Kalamazoo n’est pas le nom d’un étrange oiseau. C’est une ville de l’état du Michigan et c’est là où la compagnie Gibson a été fondée. Si la marque est bien présente dans l’esprit des collègues six-cordistes, au point de les rendre parfois fanatiques, elle n’a vraisemblablement pas, depuis sa création, bouleversé le monde de la basse.
À bien regarder l’historique du catalogue de la marque, il est même difficile de trouver un modèle qui ne soit pas la déclinaison d’une guitare électrique déjà existante. Il y a bien eu la Ripper et la Grabber qui, à leurs époques, ont fait sensation, mais le succès n’a jamais été évident pour les quatre et cinq cordes de la marque. Alors comme on est curieux par nature chez Audiofanzine, on a décidé de mettre une ES-335 en test, pas la gratte de 58, mais une version contemporaine de l’EB-2, son équivalent en basse, qui a quitté la chaîne de production en 1972.
De l’atelier à la légende
Le moins que l’on puisse dire, quand on intéresse à l’histoire de la compagnie, c’est que son fondateur n’a pas joui bien longtemps des fruits de son travail. En 1894, un vendeur de chaussures s’improvise luthier pour inventer un nouveau design de mandolines, puis de guitares, dans un atelier qui jouxte sa maison à Kalamazoo. À l’époque, la mandoline était un peu le Ukulélé d’aujourd’hui : un instrument de musique généralement médiocre, accessible pour peu d’argent et pas super jouable. L’idée de base d’Orville Gibson était simple : transformer le jouet en instrument de qualité. Il s’attaque alors au design général de l’instrument pour proposer les dessins d’une table d’harmonie bombée, d’un dos de caisse courbé et surtout, d’une conception générale bien plus solide et sonore que la concurrence. L’inventeur de la mandoline moderne se lance alors dans l’entrepreneuriat : il fonde la Gibson Guitar Company dès 1896 et reçoit un brevet pour la qualité novatrice des modifications qu’il a apporté à cet instrument, dont l’origine remonte à l’Italie du XIXe siècle. Le succès arrive vite et Orville qui travaille seul dans son atelier, ne peut plus répondre à la demande. Cinq hommes d’affaires, qui ont la narine creuse, décident d’investir dans son entreprise et en 1904, une usine est créée pour développer et mettre sur le marché les idées d’Orville.
Les cinq huiles exploitent tellement bien l’inventeur qu’ils finissent par le payer 500 $ par mois (à peu près 1300 € d’aujourd’hui !) jusqu’à la fin de ses jours qui ne sera pas glorieuse : l’homme mourra dans un hôpital psychiatrique en 1918 après un internement de deux ans. Après la mort du fondateur, la marque continue sur sa lancée. Profitant de la collaboration de grands noms tels que Loyd Loar (un des précurseurs de l’ère électrique) et Walter Fuller qui créa le premier micro électrique pour la compagnie (à l’origine destiné à équiper une guitare hawaïenne) qui finira par être monté sur l’ES 150, la première guitare électrique commercialisée par la marque en 1936. Durant la guerre la production d’instruments se fait moins importante. La compagnie se convertit en fournisseur de pièces détachées pour l’armée américaine. Les affaires ne reprennent qu’en 1944, année durant laquelle Gibson est rachetée par une compagnie aujourd’hui disparue : la CMI (Chicago Musical instrument). Un certain Ted McCarthy prend les commandes de l’entreprise, en quelques années il fera littéralement exploser le chiffre de la société (durant son passage la production passera de 5000 guitares par an à 100 000 unités). Sa politique commerciale est simple : prendre le parti d’ouvrir le catalogue à l’innovation. Le brillant dirigeant qui est aussi ingénieur et musicien (mais qui à l’instar de Léo Fender, n’est pas guitariste) sera même à l’origine du Tune-o-matic, le premier chevalet réglable de la marque apparu en 1951. Il est aussi l’homme de l’ombre, reconnu pour la conception de la Les Paul. Durant cette ère naitront le légendaire micro Paf, les guitares Explorer et Flying V, la Firebird et enfin la SG, qui apparaît dès 1961 pour remplacer la Les Paul durant sept ans.
