Il y a un an, le jeune fabricant californien Meris, spécialisé dans les modules d’effets au format 500, se lançait enfin dans la pédale. Quelques mois plus tard, il dévoilait la Polymoon, un delay numérique aux sonorités « mathématiques » très prometteur. Sachant que l’homme derrière Meris est Terry Burton, le fondateur de Strymon, notre enthousiasme était à son plus haut point. La Polymoon vaut-elle vraiment le coup ? Nous avons voulu en avoir le coeur net !
Quoi qu’il fasse, Terry Burton semble attirer le succès. Ingénieur de conception chez Line 6 durant six ans, l’américain aura fortement contribué à la révolution numérique qu’a connu le monde de la guitare au tout début des années 2000. Certainement désireux de découvrir de nouveaux horizons, Burton lance en 2008 sa propre société : Strymon. Cette fois, l’orientation est clairement haut de gamme. Malgré des tarifs élevés pour des solutions intégralement numériques, le fabricant séduit toute la planète et se retrouve sur d’innombrable pedalboards. C’est simple, Strymon est aujourd’hui une véritable institution.
Pourtant, encore une fois, Terry Burton ne peut se contenter de ce qu’il a : il quitte la marque quatre ans après son lancement et fonde dans la foulée une autre société. C’est donc en 2014 que Meris voit le jour. Terry s’est entouré d’Angelo Mazzocco, un ancien ingénieur de Line 6 spécialisé dans les DSP et collaborateur de nombreux artistes (Eddie Van Halen, The Edge, ou encore Dweezil Zappa), et de Jinna Kim, une designer déjà responsable de l’identité visuelle de Strymon. Si Strymon s’est longtemps consacré à la pédale pour guitares avant de récemment s’ouvrir à l’Eurorack, Meris a pris le chemin inverse. En effet, la marque vise le marché de l’audio en général, et ses trois premiers modèles – un préampli, une réverbe et un bitcrusher – étaient au format 500. Depuis peu, la réverbe et le bitcrusher sont disponibles en pédale, et un delay a été lancé exclusivement au format pédale. C’est sur cet effet, la Polymoon, que nous nous sommes arrêtés.
Cascada
La Polymoon est une pédale de delay stéréo dont l’entrée peut aussi bien accueillir un signal de niveau ligne (mono ou stéréo via TRS) qu’un signal d’instrument. La pédale s’inspire des vieux racks de delay en cascade qu’utilisaient Allan Holdsworth et Franck Zappa. Elle est capable de délivrer des répétitions de 1 200 ms maximum, et intègre en plus de cela de nombreuses modulations.
Dès l’ouverture de la très jolie boîte protégeant la Polymoon, une impression de déjà-vu nous envahit. On dirait du Strymon ! C’est bien simple, le format et la disposition des boutons sont quasiment les mêmes qu’avec une El Capistan par exemple. Le châssis est toutefois plus brut, avec des contours plus anguleux. La machine est parcourue de six potards, deux sélecteurs, et deux footswitchs. Si les trois boutons Time, Feedback et Mix sont courants pour un delay, les réglages Multiply, Dimension et Dynamics sont plus mystérieux. Le premier permet en fait de choisir un des six modes de delay offerts par la Polymoon.
Numérotés de 1 à 6, ces modes ne correspondent pas à des delays classiques du type reverse, tape, numérique, etc. Le premier son est d’une simplicité totale, puisqu’il propose une unique répétition non-stéréo. Le deuxième son s’apparente à un delay ping pong avec des effets stéréo. Tous les modes suivants s’inscrivent dans le même esprit, mais ajoutent des répétitions avec des motifs rythmiques et une spatialisation différents. Au regard de ces modes originaux mais peu variés au niveau sonore, l’on pourrait s’inquiéter quant aux capacités de la Polymoon. Mais la bête en a encore sous le capot, et il faut s’intéresser aux paramètres Dimension et Dynamics pour découvrir cela.
