7 ans après l'arrêt de sa production, Schecter ressuscite la messagère.
Fini le style vintage de type Jaguar, finis les couleurs surf-guitar et le Rock’n’roll à papa, no more miss nice guitar, la firme américaine lui offre un relooking intégral à grands coups de botox. Nouveau design, nouvelles finitions, nouveaux accessoires, nouvelle personnalité: la Banshee 6 FR (FR comme Floyd Rose) revient sous la forme d’une « super-Strat’ » équipée comme une machine de guerre, façon arme de destruction auditive, résolument tournée vers le Rock/Metal. J’ai entendu son cri, six pieds sous terre et six cordes en main, je reviens de l’au-delà pour témoigner…
Si(ou)x(ie) Cordes And The Banshees
|
Dans le folklore traditionnel irlandais, la Banshee a parfois l’apparence d’une petite fille perdue dans les bois. Bah oui, forcément, Banshee dans les bois… Avec quatre bois différents, cette guitare est un vrai parc naturel. Aulne pour le corps, érable flammé pour la table, deux pièces de noyer prises en sandwich dans trois pièces d’érable pour le manche (à table !), de l’érable toujours pour son binding, et enfin une belle et conséquente pièce d’ébène pour la touche. Cette variété de matériaux n’est pas uniquement cosmétique et a une grosse incidence sur le son et la tenue de l’instrument, comme nous le verrons par la suite.
Concernant les cosmétiques justement, cette créature est assez coquette : joli binding naturel à la jonction du corps et de la table, vernis brillant, potards, vibrato et mécaniques chromés noirs. Fabriquée en Corée du Sud, sa finition générale est remarquablement bien soignée, mais je note quelques mini bémols : l’érable flammé du modèle testé (en finition « See-Thru Black », aussi disponible en « Crimson Red Burst ») n’est pas vraiment renversant. De plus l’imprimé « Banshee FR A » sur le cache en plastique du Truss Rod est légèrement de travers. Des imperfections minimes qui rappellent que malgré son aspect classieux indéniable, ce n’est pas encore du haut de gamme.
Et ça se confirme avec la qualité variable des accessoires. Les mécaniques sont des Grover Rotomatics avec un ratio de 18:1, elles font le boulot, d’autant plus qu’elles sont aidées dans la tenue de l’accord par un sillet bloquant, couplé à un Floyd Rose 1000 series au chevalet, une sorte de Floyd Rose Original low cost (fabriqué lui aussi en Corée). On le constate immédiatement avec la base en plastique sur laquelle on visse la tige du vibrato. Une base en plastique se remplace certainement, mais elle n’a pas l’air bien solide, surtout quand on sait ce que les apprentis Satriani peuvent lui faire subir. Ça fait même un peu cheap et ça jure avec le reste.
La paire de micros actifs EMG, 81 et 85, bien connue des métaleux, respectivement au chevalet et au manche, pilotés par un sélecteur trois positions, pas les métaleux, mais les micros, rehaussent nettement le niveau. En cherchant, j’ai trouvé le logement de la pile près de l’attache-courroie à la base de la guitare et j’en ai profité pour contempler sa beauté intérieure en ouvrant le capot de l’électronique. Les soudures ont l’air solides, ils n’ont pas lésiné sur la longueur des câbles et ça se serre un peu à l’intérieur. Un détail qui peut paraitre anodin, mais qui a son importance, au moins symbolique : il y a une couche d’aluminium tapissée sous le cache afin d’annihiler les interférences parasites (radio et autres) auxquelles on peut faire face dans les grandes métropoles. C’est une preuve que rien n’est laissé au hasard et qu’il y a un réel sérieux dans la conception.
Théoriquement, c’est alléchant tout ça, mais en pratique, ça donne quoi?
