Editorial du 15 octobre 2016 : commentaires
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Los Teignos

« La Peopolisation, c’est une manière de faire diversion… c’est dire : « parlez de moi », comme ça on ne parle de ce que je fais ou je ne fais pas. »
Ce qu’il y a d’amusant comme de consternant avec cette citation, c’est qu’elle sort de l’émission Une ambition intime qui, dans le sillage des talk-shows autrefois pratiqués par Ardisson et Karl Zéro, vise précisément à peopoliser les candidats à la prochaine présidentielle, quel que soit leur bord. L’idée, c’est de découvrir les hommes et femmes qui se cachent derrière Nicolas Sarkozy, Arnaud Montebourg, Bruno Le Maire et Marine Le Pen, comme une façon de démarrer la campagne sur un registre émotif plutôt qu’idéologique parce que bon, hein, les idées, la politique, tout ça, c’est pas ça qui va faire tweeter dans les chaumières…
À mi-chemin entre le Fréquenstar de Laurent Boyer et le En aparté de Pascale Clark, l’animatrice Karine Le Marchand y sert ainsi la soupe avec toute la servilité et l’obséquiosité qui convient, dans un spacieux et lumineux appartement parsemé de photos de l’intéressé, tandis que toutes les cinq minutes, dès lors qu’on évoque un disparu ou un moment un peu dur de la vie du candidat, une reprise acoustique d’un standard pop vient conférer à l’ensemble une ambiance intimiste ou poignante : on a ainsi droit à du Tracy Chapman ou du Radiohead, au Tears in Heaven de Clapton comme à Antony Hegarty reprenant Knocking on heaven’s door, histoire de créer cette empathie avec cet homme qui n’a pas eu de père ou cet autre dont l’enfant est né prématuré, ou encore cette femme qui a été privée de Pif Gadget dans son enfance, histoire surtout que les téléspectateurs développent la même sympathie pour cette brochette oligarchique que pour les participants de n’importe quelle émission de télé-réalité, en attendant de pouvoir voter par SMS pour décider qui doit sortir ou rester dans le loft présidentiel. Et l’émission de conclure d’ailleurs, avec une légèreté qui fait froid dans le dos, que « ceux qui ne voteront pas ne pourront pas râler pendant cinq ans. ». J’insiste : c’est un sommet de télévision de bout en bout, au point qu’on espère bien voir Karine décrocher un prix Nobel de Chimie pour ce fameux mélange, ce qui n’aurait rien de très saugrenu vu que Barrack Obama avait décroché le prix Nobel de la Paix dix jours après avoir envoyé 30 000 hommes en Afghanistan et que Bob Dylan vient de recevoir… le prix Nobel de Littérature !
De fait, vous ne m’en voudrez pas de remettre à mon tour des prix Nobel : celui du vieux synthé de la semaine à l’Oberheim OBX (Jump de Van Halen, c’est lui, Sweet Dream d’Eurythmics, c’est encore lui, 99 Luftballons de Nena, c’est toujours lui), celui du casque audio de la semaine à l’Audio-Technica ATH-R70x, celui du plug-in de la semaine au simulateur d’ampli Destructor de Blue Cat Audio et enfin l'interview du multi-instrumentiste de la semaine à Dan Lévy, la moitié de The Dø.
Sur ce, bon week et à la semaine prochaine.
Los Teignos
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Los Teignos

