Quelle époque exaltante ! Désormais, à chaque fois qu'AF me propose de tester une guitare, je me demande : sera-t-elle équipée du WiFi, d'une webcam, d'un bouton « like » ? Sera-t-elle enduite d'une substance chimique qui améliore la vitesse de jeu ? Pourrai-je aller boire des coups pendant que la guitare joue toute seule sur scène ? Dans ce dernier cas, qui sera payé ? Elle ou moi ? Bref, je me demande sur quelle usine à gaz je vais tomber, car il faut bien le dire, l'heure est à l'innovation et à l'audace !
J’en viens au vif du sujet : cette intrigante MusicMan Gamechanger. Le concept est ici audacieux : en branchant l’instrument en USB sur votre ordinateur, vous pouvez, grâce à une petite application très simple d’utilisation, configurer les micros exactement comme vous le voulez. Comme nous le verrons, le système fonctionne très bien, reste à décider à qui cet instrument est destiné, et quelle sera son utilité dans votre parc de guitares !
Robot-guitare v. 2.0
Avant de plonger dans le 22e siècle, commençons par parler des choses simples et ancestrales (ou presque) : la lutherie ! Première impression, le poids général est tout à fait raisonnable, ce qui est toujours une bonne surprise quand on est en présence d’un instrument auquel on a ajouté de l’électronique supplémentaire. L’usage du tilleul pour le corps, surmonté d’une table en érable (dont le manche est également confectionné), fut un bon choix pour éviter d’avoir à transporter une guitare faisant le poids d’un âne mort ; ceci étant dit, les caractéristiques sonores de cette guitare sont en rapport direct avec les essences choisies, à savoir un son très claquant et un sustain correct, mais pas extraordinaire.
La lutherie est rarement bâclée chez MusicMan, force est de constater que la GameChanger n’est pas une simple caisse à savon avec des cordes, mais bien un instrument de très bonne qualité. Le manche est agréable et rapide, d’un radius moyen s’adaptant à toutes les mains et tous les types de jeu, les frettes médiums sont sans surprise. On cavale rapidement d’un bout à l’autre des 22 cases sans trop se poser de questions, ce qui n’est pas si fréquent : il faut tout de même reconnaître le talent de cette marque pour nous mettre tout de suite à l’aise.
Par contre, la personnalité de la guitare est assez inexistante… Pour l’instant. Sa seule originalité : le manche huilé et non verni, ce qui donne au jeu un côté « rustique » assez agréable. Côté accastillage, le couple mécaniques à blocage Schaller – tremolo vintage MusicMan fonctionne à merveille, aucun problème de tenue d’accord à l’horizon. L’ensemble de l’instrument donne une impression assez fade, une absence de look assez étrange, mais somme toute pas non plus désagréable. Cette guitare est une page blanche, cela sera votre rôle de lui donner vie…
Optimus Prime ?
Avant de nous plonger dans le vif du sujet, à savoir le système de configuration des micros, penchons-nous rapidement sur l’électronique : deux humbuckers DiMarzio et un micro simple de la même marque ont été spécialement conçus pour ce modèle atypique. Ils sont complétés par un capteur piezo situé dans le bridge. Attention, il est important de préciser que ce qui s’apparente à des contrôles classiques (volume, tonalité, sélecteur à 5 positions et « three-way switch ») ne correspond pas complètement à ce que vous pourriez croire : en effet, le sélecteur à trois positions est en fait une sorte de petit joystick permettant de passer d’un programme à l’autre, tandis que le sélecteur à cinq positions permet de rapidement choisir entre cinq programmes favoris. Seuls les contrôles de volume et de tonalité ne changeront pas vos habitudes, si ce n’est qu’ils servent aussi de boutons permettant respectivement de sauver les réglages et de changer de banque de sons. Le potentiomètre de volume du piezo permet également de désactiver celui-ci d’une simple pression.
Sur la tranche du corps on trouve la connectique : une prise jack femelle à double emploi (si l’on branche un jack mono les signaux des micros DiMarzio et du piezo sont mixés ensemble, si l’on branche un jack stéréo il est possible de séparer les deux sons pour, par exemple, attaquer d’un côté un ampli pour guitare électrique, de l’autre une DI Box), une prise MIDI pour piloter le monstre grâce à un pédalier ou tout autre appareil MIDI, et un port USB pour relier la guitare à l’ordinateur équipé du software de pilotage.
Protocole de communication activé !
C’est ici la grosse innovation : un petit software (compatible OS X et Windows) permet de laisser libre cours à son imagination en concevant les combinaisons de bobinages les plus fantaisistes en quelques clics. Curieusement, le programme se présente sous la forme d’une « web app » opérant sous la férule de votre navigateur préféré (j’ai pour ma part installé le plug-in Firefox). Toutefois, une fois l’application chargée, il n’est nullement nécessaire d’être connecté à internet pour faire fonctionner le système, ce qui aurait été un peu dommage.
