Se faire une place au soleil en tant qu’ingénieur-mixeur à New York n’est pas chose facile, et pourtant Ryan West y est parvenu – et de quelle manière ! Travaillant essentiellement dans les milieux du hip-hop et du R&B, il a notamment œuvré pour Kanye West, Jay-Z, Eminem, Rihanna, Usher, 50 Cent, Kid Cudi, et Maroon 5. Pas si mal quand on n’a aucune formation en tant qu’ingé son et qu’on a commencé sa carrière new-yorkaise en travaillant dans un magasin de musique.
Ryan West nous parle de la façon dont il a développé sa carrière, puis détaille ses techniques de mixage ainsi que le matériel et les logiciels qu’il utilise.
Comment avez-vous fait vos premiers pas en tant qu’ingé son ?
Ça devait être en 1997. J’ai emménagé ici et j’ai trouvé du boulot chez Sam Ash [ndt: grande chaîne de magasin de musique basée à New York]. En tant que musicien, je voulais commencer par me faire des relations parmi les gens qui étaient dans l’industrie musicale. J’ai acheté un peu de matos et notamment cette console Soundtracs 24×8 et une machine à bande d’1/2", et je faisais des démos avec mon groupe. Et un des gars qui travaillait au magasin m’a demandé si à côté de ce job, ça me dirait de faire un peu de boulot en tant qu’ingé son. J’ai répondu « pourquoi pas ? on n’a qu’à essayer. » Il s’est trouvé que c’était pour le compte de Stanley Brown, qui travaillait à l’époque au service de repérage des nouveaux talents pour Island Records. Il avait bossé sur tout un tas de trucs de Dru Hill, et sur plein de disques de gospel. Il avait un studio chez lui, à Edgewater, dans le New Jersey. J’ai commencé à bosser un peu pour lui, et plus ça allait, plus j’y prenais goût. Je me suis rendu compte que je pouvais non seulement y arriver mais en plus gagner de l’argent grâce à ça, que des gens me paieraient vraiment pour faire ça.
Comment vous a-t-il repéré ?
Il était le client d’un gars avec qui je bossais. Il lui a simplement demandé « j’ai besoin d’aide dans mon studio, tu connais quelqu’un qui a des qualités d’ingé son ? » Donc rien n’était planifié, c’est juste arrivé comme ça. Mais clairement, ça m’a vraiment plu, donc j’ai continué.
Vous n’avez pas fait d’école pour devenir ingénieur du son ?
Non, non, pas du tout. Je revenais tout juste de la perspective de devenir un bassiste ou un claviériste frustré. Clairement, je voulais rester aussi proche que possible de l’industrie musicale. Après tout, c’est pour ça que j’avais quitté l’Ohio pour m’installer à New York. Donc ça paraissait logique. Et au fur et à mesure, j’ai appris plein de choses et j’ai commencé à rencontrer des gens. J’ai appris comment produire des enregistrements. Voilà comment ça commencé, vous n’avez même pas le temps de vous en rendre compte que vous êtes déjà embarqué sur ce chemin-là.
Vu que c’était vers la fin des années 90, les STAN n’en étaient qu’à leurs premiers balbutiements, en tout cas concernant le support audio…
Ils existaient déjà, mais tout ça, ça laissait encore les gens sceptiques. Pro Tools avait sorti ses premières interfaces 16 bits, qui ne sonnaient pas bien. Quand j’ai commencé à utiliser Pro Tools, on enregistrait l’audio sur bande puis on importait dans Pro Tools, on éditait et ensuite on réexportait le résultat sur bande. C’est surtout comme ça qu’on l’utilisait à l’époque. Ce n’est que quelques années plus tard que Pro Tools est véritablement devenu populaire. J’ai appris à être particulièrement rapide dans son utilisation, et ça m’a beaucoup aidé.
Quels genres de choses faisiez-vous pour que la rapidité dans l’utilisation de Pro Tools vous serve à ce point ?
Il s’agissait avant tout d’être capable de faire des sessions de voix vraiment rapides. Les types arrivaient, et beaucoup se croyaient un peu là pour faire la fête. Je devais être à la fois dans le rôle du psy, du manageur et de l’ingé son, et aussi dans celui du trip sitter. J’ai compris que tout ce qui permettrait de rendre le processus de travail plus rapide satisferait mes clients. Je me suis fait un devoir d’être aussi rapide que possible dans l’utilisation des raccourcis de Pro Tools pour rendre les sessions aussi fluides que possible.
