Pourquoi est-il si difficile, aux classiques, de faire un chorus jazz ?
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Anonyme
Je m'explique. En jazz, à cause de ce modèle circulaire, la hauteur de la quinte ou de la tierce ou de n'importe quelle note, n'a aucune importance. Ce modèle circulaire entraine le fait que l'intervalle et la note sont d'une certaine façon confondus. Pour les classiques, la quinte est essentiellement un intervalle, alors que pour les jazzeux, c'est une note en relation avec une fondamentale.
Si la quinte (ou n'importe quelle note) est en relation avec une fondamentale, elle est donc en relation avec une tonalité. Ce rapport à la tonalité ne tient aucun compte des écarts entre les notes. Par exemple, dans un CM7, la quinte est sol. Le fait qu'il existe un écart de quinte entre la 3 et la 7, soit entre le mi et le si n'a strictement aucune importance. C'est non seulement sans importance mais c'est aussi une impasse que de s'en soucier. Pourquoi une impasse ? Parce qu'en jazz, dans la construction d'un chorus, on ne se soucie pas de la relation qu'ont les notes entre elles. On se soucie uniquement de la relation qu'elles ont à la fondamentale. Sans la connaissance de cette relation à la fondamentale (et donc à la tonalité), on ne peut construire un chorus cohérent (free jazz à part, puisque registre atonal).
Une écriture comme CM7/E (la basse est mi sur l'accord de CM7) n'implique nullement, comme le dirait un classique (très étonnant d'ailleurs) que le mi est quinte du si puisqu'il existe un intervalle de 7 demi tons entre le mi et le si et que le mi est la note la plus grave. On voit là, très clairement, le niveau d'impasse du classique (dans la construction d'un chorus de jazz) puisque, pour le jazzeux c'est clairement une erreur d'harmonie que de considérer le mi comme quinte de si. Ce n'est du reste pas la seule erreur. L'erreur est aussi de penser l'accord de CM7/E pour autre chose que ce qu'il est en réalité, à savoir simplement un CM7. En effet, le E à la basse n'a qu'une fonction de voicing sans relation avec le chorus qui pourrait se construire dessus.
Bien sûr, un chorus de jazz, c'est pas seulement une mécanique avec, pour certains, un schéma géométrique pour l'accord (surtout vrai chez les gratteux et les bassistes). C'est aussi le recherche du son et du chant mélodique. Mais ceci est un deuxième aspect qui sort un peu du cadre théorique que je veux maintenir.
Je pourrais développer plus mais je préfère attendre les réactions des personnes intéressées par ce débat, pas tant pour se taper dessus entre classiques et jazzeux (c'est clairement pas le but) mais pour essayer de clarifier certaines notions théoriques qui sont incompatibles avec la construction d'un chorus.
RaphRaymond
Citation : On voit là, très clairement, le niveau d'impasse du classique
Bon... Je ne vais pas faire de débat hein, seulement dire que, comme c'est une autre considération ce n'est pas une impasse juste une autre manière de faire. C'est une impasse pour un "jazz" qui veut improviser avec la reflexion "classique" mais pas une impasse pour un classique.
Il existe de très bon improvisateurs chez les classiques, à commencer par Mozart ou Beethoven d'ailleurs. Je pense que c'est juste un a priori de dire que les classiques ne savent pas ou mal improviser... Le fait est plutôt qu'il y a pas mal de musiciens qui ne savent pas improviser, mais que les trois quart des musiciens font du classique. Et puis l'interprétation est un art et un plaisir en soi.
Je dis ça mais je ne me situe pourtant pas comme classique, au contraire, j'ai même plutôt appris la musique de manière un peu jazz, celà ne fait que relativement peu de temps que je fais du solfège "classique" etc... A la base je suis guitariste, je fais du rock et j'improvise énormement, dans plusieurs styles. A la guitare j'aime improviser rock/blues ou jazz manouche sur une acoustique, au piano je fais un peu de ragtime mais surtout des mélanges d'impro jazz/classique un peu lente et planante...
Grosso modo je connais mes gammes, des petits trucs sympa, j'entends les notes avant de les jouer et je me lance comme ça sans trop réfléchir...
Quand je dis que j'entend les notes, je ne dis pas avoir l'oreille absolue, j'ai une oreille relative, quand je suis en do majeur, je ne me dis pas que je vais jouer un fa, plutôt la 4° note de la gamme, qu'on l'appelle quarte ou sous-dominante, dans ma tête y'a pas de nom, juste un son, une impression, une couleur.
Il est vrai que l'apprentissage "classique" ne pousse pas l'élève à l'impro, c'est même très souvent un domaine totalement éviter, du coup plein de musicien ne savent pas se lancer sans partition. Il y a aussi plein de classique qui ne poussent pas loin l'analyse et les connaissances théoriques. En fac de musicologie avec des gens qui viennent de passer 10 ans ou plus dans des conservatoires, il ne savent pas harmoniser une mélodie simple alors qu'il faut trouver un bête I-IV-V-I...