Un cinéaste doit-il être reconnu comme un grand romancier ? Après tout, l'un et l'autre, cinéaste et romancier nous "racontent des histoires", non ?
C'est précisément dans cette dérive du sens des mots que je suis mal à l'aise, et c'est là où je ne peux pas suivre ce prix Nobel de Littérature à Dylan, pas plus que le prix Nobel à Bergson, d'ailleurs, la philosophie et la littérature étant des choses diamétralement opposées malgré les buts communs qu'elles peuvent poursuivre. A ce jeu là, le journalisme ou l'écriture de manuels de friteuses rentrera bientôt dans la vaste auberge espagnole de la littérature, et l'on me reprochera de m'en plaindre comme si la désignation d'écrivain, de poète, était quelque chose qui n'était pas lié à la réalité d'une oeuvre,, mais à un droit.
Si le Nobel avait été décerné à un " José Lo Pinto de Almeda " ou à " Tranh N'guyen " tous les médias en auraient fait l'éloge et personne n'aurait trouvé à redire.
Oui, et c'est peut-être cela la fonction d'un prix que de distinguer des génies méconnus de la littérature plutôt que d'enfoncer les portes ouvertes en plaçant des lauriers sur les têtes des césars de disciplines connexes...
(Je n'insiste pas sur le fait qu'historiquement "la chanson" précède la poésie). Pour ce qui est de Gainsbourg, lorsqu'on lui rappelait sa réflexion sur "l'art mineur" il précisait aussitôt "sauf Manon", et "Melody Nelson" et "dépression au dessus du jardin" ( qu'il considérait donc comme majeur). La modestie apparente de sa posture cachait un orgueil immense.
Je connaissais pas ces propos et te remercie de me les rapporter car du coup, je me rends compte que je ne partage vraiment rien avec Serge Gainsbourg.
Vous avez raison mais y a t-il eu un avant et un après Bergson dans la littérature ? Absolument pas, selon moi. Pourtant on lui a remis le prix nobel de littérature en 1927. Pourquoi? parce qu'il y a eu un avant et un après Bergson dans la Philosophie et qu'il a donné une dimension littéraire à celle ci. Pourquoi remet on un prix Nobel de littérature à Dylan? Parce qu'il y a eu un avant et un après Dylan dans la chanson et qu'il a donné une plus grande dimension littéraire à celle ci.
Comme dit plus haut, je ne suis pas plus favorable au prix Nobel pour Dylan qu'à celui pour Bergson, malgré toute l'estime que je peux avoir pour l'un ou pour l'autre. Le fait que certains philosophes aient joué plus que d'autres sur la fonction poétique dans leur texte (fonction poétique qui est inhérente au langage, au point qu'on pourrait même faire une lecture littéraire de Kant...) ne fait pas pour autant de leurs oeuvres des oeuvres littéraires.
L'un des pires effets du nivellement culturelle est qu à force de méfiance et d'esprit critique, on finit par tomber soi même dans ce que l'on dénonce: un petit gars de notre sérail= Dylan,
Wahrol=Jacques Séguéla
Je ne crois pas être un adepte de la méfiance et si je parlais du petit gars du sérail, c'était surtout pour souligner le fait que les musiciens et paroliers se réjouissent de ce prix. Et c'est bien normal, c'est une forme de reconnaissance pour un art qui n'a de reconnaissance que celle des ventes de disques et de la popularité, sans avoir de reconnaissance du monde de la musique ou de celui de la littérature. Je le redis toutefois : quitte à honorer les paroliers, il aurait été plus juste de créer un prix Nobel rien que pour cela.
Quant à Warhol et Séguéla, je persiste et signe en toute bonne foi ma comparaison, Andy Warhol n'ayant jamais été pour moi qu'un publicitaire qui s'est fait passé pour un artiste. Je ne crois pas avoir vu plus grand faussaire dans toute l'histoire de l'art : je peux bien lui reconnaître ça.
Je ne vais pas considérer Dylan comme mineur sous prétexte qu'il s'est exprimé dans un domaine dit "de variété".
