Développé à la fin des années 70, l’OBX est la toute première réponse d’Oberheim au Prophet-5 de Sequential Circuits. Derrière sa simplicité manifeste se cache un véritable monstre sonore…
Le milieu des années 70 marque l’avènement des premiers synthés analogiques polyphoniques. Oberheim regroupe ses modules SEM par 2, 4 ou 8 et les dote d’un clavier, pour donner naissance aux TVS, FVS et EVS (Two, Four et Eight Voice System), des synthés au son prodigieux. Les plus gros sont dotés de programmes, mais tous les paramètres ne sont pas mémorisés et il faut aligner les modules à la main. En 1978, Sequential lance un synthé polyphonique d’une conception beaucoup plus intégrée, avec des commandes communes aux voix et entièrement mémorisées : le Prophet-5. Oberheim réagit avec l’OB-X, avec une conception différente : au lieu de regrouper tous les circuits analogiques sur une carte commune, il assemble plusieurs cartes voix dérivées du module SEM ; les commandes sont communes et toutes mémorisées. Les deux constructeurs se livreront une dure lutte pendant cinq ans : OB-X, OB-Xa, OB-8 face aux Prophet-5 Rev1, 2 et 3. Personne n’aurait imaginé à cette époque que Tom Oberheim et Dave Smith collaboreraient 33 ans plus tard pour donner naissance à l’OB-6, compagnon de son du Prophet-6 ! Mais pour l’heure, replongeons-nous plusieurs dizaines d’années en arrière pour retrouver l’OB-X…
Gros guerrier
L’OB-X fait partie des synthés analogiques polyphoniques les plus imposants : 105 × 56 × 18 cm. Il est construit comme un tank, tout en métal bien épais. Les flancs vissés en bois plaqué sont cerclés de caoutchouc noir bombé, repris du design de l’OB-1. Il y a eu plusieurs finitions de l’OB-X (petit logo OB-X, gros logo OB-X, puis petit rectangle gris sous les leviers). On pouvait acheter son OB-X en 4, 6 ou 8 voix, montées sur deux paniers superposés. Toutes les commandes sont accessibles en façade, largement dimensionnées et réparties en sections sur toute la surface disponible (manuel, contrôle, modulation, oscillateurs, filtre, enveloppes, programmeur…). L’OB-X est très agréable à manipuler, avec son ergonomie une fonction/un bouton, ses 21 potentiomètres, 39 boutons poussoirs (certains à LED) et 3 interrupteurs (sous les leviers). Les capuchons des potentiomètres sont vissés dans l’axe et les poussoirs ont un clic bien franc. Petite spécificité de l’époque, il faut appuyer sur les touches MANUAL ou EDIT pour que les commandes soient actives. En mode MANUAL, la position des commandes reflète le son. En mode EDIT, il est nécessaire qu’un potentiomètre passe par la valeur stockée pour que les changements s’opèrent.
Sur la partie gauche, on trouve les deux leviers de modulation au fonctionnement bien particulier : le pitch bend est à droite et inversé (il augmente quand on tire vers soi et diminue quand on pousse, comme sur un manche d’avion) ; il peut agir sur 2 ou 12 demi-tons. La modulation est à gauche et aussi inversée (elle fonctionne uniquement quand on tire vers soi) ; elle pilote la quantité de vibrato (LFO commun) sur les 2 VCO ou uniquement sur le VCO1 (débrayage utile sur les synchros). On peut transposer l’ensemble du synthé sur plus ou moins une octave. Le clavier de 5 octaves est de type Pratt-Read statique, très agréable au jeu lorsqu’il est bien entretenu (bus bar nettoyé, contacts redressés et bushings en bon état).