Et au bout d’un moment des clients potentiels se sont mis à vous demander vous ? C’est comme ça que vous avez étendu votre clientèle ?
Ça s’est passé assez vite. Je n’ai pas travaillé si longtemps que ça pour ce gars de chez Island Records. Pour l’essentiel, j’ai avancé tout seul et j’ai commencé à faire des sessions en freelance dans tout un tas d’endroits différents. J’ai fini par atterrir aux studios Soho, qui n’existent plus aujourd’hui. C’était au croisement de la Cinquième Avenue et de Prince Street. Le propriétaire des lieux a commencé à me confier des sessions ici et là, un peu au hasard, et assez rapidement des gens ont commencé à demander à m’avoir moi parce que j’étais un gars qui savais utiliser les enregistreurs à bande et qui connaissais le matos qu’ils utilisaient pour sampler. A l’époque, c’étaient la boîte à rythme SP-1200 [d’EMU] et le sampleur S900 [d’Akai]. En tant que claviériste je connaissais bien tout ça, et j’en connaissais un rayon sur le MIDI. Et quand on a commencé à explorer le territoire des STAN, j’étais encore plus dans mon élément. Donc d’une certaine manière je faisais les choses à l’envers, je commençais avec des bandes et ensuite j’entrais dans le système Pro Tools, mais il y avait plein de trucs qu’il fallait que je rattrape. Je n’avais pas beaucoup d’expérience dans l’utilisation de processeurs de dynamique au départ vu que je ne faisais que les voix, via des sessions complémentaires et des prises. C’est sur ça que je me suis concentré pendant très longtemps. Un ou deux ans plus tard, j’avais évidemment accru mes compétences dans tout le reste. Mais au début j’étais vraiment un ingénieur du son spécialisé dans les prises de voix, et c’est ça qui m’amenait beaucoup de mes clients.
Comment êtes-vous passé au mixage ?
J’ai supplié encore et encore. [Rires] Et j’ai demandé. Et avec certains des plus petits clients indés, ce n’était pas si dur d’obtenir qu’ils me lancent un os à ronger en me laissant tenter un mix, et puis s’ils aimaient le résultat, ils aimaient le résultat. Je faisais des mixes gratuitement, comme beaucoup de jeunes ingés son, pour me permettre de me faire les dents. Mais ça m’a offert une expérience qui était vraiment la bienvenue. À peu près à la même époque, j’ai commencé à travailler pour Jonathan Peters, ce producteur de remixes dance qui a fait des chansons comme My Love is Your Love de Whitney Houston. Il remixait pas mal de singles dance qui marchaient bien. Il avait son studio du côté de Chelsea, ça s’appelait Deeper Records.
Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai commencé à travailler pour lui, et il bossait avec ce producteur vraiment cool, Tony Coluccio qui est toujours dans le circuit et qui continue de faire des disques. Et j’étais toujours dans la même situation, à le supplier: « laissez-moi mixer, je veux mixer, je n’en peux plus d’attendre. » Je n’en pouvais plus de voir que le boulot était confié aux autres ingés alors que je savais que c’était ça que je voulais faire. J’étais vraiment très insistant, et ces gars ont été assez sympas pour me donner ma chance. Mais un jour, peut-être après une semaine à essayer de leur placer mes mixes, Tony Coluccio m’a pris à part et m’a dit « tu sais, t’es un bon gars, mais je pense que tu essaies de passer au mixage un peu vite, tu as encore un peu de boulot avant ça. » Ça a fait mal, vraiment, mais il avait raison. A ce moment là, je n’avais pas ma place dans le rôle d’ingénieur de mixage. Je n’avais pas assez de connaissances d’ordre général. Je ne comprenais pas où je voulais arriver, et je ne connaissais pas grand chose aux techniques que les autres ingénieurs utilisaient, tout simplement parce que je n’avais jamais été formé par personne. Je n’avais pas la formation, et je n’avais jamais bossé avec un autre professionnel. Pendant les premières années, c’était un peu de l’impro totale et permanente pour moi.
Et après cela, combien de temps est-ce que ça a pris avant que votre carrière d’ingénieur en mixage reparte ?
