entre deux snapshots dans SpaceDrone. Certains sont même (légèrement) audibles sur le « morceau test ». Cela est sans doute dû au mode de synthèse très particulier de ce générateur sonore.
Conclusion sur la partie Instrument
Ces reproches sont pourtant de ceux qui trouvent que la mariée étant si belle, elle pourrait être mieux habillée ! Sans prendre en considération ses possibilité en terme de construction d’instruments/modules, Reaktor est déjà une plateforme formidable qui fourmille de fonctions élémentaires mais ô combien pratiques : un player et un recorder permettant, en utilisation standalone, l’un de jouer des fichiers audio, l’autre d’enregistrer ses réalisations. On peut aussi importer et jouer des fichiers MIDI, ce qui évite de passer en live par un séquenceur. A ces points positifs, On peut aussi ajouter la facilité du MIDI Learn pour télécommander les ensembles et la bonne gestion du MIDI au routage aisé.
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De fait, pour ce qui est de savoir si cela vaut le coup d’acheter Reaktor rien que pour les instruments fournis, la réponse est oui, sans hésitation. La stabilité, la qualité et la diversité sonore des ensembles sont incontestablement au rendez-vous. Or, faisons le compte : on a près de 50 instruments et effets pour 500 euros prix public. Ça nous fait l’instrument à 10 euros. Pas mal, d’autant qu’on tombe à 6 euros dans le cadre d’une mise à jour.Et c’est sans compter les centaines d’ensembles gratuits qu’on peut récupérer via l’espace dédié par Native à la communauté des utilisateurs du logiciel.Bref, l’affaire est bonne, bien qu’elle ne représente qu’une infime partie de ce qu’a Reaktor à offrir.
Or, il s’agirait de ne pas l’oublier, le bébé de Native Instruments est avant tout une plateforme de développement modulaire. Au-delà des excellents instruments et effets dont nous venons de parler, l’essentiel se situe donc dans la possibilité de pouvoir personnaliser des ensembles existants ou de les créer de toutes pièces. Pour cela, il faut descendre d’un niveau, par un simple double clic sur un ensemble quelconque.
Jeu de construction
On entre ici dans les entrailles de Reaktor, même si on n’est pas encore dans le Core, le plus bas niveau d’édition du logiciel. Sur la question de la facilité de construire ou modifier des choses avec Reaktor, il y a deux aspects à prendre en compte : la facilité d’emploi du logiciel lui-même et les connaissances nécessaires de l’utilisateur.
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Concernant les connaissances de l’utilisateur, disons tout net que l’aspect modulaire de Reaktor n’est pas à la portée immédiate de n’importe qui. De même qu’il ne faudra pas attendre de quelqu’un n’ayant aucune notion de solfège de sortir une orchestration pour un Big Band, eût-il entre les mains le meilleur éditeur de partition disponible, les facilités qu’offre Reaktor ne permettent pas, je pense, à un ignorant en synthèse et en acoustique de réaliser des choses très intéressantes. Si vous êtes dans ce cas, il faudra soit passer par un lent apprentissage de ces domaines, soit vous en tenir à l’utilisation d’ensembles créés par d’autres. Ce faisant, vous pourrez cependant accéder sans problème à l’édition simple.
Edition simple
Ceux qui ont de très vagues connaissance en synthèse devraient en effet pouvoir travailler sans difficulté à deux niveau.
Ils pourront tout d’abord construire des ensembles à partir d’ensembles ou d’instruments/effets existants. Par exemple, si vous aimez la groovebox Massive et désirez l’utiliser en standalone avec un compresseur, il suffit d’entrer dans la structure, d’ajouter un compresseur déjà tout fait, d’effectuer le câblage virtuelet d’enregistrer. De même si vous voulez ajouter un égaliseur graphique pour disposer d’une section de masterisation complète. Vous avez votre nouvel ensemble à votre goût. C’est déjà pas mal… En fait, Reaktor constitue ainsi un véritable studio virtuel dont vous pouvez changer à volonté des éléments, les re-câbler, ajouter, enlever. Le pied, non ? De même, le remplacement dans un synthé existant d’un filtre par un autre, d’une enveloppe simple par une plus complexe ou d’un potar par un slider ne devrait pas poser de problème. Sans parler du relookage des instruments.