N’importe quel connaisseur vous le dira : cette période de prospérité marque aussi l’âge d’or de la marque. Mais le bon temps ne durera que 18 ans : la compagnie est à nouveau rachetée par un duo d’hommes d’affaires (pour former la compagnie Norlin). Elle délocalise au fur et à mesure sa production de l’usine de Kalamazoo, qui fermera définitivement ses portes en 1984. L’erreur est de taille : la plupart des employés qualifiés resteront sur place et ne suivront pas leur entreprise, dans son déménagement, pour créer la marque Heritage Guitars. C’est le début du déclin de la marque qui sévira de 1969 à 1983. Elle sera sauvée de la faillite par Henry Juszkiewicz and David Berryman, le premier étant toujours aux commandes de Gibson à ce jour.
Les jolies choses
Quand Gibson se mit sur le segment de la guitare solid body, la politique de la marque menée par Ted McCarty fut de conserver le standing d’une fabrication artisanale et de mettre en valeur le savoir-faire de Luthier. Considérant le succès commercial de Léo Fender et de sa Telecaster, le dirigeant ne critiquait pas moins l’instrument concurrent : le qualifiant de vulgaire planche en bois. Ainsi, la Les Paul allait bientôt voir le jour.
Si on peut affirmer, sans choquer personne, que sa conception fut bien au-dessus du fer de lance de Fender, son succès, quant à lui, fut beaucoup moins évident. D’abord son format, un peu tronqué, dérangeait les habitués de la marque. Mais ce fut surtout son poids qui « pesa » sur la balance. En 1958 McCarthy mit sur le marché l’ES 135, une hollow-body polyvalente et légère équipée de PAF. Cette nouveauté allait ravir les guitaristes bluesmen au point que sa production ne sera jamais discontinuée. La même année, l’EB 2 allait suivre le pas, pour contenter cette fois les bassistes. Cette basse hollow-body au diapason court fut produite jusqu’à la première moitié des années 70.
Notre ES 335 reprend la ligne de l’EB-2, mais avec une électronique et un diapason différents. D’abord la longueur du manche, qui passe sur un standard de 34 pouces et permet de profiter d’une tension de corde idéale (la note la plus haute sur la corde de sol s’arrête au ré dièse soit 20 cases). L’année dernière, Gibson avait déjà testé ce diapason sur la série Midtown, une autre quatre cordes en quart de caisse. Les micros, quant à eux, sont passés sur une configuration à deux doubles bobinages de même nature, posés avec un soin tout particulier quant à leur emplacement.
Sur l’EB-2, le micro grave était flanqué près du manche. Sur la 335, ce dernier se retrouve quelques centimètres en dessous. Le rendu de ce dernier se retrouve plus précis, à une hauteur ou les cordes sont nettement moins flottantes, un poil au-dessus de là ou viendrait se poser un micro Jazz Bass. La qualité de fabrication de cet instrument est tout simplement précieuse : un beau vernis cellulosique parfaitement posé sur une peinture à trois tons qui met en valeur la table bombée et le dos courbé, un binding de corps et de manche joliment ciselé (à y regarder de près on subodorerait presque un travail fait à la main, tellement c’est beau). Deux ouïes viennent agrémenter la table de l’instrument. Le corps et la table sont en érable, comme le manche dont la touche est en palissandre. Le chevalet massif est fixé en trois points et l’électronique est bien évidemment passive. Son contrôle passe par deux volumes et deux tonalités. Un sélecteur de micros à trois positions complète le tableau de bord et permet de bypasser rapidement l’un des pôles. L’entrée Jack se fait sur la table, suffisamment éloignée des potards.