Je n’ai jamais vraiment arrêté, mais ça a en quelque sorte limité mes espoirs concernant le genre de boulots auxquels je pouvais prétendre. J’ai compris que j’avais encore du pain sur la planche. J’essayais sans cesse de trouver de nouveaux livres et de nouvelles façons d’apprendre sur le mixage, de parler avec d’autres personnes. Et puis du réseautage, au maximum. À un moment, j’avais toutes les infos dont j’avais besoin, je savais ce que je voulais tirer de mes mixes. Je comprenais le monitoring, et le cheminement du signal, et la structure du gain, et tous ces petits trucs qu’on doit apprendre en première année dans les écoles du genre SAE ou autre.
Et à quel moment avez-vous commencé à vous dire « waow, c’est bon, je maîtrise » et non plus « waow, c’est incroyable ce taf et je me demande combien de temps ça va me prendre » ?
Promis, je vous préviendrai le jour où ça arrivera [Rires]. Pendant longtemps, j’étais vraiment dégoûté à l’écoute de mes propres mixes, tout simplement parce que je n’en étais jamais totalement satisfait. Je me disais toujours que j’aurais pu faire mieux, que j’aurais pu faire autrement. Je crois que ce qui a changé et qui m’a le plus apporté, ça a été d’apprendre à me détendre et à voir ça comme étant à la fois une oeuvre artisanale et mon boulot. Et d’essayer de me dire que tous ceux qui font ce boulot essaient à chaque fois non seulement d’arriver à un résultat concluant, mais aussi à quelque chose de nouveau. À chaque fois qu’on met les mains ou les oreilles dans un nouveau projet, il faut toujours se remettre en question. À un moment, j’ai compris que ça faisait partie des joies de ce boulot et que c’était normal. On peut toujours tout réinventer. On peut toujours changer ses façons de faire. Et si on le fait, c’est même vraiment mieux. Si on se cantonne à une seule façon de travailler, on finit par se mettre soi-même le dos au mur bien plus souvent que nécessaire.
Maintenant que c’est dit, à quoi ressemble votre flux de travail ?
Je commence par faire ce que j’appelle « le ménage ». J’aligne les pistes dans la session d’une façon qui me permette de naviguer plus facilement. Comme beaucoup d’ingénieurs, il peut m’arriver de mettre toutes mes pistes de batterie du côté gauche, de leur attribuer un code couleur et de m’assurer que chaque piste a le bon nom. Ensuite, moi je suis le genre de gars qui fait tout aux faders. Je baisse le volume de mes moniteurs et je commence à jouer avec les volumes, et je pense à l’arrangement de la chanson, aux mixes de référence que le client a pu me donner en me disant qu’il aimait telle chose ou qu’il voulait tendre vers telle autre. Je prends les choses en main en maîtrisant la situation et je m’arrange pour que tout sonne carré. De nos jours, ça inclut de paramétrer tous mes bus pour la sommation. Ici, chez moi, j’envoie 16 pistes vers un Dangerous Convert 8 puis vers un 2-Bus+ et divers autres équipements. Je commence par paramétrer ma sommation. Et je crois que c’est une des choses que les gens sous-estiment quand ils parlent d’utiliser la sommation dans une config centrée autour d’une STAN : si vous n’utilisez pas la sommation dès le départ, elle ne va pas tellement vous aider dans vos choix. L’avantage qu’il y a à utiliser un très bon matériel de sommation analogique, c’est que ça vous offre un plus grand espace au sein duquel évoluer. Et comme ça, vous commencez à poser les premières pierres du mix.
Qu’entendez-vous par « un plus grand espace » ?
Ça donne l’impression d’une plus grande réserve de puissance. On a l’impression que chaque élément du mix peut facilement être localisé. C’est comme, vous savez, quand on écoute un très bon mix via de très bons moniteurs dans une très bonne salle, ou avec un très bon casque, on peut presque fermer les yeux et indiquer l’emplacement physique de chaque élément dans le mix. Si on parle de la voix principale par exemple, il y a des chances qu’elle soit plein centre. Quand j’utilise la sommation comme il faut, c’est presque comme si je pouvais suspendre cette voix où je veux dans l’espace, et il paraît plus simple de permettre à chaque élément de trouver sa place tout en ayant assez d’espace dans le mix pour qu’il ne soit pas trop chargé. Quand je mixe entièrement « in-the-box », même si j’utilise de très bons convertisseurs, ça demande un peu plus d’effort.
C’est intéressant.