Toute la connectique est située à l’arrière : 3 sorties audio jack (gauche, mono, droite), une interface cassette pour transférer les programmes (entrée/sortie/monitoring), 2 prises pour pédales d’interrupteurs (maintien, avance programmes), 3 prises pour pédales continues (volume, quantité de vibrato, fréquence du filtre), 2 entrées/2 sorties CV/Gate assignées à la première voix, un interrupteur secteur et une prise IEC 3 broches. L’alimentation interne fonctionne en 115 ou 230 V (sélecteur de tension situé à l’arrière). Il faut ouvrir l’OB-X (enlever 4 vis et soulever le panneau avant, monté sur charnière) si on veut protéger/déprotéger la mémoire ou régler la position stéréo de chaque voix. Oberheim montera plus tard ces commandes à l’extérieur, sur les successeurs de l’OB-X…
Épaisseur sans brutalité
Lorsqu’on allume la machine, l’Autotune se met en action en moins d’une seconde. Il n’accorde que la fréquence des oscillateurs ; les filtres et les VCA doivent être calibrés à la main, si besoin. Sortie du carton, la machine est livrée avec 32 programmes réinscriptibles. Aux premiers accords, la magie s’opère. Peu de synthés ont un son aussi épais, crémeux et subtile. L’OB-X, c’est la grande classe, un mélange de puissance et de finesse, un équilibre idéal entre les basses et les aigus. Les oscillateurs sont riches, le filtre 2 pôles est un régal, apportant un grain coloré sans la moindre agressivité. Cela fait de l’OB-X un champion des cordes, des cuivres, des nappes résonantes. Quand on commence à moduler la largeur d’impulsion des VCO, le son prend une épaisseur incroyable. Une pointe de Detune et cela devient énorme. D’ailleurs, on n’a pas toujours besoin de mettre les deux oscillateurs en position impulsion pour avoir des nappes bien épaisses. Quand on synchronise les oscillateurs sans en moduler la fréquence, on obtient des sons d’une clarté incroyable (grosse émotion assurée !), en accord comme en solo.
Le filtre fait des merveilles dans tous les compartiments : il se ferme juste ce qu’il faut pour maintenir de la brillance, assurant une présence dans le mix. Lorsqu’on pousse la résonance, on colore le son en l’enrichissant autour de la fréquence de coupure sans écraser les autres fréquences. Les ouvertures de filtre à résonance maximale sont de toute beauté, avec une chaleur et une rondeur qu’aucune auto-oscillation ne vient gâcher. Les successeurs de l’OB-X n’ont pas cette coloration caractéristique des SEM. Les enveloppes ont suffisamment de pêche pour faire des sons d’orgues percussifs. Le mode unisson permet des empilages énormes, nécessitant de réduire le niveau de sortie. À ce sujet, on utilise l’OB-X avec le potentiomètre de volume à mi-course tellement la sortie est élevée. Sur les successeurs, on perdra pas mal de puissance sonore, environ 10 à 15 dB entre l’OB-Xa et le Matrix-12. Avec la X-Mod, on crée des sons métalliques, venant enrichir une palette sonore relativement restreinte ; en effet, l’OB-X n’est pas un modulaire champion des effets spéciaux ou des drones, c’est un synthé pour les gros sons polyphoniques ou à l’unisson…
- 01 Strings1 00:34
- 02 Strings2 00:18
- 03 Strings3 00:18
- 04 EP1 00:31
- 05 EP2 00:33
- 06 Clav 00:12
- 07 Organ Perc 00:25
- 08 Organ Smooth 00:20
- 09 Polysynth1 00:14
- 10 Polysynth2 00:32
- 11 Res Pad 00:31
- 12 Sync Hard 00:25
- 13 Sync Smooth1 00:36
- 14 Sync Smooth2 00:28
- 15 Brass1 00:17
- 16 Brass2 00:30
- 17 Brass 00:27
- 18 PWM 00:19
- 19 Portemanteau 00:24
- 20 S&H 00:14
À la carte
Vu son prix astronomique en 1979, l’OB-X était proposé en version 4 voix, extensible jusqu’à 8 voix analogiques, par l’ajout de cartes individuelles. À l’intérieur de la bête, un premier fond de panier reçoit les 4 cartes de voix de base, apportant les tensions de commande et mixant les sorties des VCA, avec potentiomètres pour le panoramique de chaque voix. On peut ajouter un second fond de panier, qui se monte sur des charnières, pour accueillir de 1 à 4 cartes de voix supplémentaires. Un petit connecteur envoie l’audio au panier inférieur… là encore, la conception est très simple. Le seul hic est le manque de fiabilité des gros connecteurs Mollex qui gèrent l’alimentation et les commandes en tension des cartes de voix ; souvent des éléments à remplacer sur les OB-X, quand certaines voix sautent ou que des modulations partent en vrille d’une voix à l’autre… Comme nous l’avons dit, les voix sont des dérivés du SEM, avec des composants discrets, mises à part les enveloppes qui sont générées par des CEM3310 (comme sur bon nombre de synthés polyphoniques de cette époque). Quel que soit le nombre de voix installées, la machine est monotimbrale. Chaque voix comprend 2 VCO, un VCF, un VCA et deux enveloppes. Le générateur de bruit et le LFO sont globaux. Les voix installées peuvent être jouées en cycle ou à l’unisson.