« Do me like a Banshee »
Ces paroles prophétiques tirées de « Suck My Kiss » des Red Hot Chili Peppers, nous allons les réaliser. La première réflexion qu’on se fait en la déhoussant c’est que… ah ben non en fait… pas de housse… donc la première réflexion qu’on se fait tout court, c’est qu’ils auraient pu fournir une housse, voire même un flight case (vendu séparément). Sortir minablement une six cordes chic et classe d’un vulgaire carton, ça refroidit un peu. On aura quand même droit à une pochette avec des clés Allen, un ressort supplémentaire (pour le Floyd) et un médiator. Passée cette déception, on note que la guitare pèse son poids. En position assise, elle n’est pas tout à fait équilibrée, elle a tendance à piquer du nez, comme notre Gégé ex-national sur son scooter. Plusieurs raisons à cela: comme on l’a vu précédemment, la touche en ébène est inhabituellement dense et consistante. L’extrémité de la gratte est aussi appesantie par le sillet bloquant et le guide-cordes. Schecter, qui d’expérience sait que l’amateur de musiques dures est énergique et/ou maladroit et/ou surtout bourré, a eu l’excellente idée de mettre un renfort à la tête, afin que la Banshee ne finisse pas guillotinée. Une petite créature féérique qui aurait le cou de The Rock finalement.
Avec son diapason de 25 pouces et demi, jouée à vide, la guitare offre un assez long sustain, meilleur que sur beaucoup de guitares à manche vissé. Son origine, selon la firme californienne, serait l’assemblage érable/noyer de ce dernier qui permet une conduite plus fluide des vibrations entre les pièces de l’instrument et lui offre plus de stabilité et de tenue dans le temps. Ce manche est selon moi le point fort du produit. Ni trop fin ni trop épais, avec un profil en C au radius composé de 12" vers la tête et de 16" vers la table et un vernis satiné qui assure une bonne glisse à la main, il permet des démanchés faciles. Le tout est accentué par des frettes jumbo, une action relativement basse et un bon accès à la vingt-quatrième case. Une réussite, tant au niveau de la conception que du confort de jeu dont j’ai toujours considéré qu’il était l’un des deux critères déterminants dans le choix d’un instrument, l’autre étant le son. Le premier validé, passons au second, mais avant, deux petites remarques.
La première concerne les potards. S’ils sont raisonnablement progressifs et efficaces, ils sont incrustés dans la table. Il faudra penser à nettoyer régulièrement la cavité avec un dépoussiérant afin de les protéger. De plus, et je reconnais que je chipote, il y a moins de prise aux doigts pour les adeptes du violoning Malmsteenien et pour les gratteux fins (heu…) qui règlent leur gain au volume (mais vu la puissance des micros et la personnalité de notre Schecter, je ne crois pas qu’elle leur soit adressée).
La deuxième remarque concerne le Floyd Rose. Je souhaite déjà bien du plaisir aux disciples de Jeff Beck qui aiment les tiges fixes, la nôtre se dévisse assez rapidement et reste difficilement en position. De plus, la guitare qui m’est parvenue n’est pas totalement réglée. Elle frise sur les trois premières cordes graves (l’intonation reste juste). C’est une question de goût, mais, si je suis un grand fan de Pink Floyd, je n’ai jamais été grand fan des Floyd Rose, d’une part parce que je les trouve assez contraignants à régler et d’autre part parce qu’ils génèrent souvent des bruits parasites. Quand on plaque un accord sec, on entend clairement des « cling » et autres sons aigus.
Ce problème est courant et n’est pas spécifique à notre modèle. Pour s’en débarrasser, il existe une petite astuce qui consiste à entourer les ressorts de sopalin.
Pour finir, le Rock actuel et ses dérivés font de plus en plus appel à d’autres formes d’accordage, dropped D, demi-ton, ton ou même deux tons en-dessous, chose impossible avec les vibratos de type flottant comme celui auquel nous avons affaire ici. Je pointe juste les défauts de ses qualités, on ne peut pas tout avoir dans la vie, mais c’est un paramètre à prendre en compte au moment de l’achat.
Si la Banshee se donne facilement à jouer, qu’en est-il de ses fameux cris ?
