Zoomer dans l’audio, créer des calques à la Photoshop, nettoyer, enlever un élément sonore, etc. Les musiciens, mixeurs, ingénieurs du son ont pu rêver devant ce type d’actions fréquemment montrées dans les fictions audiovisuelles. Que vont-ils dire maintenant que SpectraLayers Pro est disponible ?
Grâce au numérique, l’édition audio a pu dépasser les limites de l’action sur le seul domaine de l’amplitude d’une fréquence isolée, du rapport amplitude sur la durée, en rendant possible de travailler sur un ensemble de fréquences et d’harmoniques sur la durée, tel qu’affiché dans un spectrogramme. Plusieurs outils ont ainsi vu le jour, dont les plus connus, en tout cas sur AudioFanzine, sont probablement AudioSculpt de l’Ircam, RX (2008), puis RX2 d’iZotope (2010, testé ici) et sa déclinaison sous forme d’instrument virtuel, Iris, sorti cette année. On peut aussi d’une certaine façon inclure Melodyne qui, sous une interface totalement différente et orientée musicien n’en demeure pas moins un outil permettant d’isoler des notes (donc des fréquences, y compris harmoniques) mais pas forcément des fréquences non musicales (bruits de fond, etc.). RX2, quant à lui, est doté d’outils permettant, entre autres, de sélectionner, effacer, dupliquer, des zones de fréquences de façon graphique sur une période donnée (avec l’outil lasso, par exemple), avec des résultats en matière de nettoyage assez spectaculaires.
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C’est pourquoi l’arrivée de SpectraLayers ne peut qu’intéresser, même si on ne peut réellement parler de « nouveau venu », le projet ayant été porté depuis 2009 par Robin Lobel, son concepteur (on peut suivre plusieurs étapes du développement du logiciel sur son blog), mis à la connaissance du public en juin 2011 et depuis peu intégré, après des tractations ayant duré un an, à la gamme des logiciels de Sony Creative Software. D’autant plus que le logiciel se propose, sur le papier, d’aller plus loin que RX2, en cela qu’il adopte une approche « à la » Photoshop, avec calques, gomme, outils de sélection, etc.
Introducing Sony Creative Software SpectraLayers Pro
Boîte ou téléchargement, le logiciel reviendra à 320 ou 299 euros respectivement (HT, donc à peu près 380 et 360 euros prix public). Les compatibilités sont assurées pour Mac et Windows, à partir de Vista et Mac OS 10.6, en 32 ou 64 bits, avec des spécifications assez détaillées en matière de carte vidéo, le logiciel faisant appel à la GPU.
Installation simple via un SpectraLayers Pro Setup Wizard (toute la procédure est détaillée), pas de clé matérielle, un compte à créer chez Sony CS, un numéro de série à renseigner et on peut commencer. Le logiciel consiste en une application autonome (standalone), sans plug-in (à la différence d’iZotope par exemple, même si toutes les DAW ne sont pas compatibles avec eux).
Transparente profondeur
À l’ouverture, une fenêtre (qui peut être désactivée) invite à l’import d’un Layer, à la création d’un nouveau, ou à l’ouverture d’un projet (un fichier audio déjà ouvert et décomposé), les plus récents étant d’ailleurs présentés au choix ; y figurent aussi deux liens pour une présentation en ligne (hors connexion) du logiciel et une autre sur le principe de fonctionnement à base de données spectrales, très complet. On retrouve ces informations dans l’aide du menu Help.
SpectraLayers est un logiciel à fenêtre unique, à la présentation relativement spartiate, reprenant sur sa droite le concept des fenêtres flottantes (ici rattachées) de Photoshop, en l’occurrence History, Channels (canaux audio) et Layers. Sur la gauche, on trouvera les outils proprement dits (on y revient tout de suite). La partie supérieure regroupe les outils de zoom, copier-coller-couper-etc., transport, volume, main (pour le déplacement), zoom et vision 3D. Plus spécifique (bien que l’on retrouve ce type de réglages dans la quasi-totalité des outils d’analyse), la sélection du type et de la taille de la fenêtre (Bartlett, Hann, Blackman, Blackman-Harris, de 64 à 65536 échantillons), ainsi que la possibilité de la subdiviser, ce qui permet de disposer d’un grand choix de précisions, sachant que plus l’on demande de précision et plus grande est la consommation en ressources.
On dispose aussi de réglages via faders horizontaux pour améliorer la lisibilité (en jouant sur la plage dynamique, le gamma, etc.), et de plusieurs champs permettant de spécifier la durée de la zone visible à l’écran, l’étendue du spectre et la profondeur et l’angle de la vision 3D.
L’ensemble est bien conçu, fonctionnel et suffisamment riche en options pour répondre à la plupart des utilisations.
Sélection et édition
La barre de gauche présente tous les outils nécessaires au travail. On commence par un Graph, qui permet d’afficher avec précision (durée et plage de fréquences affichées réglables) les différentes valeurs en promenant une pipette sur les zones désirées ; on pourra ainsi lire le volume, différentes valeurs de phase suivant deux types de visualisation (temps ou fréquence). La pipette utilisée seule affichera, dans des champs n’apparaissant que lors de son activation, les valeurs selon la sélection du type de mesures désirées (différentes lectures du volume, des phases, etc.).
Viennent ensuite les outils de traitements à proprement parler. Mais avant cela, un mot sur le principe : on importe un fichier audio, puis on crée un calque (Layer) dans lequel on va « importer » après « extraction » des zones du fichier d’origine, sélectionnées avec divers outils ; après vérification à la fois visuelle et auditive, et nettoyage éventuel, on placera le calque en opposition de phase, ce qui fait que les fréquences communes aux deux calques s’annuleront (selon le principe bien connu de l’annulation de phase, déjà abordée dans divers tests, dossiers et tutos sur AF). On peut créer autant de calques que désirés, chacun disposant de son bouton de visualisation/action, de son bouton d’opposition de phase et d’un curseur de volume, qui agit aussi visuellement de la même façon que celui d’Opacity de Photoshop.