Le second niveau concerne l’amélioration des ensembles fournis par l’utilisation des macros. Les macros sont des modules prêts à l’emploi (des égaliseurs, des filtres, etc.) qu’il est aisé d’ajouter à des instruments existants. La différence avec l’exemple précédent ? Dans le premier cas, c’est comme si dans un studio réel, vous achetiez un compresseur et un égaliseur pour les brancher derrière votre groovebox. Dans le second, vous modifiez carrément l’intérieur de votre groovebox pour y ajouter les éléments qui vous plaisent, ce qui permet déjà bien plus de fantaisie. Avec un minimum de maîtrise, vous pourrez placer votre compresseur et votre égaliseur ailleurs qu’en sortie générale. Je vous laisse imaginer les possibilités que cela offre.
Edition évoluée
Si en revanche, vous avez déjà de bonnes connaissances en synthèse et en construction de synthés, la grande simplicité de Reaktor vous permettra d’aller très loin. Dans la fenêtre de structure, on accède aux modules, éléments, instruments, cellules Core etc. par un simple menu déroulant, accessible via un clic droit (ctrl+clic sur Mac). D’ailleurs, c’est probablement la partie du logiciel où l’interface est la plus lisible : Une vraie réussite avec laquelle il est agréable de travailler. Ce n’est pas joli (mais là, on s’en fiche), mais pas laid non plus et surtout, c’est clair !
Le nombre et la diversité des éléments fournis sont vastes et permettent déjà une grande liberté de création. Par exemple, dans les « built-in modules », on ne compte pas moins de 20 LFO & enveloppes, 32 oscillateurs… Déjà de quoi faire de sacrés montages, sans compter les macros qui facilitent le travail.
Ergonomie de l’édition
On l’a dit, le mode structure dans lequel on travaille les instruments est très clair et il est agréable d’y travailler. Entre autres, le fonctionnement des « zoom » est excellent. Pour entrer dans la structure d’un sous-ensemble, module, etc., il suffit d’un double-clic. Pour remonter d’un niveau au contraire, on double-clique sur le fond de la fenêtre : enfantin, limpide et rapide, sans compter que ça ne met pas en péril le bon arrangement de l’écran comme l’ouverture de multiples fenêtres. Ceux qui apprécient le multi-fenêtrage peuvent toutefois continuer à y accéder (la chose sera d’ailleurs pratique pour comparer la structure de deux modules, par exemple), tandis que la navigation est simplifiée par la possibilité de déterminer une fenêtre de structure comme « favorite » pour y revenir à tout moment.
Reaktor dispose aussi de facilités intéressantes, comme la possibilité de générer directement un contrôle au niveau de l’interface par menu contextuel au niveau d’un module. De quoi travailler vite, quitte à peaufiner plus tard en remplaçant le potard généré par un autre contrôleur (d’une façon générale, l’omniprésence des menus contextuels rend d’ailleurs le travail aisé et rapide).
Autre détail appréciable, un témoin s’allume dès qu’un module est correctement connecté. Voilà qui permet de repérer d’un coup d’œil les connexions manquantes. De son côté, la fonction debug permet de suivre le chemin du signal audio en affichant l’ordre dans lequel il traverse les différents modules. On peut faire de même avec l’ordre d’initialisation des évènements, et on peut même afficher le pourcentage de consommation de ressources processeur de chaque élément d’une structure, quand l’heure n’est plus à la construction mais à l’optimisation.
A noter enfin qu’un click prolongé sur un élément affiche une info bulle avec les informations ou explications essentielles concernant cet élément. Par exemple, si vous n’êtes pas tout à fait certain de ce qu’est cette entrée F sur un oscillateur, Reaktor vous informera qu’il s’agit de la fréquence évaluée en Hz dont la plage d’utilisation va de tant à tant. Easy !