La façon dont je prends mes décisions change un peu quand je passe par une sommation, parce que j’entends les choses un peu autrement. Et je sais qu’au final, je pourrai pousser le mix plus fort. Je fais beaucoup de mixes de hip-hop, des trucs avec des sons de batterie vraiment très agressifs. Et une part de qui fait un bon mix, qu’on parle de mixer de l’EDM ou n’importe quel autre style qui implique beaucoup d’éléments dans le bas du spectre, c’est de se ménager de la réserve de niveau. Je mets toujours des trucs comme un filtre passe-haut aux alentours de 35 ou 40 Hz, même sur des 808. C’est parce que tous les infrasons [le signal en dessous de ce qui est audible par l’oreille humaine] du signal vous prennent de la réserve. Même si je veux que certains éléments soient bien audibles dans le bas du spectre du mix, je les purge de ces très basses fréquences. Je fais un peu pareil tout en haut du spectre aussi, histoire de réduire la largeur de la bande passante.
Décrivez-nous ce que vous faites dans le haut du spectre.
Quand on veut qu’un mix sonne aéré, il est tentant de pousser le niveau aux alentours de 12 ou 15 kHz. Mais il faut décider quel élément va avoir la part belle dans ces zones-là. Par exemple, si j’ai des voix dont j’aime vraiment la superposition avec la respiration, mais aussi des guitares, alors en général ce que je vais faire c’est mettre un filtre sur les guitares pour évacuer tout ce qui est au-dessus de 5 ou 6 kHz, histoire de leur laisser leur place un peu en dessous de la voix, comme ça les deux ne se marchent pas sur les pieds.
En utilisant un filtre à pente douce ?
Oui, sauf si ce que j’entends est vraiment marqué. Une pente vraiment douce, peut-être dans les 12 dB par octave.
Donc vous n’enlevez pas tout, juste une partie.
Ouais, juste un peu. Parce que je veux que certains éléments restent présents là-haut. Si j’ai une super réverbe à plaque qui sonne de façon très détaillée sur la voix, je vais faire un peu de place autour pour lui permettre de ressortir comme je veux dans le mix, plutôt que de la couvrir et de rendre l’ensemble moins distinct en favorisant un timbre global trop brillant. Il y a quelqu’un, je ne sais plus qui, peut-être un de mes amis ingés qui s’appelle Andrew Dawson, qui expliquait ça ainsi : « si tu veux un mix qui ait à la fois de la brillance et de l’énergie, choisis un élément du mix qui va occuper l’espace dans cette zone-là ». Plutôt que de se contenter de mettre un égaliseur général et de donner de la brillance à l’ensemble. C’est une question de contrastes.
Et donc c’est ainsi que vous vous y prenez pour faire ressortir un élément dans un mix ?
Ouais, ça permet de s’assurer que l’élément en question a de l’espace pour respirer et qu’il a ce qu’il faut de dynamique. Je ne suis pas du genre à surcompresser un mix. J’adore les ingénieurs de mastering, et s’ils ont du boulot c’est qu’il y a une raison pour ça.
Vous n’utilisez pas beaucoup de processeurs sur votre bus master ?
Non. Je suis adepte de Dangerous, du coup j’ai leur compresseur et leur Bax EQ. Et neuf fois sur dix, il n’y a que ça sur mon bus stéréo.
Quel routage utilisez-vous pour ces processeurs ?
Ce que je fais, c’est que je rentre le signal dans le [sommateur] 2-Bus+, et ensuite il y a le compresseur et le Bax que je peux activer ou désactiver quand je veux. Puis ça va dans un convertisseur A/N, et le signal est réinjecté dans la STAN via le port USB de mon Dangerous Convert-2. Le convertisseur transmet le signal en AES et le renvoie en USB vers la STAN, où je peux en faire tout ce que je veux. Si je veux, je peux l’imprimer sur une piste et y ajouter le plug-in de machine à bande ATR-102 d’UAD, c’est d’ailleurs ce que je fais souvent. C’est là que je le fais. C’est vraiment la façon de bosser la plus simple, parce que je ne change pas grand chose par rapport à un processus 100% « in-the-box », j’ajoute juste un peu de routage. Et j’ai la sensation que ça m’amène beaucoup plus loin et beaucoup plus vite, du fait que j’ai la réserve de puissance qu’il me faut sur chacun des canaux, et chacun des canaux fait son propre chemin en toute indépendance avant que tous soient additionnés par un excellent sommateur comme le 2-Bus+.
Revenons aux filtres : pour ma part, le truc que j’ai trouvé quand j’utilise un passe-haut, c’est d’augmenter continuellement la fréquence de coupure jusqu’à ce que je perçoive un changement sur le son, et là je reviens juste ce qu’il faut en arrière.
