Il y a quelques mois, la marque suédoise Hagstrom annonçait sa collaboration avec une autre icône du pays scandinave : le groupe de rock Ghost. C’est de cette connexion nordique qu’est née la Fantomen. Grandement inspirée par la méconnue Gibson RD, cette guitare détonne avec son look rétrofuturiste.
Au milieu des années 70, le géant de la guitare Gibson, constatant la popularité du synthétiseur, souhaite séduire un nouveau public et mise sur l’innovation. C’est dans ce contexte qu’est commercialisée en 1977 la Gibson RD. La guitare tire son nom de l’équipe de « Recherche et Développement » de la firme. Il faut dire que les ambitions sont grandes avec la RD : le look est futuriste et l’instrument est doté d’une électronique active, ce qui est inédit chez Gibson. Le circuit intégré à la RD est en effet complexe, et dispose notamment d’un circuit de compression. C’est Bob Moog, parrain du synthétiseur, qui est à l’oeuvre, la connexion avec le fabricant de guitares s’étant établie par l’intermédiaire de la société Norlin, propriétaire de Gibson et Moog.
Même la lutherie est originale sur la RD ! Gibson troque en effet son indécrottable diapason de 24.75" pour un diapason plus long généralement associé aux manches vissés (25.5"). Malgré tous ces efforts pour produire un instrument original, la RD est trop en avance sur son temps et connaît un cuisant échec. La guitare ne s’imposera jamais et, encore aujourd’hui, elle ne connait pas la même popularité que les Firebird, Explorer, et autres Flying V.
Toutefois, un groupe en particulier a su raviver la flamme du modèle oublié. Véritable phénomène rock, le groupe Ghost aura en quelques années su séduire au-delà même des frontières des amateurs de heavy métal et des festivaliers chevelus. Le groupe dans son ensemble mise énormément sur l’aspect visuel, et les deux guitaristes du groupe utilisent sur scène des… Gibson RD. Ou du moins, en utilisaient ! Car depuis quelques mois, les « Nameless Ghouls » ont lâché leur Gibson au profit d’un modèle signature chez Hagstrom, celui-là même que nous avons eu l’occasion de tester.
Swedish connection
La Fantomen d’Hagstrom reprend quasi trait pour trait les courbes de la Gibson RD, mais de manière légèrement plus agressive. Le métal est dans l’ADN de Ghost, et il fallait que leur guitare signature véhicule cela. On retrouve aussi le diapason original de 25.5" (certains modèles récents de RD ont un diapason de 24.75"), mais pas l’électronique active. Hagstrom a beau être spécialisé dans les modèles rétro avec, souvent, des électroniques originales, la Fantomen joue la carte de la simplicité. L’on trouve donc des micros humbuckers classiques avec des aimants Alnico.
C’est le fabricant de micros suédois Lundgren qui s’est chargé de la conception des humbuckers. Néanmoins, les micros sont estampillés « Lundgren Design » et non Lundgren tout court, ce qui laisse présager une fabrication en dehors des usines habituelles de la marque, probablement en Chine. En effet, comme la majorité de la production Hagstrom depuis la renaissance de la marque au milieu des années 2000, la Fantomen est fabriquée en Chine. Voici d’ailleurs ses caractéristiques :
- Corps en acajou avec binding multi-pli
- Manche collé en acajou, trussrod H Expander
- Diapason de 25.5"
- Touche en Resinator, radius de 15", 22 frettes Medium Jumbo, incrustations Block nacrées
- Sillet Graph Tech Black Tusq XL de 43 mm
- Un micro Lundgren Design AlNiCo-2 No. 2 en position manche et un Lundgren Design AlNiCo-5 No. 5 en position chevalet
- 2 contrôles de volume, 2 contrôles de tonalité avec push/pull pour splitter les micros
- Mécaniques Hagstrom, ratio de 18:1
- Chevalet Long Travel Tune-O-Matic Roller Bridge
- Tirant d’origine : 10–46
- Flightcase optionnel
Métissage réussi
Mettons tout de suite fin au suspense, les finitions sont irréprochables. L’on pourrait s’étonner qu’un instrument produit en Chine coûte 799 €, mais le soin apporté à la guitare est indéniable. Le binding est régulier, on ne trouve pas de trace de colle au niveau de la jonction corps/manche, et les incrustations sont impeccables.
Le corps de la guitare est assez fin, et un chanfrein stomacal permet d’apporter du confort. L’accès aux aigus est bon grâce à une découpe assez profonde et un talon pas excessivement proéminent. Néanmoins, vous devez avoir conscience d’un élément : la Fantomen est imposante, très imposante ! Les plus petits gabarits se retrouveront quelque peu « cachés » derrière l’instrument. Après tout c’est un style, et vous sortirez clairement du lot avec cette guitare sur scène.
En parlant de scène, nous avons été agréablement surpris par l’équilibre de la Fantomen. Elle ne penche pas une fois posée sur la cuisse, et il en va de même en position debout : la guitare ne pique jamais du nez et offre un bon maintien. Deux points sont toutefois à prendre en considération. Tout d’abord, la grande corne à l’arrière de la guitare est déstabilisante dans un premier temps. Elle bloque le bras droit, là où, avec des guitares plus classiques, l’on a une plus grande liberté de mouvement. Il faudra donc un temps d’adaptation. De plus, le poids de la guitare est d’un peu moins de 4 kg. Elle est plus lourde que la plupart des SG, Tele ou Strat, mais moins qu’une Les Paul. Attention donc si vous recherchez avant tout un instrument vraiment léger.
