Cette pédale originale ou ce nouveau plug-in trop cool, il vous les faut absolument ! Et pourtant, votre compte est dans le rouge depuis le Black Friday… Avouez-le : vous êtes en pleine crise de GAS, ce qui n'est bon ni pour vos finances, ni pour vous, ni pour l’environnement...
Sévissant dans les domaines de l’audio, la photo ou la vidéo, le « Gear Acquisition Syndrome » ou « Syndrome d’Acquisition du Matériel » est un terme utilisé dans ces milieux pour décrire l’envie d’acquérir de l’équipement sans autre réelle finalité que de le posséder.
C’est au nom de ce fameux GAS qu’un·e guitariste peut se retrouver avec une douzaine de pédales d’overdrive ou quinze guitares, qu’un·e home studiste va amasser les micros ou les banques de son. Bien qu’elle ne soit pas le fruit d’un achat proprement dit, l’accumulation même de plug-ins freewares relève du même fameux GAS, dont il n’est pas évident de définir s’il est un simple petit travers, un trouble ou une réelle maladie…
Pour l’heure en effet, le GAS ne semble avoir fait l’objet d’aucune littérature médicale sérieuse et il ne figure pas dans le fameux DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’American Psychiatric Association qui fait figure de référence mondiale concernant les problèmes mentaux. L’APA discuterait toutefois de la possibilité de reconnaître comme maladie un comportement que l’on rangeait jusqu’ici dans les troubles obsessionnels compulsifs : l’oniomanie, qui toucherait tout de même 1,1 % de la population mondiale, et pas loin de 5 % de la population américaine.
Oniomanie : la piste psy
Oniomanie : c’est ainsi qu’on nomme le trouble lié à l’achat compulsif, plus couramment appelé « fièvre acheteuse » et qui renvoie à la manie compulsive des achats, alors même que ce qu’on achète ne nous est pas ou peu nécessaire. Décrite par Emil Kraepelin dès 1915 puis par Eugen Bleuler en 1924 dans leurs ouvrages de psychiatrie, l’oniomanie n’est donc toujours pas reconnue officiellement comme une maladie même si l’OMS mentionne les « achats compulsifs » à la section « troubles de la personnalité et du comportement » dans son CIM-10 (Classification Internationale des Maladies) et que de plus récentes recherches s’y sont intéressées. Gilles Valence propose ainsi, en 1988, une typologie plus détaillée des oniomanes qu’il divise en quatre profils : le consommateur émotionnel, très attaché au symbolisme et la valeur sentimentale de l’objet acheté, le consommateur impulsif, envahi par un désir d’achat soudain et qui se sent après coup coupable d’y avoir cédé, le consommateur fanatique qui ne serait autre que le collectionneur, et enfin l’acheteur compulsif qui investit l’achat comme un moyen de lutter contre des tensions internes générant une angoisse, et qui se sent extrêmement frustré lorsqu’il ne peut pas céder à sa pulsion.
En fonction des motivations qui le suscitent comme des émotions qu’il génère, notre fameux syndrome du GAS pourrait très bien relever de l’un ou l’autre de ces types d’oniomanie, sachant que ses causes profondes pourraient être diverses. Dans Collectionneur, anatomie d’une passion, le psychanalyste américain Werner Muensterberger avance l’idée que chaque achat d’un collectionneur serait un moyen de retrouver le pouvoir de « l’objet transitionnel », un concept défini par le célèbre Donald W. Winnicott et qui explique l’importance du doudou ou de la peluche dans la petite enfance, parce qu’il serait un moyen pour le nourrisson d’apaiser son angoisse de solitude quand sa mère s’absente. Le matos comme un doudou d’adulte ? Pourquoi pas, même si tous les gens souffrant de crises de GAS ne sont pas pour autant des collectionneurs…
Plus généralement, on admet que l’oniomanie trouverait ses origines dans une relation parent-enfant dysfonctionnelle lors de la petite enfance. Pour combler un manque, lutter contre un sentiment de solitude et restaurer une mauvaise estime de soi, l’enfant trouverait une consolation dans les choses matérielles : des jouets ou des aliments. On remarque d’ailleurs que ce qui mène certaines personnes aux achats compulsifs n’est pas très différent de la mécanique observée dans la boulimie. Elles seraient ainsi incapables de prendre une distance critique sur leur désir d’achat qui, lorsqu’il est assouvi, cède immédiatement la place à une culpabilité : une émotion négative qui pousse à réitérer l’opération pour apaiser l’angoisse…
« Non, mais ça va pas la tête ? C’est pas parce qu’on aime acheter les guitares ou les synthés qu’on va filer chez le psy pour raconter son enfance, tout de même ! » Certes, et il ne s’agit pas de pathologiser à l’extrême une conduite qui peut trouver bien d’autres explications encore.