C’est exactement comme ça que je fais. Il faut voir ce à côté de quoi on passe, plutôt que de prendre une fréquence un peu au pif et sans véritable conviction. Je pense qu’en tant qu’ingénieur en mixage, chaque décision que l’on prend doit être pesée et réfléchie, et ainsi on mixe plus chaque jour. Parce qu’on n’a pas envie de passer deux jours sur un mix. Je ne peux pas me permettre de passer deux jours sur un mix. Ce n’est pas possible, je ne peux pas. La charge de travail est suffisamment importante comme ça, en tout cas pour moi, je dois réussir à caser un mix-etmdemi ou deux mixes par jour. Il y a des choses que je fais [de façon routinière], mais en général ce ne sont pas des choses qui impliquent la moindre décision sur le plan créatif. Plutôt des choses temporaires. Comme pour le template que j’utilise. Je peux avoir trois ou quatre réverbes différentes et trois ou quatre effets de délai, que j’insère rapidement, comme ça. Et ensuite je me contente de me débarrasser de ceux que je n’utilise pas à la fin du mix. Quand je travaille, il y a une petite part de ce que je fais qui tient de l’automatisme. Mais en général, j’attaque chaque mix comme quelque chose de complètement nouveau.
Quand vous travaillez sur un mix qui aura vocation à être diffusé sur un système d’écoute énorme avec des subwoofers, comme un mix pour boîtes de nuit par exemple, vous ne craignez jamais d’enlever trop de fréquences dans les infras ? Est-ce que ça pourrait poser des problèmes de fréquences au moment de la diffusion via les caissons ?
Non, pas du tout. J’ai deux systèmes d’écoute de référence et j’ai un caisson de basses que je peux activer ou désactiver. Du coup, je peux toujours juger de ce qui se passe tout en bas du spectre. Et en général, les mixes sur lesquels je suis un peu plus agressif dans la suppression des fréquences en dessous de 35 Hz sonnent largement mieux sur de gros systèmes d’écoute.
C’est intéressant.
Parce qu’on peut avoir une grosse caisse très claire et punchy sans rien en dessous qui vienne tout faire foirer.
Il y a beaucoup de fréquences-déchets en dessous.
Ouais, je crois qu’au départ c’est pour ça que j’ai commencé à utiliser autant le passe-haut, parce que je m’inquiétais toujours de comment ça allait sonner en club. Ou de comment ça va sonner dans la bagnole du mec qui y a installé des caissons de basses de dingue. Je vérifie toujours en prenant différentes références : de gros haut-parleurs, de petits haut-parleurs, avec ou sans caisson de basses, au casque… Et dans ma salle de mix, je vois tout ce qui peut se passer dans ces divers environnements. Evidemment, les problèmes commencent quand on me fait bosser dans un studio que je ne connais pas bien, dont je ne connais pas le système d’écoute et dans une salle dans laquelle je n’ai pas passé des masses de temps. Dans ce cas, j’essaie de vérifier autant de références que possible.
Et qu’utilisez-vous comme enceintes de monitoring dans votre studio ?
J’en ai plein, mais ces temps-ci j’utilise surtout mes enceintes Dynaudio BM-6 passives, version MKII. Je les connais vraiment bien, ça fait longtemps que je les ai. J’ai aussi une paire de Focal Solo 6 et une paire de NS-10. J’adore les Focal, mais je pense que ces temps-ci je suis dans un trip un peu bizarre qui fait que, pour je ne sais quelle raison, j’ai plutôt envie d’utiliser les Dynaudio.
L’un des pièges dans lesquels tombent souvent les personnes qui ont peu d’expérience dans le mixage, c’est la perte de recul et la difficulté de juger d’un mix au bout d’un long moment passé dessus. Comment faites-vous pour éviter ce problème ?
J’essaie de ne jamais en arriver là. Quand je parle de mixage, je parle toujours de ce sentiment d’urgence qu’on ressent en cours de séance. Et je pense qu’il est dangereux de s’acharner sur un mix au point de ne plus pouvoir le supporter, ou de ne même plus entendre les différences dans ce qu’on y change. Tout simplement parce que ça n’aboutit qu’à de la frustration, et une fois qu’on est frustré, il devient difficile d’en avoir une vision différente.
Vu que vous devez finir le boulot rapidement, vous arrive-t-il souvent de ne pas pouvoir donner à un mix le temps nécessaire pour vous permettre de prendre du recul ?