Le potard dimension permet de créer une sorte de traînée à la suite des répétitions, et d’augmenter cet effet jusqu’à ce que l’ensemble devienne complètement lisse. En d’autres termes, l’on passe progressivement de répétitions très marquées à une réverbe. Le bouton Dynamics, lui, active un effet flanger sensible à l’attaque du musicien. En plus de cela, il est possible d’ajouter un effet phaser par l’intermédiaire du petit sélecteur sur la droite du châssis. Trois modes différents sont disponibles. Enfin, les deux footswitchs permettent d’activer la pédale et de régler le tempo au pied (Tap Tempo). Notons par ailleurs qu’en restant appuyé sur le sélecteur dédié au Tap Tempo, l’on actionne un mode divisant le temps de delay par deux.
Pour les matheux
Comme beaucoup de pédales actuelles, la Polymoon cache une deuxième fonction derrière chacun de ses boutons. En effet, en restant appuyé sur le petit sélecteur « Alt » situé à gauche du châssis, chaque potard se transforme. Ainsi, le réglage Dimension permet de modifier l’enveloppe du Flanger (down ou up) ou même de la remplacer par un LFO. Le bouton Dynamics, lui, modifie le temps d’attaque de l’enveloppe, ou bien la vitesse du LFO si ce dernier est actif. Les autres boutons sont atteints du même mal, puisque le bouton Mix devient un réglage du volume des répétitions (on peut donc régler encore plus finement le ratio entre les signaux dry et wet), et le potard Feedback un filtre qui modifie la tonalité des répétitions.
Les fonctions secondaires des paramètres Time et Multiply vont encore plus loin, puisque l’on peut ajouter 15 modulations différentes basées sur une forme d’onde triangulaire, sur les premières répétitions (Time), ou sur les dernières répétitions (Multiply). Enfin, la deuxième fonction du footswitch Tap modifie la subdivision rythmique (de la noire à la croche pointée), alors que celle du footswitch Bypass ajoute un feedback négatif au flanger.
Nous avons quasiment terminé notre tour d’horizon de la Polymoon, mais il nous reste encore quelques fonctions bien senties à aborder. Tout d’abord, en plus des entrées et sorties stéréo, l’on trouve une entrée pour pédale d’expression. Cette entrée peut aussi servir à brancher un Tap Tempo externe, un footswitch 4 boutons Meris débloquant quatre emplacements pour des presets, ou bien un boîtier MIDI. En effet, la Polymoon propose une implémentation MIDI complète : tous les paramètres fonctionnent avec des CC, il y a une option MIDI Thru, et on peut synchroniser la pédale avec une horloge. De plus, le MIDI donne accès à 16 emplacements pour des presets.
Ajoutons qu’il est possible de définir un tempo global ou bien de le régler pour chaque preset, et qu’un mode Kill Dry (on obtient uniquement le son wet) permet d’utiliser la pédale dans une chaîne d’effets parallèle ou comme un insert dans un séquenceur par exemple. Enfin, il est possible de choisir entre un mode Delay Bypass et un mode Buffered Bypass, ou encore d’activer des fonctions Trail (pour laisser trainer les répétitions après avoir éteint la pédale) et Glide (pour une transition en douceur entre les presets).
Alunissage
Vous avez dû le constater, la Polymoon réserve de nombreuses surprises. L’on peut d’ailleurs rapidement se perdre parmi les modes et les nombreuses fonctions. Les exemples sonores ci-dessous devraient vous permettre de vous faire une idée plus précise des capacités de notre pédale. Commençons avec des extraits illustrant les 6 modes de delay.