Le poids général de l’instrument est de 3 kilos et des poussières, ce qui est très agréable à jouer. Ce qui l’est moins et c’est le seul reproche que je ferai à cette basse, réside dans l’attache de la sangle qui se trouve sur le talon du manche et non sur l’éclisse. Le bassiste que je suis est donc condamné à jouer assis. Ce qui fonctionne sans problème, mais limite un peu le jeu de scène, car dans une vie antérieure, je devais certainement être ballerine. Alors hop, un mauvais point ergonomie : comme je n’ai pas un bras plus long que l’autre et que je n’aime pas non plus jouer avec une basse sur les genoux et que je ne me verrai pas faire un set entier posé sur le séant, je dis dommage.
Sinon, même si une basse hollow body ne m’a jamais vraiment tenté, mis à part une Violin (pour mon côté groupie) et une Warwick Starbass que j’avais jadis testé et qui m’avait coupé le souffle ; je dois avouer que cette Gibson est exceptionnelle quand on la regarde et qu’on l’invite sur le genou. C’est en fait un véritable bijou et il faut avouer que la marque réalise aussi bien ses basses que ses guitares.
Gibsonne
Eh oui, je ne vais pas y aller par trente-six chemins, cette basse sonne comme une passive idéale. Un grain de caractère, mais beaucoup de finesse pour des micros Humbucker. J’ai eu l’agréable surprise de jouer sur une basse étonnamment polyvalente. Vous me croirez ou pas, elle passe vraiment partout et la balance entre les deux pôles donne le change. En fait, en récupérant cette basse je me préparais mentalement à vous jouer du blues ou du blues. Et puis en l’essayant, je me suis rendu compte que je pouvais jouer quasiment tout le registre de ma Jazz Bass.
Alors évidemment, au-dessus de la douzième ça joue encore, mais quand on est entre la quinzième et la dernière frette, l’accès aux aigus se fait un peu difficilement. C’est dommage, surtout que la belle chante bien dans les notes hautes. Le fait le plus étonnant reste les harmoniques : naturelles, elles sonnent comme un banc de sirènes de l’Odyssée, dopé à l’enhancer. Artificielles, elles sont aussi accessibles qu’un cierge au milieu du Vatican. Et ceci s’entend naturellement dans le signal que produit l’instrument : chaque note jouée est pleine, il ne manque pas une fréquence élémentaire. Un son simple, un son beau, sans artifice ni excès, un peu à l’ancienne, mais qui ne sera jamais démodé. Le micro grave est lourd et précis, avec un je-ne-sais-quoi de kit PB vintage. Le micro aigu passe du pincement des bas médiums au claquement dynamique. Je ne vous propose pas de slap sur ces extraits, de peur de me faire alpaguer par les oreilles les plus traditionalistes d’entre vous. Mais je vous garantis que même dans cette figure de style, la 335 arrive à briller. C’est magique, vive le passif et vive les instruments équilibrés !
Sur le son donc, comme disait madame V, ma prof de français en terminale : « c’est Byzance les enfants ! »
- Micro Grave Doigts 00:26
- Micro grave+aigu 00:21
- Micro grave Mediator 00:33
- Micro Aigu Mediator 00:40
Est-ce que tu viens pour les vacances ?
Parce que moi c’est fait… Pour moins de 2000 euros, c’est là un instrument d’exception. Même si l’ES-335 ne serait pas forcément un choix évident, ce pour des raisons ergonomiques, son grain me va personnellement à jouir. À l’entendre, certains puristes diraient que c’est comme cela que doit sonner une bonne basse. Et il faut avouer que la pertinence d’un tel signal se fait évidente même pour un néophyte : c’est juste un grain parfaitement référencé. Je l’imagine bien dans un studio d’enregistrement, assurant des prise pop ou rock et encore bien d’autres choses qu’on n’attendrait pas forcément d’une descendante de l’EB-2. Chapeau bas les amis et surtout, testez-moi ça !