J’essaie, si je le peux. Si j’ai le temps, alors oui, je le mets de côté et je le réécoute le lendemain en me levant, devant mon thé. Il m’arrive d’allumer mon système d’écoute et de passer en revue ce que j’ai fait la veille.
Je sais que moi par exemple, je trouve parfois très tentant de rouvrir un mix. Je pense toujours que je peux l’améliorer, mais la plupart du temps ce n’est pas le cas.
C’est la beauté qu’il y a dans le fait de vivre en 2017, avec la fonction « sauvegarder sous… » et un gros disque dur assez bon marché pour pouvoir faire autant de sauvegardes qu’on veut. Mais je ne peux que recommander aux personnes qui font du mixage de ne pas sur-réfléchir. On peut toujours améliorer un mix. Il y a des mixes que j’ai faits il y a 10 ans que je réentends maintenant à la radio, et je suis là à me dire « Et merde, j’aurais pu faire tel truc encore mieux », ou « j’aimerais tellement pouvoir le refaire aujourd’hui avec tout ce que j’ai appris entre temps ». Mais à un moment, il faut savoir lâcher prise, et se dire « voilà, c’est mon évolution, j’en étais là à ce moment-là, et je vais continuer à essayer de progresser dans tout ce que je fais au jour le jour ».
Quelle est votre approche concernant la compression ? Vous l’utilisez plutôt pour obtenir une coloration, ou pour contrôler la dynamique, ou les deux ? Ou alors utilisez-vous davantage l’automation pour contrôler la dynamique ?
J’essaie d’utiliser l’automation autant que possible. Mais disons les choses telles qu’elles sont, la compression reste LE son de la musique moderne. Donc, à un certain niveau, les gens s’attendent en quelque sorte à ce qu’on l’utilise. Je ne suis pas très fan des grosses compressions qui s’entendent, à moins que je ne compte les utiliser comme une sorte d’effet.
Avez-vous une configuration de plug-ins que vous aimez particulièrement utiliser sur les voix ?
Ça dépend du genre de morceau et de la façon dont la voix ressort. Dans le hip-hop, par exemple, beaucoup de voix sont un peu partout dans l’espace. Peut-être est-ce que les gars tournent leur tête d’un côté puis de l’autre. Ils ont une gestuelle très active pendant les prises. Alors parfois, le plan, c’est d’utiliser un truc du genre LA-2A ou TubeTech pour en quelque sorte atténuer ça, juste un tout petit peu. Arriver à une réduction de gain d’un ou deux dB, et ensuite utiliser quelque chose du genre un 1176 pour mettre la voix en avant. Avec par exemple un temps d’attaque moyen et un relâchement rapide, on arrive parfois jusqu’à l’équivalent de 6, ou 7, ou même 8 dB de compression. Juste pour mettre la voix en quelque sorte en avant, et lui donner un côté plus agressif.
Pour ça, vous utilisez des plug-ins de chez UAD ?
J’utilise vraiment énormément de produits de chez UAD. J’utilise aussi beaucoup de produits de chez SoundToys, et quelques uns de chez Waves. Je me mets à utiliser de plus en plus de produits de chez Waves. Ils sont bons, et ils sont vraiment passionnés par leur métier. Mais je reste un très grand fan d’UAD. C’est vraiment une super entreprise.
Quelles sont vos réverbes de choix ?
La encore, je me tourne vers UAD. J’aime vraiment leurs réverbes à plaque EMT, la 140 et la 250. Ce sont vraiment de super réverbes.
C’est clair.
Je suis comme tout le monde, j’utilise des trucs par-ci, par-là, comme la H-Reverb de Waves qui est bonne pour plein de choses comme les petits espaces, l’ambiance, des trucs comme ça. Si je veux juste ajouter un peu de « vibe » autour d’un élément, une guitare ou autre. C’est un bon plug-in. La Lexicon 224 d’UAD est super. Je l’utilise pas mal. Et ils ont aussi fait ce plug-in à côté duquel beaucoup de gens semblent être passés: leur simulateur d’espace Ocean Way, qui est absolument fantastique. Si vous voulez créer une impression d’espace pour faire sonner une prise sèche comme si elle avait été faite en live, c’est un très bon moyen d’y parvenir, avec une sonorité vraiment naturelle. Je suis déjà allé dans ces studios dans le passé, et la sonorité en est vraiment proche.
Merci de nous avoir accordé de votre temps. C’était vraiment une discussion intéressante.
Merci !