Afin de sélectionner les fréquences ou zones à éliminer, on crée le calque, on le sélectionne (il passe alors en rouge dans la fenêtre Layers), et il ne reste qu’à utiliser un des outils fournis pour extraire ce que l’on souhaite enlever. Ainsi, on sélectionnera une zone, une fréquence, une fréquence et ses harmoniques ou du bruit. Là où l’éditeur fait très fort, c’est que chacun de ces outils est « redimensionnable » à souhait, c’est-à-dire qu’il dispose de très nombreux paramètres : ainsi, pour l’outil Extract/Harmonics, on peut régler la tolérance (en dB), la plage temporelle (en secondes avec deux décimales après la virgule), en largeur, à partir de quel rang d’harmonique et combien d’harmoniques doivent être sélectionnés (jusqu’à 60 !). Outil absolument génial, car non seulement il permet de sélectionner les harmoniques supérieurs d’un son, mais aussi et surtout quand la zone des fréquences fondamentales est trop fournie, et que l’on a du mal à visualiser la fréquence à retirer, il suffit de régler le rang harmonique sur une valeur plus élevée que la fondamentale, et le logiciel ira chercher les harmoniques de rang inférieur !
Une fois les zones extraites vers le calque, on peut commencer par écouter ce que l’on a choisi, puis retravailler tout en finesse, en corriger par exemple une sélection trop grande (un coup de gomme, elle aussi paramétrable, ou une sélection puis cmd+x et c’est fait). En utilisant l’outil Select, on ne lira que la zone choisie, que ce soit sur le Layer d’origine ou sur le calque, en étant de plus renseigné par le petit cartouche apparaissant dans le coin supérieur gauche, indiquant la position dans la durée, la fréquence, et son volume en dB.
On est un peu perdu au départ, notamment dans l’usage du zoom et des déplacements, mais le coup est vite pris avec le raccourci cmd+clic qui permet de se déplacer et les différentes solutions clavier plus molette, et le logiciel révèle très vite sa puissance et son ergonomie.
Afin d’illustrer à la fois la rapidité d’usage et l’efficacité du logiciel, voici une vidéo présentée lors du NAB 2012, dans laquelle on verra aussi une autre des possibilités du logiciel, le nettoyage du bruit de fond :
Bien sûr, il s’agit ici d’une modification très simple à effectuer, la sirène étant relativement forte, et le principe de son continu avec ses harmoniques très présents ne pose aucun problème de sélection et de retrait. C’est néanmoins efficace et rapide.
Voici un autre exemple, avec des sons de couverts et verres dans un son de foule dans un restaurant (on appelle ça en anglais un Crowd Walla, un son permettant de situer une ambiance d’espace empli de gens sans que rien ne soit intelligible), problématique un peu plus complexe que la précédente.
- 01 CrowdWallaPre 00:10
- 02 CrowdWallaAfter 00:10
Le troisième bruit est laissé afin d’avoir un repère. On doit reconnaître que SpectraLayers s’en sort très bien.
Dernière fonction (on ne peut toutes les citer ici), la possibilité de traiter les calques via les plugs VST (32 et 64 bits) présents sur l’ordinateur hôte, fonction qui peut prendre tout son sens si l’on envisage aussi SpectraLayers Pro comme un outil pour isoler des sons à utiliser en resynthèse dans un sampler externe (à la façon de ce que fait Iris d’iZotope, par exemple). Seul reproche, le traitement offline (même s’il y a une Preview), interdisant les réglages en temps réel via l’interface du plug (ou celle sous forme de faders proposée par l’éditeur) tout en écoutant le fichier. Dommage, et dommage aussi que la compatibilité soit limitée aux plugs VST.
Bilan
On connaît déjà les excellents résultats du iZotope RX2. SpectraLayers Pro se révèle être un concurrent de choix, une véritable alternative. Il n’y a pas grand-chose à reprocher au logiciel, si ce n’est une manipulation au début un peu plus complexe que d’habitude (la maîtrise des raccourcis quand on est accoutumé à d’autres logiciels), et la visualisation, manquant d’un jeu sur les couleurs et leur attribution en fonction d’un certain volume, ce qui serait plus aisé pour attraper les sons, vu la précision que l’on peut avoir grâce aux réglages des différents outils de sélection et d’effacement. Manque aussi un outil de sélection façon lasso. Et le principe de fonctionnement offline des traitements VST, interdisant toute manipulation et donc réglage en temps réel, ainsi que la non-compatibilité avec d’autres formats.
À part ces quelques points négatifs, le logiciel est une excellente surprise, et son approche originale dans le monde de l’audio est fonctionnelle, stable et pertinente. Une démo est disponible chez l’éditeur, faites-vous votre propre idée. Même si tous ces processus de nettoyage restent encore longs et fastidieux, les différents éditeurs nous proposent des outils de plus en plus puissants et performants, avec une recherche constante d’ergonomie et de simplification du traitement. Pensez que l’on peut récupérer ainsi de l’audio abîmé, enlever un bruit parasite sur la prise de son du siècle, etc., avec une telle qualité et un prix relativement abordable laisse toujours rêveur (il faudra un jour parler du boulot de sabotage effectué sur de nombreuses « restaurations » sonores de films, tiens…). En tout cas, SpectraLayers Pro est une véritable réussite qui mérite amplement son Award Innovation, coup de chapeau à Divide Frame et à Sony !
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