Chaque VCO est capable de produire une onde en dent de scie ou une impulsion à largeur variable (réglage de largeur commun aux deux VCO de 50 à 5 %). Le premier VCO s’accorde par octave sur 4 octaves, alors que le second s’accorde par demi-tons sur 5 octaves. Les deux VCO peuvent être désaccordés finement. On peut aussi synchroniser le VCO2 par le VCO1, pour des sons magiques dont nous avons déjà parlé. Une fonction X-Mod permet de moduler le VCO1 par le VCO2, un peu comme un Ring Mod, pour créer des sons métalliques et des effets spéciaux. La quantité de modulation n’est hélas pas réglable, c’est une simple affaire de marche/arrêt. Les successeurs de l’OB-X ne reprendront pas cette possibilité intéressante…
Le mixage des sources avant filtrage est on ne peut plus basique : marche/arrêt pour le VCO1, marche/réduit (-5 dB)/arrêt pour le VCO2 et idem pour le générateur de bruit. Ce dernier est généré par un circuit numérique MM5837 pas vraiment génial, équipant à l’époque la plupart des polyphoniques. Le filtre 2 pôles résonant est de même conception que celui du SEM, mais il est hélas limité à la partie passe-bas, alors que le filtre du SEM est multimode et continuellement variable (conception qui a été récemment reprise sur l’OB-6 de DSI). Certains ont modifié leur OB-X car il est facile de récupérer les sorties passe-haut et passe-bande sur les cartes de voix ; la bascule entre les modes est alors faite par les sélecteurs de niveau du générateur de bruit (qui est alors condamné, mais bon, vu sa qualité), ce qui rend programmable le choix du mode de filtrage. Un potentiomètre permet de contrôler la modulation de la fréquence de coupure par une enveloppe dédiée (quantité positive uniquement) et un interrupteur permet de définir si elle suit ou pas le clavier. Basique ! La résonance est colorante (pas auto-oscillante) et n’écrase pas le niveau global du signal. Elle apporte un grain sonore très beau et très spécifique.
Vient ensuite le VCA et panoramique (réglable en ouvrant le capot). Les fonctions Hold et Chord permettent de maintenir des notes, de définir un accord ensuite transposé au clavier ou de faire les deux en même temps. Sympa !
Mini-matrice
Nous avons vu que le parcours du signal était très basique, il en est de même pour les modulations. On trouve un LFO (ondes triangle, carrée ou S&H) oscillant entre 0,1 et 20 Hz. Commun à toutes les voix, son assignation est matricielle et préfigure les puissantes matrices des Xpander/Matrix. On dispose de deux bus de modulation en colonne, chacun avec son propre réglage de quantité de modulation et ses destinations assignables : fréquence du VCO1, fréquence du VCO2 et coupure du filtre pour la première colonne ; PWM du VCO1 et PWM du VCO2 pour la seconde colonne. Tiens, il manque le VCA comme destination, pour faire des trémolos (il sera ajouté plus tard sur l’OB-Xa).
