C’est français, ça se touche, ça se tapote, ça se caresse, ça se presse et ça parle MIDI. De fait, s’il fallait jusqu’ici du doigté pour jouer de nos instruments, il faudra aussi désormais compter avec le Touché.
Quand on teste des appareils toute l’année comme nous le faisons chez AudioFanzine, il n’est pas rare que l’on se dise, quand arrive le carton renfermant l’objet de notre prochain test : « OK, donc voici le nouveau clavier maître, la nouvelle carte son, le nouveau séquenceur hardware… », bref que l’on mette d’emblée dans une petite case bien définie le produit en question avant même de l’avoir déballé. Cela n’implique en rien la qualité intrinsèque dudit produit, ou encore l’opinion finale que nous nous en serons forgée après les nombreuses heures de découverte et d’exploration de la bestiole. Mais bien souvent, notre niveau d’attente et de curiosité demeure somme toute raisonnable.
Avec le Touché ici présent, tout cela était bien différent. Les quelques vidéos que j’avais pu visionner m’avaient en effet laissé entrevoir un contrôleur avec quelques possibilités particulièrement alléchantes, un design novateur et une ergonomie potentiellement très inspirante. Mais qu’en était-il dans la réalité ? L’essai de ma curiosité éveillée a-t-il été transformé en enthousiasme accompli ou bien en cruelle désillusion ? C’est ce que nous allons immédiatement voir ensemble.
Naissance
Avant de commencer, il convient toutefois de présenter rapidement Expressive-E, le fabricant du Touché, lequel se trouve être leur tout premier produit. Il s’agit d’une entreprise française basée à Vincennes. Elle est jeune, aussi bien par son nombre d’années d’existence — 4 ans — que par la moyenne d’âge de l’équipe de 12 personnes qui la compose, située autour de 25 ans.
Cela ne l’a pas empêché de nouer des partenariats avec des acteurs majeurs de l’industrie française comme Arturia et UVI (qui a notamment développé la banque sonore dédiée livrée avec le Touché, sur laquelle nous allons revenir plus bas), ainsi qu’avec des artistes comme Adrian Utley de Portishead, John Baggott de Massive Attack, Matt Robertson (directeur musical pour Björk) ou encore avec l’inventeur du VCS 3, Peter Zinovieff.
Quant au projet du Touché, il est né alors que les fondateurs de l’entreprise étaient étudiants au LAM (Lutheries Acoustique Musicale), laboratoire de recherche sonore hébergé par l’Université de Paris VI – Pierre et Marie Curie.
Mais trêve de mondanités, voyons ce que contient le joli colis que je suis allé récupérer l’autre jour au quartier général d’AudioFanzine.
Unboxing
La boîte contient, outre le contrôleur Touché en lui-même, un câble USB classique, deux adaptateurs MIDI DIN/mini-jack, un petit guide d’utilisation de base, un autre carton avec les codes d’activation et un rappel de la fonction des boutons, ainsi qu’un bon de réduction de $50 sur le sampler/lecteur Falcon d’UVI. Le contrôleur étant alimenté via sa prise USB, on aurait aimé trouver dans la boîte un petit transformateur USB comme celui que l’on trouve pour les smartphones ou les tablettes, afin de pouvoir l’utiliser en standalone sans pour autant devoir sacrifier l’alimentation de son appareil mobile de prédilection, mais tant pis.
On regarde mais on ne touche pas
À première vue, le Touché ressemble un peu à une pédale, et dans l’absolu il ne serait d’ailleurs pas totalement absurde de l’utiliser comme telle. Ce n’est pourtant pas l’usage premier pour lequel il a été pensé. Le contrôleur d’Expressive-E a en effet été conçu pour être utilisé à la main. Et vu la réactivité de la bête – comme nous allons le voir plus bas – il serait dommage de ne pas profiter de notre dextérité manuelle pour s’en servir.
La base est constituée d’un parallélépipède noir de 246 × 100 × 62 mm avec, à l’une de ses extrémités, un potard rotatif cranté sans fin et cliquable surmonté de 4 LEDs, surplombant deux boutons poussoirs, eux-mêmes dotés de LEDs directement intégrées. Celles-ci, tout comme celles situées au-dessus du rotatif, sont capables de produire 6 couleurs différentes – nous verrons plus bas pour quel usage.