Il ne me semble pas qu'il faille le considérer comme mineur car à bien des égards, son oeuvre a été plus déterminante pour les hommes du XXe siècle que celle de la plupart des poètes... mais ça n'en fait pas un poète pour autant. Et j'entends bien que l'élitisme d'un jugement ne garantit en rien sa pertinence, mais sa popularité non plus : à l'époque de Galilée, la quasi totalité des terriens pensaient la terre plate. Le fait que la majorité pense que Dylan mérite son Nobel ne signifie pas qu'ils aient raison non plus. D'ailleurs, il me semble qu'en matière de sciences comme d'art, la majorité a presque toujours eu tort contre l'élite. Et qu'on sent bien qu'il y a de cela dans le débat autour du Nobel de Dylan : "on en a marre de ces élites dont les oeuvres élitistes sont incompréhensible, Bob Dylan, lui, il parle comme nous". C'est en cela que je le ressens, sinon comme un choix populiste, du moins comme une volonté de créer un événement populaire autour du Nobel. C'est sûr que là, ça tweete et ça like.
Mettons qu'elle consiste "a donner un sens plus pur aux mots de la tribu"Mallarmé.
Le problème à ne rappeler que cette seule citation comme définitoire de la poésie, c'est qu'elle pourrait s'appliquer à la rhétorique politique comme philosophique, ou même à tout type de discours. Que les paroles de Dylan répondent à cela, comme n'importe quel texte de Kant ou discours de François Hollande ne prouve donc rien.
La poésie devient musique, le poème tableau, la clarinette de mozart devient un chant d'oiseau, le tableau devient une photo (hyperréalisme), la photo un tableau (man ray), un film de Bresson devient "les pensée de pascal" (selon Godard) etc
Même si pour moi le rapport à la Mimesis d'une clarinette qui devient chant d'oiseau n'est pas selon moi à mettre sur le même plan, on peut parler de ce devenir des arts : quand la poésie cherche à devenir pure musique comme avec Hugo Ball, on est face à une oeuvre dont le seul et maigre intérêt est de se tenir à la frontière d'un Art, au point de plus appartenir totalement à ce dernier sans appartenir à celui qu'elle convoite. Et il n'y a rien à en dire que : ça, c'est fait.
Je cite le gars pour que vous voyez de quoi il retourne :
"te gri ro ro gri ti gloda sisi dül fejn iri
back back glü glodül ül irisi glü bü bü da da
ro ro gros dülhack bojn gri ti back" etc., etc.
Hugo Ball, 1917
Qu'en dire si ce n'est que ça n'a rien d'intéressant d'un point de vue poétique (en dehors de la démarche) et que ça n'a rien de très intéressant musicalement. Dans la conciliation des deux, l'hybride chanson est autrement plus convainquant.
Voyons encore les logogrammes de Dotremont :
Loin de moi de dire que ça n'avait pas à être fait, que ce n'est pas intéressant. Mais c'est une voie sans issue, comme la métaphore surréaliste en fut une au point de faire exploser le bienfondé esthétique du mouvement.
Du coup, selon moi, il y a bien une frontière entre les arts, et un romancier n'est pas un cinéaste, un poète n'est pas un peintre ni l'inverse. Je ne refuse pas à un homme d'être tour à tour peintre, poète, musicien, hein, mais son oeuvre ne sera jamais à la fois peinture, littérature et musique, ou alors elle rentre dans les hybrides dont nous parlions et avec lesquels le Nobel n'a rien à voir. Quant au rapport entre la photographie et la peinture, il est le même que celui de la musique et de la poésie avec la chanson : il y a un lien fort entre les deux arts parce que la photographie a tiré une énorme partie de son vocabulaire de la peinture : le cadre, la composition, la couleur (en amenant ses propres problématiques et potentialités aussi, évidemment). Pour autant, il me semblerait stupide, si un prix Nobel de la peinture existait, qu'il soit remis à Man Ray. Tout comme il me semblerait stupide qu'un peintre photoréallste reçoive un prix de photo. Ce serait de mon point de vue nier ce qu'ils sont et ce que sont leurs oeuvres.
Amicalement
Ben moi aussi, tiens, même si ce serait plus agréable de faire ça devant un coca, une bière fraiche ou un vieux whisky.