Peut mieux faire
Forumillant de bonnes idée, Reaktor n’est cependant pas au-dessus de tous reproches et, au chapitre des regrets, on déplorera tout de même quelques oublis. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir utilisé des fonds de fenêtre de couleurs différentes selon le niveau où l’on se trouve, comme cela est le cas pour les cellules Core (fond noir) ?
On regrettera aussi de ne pas pouvoir grouper différents éléments, comme dans un logiciel de dessin vectoriel. En effet, au fur et à mesure qu’on construit un instrument, la complexité croissante de ce dernier oblige à constamment réarranger les modules à l’écran, certains d’entre eux devant rester groupés (comme les contrôles liés à une enveloppe par exemple). Or, si l’on peut bien sûr déplacer plusiers éléments via un lasso ou une série de Control+Clic, la possibilité de les grouper / dégrouper aurait facilité les choses.
De même, il aurait été souhaitable de pouvoir verrouiller des éléments dans la structure. Toujours avec notre exemple d’enveloppe, les contrôleurs associés restent forcément connectés à l’enveloppe tant qu’on ne décide pas d’y toucher. Or, si on a le malheur de cliquer / glisser sur une entrée ou sortie de câble, c’est la déconnexion assurée.
D’autres détails auraient été bienvenus, comme la possibilité d’affecter aux modules d’une structure des couleurs en fonction de leur genre ou application. Et puisqu’on parle des couleurs, on peut aussi regretter leur gestion au niveau du panel (l’interface graphique de l’instrument). Seules certaines couleurs sont accessibles à la modification. Les potars, par exemple, resteront désespérément gris, à moins qu’on ne leur applique un skin. Or, réaliser des skins n’est pas une mince affaire. On ne peut pas dessiner un simple potar dans son logiciel de dessin et l’importer. Il faut dessiner le potar dans toutes les positions possibles, soit, théoriquement 127 fois. Bon, disons qu’on peut diviser par deux au moins sans nuire à la beauté de la chose. Avec des potars à 270°, 64 position donne une position tous les 4 degrés. Souvent suffisant. Mais c’est du boulot ! Un effort aurait pu être fait en permettant simplement de changer les couleurs de tous les éléments, voire en proposant une collection de styles de contrôleurs.Une fois de plus, le visuel est le grand point faible de Reaktor.
Un point faible qui n’occulte pas, pour autant, la plus grande avancée de cette cinquième version : le niveau d’ édition « Core ».
En Core et en Core
On entre là dans le dernier niveau de développement de Reaktor et, disons tout de suite, pour ceux qui se passionnent pour la construction de leurs propres instruments, c’est énorme.
Core, en anglais, signifie « cœur », « noyau ». C’est désormais à ce niveau d’édition que Reaktor 5 vous permet d’intervenir. Si dans les versions précédentes du logiciel, vous deviez utiliser des modules prédéfinis, vous avez désormais la possibilité de créer les vôtres. Pour faire une analogie parlante, Reaktor, jusque dans sa version 4, était une gigantesque boîte de mécano audionumérique, comportant plein de pièces avec lesquelles on pouvait construire à peu près ce qu’on voulait. Aujourd’hui, Native nous donne la possibilité de créer nos propres pièces.
Du coup, il ne s’agit plus ici d’assembler des LFO, des filtres ou des enveloppes, mais bel et bien de construire ces dernier au moyens de composant primaires qui devraient ravir les electro-geek de l’audio : modules read-write, possibilités de tables, de tableaux, opérations mathématiques complexes, contrôleurs d’évènements, opérateurs conditionnels et j’en passe.,,
Or, non seulement le travail au niveau Core ouvre d’incroyables horizons en terme de conception, mais il présente en outre une approche améliorée de la construction. Sans compter de nouvelles fonctions bien pratiques, tels les « quickbus ».
Si vous avez déjà construit des instruments avec Reaktor ou d’autres logiciels équivalents, vous savez que la fenêtre structure peut vite, malgré toutes les précautions prises, ressembler à un sacré fouillis et enchevêtrement de câbles de connexion. Rien à voir avec un concepteur désordonné. Il est parfois impossible de faire autrement que d’avoir un câble qui traverse toute la fenêtre, coupant de nombreux câbles et modules pour aller se connecter à l’autre bout de la structure.
