Ambient Music, mondes imaginaires et voix de l'éther

1000 fragments était une plongée abyssale au cœur du son. Ça a été une vraie expérience pour moi à l'époque quand tu l'avais présenté. En fait je dirais que c'est le sas d'entrée nécessaire si on veut bien appréhender la musique d'Ikeda. Je pense que ces musiques demandent un certain détachement et un certain isolement. Si nos oreilles sont forgées à un certain style trop particulier elles seront durement mis à l'épreuve. Je vais écouter les albums que tu cites.

Ikeda me fait penser à Alva Noto dans son approche du son. La musique semble nous dominer, en tout cas elle parait jouer avec nos oreilles. Y'a deux ans j'ai lu tout 1984 de Orwell avec l'album Xerrox de Alva Noto dans les oreilles, la nuit, à la seule lumière de mon MP3. Mon interprétation était que l'ambiance de cet album collait parfaitement à l'ambiance totalitaire du roman sans que j'arrive à l'expliquer. Un peu plus tard je tombais sur un morceau de Alva Noto intitulé... 1984.

77 million paintings

Vidéo issue du DVD 77 million paintings de Brian Eno. Il s'agit de peintures génératives. Autrement dit le programme est censé pouvoir générer 77 millions de motifs différents. Quand j'ai découvert le concept de musique générative ça m'a paru vraiment excitant. Ce concept est transposé ici de façon visuelle. Quant au son qui y est adjoint, je ne suis pas sur qu'il s'aligne sur le même concept, d'ailleurs je ne crois pas que cela est possible sur les supports proposés aujourd'hui.

A l'avenir, la technologie aidant, on pourrait voir ce genre de projets aboutir en Infinite paintings.

ca n'a rien d'innovant techniquement... La scène demo et autre bidouilleurs programmeurs ont mis au point des programmes générant aleatoirement image et son dés les années 80, soit en partant de données concrêtes (comme générer du son a partir d'une image prise en direct, ou l'inverse) ou en utilisant des routines au hasard a partir de paramètres quasi infini. C'est un peu de la branlette cette affaire, du moins ca a rien de scotchant a notre époque...  

C'est vieux comme les écrans de veille oui, Eno s'inspire directement de cela. Cependant personne n'a encore songé à l'exploiter de façon artistique il est là le parti pris. Si tu as d'autres exemples à proposer ça m'intéresse.

Personnellement je regrette que les motifs soient aussi vulgaires. J'aurais aimé quelquechose de plus abstrait ou plus travaillé tant au niveau des motifs que des couleurs.

Dans le genre infini il y a les magnifiques économiseurs d'écrans "Electric Sheep" dont voici le principe

Citation :

Lorsque l'écran passe en mode veille, va se connecter à un serveur chargé de gérer le calcul partagé entre les utilisateurs pour générer des formes fractales animées (flames) appelées "sheeps" qui sont ensuite transformées en fichiers mpeg d'environ 4,5Mo chacun.

 

Dès qu'un "sheep" a été entièrement généré, il est transmis à tous les utilisateurs sous sa forme mpeg et stocké sur le disque dur (~/.sheeps par défaut). Il est en même temps lu et affiché comme screensaver.

 

Il continue bien sûr à participer au calcul partagé d'un autre "sheep" qui rejoindra bientôt le troupeau dans votre répertoire et sera lu à la suite du précédent sans qu'il soit souvent possible de voir le passage de l'un à l'autre...

Quelques exemples

Je découvre "Xerrox vol2" de Alva Noto, de l'ambient d'une très grande beauté pour ce qui me concerne.

Citation :

Cependant personne n'a encore songé à l'exploiter de façon artistique il est là le parti pris. Si tu as d'autres exemples à proposer ça m'intéresse.

 https://www.google.fr/search?hl=fr&q=music+random+generate&aq=f&aqi=&aql=&oq=&gs_rfai=

pas mal d'artistes underground en ont fait leur marque de fabrique, que ce soit en production ou en live notament dans le cadre de demoparty. Mon cousin par exemple avait élaboré un programme permettant de générer des phrases musicales a partir de prises webcam, basé sur la reconnaissance des couleurs et des mouvements... Bref ca existe.

je pense notamment aux démos 4 et 64ko, qui utilise justement les calculs pour générer (aleatoirement ou nom) l'ensemble des données graphiques et parfois musicales. On doit retrouver aussi des expériences similaires dans les travaux de l'IRCAM.