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[ Dernière édition du message le 16/10/2016 à 23:35:24 ]

patrick_g75

Le poète organise des mots ; des significations textuelles ; de la parole.
(On peut varier à loisir sur ce thème.)
Que les mots aient une existence sonore, c'est "trivial", comme on dit chez les mathématicens. Tout le monde peut jouer avec ces valeurs sonores (le poète, le romancier, le tribun, le rappeur, le slammeur, le chanteur de toutes époques, et d'ailleurs vous et moi, quand ça nous chante).
Si vous pensez que la musique est le devenir, à venir, du poème... que la photographie est celui de la peinture (ou le contraire ? )... qu'une chanson de Dylan est un avatar de la ritournelle préhistorique (pourquoi pas ? qu'en saurons-nous ?)... etc.
Si telle est votre thèse, cela ne me révolte pas plus que ça, à vrai dire : c'est seulement, de mon point de vue, insignifiant.
Nous pouvons donc en rester là, sauf au risque de l'embourbement réciproque.
"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
http://patrickg75.blogspot.fr/
https://patrickg.bandcamp.com/
[ Dernière édition du message le 16/10/2016 à 23:06:10 ]

dave009

Los teignos, je préférerais également poursuivre autour d un verre. J ai suffisamment écrit et le week end touche à sa fin.
Nous aurions pu parlé des glossolalies d Artaud qui sont bien plus réussi que celle d Hugo ball. (On peut trouver Artaud lamentable quand il pousse le langage jusqu'a sa limite pour qu'il se confonde avec un cri. Michel Foucault, Derrida, Deleuze, Badiou eux, ont trouvé ça passionnant...)
On aurait pu débattre autour le l'article d'Aragon sur "Pierrot le fou" ou il explique (je le cite de mémoire) que "Godard c'est Delacroix" et ou il développe sur l'importance de l'usage du rouge dans le film dont il parle comme d'un tableau.Un tableau en mouvement mais un tableau quand meme...(la encore,n'y voir qu'une métaphore est réducteur...)
Nous aurions pu parlé du choix des élites qui décernèrent le prix Goncourt aux "loups" plutôt qu au voyage au bout de la nuit...
j aurais pu une enieme fois cherché à explicité ma pensée au sujet de la perméabilité des arts
(Au fait, la poésie qui est constitué de la musique et du rythme des mots (ça ne doit pas être si trivial que ça puisque Verlaine souligne l'importance de la chose) mais également de leur sens, est elle également un art hybride??! )
J aurais pu également répété que la reconnaissance de la valeur littéraire des textes de Dylan etait également créatrice de valeur (Savoir qu un texte de chanson peut être reconnu comme de la littérature permet d évalué ce qui n en est pas...Ainsi, il ne va plus de soi d'écrire de la m... sous prétexte que ce n'est qu'une chanson).
Et répété que ce sont le mêmes critères esthétiques qui président à la reconnaissance de la valeur littéraire d'un roman et à celle du texte d'une chanson et ce bien que leur finalité diffère et que ce qui singularise une chanson ce trouve dans son rapport à la musique... Il n'empêche!!!! le texte en tant que texte participe d'une écriture ayant une finalité esthétique.Ceci le fait rentré dans la définition de ce que l'on considère depuis le 18eme siècle comme de la littérature. Mais j ai trop écrit et j ai les doigts endolori. Je vous souhaite donc une bonne fin de soirée et espère que nous aurons l occasion de passer de l écriture à la parole. Il n y a entre les 2 qu une différence de degrés. Comme entre un texte écrit et un texte chanté.
[ Dernière édition du message le 17/10/2016 à 11:46:45 ]