Citation : Une écriture comme CM7/E (la basse est mi sur l'accord de CM7) n'implique nullement, comme le dirait un classique (très étonnant d'ailleurs) que le mi est la quinte du si puisqu'il existe un intervalle de 7 demi tons entre le mi et le si et que le mi est la note la plus grave
Le classique ne dirait pas "mi est la quinte de si" dans cet accord (ou plutôt si est la quinte de mi car dans un accord on compte les écarts du grave vers l'aigu). Il dirait qu'il y a un intervalle d'une quinte entre le mi et le si mais ça ne sous-entend aucun rapport hiérarchique entre les deux notes. Le "classique" dira sans problème que Mi est la tierce de l'accord, Si la septième, Sol la quinte, Do la fondamentale ( "de l'accord" )... peut importe l'ordre des notes. Après on aime bien différencier précisement l'ordre des notes car chaque renversement possède un son particulier.
En classique CM7/E se note avec un mi sur la clé de fa et le chiffrage vertical suivant "6 5". Avec 2 chiffres on précise qu'il y a une tierce juste après la note (pas écrite car toujours sous-entendu, ici c'est la quinte de l'accord), puis une quinte (la 7° de l'accord), puis une sixte (la fondamentale). Tout est compté depuis le mi et on rajoute éventuellement des # ou des bémols aux chiffres...
Moi j'ai tendance à penser que justement, le système classique est meilleur car il permet de mieux définir la construction des accords. Je le trouve plus fastidieux car finalement il n'y a que la construction de l'accords qui est écrit, et pas l'accord lui-même...mais on s'y fait.
Raphaël Raymond, Compositeur, Arrangeur, Guitariste : http://www.raphaelraymond.fr
_d j a n g o
L'exemple du CM7/E m'embrouille un peu car si je prends un accord de CM7 et que je remplace la fondamentale par un mi, j'obtiens un E mineur tout bête.
Résultats du questionnaire écolo :
RaphRaymond
Raphaël Raymond, Compositeur, Arrangeur, Guitariste : http://www.raphaelraymond.fr
RaphRaymond
Je vais surtout parler du piano parce qu'improvise à la fois la mélodie et l'harmonie.
Finalement je théorise très peu quand j'improvise, je pars sur une tonalité, une gamme, je commence par des grilles simple, du I-IV-V plus ou moins enrichi selon le style et l'envie et je fais des phrases à la main droite. Je décide des notes à l'oreille, en fonction de la dernière jouée, ou en fonction de l'accord. Je ne raisonne pas du tout en fonction harmonique ou avec le nom des notes. Ca me vient peut-être de la guitare ou on joue plus des "positions types" que des gammes remplie des notes plus ou moins # ou bémol... Au piano on peut pas faire autrement.
Mais si je devais théoriser, je dirais qu'a la main gauche je raisonne ne degré (donc du relatif). Dans une certaine gamme je me dis d'abord que je veux jouer un II et après je vais trouver à quelle note correspond ce II (un ré mineur quand on est en do majeur par exemple).
A la main droite aussi je raisonne un peu de manière harmonique, je perçois les notes de la gamme comme une echelle de son, avec une couleur différente par barreau, mais qui change selon l'harmonie... Je pense que, "jazz" ou "classique" on improvise tous plus ou moins comme ça...
Raphaël Raymond, Compositeur, Arrangeur, Guitariste : http://www.raphaelraymond.fr
alpiso
L'exemple du CM7/E est bien choisi pour appuyer l'histoire de quinte ou de base de l'accord.
Je partage l'avis qui est de dire que CM7/E et Em6, même s'ils "sonnent pareil" n'auront pas la même signification. Et puis, attention, lorsque djangologiste dit vouloir changer la fondamentale On change dans ce cas-là l'appui de l'harmonie (du chorus).
D'ailleurs, en éclatant (accord=> Guitare, basse=> Basse) l'accord, on aura tout autre chose.
A ce sujet, je pourrai citer le fameux "Aria" de Bach (qui a été repris à différentes sauces) dans lequel on part d'un D majeur avec une basse qui descend (D, C#, B, etc...)
Je pense qu'il est bien clair d'avoir à l'esprit qu'il s'agit d'une descente de basse et non pas d'une réécriture de l'accord de manière "classique". A chiffrer, ca va faire beaucoup de rajout derrière le D
Alors, je ne connais pas assez bien mes "classiques" pour critiquer (constructivement) cela, mais ne s'agit-il pas d'un "chorus" quelque part?