Il y a aussi "Metasynth" de Metacreation (Bryce) qui produit de la musique à partir de n'importe quelle image, enbfin à l'époque on mettait une image, l'applic la "scannait" et rendait un résultat audio. Je ne connais pas les nouvelles versions.

Voici le lien vers les vidéos de démo.

EDIT: La première vidéo est très explicite.

Quand je dis que personne n'a songé à l'exploiter je voulais parler de produit fini, donc non expérimental et exploitable directement par l'utilisateur qui n'aura plus qu'à insérer le DVD dans son lecteur à la manière de quelqu'un écoutant simplement son CD. Je crois que c'est plutôt rare et peut être que cela demande un certain budget. La vraie évolution, si je peux parler en ces termes, c'est que ce concept se commercialise et que chacun ait chez soi ses propres tableaux et Eno semble avoir franchi le pas. Son album Discreet Music de 1975, inspiré des travaux de Steve Reich, reposait sur ce concept mais evidemment le support CD ne permettait pas de l'exploiter de façon optimale. Il fît seulement office d'expérimentation à l'époque.

Personnellement ça ne me branche pas d'avoir ça sur mon pc. L'idéal pour moi ce serait un rétroprojecteur sur lequel on projetterait ces motifs à la manière des grands tableaux classiques dans un environnement savamment sonorisé.

Concernant Xerrox 2 je ne l'ai pas encore écouté mais le premier était assez déroutant. J'aime bien les pochettes de Alva Noto, elles identifient bien sa musique.

que tu insères un DVD ou que tu installes un programme, je vois pas trop ou est la différence.

Citation :

L'idéal pour moi ce serait un rétroprojecteur sur lequel on projetterait ces motifs à la manière des grands tableaux classiques dans un environnement savamment sonorisé.

 Bin justement, va a une demoparty la prochaine fois qu'il y en a une près de chez toi...

Justement, l'approche sensorielle et le ressenti n'est pas du tout le même. Je veux être passif face à cela, faire d'autre choses à coté par exemple que d'être devant mon petit écran de pc en train de regarder ces motifs ou me déplacer à une demoparty. Pour les demoparty je ne sais pas comment cela se présente mais c'est quelquechose que tu partages avec des autres gens et ou tu dois te déplacer à un temps précis pour pouvoir en profiter. J'aimerais être seul, pouvoir en profiter quand je le veux et sur une durée que je déterminerais moi même le temps que je lise un bouquin ou que je dessine. Qu'il s'intègre dans mon environnement mental personnel dans un lieu déterminé équipé pour.

Je pense qu'il est encore trop tôt pour vraiment profiter réellement de ce concept. Cela demande un équipement trop onéreux. En tout cas dans la façon ou je l'envisage.

Bon c'est vrai que ça fait un peu bourgeois dans l'altitude...

heu en fait tu veux regarder une oeuvre sur un ecran géant en faisant des crêpes a coté?

Effectivement tu tiens un concept loool

J'avoue je suis plus trés bien ou tu veux en venir...

Ça pourrait se faire. Mais pour cela de la musique suffirait comme ça réclame beaucoup d'attention, ça s'intitulerait Music for Cooking. Des fois j'ai des idées qui me passent par la tête du genre quel pourrait être la musique pour une partie d'échec ou pour un cabinet de dentiste ou pour un cabinet tout court... Les amateurs d'ambient sont souvent des artistes peintres, plasticiens ou gravitent dans cet univers. C'est plutôt plaisant de baigner dans un univers coloré qui s'autogénère pendant que tu es occupé à quelquechose d'autres. Ce sont pas des motifs qui se regardent comme des œuvres d'art, là n'est pas leur fonction. La leur est plutôt ornementale.

Je suis en train de me poser la question de savoir s'il existe un site qui laisse libre cours aux avis du public sur des albums de musique. A savoir une base de données avec des milliers d'artistes et d'albums référencés ou chaque utilisateur peut laisser un avis, en discuter sur un forum, livrer des secrets sur sa production, etc...

J'ai toujours trouvé les chroniques de disques arbitraires du fait du point de vue unique de son auteur.

J'ai appris il y'a peu que Hassell avait prêté sa trompette sur la musique du film Birdy (morceau Sketch Pad with trumpet and voice à 2'45). Je vous conseille par ailleurs ce film magnifique de Alan Parker.

Le dernier album de Wil Bolton, Time Lapse, est une tuerie

Bon j'arrive pas à intégrer une vidéo, vlà le lien.

https://www.youtube.com/watch?v=OYGx1SwJDMM

En effet, très beau!

