Après les très rapides considérations historico-philosophiques de l'article précédent, il est temps pour nous de revenir à des éléments plus concrets, si vous le voulez bien.
Intéressons-nous à la manière dont sont construits les différents modes naturels, tels que nous les avons vu dans l’article 46. En harmonie tonale, nous avons vu dans les trois premiers articles de ce dossier que chacun des modes majeur et mineur est défini par certaines particularités bien précises : tierce majeure et présence de la sensible pour le mode majeur, tierce mineure et absence de sensible pour le mode mineur naturel, etc. Mode mineur naturel qui correspond, je le rappelle, au mode caractéristique de la relative mineure d’une gamme majeure (article 2), soit le mode éolien de ladite gamme majeure. On en déduira donc que s’il existe des particularités qui permettent de définir les modes de l’harmonie tonale, il y en a également pour définir ceux de l’harmonie modale, ceux dits ecclésiastiques (cf article 47).
Comme en harmonie tonale, ces derniers sont caractérisés en premier lieu par leur degré 1. Mais ils disposent en outre chacun d’une voire deux (pour le mode ionien) notes dites « caractéristiques », qui correspondent à un intervalle qu’ils sont les seuls à posséder.
Voici dans l’exemple l’exemple suivant les modes issus de la gamme mère de Do, avec les notes caractéristiques :
Alors à première vue, vous vous direz peut-être, par exemple : « Mais pourquoi dit-on que la seconde mineure du mode phrygien est caractéristique de ce mode, alors que le mode locrien en a une aussi ? » Et vous aurez tout à fait raison de vous poser la question. Toutefois, en y regardant de plus près, on peut constater que le mode locrien (ici, Si locrien) se distingue du mode phrygien (ici, Mi phrygien) par sa quinte diminuée (note caractéristique de ce mode).
Ou j’en entendrais d’autres interroger le fait que l’on cite la sixte majeure du mode dorien (ici, Ré dorien) comme note caractéristique alors qu’on retrouve une sixte majeure dans les modes ionien, lydien et mixolydien (ici, Do ionien, Fa lydien et Sol mixolydien). Oui, mais aucun de ces derniers n’a de tierce mineure à partir de sa tonique … et ainsi de suite !
Vous pouvez chercher comme ça dans tous les modes possibles : les notes caractéristiques, associées bien entendu à un degré 1 spécifique, ne correspondent bien qu’à un seul mode bien particulier ! D’ailleurs, pour signifier ce rapport entre la note caractéristique de chaque mode naturel et le degré 1 de ce même mode, on parlera plutôt de degré caractéristique naturel (DCN). On constatera également que chaque DCN est suivi ou précédé d’un demi-ton, que l’on appellera « fragment modal ».
C’est en insistant sur la fondamentale, la tierce et le fragment modal que l’on commence à établir le mode d’un morceau.
On notera que le fragment modal peut être exprimé de manière renversée :