Le Quickbus permet d’éviter cela. Le menu contextuel permet par exemple de créer un quickbus sur une sortie que l’on nommera. Ensuite, le même menu contextuel permettra de signaler à une entrée que la source est tel ou tel quickbus. Au lieu d’un câble partant de la sortie vers l’entrée, on aura le nom du quickbus à la sortie d’un module et le même en entrée d’un autre. Un peu comme des câbles qui passeraient par l’hyper espace ! Génial.
Les développeurs auraient pu aller un tout petit peu plus loin en surlignant les instances du Quickbus lorsqu’on clique dessus. En effet, au sein d’une structure complexe, il peut être un peu long de rechercher où se situe l’autre « bout ». Mais ce n’est probablement pas pire que de suivre un câble emmêlé avec d’autres et en grande partie masqué par une foultitudes d’éléments de la structure, même si ce dernier change de couleur lorsqu’on le sélectionne. Une bonne idée, donc, qui peut enCore être améliorée.
D’autre fonctions bien pratiques ont été implémentées dans le travail au niveau Core comme l’ajustement automatique de la taille de la cellule. L’avenir du travail dans Reaktor étant très probablement les cellules Core, cela devrait en plus améliorer la productivité et la facilité de travail dans la construction d’instruments.
Aller plus loin dans la description du Core audio nécessiterait pratiquement un article aussi volumineux que celui que vous lisez. Ce n’est évidemment pas l’objet de ce test, d’autant que le Core est une affaire de spécialistes.Sans qu’il soit nécessaire de parler le C++ couramment, on n’imagine mal un utilisateur s’en sortir à ce niveau sans de solides connaissances en mathématiques, en traîtement du signal ou en électronique.
De ce fait, j’oserai facilement l’hypothèse que les limites à la création d’instruments sous Reaktor seront désormais plus à chercher du côté de l’imagination et des compétences de l’utilisateur, ou à la rigueur les limites des processeurs, que du côté d’éventuelles limitations du logiciel.
Conclusion
Reaktor 5 est un monstre, tout simplement. Pouvant être utilisé à différents niveaux, du plus basique au plus pointu, il ouvre des univers sonores fantastiques de sorte que, sur bien des aspects, il est difficile de le prendre en défaut.
Certes, le logiciel est loin d’être parfait, et en vis-à-vis d’une interface d’une absolue tristesse, on regrettera quelques petits manques ici et là. Mais ce ne sont que des broutilles si l’on considère le potentiel du niveau « Core ». C’est à se demander d’ailleurs comment les développeurs pourront aller plus loin dans les possibilités offertes à l’utilisateur, à part en fournissant de nouvelles cellules Core d’usine et en travaillant à des améliorations ergonomiques.
Au final, si on excepte les connaissances nécessaires pour la construction/édition, on s’aperçoit avec surprise que le logiciel n’est pas d’un abord si complexe qu’il y paraît. Très bien pensées, la plupart des choses y deviennent évidentes au bout de quelques heures.
Quant à la question des produits « concurrents » comme Audiomulch, MAX/MSP ou encore Synthedit, tout sera question de goûts et de besoins de l’utilisateur. Sachant que cette concurrence ne concerne que ceux qui veulent construire leur propres ensembles, je tendrais à penser que Reaktor, avec ses différents niveau d’utilisation, se situe vraiment à part sur le marché.
Dernier point à méditer : le logiciel dispose d’un tel potentiel créatif pour réaliser ses instruments qu’on peut vite y passer plus de temps qu’à faire de la musique. Mais après tout, certains ne vivent que pour construire des synthés alors que d’autres ne vivent que pour les utiliser. les seconds ne peuvent que bénir les premiers. Et que vous fassiez parti des uns, des autres ou de ces deux catégories, Reaktor devrait vous apporter bien des moments de bonheur.