- 1 Multiply 1 + réverbe modification feedback, time et mix 07:02
- 2 Multiply 1 au début puis 2 avec reverbe modification dimension 05:44
- 3 Multiply 2 au début puis 3 sans réverbe modification dynamic 08:04
- 4 Multiply 3, puis 4 sans réverbe modification dimension et dynamic 08:52
- 5 Multiply 4 puis 5 sans réverbe modification de l enveloppe et du LFO 08:52
- 6 Multiply 5 puis 6 sans réverbe modification Half Speed 07:12
- 7 Saturation 08:48
Le premier élément marquant est la clarté du son. Il n’y a aucun souffle ni bruit de footswitch, et le signal original de la guitare est parfaitement maintenu (aussi bien la tonalité que le niveau). Bref, la pureté sonore est totale, et, mine de rien, ce n’est pas si courant. L’on remarque aussi d’emblée la très belle largeur stéréo de la Polymoon.
L’enchevêtrement de delays stéréo est complexe, et tout cela est très beau. Les modes Multiply 4, 5 et 6 se ressemblent pas mal, puisque seuls les motifs rythmiques changent de manière subtile. Les modes 2 et 3, voire le 1 malgré l’absence de stéréo, sont clairement les plus plaisants à la guitare. Mais si vous recherchez des patterns plus « électroniques », avec des machines ou même avec une guitare, l’ensemble des modes devrait vous combler.
Le réglage Dimension est incontestablement une grande réussite. Une réverbe enveloppe l’ensemble, les répétitions sont lissées, et plus l’on pousse le potard, plus un effet shimmer très discret se fait ressentir et apporte une atmosphère planante. À mi-course, les répétitions sont encore là, bien que plus discrètes. Avec le bouton poussé à fond, les répétitions sont complètement gommées au profit de la réverbe. C’est superbe, surtout si l’on utilise un feedback élevé pour avoir des sonorités trainantes.
Le bouton Dynamics, lui, permet d’activer et de régler l’intensité d’une paire de flangers placée en parallèle qui agit en tout début de chaine, sur le signal de la guitare. En mettant le bouton de mix au minimum, ce qui correspond au signal dry seul, on peut donc avoir le son de ce flanger sans les répétitions. Écoutons ce que cela donne !
Dans l’extrait ci-dessus, nous avons aussi modifié l’enveloppe et le LFO du flanger. La gestion de l’enveloppe et du LFO avec les fonctions secondaires des potads Dimension et Dynamic n’est pas évidente, car l’on n’a aucun retour visuel permettant de régler finement les paramètres. De plus, l’interaction est telle avec les premières fonctions de ces potards, qu’il est dommage qu’elles partagent un même bouton. Par exemple, l’on aura du mal à retrouver le réglage initial du paramètre Dynamic une fois la vitesse du LFO modifiée. Ce n’est vraiment pas intuitif, et il faudra donc se fier à son oreille et prendre son temps.
Comme vous le savez déjà, on peut aussi ajouter un effet phaser via un petit bouton. Contrairement au flanger, le phaser agit après la première répétition. Trois modes modifiant la vitesse de l’effet sont disponibles : Slow, Sync et Slow + Sync. Le mode slow est très réussi avec une montée graduelle et lente de l’effet. Le mode Sync est plus abrupt, alors que le mode Slow + Sync permet d’avoir le meilleur des deux mondes.
- 9 Phaser slow, puis slow + sync, puis sync 03:32
- 10 Phaser + LFO 02:18
A présent, activons le feedback négatif du flanger ! Cette option débloque un effet vocal sensible à l’attaque absolument jouissif. En cumulant ce feedback négatif à l’effet phaser et des répétitions folles, l’on se lance dans des rythmiques funky délirantes façon Parliament Funkadelic. Il est maintenant clair que la Polymoon est bien plus qu’une simple pédale de delay.
Terminons notre série d’exemples sonores avec les dernières fonctions de la pédale de Meris. Nous allons modifier les subdivisions rythmiques, puis nous nous intéresserons au filtre des répétitions, pour enfin terminer avec les modulations supplémentaires accessibles via les fonctions secondaires des potards Time et Multiply.