Bilbo0298


patrick_g75

Patrick, j ai défendu longuement ma "thèse". Quelle est la votre?
Je vous accorde, Dave009, que, lorsque vous défendez, vous défendez « longuement »…
Peut-être, alors, pourriez-vous aussi distraire un peu de ce long temps que vous consacrez à vous exposer, pour – un peu – comprendre ce que j’écris ? D’autant plus que je m’efforce de ne pas faire trop long. Mais, justement, peut-être suis-je trop rapide ?
Le principe de ma « thèse », je l’ai déjà au moins une fois exposée ici, mais c'était en trois lignes.
« Le grand artiste n'est pas celui qui "repousse les limites" de son domaine, pour qu'il se confonde avec d'autres, mais celui qui le creuse au plus profond... qui veut y habiter, pleinement. »
Qu’après cela, vous ayez jugé bon de ne retenir que la moitié de ma proposition, pour vous donner l’occasion de faire des jeux de mots déplacés (« creuser sa tombe, s’embourber »), c’est votre problème.
*
Que les mots aient une existence sonore, non seulement c'est "trivial", mais que vous insistiez encore sur la déclaration de Verlaine, comme s’il nous avait ainsi découvert le grand mystère ultime de la poésie… Bof !
Tout le monde, depuis que le monde est monde, a remarqué que prononcer des mots, ça faisait comme des bruits, dont la « couleur », la durée, etc., pouvaient être caractérisés, et qu’ils pouvaient en conséquence avoir un usage sonore (et en particulier rythmique) assez expressif, une fois maniés par ceux qui sont doués d’une certaine sensibilité et de certains talents pour les mettre en ordre.
Tout ce que professe Verlaine, c’est une prédilection personnelle pour cet usage dans sa pratique poétique littéraire. Mais, bon, si vous ne comprenez pas le caractère métaphorique de sa déclaration… Qu’y puis-je ? Et, après tout, c’est inoffensif pour l’entourage.
*
Mais, notre petit échange n’aura pas été sans intérêt pour moi, me conduisant à m’éclaircir le fond de ma propre pensée – qui, d’ailleurs, ne m’est pas propre…
Mais avant, il faut s’entendre sur un lexique. D’abord, je crois à une « unité » du monde de l’art. Je crois que, au-delà d'usages sociaux de toute évidence assez différents, selon les besoins des époques, l’humain a, de tous temps, une appréhension de l’existence, celle du monde qui l’entoure, et la sienne propre, qui crée une tension d’une certaine nature, et que celle-ci trouve une part de résolution dans ce qu’il est convenu d’appeler l’art.
Cependant, malgré cette unité essentielle, il y a bien « des arts », et tout d’abord dans le sens où il y a « des métiers » : il est évident qu’il y a des pratiques distinctes, en fonction du matériau requis (les formes colorées, les bruits musicalisés, les volumes solides, les mouvements du corps, etc.), et en fonction des processus mis en œuvre – disons, des techniques, dans le sens le plus général. C’est ce que j’ai appelé les « domaines ». Mais, par commodité, puisque c’est un usage établi, continuons d’appeler « les arts » ces réalités ainsi distinguées.
A quoi penserons-nous spontanément ? La musique, la poésie, la peinture… La peinture ? Ah, si nous nous référons à l’Antiquité (qui semble ici devoir peser d’un poids particulier, selon les besoins de vos démonstrations), et bien non, pas la peinture. Aucune des Neuf Muses (https://fr.wikipedia.org/wiki/Muses) ne correspond à cette pratique.
Bref, revenons à nous, à notre époque, pour la prendre telle qu’elle est, et nous nous ferons une liste des « arts » qui lui convienne : la musique, la poésie, la peinture, la sculpture, le théâtre, la danse, le roman, le cinéma, la photographie… la chanson !
Etc. Ad libitum.
*
Alors, la thèse ? Une thèse, elle est peut-être, d’abord, dans les questions qu’elle choisit de poser, et dans celles qu’elle laisse à l’écart ? En tout cas, voilà quelques unes des miennes, ici, pour le sujet qui nous occupe :
1 _ Les « arts » ne doivent-ils être distingués les uns des autres que par leur « technique » (matériau / processus) ?
2 _ Autrement exposé : Est-ce que ces distinctions enferment quelque « vérité » existentielle (autre que purement technique) ?
3 _ Est-ce important, en conséquence, de déclarer l’identité de l’art qui a donné lieu à telle œuvre ? Est-ce que ça a une quelconque importance de déclarer que telle œuvre est à comprendre dans tel domaine, et telle autre hors du même domaine ?
...
Je ne suis pas sûr que l’on puisse répondre « en général » à ces questions très générales. En tout cas, moi, j’en suis incapable. Alors, je vais me contenter d’aborder des cas pratiques : photographie / peinture ; le cinéma ; la « vidéo ».
1 _ Je me suis dit, à la suite de notre échange : Je ne reconnais plus la photographie comme un « art » ; c’est-à-dire : comme un art distinct de celui de la peinture.
Démonstration : un « art » doit se distinguer par des moyens propres, qui ne sont qu’à lui. Il peut bien en partager, de ses moyens, avec ceux d’autres domaines, mais il faut qu’il en ait au moins un qui lui soit propre. J’ai pratiqué (et étudié) et la peinture et la photographie, et je ne vois rien que la photographie apporte en propre (par rapport à la peinture). Une image produite par la peinture peut égaler l’aspect de la photographie : la peinture possédait déjà toutes les potentialités (graphiques) de la photographie. En résumé : la photographie n’a rien apporté de nouveau, quant à la nature plastique de l’image. D’ailleurs, si la peinture a pratiqué le trompe-l’œil (bien avant l’invention du procédé de la photographie), nous resterons incapables de « faire un Cézanne » avec un appareil photo. Etc.
(Merci de ne pas évoquer la prétendue « référence au réel » qui serait la marque de fabrique propre à ce procédé… Epargnons-nous cet autre long débat.)
2 _ Le cinéma est-il « un art » ? Oui.
Car il a été par l’invention de deux moyens propres de représentation en mouvement : le cadrage et le montage. Sans doute, il vaudrait mieux dire : un moyen, un seul, nommé le cadrage/montage, l’un n’allant pas sans l’autre, l’un étant la condition de possibilité de l’autre (dans le cinéma). C’est par quoi le cinéma n’est pas du théâtre. (Et pour quoi, en hybridant de façon parfois hystérique le cinéma et le théâtre, certains metteurs en scène – de théâtre – se perdent complètement… Mais c’est une autre histoire.)
Dans le sens de cette démonstration, je pourrais aussi considérer la chanson. Je vois la chanson (je désigne la chanson contemporaine ; je n’ai pas d’enregistrements d’époque des Odes de Pindare…), je comprend la chanson comme un art distinct, parce qu’ayant réussi une hybridation, tout à fait unique, qui lui appartient en propre, entre mots/musique/vocalité. Mais elle n’est, en elle-même, ni proprement de la littérature, ni proprement de la musique, ni proprement du théâtre. Je précise : la « vocalité » désigne le fait que c’est un corps, et pas un autre, qui chante la chanson. Une chanson de Bob Dylan, par exemple, c’est : « un texte de Bob Dylan avec une mélodie composée et des arrangements décidés par Bob Dylan, et chantée par Bob Dylan ».
3 _ La question de la « vidéo » ? Là, c’est quasi une « affaire personnelle » : c’est ma pratique de prédilection depuis quelques années. Là, je suis en pleine hybridation ! Cinéma, musique, graphisme, et même (plus accessoirement pour l’instant), du texte (lu ou écrit)… Et « c’est moi qui fait tout ! »…
Ffffou !
Et j’ai fait des tas de trucs, comme ça.
Et toujours en train de me demander, devant les résultats : "Mais, c’est quoi, ces trucs ?"
*
Mais, c’est sans doute trop « longuement » que j’ai exposé ma thèse ? Alors que, c'est ballot, elle tenait en un mot, je veux dire en une proposition :
Un "art" évolue bien, et réellement, non pas en se mélangeant avec d'autres pour s'y confondre, mais en découvrant, et en mettant en avant, toujours plus nettement, sa spécificité.