Le Cru de Minch
La configuration classique EMG 81/85 « à la Zakk Wylde » annonce la couleur sonore. Froids, précis, bourrés de gain, silencieux, ces micros ne sont plus à présenter. On commence avec du son clair (enregistré sur une tête Marshall JVM410 couplée à un Two Notes Torpedo Live dans une carte Apogee Duet) : d’abord quelques accords ouverts en strumming sur les trois positions et ensuite des arpèges sur le haut puis sur le bas du manche. Vous pourrez apprécier le sustain sur le premier exemple et vous noterez que les micros envoient pas mal. En effet, avec le gain du canal clean presque au minimum, ça crunch quand même un peu. Sur les arpèges, vous remarquerez que ça frise sévère. On relève une légère différence de volume entre le 85, plus fort, et le 81, plus faible. La personnalité du 85 étant assez marquée, en strumming on confondrait presque la position manche et la position du milieu, alors qu’en arpège, la différence est un peu plus nette.
- 1 clean strumming manche sustain 00:34
- 2 clean strumming milieu 00:09
- 3 clean strumming chevalet 00:08
- 4 clean arpeges manche 00:16
- 5 clean arpeges milieu 00:16
En crunch, comme ça part vite, on ne poussera pas trop le gain de l’ampli, ampli que j’ai changé pour les trois exemples suivants car, frileux de nature, j’ai besoin d’un peu plus de chaleur. J’ai donc compensé avec un Orange Dual Terror.
- 7 crunch manche 00:09
- 8 crunch milieu 00:09
- 9 crunch chevalet 00:09
En son saturé, elle est convaincante. Les rythmiques en position chevalet sont précises, tranchantes et compressées, l’épaisse touche en ébène n’y est sûrement pas étrangère. C’est parfait pour le Rock, le Metal et leurs nombreuses ramifications stylistiques. Voici deux rythmiques Metal dans des styles différents, l’une plutôt 80's et l’autre plus moderne.
- 10 speed metal rhythm 00:13
- 11 modern metal rhythm 00:15
En solo, le gain énorme des deux micros associé au confort du manche favorisent liés, sweeps et autres pyrotechnies les plus folles. Les harmoniques artificielles fusent, la Banshee ne crie pas, elle hurle, et nous n’hésiterons pas à revêtir la panoplie du parfait petit shredder. Le premier exemple est en position chevalet et le deuxième en position manche.
- 12 solo chevalet 00:09
- 13 solo manche 00:10
Globalement, on aura constaté que c’est une guitare très ciblée, type « tout ou rien », qui n’est pas vraiment nuancée ni polyvalente, mais qui fait admirablement ce pour quoi elle a été conçue.
Le confort de jeu est bon, le son aussi, mais dans la dure réalité du marché guitare, la Banshee est elle une légende si redoutable?
Bouh…?
À vrai dire, elle est moins impressionnante qu’il n’y parait. Si la cible musicale est claire, elle est beaucoup plus floue côté utilisateurs. Annoncée en France au prix public de 1285€ TTC, mais constatée plutôt à 1159€, elle devrait se placer en début du haut de gamme. Or ce n’est pas tout à fait le cas, il faut garder en tête qu’elle est fabriquée en Corée du Sud et pas en Californie (même si les variations internationales dans la qualité des factures d’instruments ont tendance à s’estomper), qu’il manque ce fameux flight case, pas un plus, mais une base à ce prix-là, et qu’on est en droit d’attendre une meilleure qualité d’accessoires et de bois. Dans l’absolu, la Banshee 6 FR n’est pas une mauvaise guitare, au contraire, mais la concurrence est rude. N’hésitez donc pas à aller la comparer en magasin (vous aussi amis gauchers car Schecter propose une version qui vous est dédiée, comme sur pratiquement tous ses modèles) et comme le dit mon pote Wikipedia: « Parfois les Banshees accordent leurs faveurs à des hommes, s’ils en sont dignes, c’est-à-dire à des héros ou à des guerriers émérites et les emmènent avec elles, dans la « Plaine des Plaisirs » ». Tout un programme !
(Un site web français dédié à la marque devrait ouvrir dans le courant de ce mois pour plus d’informations sur leurs produits)
Téléchargez les fichiers sonores (format FLAC)