Sur la tranche située à l’autre extrémité du parallélépipède se trouve l’ensemble de la connectique disponible, à savoir une prise USB au centre servant à la fois de moyen de transmission MIDI et de source d’alimentation, entourée de part et d’autres de quatre sorties CV et d’une entrée et d’une sortie MIDI physiques au format mini-jack. Et, surplombant l’ensemble, nous avons ce qui fait toute la particularité du Touché : la surface de contrôle de l’appareil elle-même, que les concepteurs appellent la « skin ». Il s’agit d’une pièce de bois lisse montée sur deux petits anneaux de matière caoutchouteuse qui font ressorts et peuvent être aisément changés en cas d’usure.
Mais comment cela fonctionne-t-il exactement ?
Bon allez, on touche
C’est très simple. Les ressorts en caoutchouc permettent à la skin d’être enfoncée sur sa partie avant, sa partie arrière ou sur l’intégralité de sa surface. Elle peut également être translatée vers la gauche ou la droite. Concernant les mouvements latéraux, la résistance cinétique peut être assouplie ou raffermie par l’usage d’une petite réglette située sous la skin. Ceci permet notamment de créer des effets comme celui-ci, lorsqu’on relâche la skin après l’avoir tendue latéralement :
Le fabricant appelle chacun de ces mouvements possibles un « shifting ». Chaque shifting envoie un signal différent dont l’intensité correspond au degré d’enfoncement ou de translation latérale de la surface de contrôle. Ce signal peut être interprété soit comme un message MIDI de Control Change, soit comme une variation de tension CV. L’un des aspects que j’ai le plus appréciés concernant le Touché est que sa conformation et son ergonomie particulières lui permettent d’envoyer trois messages (avant, arrière et l’un des deux côtés au choix) simultanément à différentes intensités, et ce d’un seul mouvement de la main qui le contrôle. Mais quand je parle de mouvements de la main, je manque cruellement de subtilité : la skin est si sensible que le moindre effleurement est traduit en intensité de signal. Cela offre des possibilités de jeu et d’articulations tout à fait uniques. Oui, il y a un putain de vrai plaisir à jouer ce contrôleur ! C’est dit.
Quand on relâche la skin, les ressorts caoutchoutés la remettent en place. Mais alors, me direz-vous sûrement bande de petits margoulins, que faire si l’on souhaite conserver dans leur dernier état les valeurs envoyées ? Rassurez-vous, les petits gars d’Expressive-E ont pensé à tout. Une simple pression sur le bouton rotatif avant de relâcher la skin et le tour est joué : les valeurs des paramètres pilotés par le Touché sont gelées dans le dernier état en date. J’adore.
Enfin, l’appareil est prévu pour être utilisé aussi bien en standalone pour contrôler des modules hardware en MIDI ou via CV que via un ordinateur pour le pilotage de plug-ins. Mais qu’il soit ou non connecté à un ordinateur, à un moment donné vous serez obligés de passer par le logiciel de contrôle développé par Expressive E, j’ai nommé « Lié ».
Lié pour le meilleur…
Lié est le centre névralgique qui permet de définir le workflow autour du Touché. Dans le principe de fonctionnement, il s’agit à la fois d’un outil de paramétrage et d’un wrapper (surcouche logicielle).
En tant qu’outil de paramétrage, il nous permet de définir plusieurs choses. La fonction principale du logiciel va bien entendu consister à pouvoir choisir quel « shifting » (voir plus haut) va être affecté à quel paramètre. On dispose pour cela de huit « slots » pour le pilotage d’instruments virtuels ou physiques via les prises USB ou MIDI, et de seulement quatre slots dans le cas de l’utilisation des sorties CV, ce qui est cohérent avec le nombre de sorties CV physiques proposées.
Un slot permet d’affecter un paramètre à un shifting donné. Pour chaque paramètre, on peut définir la valeur maximale, minimale ainsi que celle de retour du shifting choisi en position de repos. En utilisant plusieurs slots, on peut affecter un à plusieurs paramètres par shifting ou encore plusieurs shiftings pour un même paramètre. Concernant les mouvements latéraux, un même paramètre peut être affecté aux deux shiftings simultanément au sein du même slot, et l’on dispose d’un bouton dédié pour les affecter par défaut au pitch bend.
Chaque slot dispose enfin de sa propre courbe de réponse. On appréciera particulièrement le fait que celle-ci soit intégralement paramétrable elle aussi. On peut ainsi choisir entre quatre courbes prédessinées : logarithmique, linéaire, exponentielle, et « on-off » (ou états discrets en français). Mais on a également la possibilité de modifier ces dernières ou de dessiner la courbe de son choix à main levée, ou encore de les inverser. Allez, une petite astuce : en affectant plusieurs effets à un même shifting via des slots différents, puis en définissant des courbes de réponse spécifiques à chacun de ces slots, on peut créer une sorte de layering permettant le déclenchement d’effets différents selon le niveau de pression exercé.