En ce qui concerne le confort du manche, nous nous trouvons clairement face à une inspiration « gibsonienne ». Le profil est plutôt rond et le manche est légèrement épais sans être non plus une véritable « bûche ». De plus, l’arrière du manche est verni, et la touche n’est pas très large. Bref, malgré son look, la Fantomen ne semble pas cibler les shredders et les amateurs de métal très technique, mais plutôt les amateurs de rock, plus ou moins énervé, dans leur ensemble. Notons que la touche est en resinator, un matériau en bois composite d’une densité plus uniforme que le bois classique et censé offrir une plus grande stabilité. Le matériau est très lisse, ce qui pourra déstabiliser les habitués de touche en palissandre. En effet, il n’y a aucune aspérité, et l’on se rapproche plutôt de l’ébène en termes de ressenti.
Il est toujours difficile de juger de la stabilité d’une guitare lors d’un test, puisque les transports successifs, le stockage, et les changements climatiques nuisent forcément à l’instrument. Il nous a fallu accorder la Fantomen assez souvent, mais c’est quasiment tout le temps le cas avec une guitare neuve. Quoi qu’il en soit, les mécaniques Hagstrom de style art déco sont pratiques et se logent bien entre les doigts. Elles offrent un peu de résistance quand on les tourne, et semblent précises. Enfin, elles se marient étonnamment bien avec le look global de la guitare.
Enfin, les potards sont agréables à utiliser, mais mal placés. Ils s’ouvrent et glissent aisément, mais ils sont situés tout au bout du corps de la guitare, et il faudra complètement déporter la main droite pour les utiliser. Il parait donc impossible d’avoir un geste fluide pour passer du grattage des cordes à l’utilisation du volume pour un effet trémolo par exemple. C’est dommage, même si l’équilibre esthétique est sans doute bien respecté ainsi.
Du double au simple
Comme nous l’avons indiqué, le look de la Fantomen laisse présager une guitare avant tout taillée pour le métal. Pourtant, ce n’est pas complètement vrai, et vous allez découvrir cela dans les extraits ci-dessous.
- 1 Micro chevalet humbucker Fender Twin 02:26
- 2 Micro chevalet splitté Fender Twin 01:51
- 3 Position Intermédiaire double humbucker Fender Twin 02:07
- 4 Position Intermédiaire chevalet splitté, manche humbucker Fender Twin 01:47
- 5 Position Intermédiaire chevalet humbucker, manche splitté Fender Twin 01:15
- 6 Position Intermédiaire double splitté Fender Twin 01:04
- 7 Micro manche humbucker Fender Twin 02:16
- 8 Micro manche splitté Fender Twin 01:33
- 9 Micro chevalet humbucker Marshall Super Lead Rythmique 00:33
- 10 Micro chevalet humbucker Marshall Super Lead Solo 00:53
- 11 Micro chevalet humbucker EVH 5150 III Rythmique 00:40
- 12 Micro chevalet humbucker EVH 5150 III Solo 00:26
- 13 Micro chevalet splitté Marshall Super Lead 01:12
- 14 Position Intermédiaire double humbucker Marshall Super Lead 01:40
- 15 Position Intermédiaire splitté Marshall Super Lead 00:54
- 16 Micro manche humbucker Marshall Super Lead 01:15
- 17 Micro manche splitté Marshall Super Lead 01:37
Un élément marque d’emblée lorsqu’on commence à jouer la Fantomen : même à vide, le sustain est monstrueux ! La guitare résonne longuement avec un petit bruit métallique prenant la forme d’un son aigu assez harmonieux. Le choix des bois, le manche collé, le diapason et l’accastillage semblent avoir été pensés pour offrir cette expérience, et c’est très réussi.
Le micro chevalet est très précis, incisif, et articulé. C’est du bon ! Son niveau de sortie élevé sans être extrême le rend à l’aise aussi bien sur du classic rock que sur des gros riffs modernes en Drop D. Pour des registres plus subtils, un jeu au doigt en son crunchy par exemple, les micros sont plus limités. La dynamique n’est pas parfaitement respectée, et vous aurez du mal à jouer du Mark Knopfler. Le micro grave est un peu moins précis, mais offre un son bien équilibré. Les graves sont présents, mais maitrisés, et on garde un côté tranchant même avec la saturation. Il manque juste un poil d’articulation.
Splittés, les micros ne gagnent pas beaucoup de dynamique, ce qui est très décevant. C’est un peu moins compressé, mais on gagne surtout en brillance. À l’inverse, on perd du volume, évidemment du bas, et pas mal de médiums aussi. La présence est donc moindre, mais les notes s’articulent très bien et les rythmiques sont plus punchy. Toutefois, on est très loin des sensations d’un vrai bon micro simple.
La position intermédiaire réserve quelques belles surprises, notamment en « splittant » l’un des deux micros pour obtenir de la brillance sans trop perdre en épaisseur sonore. Enfin, les réglages de volume et de tonalité sont progressifs, même si le Tone met beaucoup de temps avant d’agir de manière vraiment audible.
Conclusion
La Fantomen est une bonne guitare, fabriquée de manière sérieuse, et mêlant assez bien modernité et esprit vintage. Surtout, elle ne se cantonne pas au métal, et paraît au final taillée pour le rock en général. Ainsi, elle donnera le meilleur d’elle-même pour du hard rock et du classic rock, et sera aussi à l’aise avec des saturations plus modernes. De plus, le sustain de l’instrument est tout simplement hallucinant.
En ce qui concerne les sons clairs, la guitare fera l’affaire pour quelques morceaux, mais elle ne brille pas dans cet exercice. La faute en revient à un manque de subtilité dans la restitution de la dynamique que même le coil-split ne résout pas.
Pour conclure, Hagstrom nous propose avec la Fantomen une guitare au bon rapport qualité/prix qui, sans exceller, correspond tout à fait à ce que l’on peut attendre d’un instrument affilié au groupe Ghost.