Pour ma part, je suis contaminé par cette découverte:

A bientôt

Xa

Excellent ce petit passage, très aéré. Des couleurs légères viennent en tête.

Nappe océanique sur l'album de Dennis Wilson "Pacific Ocean Blue"

Absolument  énorme ce Wil Bolton, thank you sir..

David Toop cite Philip K.Dick, Erik Satie, Thomas Pynchon, comme précurseur d'une musique d'ambiance avant sa théorisation par Brian Eno. Ce dernier affirme que cette idée avait déjà été utilisée par la société Muzak aux Etats-Unis dès les années 30 en vendant des programmes musicaux (nommés cycles) destinés aux sociétés employant des travailleurs livrés à des tâches plus ou moins pénibles. On estimait que la musique avait des vertus positives sur elles, donc des bénéfices au final économique. La Muzak va ainsi au fil du temps accompagner l'évolution économique-industriel du XXème siècle et servir d'anti-douleur à une société en prise avec un monde de plus en plus mécanisé (ascenseurs, répondeurs téléphoniques), bruyants (transports en commun, urbanisation) et assujeti à la consommation (centres commerciaux, supermarchés). La Muzak va remplir en réalité un rôle d'humanisation de ces espaces.

La conception artistique établie dans les années 70 n'est que la dérive de ce même processus si l'on repense à
l'anecdote de Eno qui en eut l'idée à partir d'une chambre d'hôpital. Pour la première fois, une personne déviera les bénéfices de Muzak pour lui même en proposant un niveau d'écoute à une échelle non plus sociale mais individuelle.

Cela en employant les moyens de productions fleurissant (multiplication des outils de créations studio, démocratisation de la platine vinyle, rallongement de la mémoire avec le CD, apparition du walkman etc...) et en appliquant une théorie qui servira de ligne directrice à un courant musical qui pouvait déjà être constaté dans le contexte de l'époque (psychédélisme des années 70, immersion dans le médium musical via l'électronique).

Ainsi Muzak deviendra Ambiant, l'ascenseur se fera salon (ou lit) et le casque remplacera le haut-parleur. La musique n'est désormais plus une œuvre exclusive et collective mais un environnement personnel nomade et programmable pour le citoyen devenu consommateur de cet anti-douleur.
Si la rentabilité se faisait autrefois au profit d'une société au nom d'une pénibilité réelle, elle se fera désormais au bénéfice d'un individu et de majors au nom d'une œuvre artistique.
S'il diffère effectivement dans la forme (multiplication des courants et des timbres), son caractère demeure dans le fond presque inchangé. L'Ambiant qui ne vise pas l'émotion apparait, en marge des autres courants musicaux, comme une musique thérapeutique (l'orchestre joue toujours quand le Titanic coule) se dispensant d'une écoute attentive (deux niveaux d'écoute) pour mieux s'intégrer à un environnement (on parle de musique d'ameublement). La première œuvre de Brian Eno, Music for Airport, se veut une œuvre rassurante pour des gens censés prendre leur avion. L'aéroport engendrant un sentiment de peur légitime, il demeure un des postes essentiel d'une musique qui cautionne l'idée du progrès en masquant ses aspects de plus en plus violents.

Historiquement cette musique s'est vue donc remplir deux fonctions:

- Rassurer superficiellement dans un premier temps l'individu au sein des masses et du salariat dans un modernisme source de malaise et de solitude.

- Capitaliser dans un deuxième temps, par l'intermédiaire du marché du disque, l'espace-temps du repos et du loisir ou l'Ambiant trouve sa source pour être consommé.

La première demeure la condition sine qua none pour l'essor de la seconde, la seconde trouvant sa justification dans la première. Ainsi l'Ambiant est il le signe ultime d'une musique qui a perdu tout caractère sacré et émotionnel à l'image du régime qu'elle dessert et qui l'a vu naitre.

Une "amusante" controverse..

Le compositeur et écrivain canadien R. Murray Schafer a mis en doute la validité de la prétention de Muzak de « masquer » des sons moins attrayants comme ceux de la machinerie des usines ou le brouhaha des supermarchés. Il considère l'ubiquité croissante de cette musique qu'il appelle ironiquement « Moo-zak » comme une invasion de l'intimité et une négation de la liberté de choix. Il voit également en Muzak le germe d'une atrophie générale de la sensibilité esthétique par l'inévitable exposition à un semblant de musique qui pourrait rendre les sujets non prévenus de moins en moins réceptifs aux expériences d'écoute consciente, non seulement de la vraie musique et de celle qui divertit, mais aussi de l'environnement naturel.