Ainsi, dans l’exemple suivant, on a d’abord une ouverture de filtre (d’abord par à-coups, puis sur la durée) suivie d’un effet de « chimes », puis de stutter et enfin un EQ qui valorise les bas médiums. J’ai volontairement choisi de conserver cette suite effets qui n’ont rien à voir entre eux pour rendre la progression d’autant plus sensible, à défaut d’être musicale.
Mais pour effectuer ces affectations et réglages, Lié fonctionne comme un « wrapper », c’est-à-dire qu’il encapsule le plug-in à piloter dans sa propre interface. Le paramètre que l’on souhaite affecter à un shifting particulier est alors soit accessible via un menu déroulant, soit via l’affichage de l’interface du plug-in concerné, ce qui est tout de même beaucoup plus pratique ! Et via la fonction « speedmapping », on peut même affecter automatiquement 8 paramètres aux huit slots disponibles dans l’ordre chronologique selon lequel on les aura cliqués ! C’est tout bête mais bien pensé.
Inutile bien sûr de préciser que si ce système d’affectations n’est valable que pour les plug-ins encapsulés, cela n’empêche absolument pas l’utilisateur de créer également des presets pour ses appareils matériels. D’ailleurs, le logiciel en propose déjà toute une série par défaut pour un certain nombre de synthétiseurs matériels du marché, et le fabricant prévoit d’en fournir d’autres.
À ce sujet, il est important de noter que si les paramètres sont clairement nomenclaturés lorsqu’il s’agit de presets d’usine proposés par Expressiv- E, il n’est malheureusement pour le moment pas possible de modifier l’appellation des messages MIDI CC lorsque l’on crée ses propres presets. Par exemple, si c’est le CC 74 qui pilote la coupure du filtre de votre synthé hardware, vous ne pourrez pas renommer le CC 74 en « cutoff » dans le preset que vous êtes en train de créer pour le pilotage dudit synthé. C’est un peu dommage, mais l’équipe m’a confirmé qu’une mise à jour future est envisagée pour régler cette question.
Une fois que l’on a créé le preset que l’on souhaitait pour le pilotage de son module hardware, il ne reste plus qu’à le sauvegarder dans l’appareil lui-même. On dispose à cet effet de six banques de quatre emplacements mémoire chacune. Ici, et en l’absence d’un écran intégré à l’appareil lui-même, Expressive-E opte pour un système assez astucieux de code-couleurs, qui donne par la même occasion tout son sens à la caractéristique multicolore des LEDs intégrées.
En effet, chaque banque est identifiée par une couleur qui lui est propre. Les quatre LEDs au-dessus du gros bouton rotatif servent alors à identifier lequel des quatre emplacements mémoire est actuellement actif. C’est aussi simple que cela et c’est très efficace à l’usage ! Et bien sûr, et comme c’est le cas pour beaucoup d’autres appareils, on peut créer et sauvegarder autant de presets hardware que l’on souhaite au sein de Lié. Seuls les emplacements mémoire internes de l’appareil sont limités à 24.
Enfin, on sera très heureux de constater qu’à l’instar de ce que proposent aujourd’hui les explorateurs de nombreux autres logiciels, tous les presets peuvent ici être tagués. Pour l’instant, la liste des tags disponibles est fixe, nul doute toutefois que l’on pourra créer ses propres tags à l’avenir. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup apprécié de pouvoir définir plusieurs modules virtuels ou externes comme critères de recherche des presets au sein de l’explorateur.
On touche avec les oreilles
Comme je l’annonçais dans l’introduction du présent article, UVI propose une banque spécialement développée pour le Touché, utilisable via le lecteur gratuit UVI Workstation. Ce dernier ainsi que la banque s’installent simultanément à Lié. On trouve dans la banque en question des sons de pads, de leads, certaines rappelant des claviers électriques, des cloches et même quelques (très rares) percussions. Chacune de ces sonorités dispose d’un ou plusieurs preset(s) censé(s) tirer parti des contrôles tout à fait particuliers du Touché. Parmi les effets contrôlés et mappés, on trouve des ouvertures de filtre bien entendu, mais également des trémolos, des égalisations, des delays, des réverbes, etc.