"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
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[ Dernière édition du message le 17/10/2016 à 13:58:42 ]

stoper'

Aussi serais-je ravi qu'on lui décerne un prix Nobel de la Chanson s'il en existait un. Mais ça ne me viendrait pas à l'idée de décerner un prix du meilleur peintre à un photographe, ou un prix
Ha bin c’est cette nouvelle époque en construction on avance d’une manière ou d’une autre.
On ne vas pas nominer le meilleur twitte ..
Les bognanov sont des rabatteurs d’idées ,après
c'est un peu comme le souligne le Point, donner le prix Nobel de physique aux Bogdanov
Ou la légion d’honneur à sophie marceau..
K Lemarchand se plait dans les émissions dirons nous, de Merde, après avoir ridiculisé les agriculteurs en les faisant passer pour des attardés libidineux.
Le prix nobel à Bob Dylan c’est en Amérique !

Will Zégal

le tableau devient une photo (hyperréalisme), la photo un tableau (man ray)
Le tableau hyperréaliste ne devient pas une photo pour autant. La photo "virant au tableau", reste cependant de la photo. Lorsque la photo a voulu, à la fois pour se renouveler et pour acquérir le titre d'art qui lui était alors dénié, tendre vers le tableau, ça a donné le pictorialisme, une impasse qui n'a duré qu'une vingtaine d'années et encore, pour une poignée de photographes. On a d'ailleurs tendance à y revenir aujourd'hui avec les horreur du color grading et en courant à fond de train dans la même impasse.
Définissons la musique comme : « l art d'organiser les sons". Le poète avec des moyens qui lui sont propres n’organise pas moins les sons que le musicien.
Sauf que les méthodes pour y arriver et les contraintes de ne sont pas du tout, du tout les mêmes.
Le terrassier comme le jardinier travaillent tous les deux la terre. Ce n'est pas pour autant qu'ils le font avec les mêmes outils ni dans le même but. Si le terrassier peut parfois contribuer à planter des arbres, il y a peu de chances pour qu'il produise des légumes. Ou alors c'est qu'il est devenu jardinier.
comment un art peut-il évoluer?
(Ne pas mourir)
Je pense qu’il peut le faire "en ne restant pas à sa place" et que ç est par le mouvement qui le mène vers "autre chose" qu’il évolue.
Ce n'est certainement pas en cherchant à devenir un autre art que l'art peut évoluer. Comme Los Teignos l'a souligné, autant un art peut se nourrir des apports et trouvailles d'autres arts, autant dès qu'il se met à singer un autre art, il cesse d'appartenir au domaine qu'il cherche à faire évoluer et arrive à une impasse.
« Le grand artiste n'est pas celui qui "repousse les limites" de son domaine, pour qu'il se confonde avec d'autres, mais celui qui le creuse au plus profond... qui veut y habiter, pleinement. »
Voilà.
Le problème de vouloir rendre trop perméables et trop semblables les différents domaines de l'art, c'est que ça conduit à en nier les spécificités et surtout à mettre complètement de côté les moyens utilisés (outils comme pratiques), comme si les arts étaient désincarnés.