- 12 Noire puis croche pointee 04:36
- 13 Feedback Filter 03:34
- 14 Late Modulation 07:30
- 15 Early Modulation 07:22
- 16 Morphing pedale d expression 01:34
Comme vous avez pu l’entendre, modifier la subdivision rythmique agit même sur la réverbe. En mode croche pointée, les répétitions sont décalées, et c’est aussi le cas des « nappes » qui arrivent avec un léger décalage. C’est très intéressant et cela modifie l’atmosphère créée. Quant au filtre des répétitions, il agit comme une sorte de bouton de tonalité. À midi, le spectre de fréquences est équilibré et neutre. En poussant le potard vers la gauche, le son s’assombrit de plus en plus. À l’inverse, les sonorités deviennent de plus en plus brillantes lorsqu’on va vers la droite.
Les modulations que l’on peut entendre dans les extraits 14 et 15 sont générées par six LFO qui agissent directement sur les répétitions. Ce peut être sur les premières répétitions (fonction secondaire du bouton Time), ou sur les dernières (fonction secondaire du bouton Multiply). Bien entendu, on peut aussi cumuler ces modulations. 15 variations sont disponibles, et elles peuvent engendrer des changements de vitesse, de profondeur, de hauteur, etc. La liste des modulations est d’ailleurs disponible dans le manuel. Nous regrettons qu’il y ait tant de modes sur un seul potard non cranté, puisqu’il est difficile de passer de l’un à l’autre finement. Il parait indispensable d’utiliser le MIDI pour vraiment régler la pédale comme on le souhaite, car l’on s’y perd très facilement. En tout cas, ces modulations donnent encore une nouvelle dimension à la Polymoon. Cette machine est juste folle !
Enfin, l’utilisation de la pédale d’expression est d’une simplicité enfantine. On peut assigner à la position haute un paramétrage de la Polymoon, et un autre à la position basse. Puis, l’on peut passer petit à petit de l’un à l’autre en actionnant la pédale d’expression. Ce système de « morphing » est malin, puisqu’il permet de passer d’un réglage global à un autre, même s’ils sont extrêmement différents. Pour autant, on peut aussi modifier uniquement un paramètre, de façon à contrôler seulement un bouton avec la pédale d’expression. Notre exemple audio est assez caricatural et pas très musical, mais avec un peu de recherche l’on peut certainement faire des choses sublimes. Attention toutefois, la course de la pédale durant le « morphing » ne nous a pas toujours paru linéaire. Mais peut-être est-ce dû à la grande différence entres les deux réglages initiaux ?
Conclusion
Nous sommes décidément gâtés en ce moment ! Après l’Infinite Jets d’Hologram Electronics, c’est encore une très belle pédale qui est passée entre nos mains. La Polymoon nous a impressionnés par sa pureté sonore et la beauté de ses effets stéréo. La machine embarque certes moins de modes que la plupart des gros delays numériques, mais le nombre de modulations, le réglage Dimension et la complexité de la chaîne sonore permettent de créer un nombre hallucinant de sonorités. Nous avons quasiment affaire à un multi-effet, puisque l’on atteint des territoires propres à la réverbe, au phaser, au ring modulator, à l’octaver, etc. De plus, le prix est correct pour un delay haut de gamme (359 €).
Nos seules réserves concernent l’ergonomie à base de double fonctions, et la petite mesquinerie de Meris à propos des presets. Il faut en effet forcément acheter le footswitch 4 boutons de la marque ou passer par du MIDI — et donc acheter un boîtier — pour enregistrer ses favoris. La Polymoon nous frustre donc un poil, mais force est de constater que notre jeune fabricant a fait preuve d’un travail incroyablement sérieux. Les sons ont une véritable identité, et, pour peu que vous aimiez les delays avec modulations et que mettre les mains dans le cambouis ne vous gêne pas, vous ne pouvez pas vous tromper en achetant cette pédale.
Merci au magasin The Effect Factory pour le prêt de la pédale.