Globalement, on peut dire que les sons choisis sont de qualité. Toutefois, on sent qu’ils ont été clairement programmés pour mettre l’action du Touché en valeur. Ainsi, certaines sonorités vont faire montre d’un caractère plutôt doux, voire éventuellement sonner « petit », mais immédiatement prendre du poil dès que leurs effets seront activés. D’autres proposent des timbres tellement différents entre leur version « dry » et leur version soumise à des effets que l’on peut littéralement avoir la sensation de piloter deux instruments à la fois. Vous me direz, rien de forcément très neuf, la manipulation d’effets via des potards peut permettre d’obtenir le même genre de résultats. Sauf que là, on n’est justement pas dans le bidouillage de potards, il y a une relation physique qui se crée avec le contrôleur que je n’ai jamais ressentie ailleurs, même pas avec le Seaboard de Roli avec lequel j’ai toujours eu beaucoup de mal (mais c’est très subjectif).
Pour en revenir à la banque proposée par UVI, au-delà de son intérêt intrinsèque tout à fait réel, j’avoue que l’ensemble qu’elle constitue avec le contrôleur m’a surtout donné très envie de me replonger dans le bidouillage de mes instruments – virtuels ou non – afin de redécouvrir à la lumière des nouvelles capacités expressives proposées par le Touché des outils dont je croyais avoir fait déjà 20 fois le tour. Et ça, foutredieu, ce n’est pas rien !
Afin de vous faire une idée, voici quelques exemples sonores, présentant chacun une mélodie sans l’utilisation du Touché, suivie de la même avec l’utilisation du contrôleur. Les mélodies et sons de base sont volontairement simplistes et « secs » pour faire d’autant mieux ressortir l’influence qu’exerce sur eux l’utilisation du Touché :
- Mallets 01:06
- Strings 01:06
- Instrument à vent 00:48
- Cordes pincees synthetiques 00:32
- Basse 00:35
L’exemple sonore suivant présente une configuration un peu particulière : ce sont les shiftings du Touché qui déclenchent les différentes sonorités (bas pour la grosse caisse, haut pour la caisse claire et latéral pour le charley).
Lié pour le pire ?
Alors, que peut-on dire de mal ? On l’aura sans doute déjà compris à la lecture de ce test : j’ai vraiment beaucoup apprécié le temps passé avec le Touché. Toutefois, certains petits détails m’ont un peu gêné.
En ce qui concerne le contrôleur en lui-même, j’avoue qu’il n’y a vraiment pas grand-chose que je puisse reprocher. On pourrait dire qu’il n’est pas forcément le plus adapté pour les effets percussifs, mais ce n’est de toute manière pas le but de ce contrôleur. Éventuellement, j’ai pu dans le feu de l’action effleurer involontairement les boutons de sélection de presets et enclencher ainsi le passage au preset suivant ou précédent en plein-jeu. L’équipe de développement m’a toutefois fait savoir qu’ils réfléchissaient à une solution sachant que ce n’est pas un gros problème en soi, si l’on est un peu prudent dans ce que l’on fait.
Les vrais petits soucis se situent davantage au niveau de logiciel Lié qui, en premier lieu, manque clairement d’une fenêtre de saisie manuelle pour rechercher les presets par nom. Enfin, le principal reproche que je ferais au soft… c’est de n’être compatible qu’avec Apple ! Désolé à tous les utilisateurs de Windows dont la lecture de ce banc d’essai a peut-être, avec toutes les vidéos concernant le Touché qui circulent sur internet, contribué à faire saliver sur ce contrôleur.
MAIS… l’équipe de développement d’Expressive E m’a certifié que tous les petits désagréments et bugs informatiques que je viens de citer leurs sont connus et qu’ils travaillent activement à des mises à jour prochaines. Notamment, une version Windows de Lié serait éventuellement prévue pour l’automne.
Croisons donc les doigts !
Conclusion
Comme je viens de le mentionner, les seuls vrais reproches que j’ai à faire au concept du Touché sont d’ordre informatique, et il semblerait que l’équipe d’Expressive E soit en train de plancher activement dessus. Mais aucun de ces soucis n’empêche le plaisir procuré par le Touché d’être indéniable.
Quand on teste des appareils toute l’année comme nous le faisons chez AudioFanzine… eh bien il arrive que l’on se retrouve avec en main un produit comme le Touché qui nous invite à réinventer la manière dont nous utilisons notre matériel, et peut-être même, au final, la manière que nous avons de faire de la musique.