patrick_g75

Le terrassier comme le jardinier travaillent tous les deux la terre. Ce n'est pas pour autant qu'ils le font avec les mêmes outils ni dans le même but. Si le terrassier peut parfois contribuer à planter des arbres, il y a peu de chances pour qu'il produise des légumes. Ou alors c'est qu'il est devenu jardinier.
Will, voilà qui est lumineux !
J'ai cherché un émoticône du genre 'j'applaudis des deux mains et des deux pieds pour faire bonne mesure'...
De fait, si le jardinier peut avoir, parfois, un intérêt à connaitre les techniques du terrassement, son truc n'est pas de faire de belles terrasses, etc. En tout cas, bien remuer la pelle pour faire des trous aux bonne dimensions , c'est une chose, et bien choisir la bonne graine à planter au bon endroit au bon moment, c'en est une autre.
... Mais il y a des adeptes du Grand Sage Pierre Dac, qui nous enseigna que
"Tout est dans tout. Et réciproquement."

Pour parler un peu sérieusement : les relations (historiques) entre peinture et photographie sont des plus éclairantes... En effet, il y a eu l'épisode du 'pictorialisme', dont tu as parlé : la photographie essayant de singer les effets de la peinture. (De même, plus tard, le cinéma débutant se contentera de capter du théâtre, avant de penser à ne pas systématiquement calquer la place de la caméra sur la position du spectateur devant une scène...)
Pour en rester à photo / peinture : il y a, à titre peut-être anecdotique (quoique...) le cas Degas. Il est avéré que ce peintre a enrichi son répertoire de "cadrages" (picturaux) en observant le travail des photographes (et en pratiquant lui-même la photographie, d'ailleurs, je crois). Mais c'est comme n'importe quelle expérience humaine (artistique ou non) peut informer n'importe quel travail d'artiste. Degas était peintre, viscéralement. Et c'est pourquoi il était ainsi ouvert à tous les développements possibles de la spécificité de son art.
Ce qui est amusant (mais il faudrait vérifier l'anecdote) c'est de voir Degas, notre peintre, s'adresser un jour à Mallarmé, en se plaignant en ces termes :
" - Ah ! je voudrais tant écrire des sonnets, j'ai plein d'idées ! Mais je n'y arrive pas..."
Ce à quoi Mallarmé répond :
" - Mais, cher Ami, un poème ne se fait pas avec des idées, il se fait avec des mots."
"Le jugement est un outil à tous sujets, et se mêle partout... " (Montaigne / Essais I / chap L)
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https://patrickg.bandcamp.com/

pico

Le tableau hyperréaliste ne devient pas une photo pour autant. La photo "virant au tableau", reste cependant de la photo. Lorsque la photo a voulu, à la fois pour se renouveler et pour acquérir le titre d'art qui lui était alors dénié, tendre vers le tableau, ça a donné le pictorialisme, une impasse qui n'a duré qu'une vingtaine d'années et encore, pour une poignée de photographes. On a d'ailleurs tendance à y revenir aujourd'hui avec les horreur du color grading et en courant à fond de train dans la même impasse.
Cette Peinture Hyperréaliste de Morgan Freeman au Doigt sur i-pad. Est-ce de la peinture ? De la photographie ?
Ou juste une image digitale quelconque ?


Peindre sur un ordinateur, est-ce de la peinture ? Faire de la musique sur ordinateur Est-ce de la musique ?
L’urinoir de Duchamp (ready-made) est-elle une sculpture ou juste un urinoir ?

Les textes de Bob dylan sont-ils de la littérature ? De la poésie ? Des chansons ? Une suite de mots les uns derrières les autres ?

stoper'

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