Je reste aussi avec l'idée préconçue que les "classiques" ont du mal à "improviser". Cela étant, quante jes les entends parler de "resolution", "d'aller vers la sensible", c'est un peu du charabia pour moi car, je dirais que je mets tel accord ici, tel autre là, car ca sonne bien.
Mais, nul doute qu'ils sauront (de part leur théorie) harmoniser au mieux une mélodie
Enfin, je dirais que j'ai la nette impression que les "classiques" "vont à l'essentiel" alors que les "jazzeux" ajoutent (sans cesse) des enrichissements.
ur-quell
Anonyme
FaLalAsol(G)
Anonyme
D'abord, il est évident pour moi que les classiques, du moins certains d'entre eux, savent improviser. Mais leur improvisation est, me semble-t-il, davantage construite sur des conduites de voix que sur des structures verticales et cela même s'il est toujours possible d'harmoniser ces conduites de voix. En plus clair, il me semble que le classique improvise de façon multilinéaire sans contrainte pour la verticalité, contrairement aux jazzeux. Je propose même que l'atonalité s'est, d'une certaine façon, inspirée de ce mouvement d'improvisation.
Lorsque vous demandez à un classique d'improviser, il ne sait rien de ce qui va dicter son discours puisque la verticalité n'est pas figée, contrairement au jazz. Il a beaucoup plus de liberté en un sens, mais il ne sait pas comment utiliser cette liberté dans un chemin balisé par une grille, une cadence, une structure figée à l'avance. C'est un peu caricatural mais j'ai quelques expériences avec des musiciens venus du classique et c'est généralement dans le free jazz qu'ils se sentent le plus à l'aise Ce n'est pas une boutade. Le jazz en France, par exemple, si je fais exception de la période Boris Vian, s'est largement implanté grâce au free jazz qui, bizarrement, leur paraissait plus accessible. Leur formation classique à la base, je pense, n'est pas étrangère à ce choix de style.
Concernant l'accord CM7/E, je redis que lorsqu'on le trouve noté ainsi sur une partoche, c'est qu'on insiste essentiellement sur la conduite de la basse pour les instruments d'harmonie comme un piano ou une guitare. Il ne doit pas être pensé comme un Em(b6) dans la conduite d'un chorus mais comme un CM7. Du reste, dans un chorus, en dehors d'un contexte modal, les accords doivent être pensés en relation les uns avec les autres. Il est donc important que ceux-ci soient correctement écrits. Ce n'est pas toujours le cas. Par exemple, si j'écris la suite d'accords suivants : Gm6 | Bb°| Dm7, je n'aide pas beaucoup à construire un chorus même si c'est les accords que je joue. En réalité, il s'agit d'un II/V/I mineur où le Gm6 est un Em7b5, le Bb° un A7b9 et avec le Dm7 inchangé. Un classique aurait peut être pensé Gm6 avec les notes sol, sib, ré et mi et se serait peut être lancé sur une improvisation en Gm6. Il aurait ensuite attaqué le Bb° avec une gamme de Berta en Bb et fini sur le Dm7. En fait, s'il ne s'était pas attaché à l'écriture mais au fond, il aurait simplement attaqué le Gm6 et le Bb° comme un II/V du mineur harmonique en D et fini sur le Dm7 en minorant la 7ème et c'était bon.
Anonyme
Citation : Enfin, je dirais que j'ai la nette impression que les "classiques" "vont à l'essentiel" alors que les "jazzeux" ajoutent (sans cesse) des enrichissements.
Je ne partage pas ton analyse pour les raisons que j'ai données dans mon précédent post. Dans le cadre d'un chorus jazz, l'essentiel est bien de respecter la grille. Mais le respect de la grille implique qu'elle soit correctement écrite. Pour des musiciens de base classique, un accord plaquée avec les notes dans un certain ordre est différent de ses différents renversements. Ce n'est pas du tout le cas en jazz. Mais un jazzeux saura (s'il a quelques bases d'harmonie, bien sûr) trouver le bon enchaînement, en particulier sur les structures tonales des standards. Je rencontre souvent des grilles écrites par des guitaristes qui font des tonnes de renversements et qui prennent les renversements comme des accords avec la fondamentale à la basse. C'est illisible. C'est illisible parce qu'ils sont attachés à la forme de leur grille ou à leurs voicings alors qu'il faudrait simplifier au maximum. Pour moi, aller à l'essentiel, c'est partir du complexe pour aller vers le simple. Il faut bien reconnaître que certains jazzeux font exactement l'inverse. Mais ce sont en général des jazzeux à mentalité européenne, avec un goût très prononcé pour l'esbrouffe et peu de souci pour un travail collectif.
Edit : Par exemple, pour un bassiste, avoir une grille construite sur des renversements est une galère. C'est injouable. De plus, c'est une véritable source d'erreurs de construction.
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