Viennent ensuite 2 enveloppes ADSR, l’une assignée au filtre, l’autre au VCA. La plage de réglage est confortable, on peut créer des temps très brefs et très longs. Il n’est pas possible d’assigner une enveloppe à la fréquence des VCO, un oubli gênant qui lui aussi sera corrigé sur l’OB-Xa. Pour moduler automatiquement le pitch de manière non cyclique, il faut se contenter du portamento polyphonique, dont le temps est programmable, point barre ! Il n’y a pas non plus d’arpégiateur ni de séquenceur. On ne peut donc pas dire que l’OB-X soit d’une complexité déconcertante au rayon des modulations…
Monde étendu
Notre Oberheim est équipé de l’excellent kit MIDI signé Encore Electronics, qui lui apporte pas mal de possibilités intéressantes : 120 mémoires (avec la faculté de récupérer les 32 sons de la banque d’origine), transmission des programmes en Sysex et pilotage de certains paramètres par CC : portamento, volume (Sustain VCA), coupure du VCF, résonance, vitesse du LFO, PWM, segments d’enveloppes, Hold… sympa sur une machine de cet âge.
Lorsque nous avons acquis l’OBX, 2 potentiomètres et 2 interrupteurs avaient été ajoutés sur la partie gauche de la modulation, au-dessus des leviers, mais rien n’y était plus raccordé… après réflexion, nous avons décidé d’utiliser ces commandes pour ajouter un autobend, car l’OB-X est à la base très pauvre en matière de modulation automatique du pitch, comme nous l’avons vu. Donc on ne peut pas faire ces gros sons de synchro de VCO balayés par une enveloppe. C’est l’ami Pascal, par ailleurs impliqué dans la restauration de l’Exagone du studio, qui s’y est collé. Il a créé une petite carte qui se greffe sur la carte mère de manière non destructive, qui vient commander en tension les 16 VCO en même temps.
Cette carte renferme ni plus ni moins qu’une enveloppe ADSR analogique, sur laquelle nous n’utilisons que les paramètres D et S. L’un des potentiomètres commande le temps de déclin et l’autre le niveau de départ du segment. Pour les interrupteurs, nous avons utilisé le premier, à 3 positions, pour déterminer le sens de la modulation (vers le haut ou vers le bas). Au centre, l’effet est coupé, très pratique pour passer rapidement d’une modulation positive à négative ou la neutraliser d’un coup (plutôt qu’un potentiomètre à effet bipolaire). Le second interrupteur, à 2 positions, permet de couper l’effet sur le VCO1. Il agit comme l’interrupteur du levier de pitch, permettant des effets de balayage lorsque les 2 VCO sont synchronisés. Ce petit dispositif astucieux apporte à l’OB-X un complément sonore très intéressant, difficile à réaliser avec le pitch bend : petite attaque ascendante sur des accords cuivrés, gros balayage descendant sur les synchros de VCO, autobend lent paraphonique…
Conclusion
L’OB-X est un monstre sonore très recherché aujourd’hui, parce qu’il est capable de produire le son du module SEM en polyphonie, toutefois limité au filtre passe-bas. Par rapport à un FVS ou EVS, il apporte la mémorisation intégrale des paramètres et la possibilité de piloter toutes les voix en même temps, sans besoin de faire les réglages sur chaque module (et surtout de les accorder à la main). Il ajoute aussi la possibilité d’être MIDIfié, qui plus avec une interface très complète, ce qui ne gâche rien. Il n’en demeure pas moins un synthé simple voire dépouillé, monotimbral, sans arpégiateur, avec peu de modulations… bref, qui va droit au but. Il est assez peu polyvalent, mais dans son domaine de prédilection, à savoir les ensembles de cordes émouvantes, les colonnes de cuivres, les polysynths épais, les nappes généreuses, les grosses résonances de filtre ou les synchros subtiles d’oscillateurs, l’OB-X n’a pas vraiment d’équivalent et c’est pour cela qu’on l’aime !
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