La prise en main du logiciel est tout à fait simpliste, il vous faudra seulement quelques minutes pour en avoir fait le tour. On constate que l’on dispose de deux banques de sons distinctes, A et B, composées de cinq réglages différents (le sélecteur à cinq positions permet de passer rapidement entre les cinq sons de chaque banque). Vous disposez également d’une banque Z permettant de stocker quinze réglages supplémentaires, que l’on peut explorer grâce au sélecteur à trois positions. Pour faire court (et de toute façon il serait difficile de faire long !), il suffit de cliquer sur un bobinage pour l’activer, un deuxième clic le mettant hors phase. En-dessous du schéma des micros, une petite interface très simple permet d’aller encore plus loin en choisissant corde par corde quel est le bobinage qui capte le son ! Un onglet « settings » permet de vérifier le niveau de charge des piles de la guitare ainsi que de sélectionner diverses options (sortie mono ou stéréo, comportent du Switch à 3 positions…).
L’onglet « MIDI » donne accès à la configuration des différents canaux MIDI si besoin est, tandis que trois onglets de librairie permettent aisément de se promener dans les présets (certains conçus par des artistes de renom comme Steve Morse, Steve Lukather ou John Petrucci) et de comparer ceux chargés dans la guitare à ceux présents au sein du logiciel.
Venons-en au fait : les tests de configuration ! Voici tout d’abord un exemple audio faisant défiler le son de chaque bobinage, en allant dans le sens du bridge au manche, suivi d’un exemple détaillant le son des humbuckers non splittés, et enfin un dernier vous faisant découvrir le son du capteur piezo :
- 5 – Bobinages du bridge au neck00:40
- Doubles bobinages bridge puis neck00:13
- piezo00:10
Tentons maintenant quelques réglages amusants et drôles ! Tout d’abord, j’ai voulu mettre deux bobinages en opposition de phase. Le résultat est prévisible : le son devient « petit » et claquant, parfait pour se prendre pour un Funky Monk :
Puis, taquin comme je suis, vous imaginez bien que je n’ai pu résister à l’envie d’activer tous les bobinages en même temps, avec le piezo en sus pour faire bonne figure ! Le résultat est loin d’être inintéressant, on peut même dire que cela dégage un certain « raw power » :
Désormais intrigué par les possibilités, je me lance dans une configuration un peu plus bizarroïde en combinant partiellement les deux bobinages du micro manche et celui côté bridge. Le résultat est intéressant, mais j’ai tout de même trouvé que la nuance était vraiment subliminale par rapport à une configuration plus classique…
Intrigué par les voies ouvertes par la possibilité de mettre un bobinage hors phase, une idée me vient : et si nous jouions un riff avec deux bobinages en opposition de phase, pour en cours de route changer de préset et remettre la phase dans le « bon sens » ? Eh bien très franchement, cela marche tout à fait. Certes, une simple pédale d’égalisation réglée pour donner un effet téléphone ferait aussi bien l’affaire… Mais il n’en est pas moins que le principe est assez amusant.
J’ai enfin testé une configuration un peu hybride en mélangeant micros en phase et hors phase. Il en résulte un son rappelant les guitares années 60, j’entends par là cette espèce de « twang » un peu creux qui n’est pas dénué de charme pour peu que l’on adapte son jeu.
Décepti©on ?
Je tiens tout d’abord à saluer le talent et l’inventivité des concepteurs de cette guitare, car en toute honnêteté je suis très impressionné par l’efficacité générale du système : aucun bug, aucun plantage, bref, aucun problème ne s’est produit pendant ce long test. L’idée de départ est vraiment enthousiasmante sur le papier et le résultat est vraiment loin d’être inintéressant.
Ceci étant dit, je n’ai pas vraiment été à 100 % convaincu par cette Game Changer : tout d’abord, le look est vraiment fade, ce qui ne donne pas vraiment envie de prime abord. Deuxièmement, il faudra vraiment apprendre à changer de son en oubliant ses réflexes habituels, ce qui pourra en gêner certains (même si, j’en conviens, ce n’est pas non plus la mer à boire). Enfin, et surtout, l’intérêt global des configurations de micros « atypiques » me laisse perplexe. Certes, la palette sonore est étoffée et le principe est très ludique, mais d’une part on peut s’y perdre un peu, d’autre part les différences de son sont vraiment très souvent anecdotiques. Je me permets cette remarque dans la mesure ou le prix public est tout de même très élevé.
Autre question qui se pose : puisque la guitare est dépendante d’un ordinateur, qu’en sera-t-il des updates ? Étant donné (par exemple) qu’Apple sort un nouvel OS tous les deux jours, on peut se demander quelles seront les ressources allouées par MusicMan aux développeurs pour suivre le mouvement et ainsi éviter que vous vous retrouviez, dans une semaine, un mois, un an ou dix ans, avec une guitare impossible à régler faute de logiciel à jour… Toutefois, et je terminerai sur cette note positive, car la Game Changer le mérite, il serait malvenu de passer sous silence la qualité générale de la lutherie : dans le pire des cas, si le système de configuration par USB vous lasse, au moins vous serez le détenteur d’une bonne guitare, et après tout, c’est là l’essentiel !