Tout dépend en fait de la place que prend ce comportement dans votre vie. Si le matériel que vous accumulez en vient à prendre une pièce chez vous (gare à la syllogomanie), qu’il entraine des tensions dans votre couple ou parmi vos proches, qu’il vous met régulièrement dans une situation financière délicate ou encore que vous ressentez vraiment ce cycle d’insatisfaction qui motive tous vos achats, dites-vous simplement qu’il n’est pas idiot d’en parler à un spécialiste. Ce genre de comportement peut en effet être révélateur de problèmes psychologiques ou neurologiques plus sérieux… Neurologiques ? Carrément ? Oui, si l’on comprend ce qui se joue au niveau cérébral sur le plan purement physiologique lorsqu’on se fait plaisir.
GAS et neurologie ?
« Je me suis fait plaisir » : voilà bien une expression onanique révélatrice qu’on trouve dans la bouche d’un·e musicien·e qui vient de s’acheter tel ou tel équipement. Sur le plan physiologique, le bien-être serait, selon certaines hypothèses, principalement associé à quatre hormones qu’on appelle des neurotransmetteurs : la dopamine, l’endorphine, l’ocytocine et la sérotonine.
- Aussi appelée hormone de la récompense, la dopamine provoquerait non seulement une sensation agréable grâce à une libération d’énergie, mais elle permettrait également de stocker l’information qui mènerait de nouveau à cette sensation agréable. Ce serait clairement la substance intervenant dans les petits plaisirs du quotidien (le petit carré de chocolat, écouter ou faire de la musique) comme dans les pires addictions (les six plaquettes de chocolat… ou l’alcool, la cigarette, le jeu d’argent) et ce serait à elle que sont liées, entre autres, les recherches de Pavlov sur le conditionnement…
- Participant d’un réflexe de survie, l’endorphine serait quant à elle un analgésique qui se libère en cas de douleur pour apaiser cette dernière : c’est elle qui offrirait une forme de béatitude quand on fait un jogging au bout d’un moment, mais ce serait aussi elle qui se libère lorsqu’on rit ou qu’on pleure, après un gros stress comme peut l’être le trac sur scène (dont on se libère dans les premières minutes du concert grâce à l’endorphine, entre autres).
- Appelée hormone de l’amour, l’ocytocine serait produite lorsque nous entretenons des liens valorisants avec autrui. Un sourire ou un compliment est ainsi susceptible de la libérer.
- Appelée hormone du bonheur, la sérotonine jouerait enfin un rôle sur notre humeur globale : de la sensation de bien-être jusqu’à notre capacité à nous endormir ou lâcher prise.
Ces hormones seraient donc en jeu lorsqu’on se « fait plaisir » en achetant, toute la question étant de savoir ce qui se cache derrière ce besoin de se faire plaisir : un besoin légitime d’être heureux·se, ou la difficulté de notre organisme à produire ces substances, l’acte d’achat devenant alors une façon de compenser chimiquement ce problème.
Ceci étant dit, il convient à présent d’interroger les raisons du GAS au-delà de l’individu en s’intéressant au cadre plus large de la société, car si ces comportements sont aussi répandus, c’est peut-être aussi parce qu’on nous les inculque…
Être et avoir : la piste sociale
On se souvient tous de la phrase imbécile de Jacques Séguéla pour défendre les signes de richesse extérieurs d’un homme politique : « Si à 50 ans, on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie ».
Or, cette phrase dit une chose fondamentale de notre société dont les valeurs et les idéaux sont édictés, depuis la fin de l’Ancien Régime, par la classe bourgeoise qui a conduit la Révolution : l’être y passe par l’avoir. C’est en effet au travers de ses possessions qu’on juge de la réussite d’un homme ou d’une femme ; réussir sa vie, en somme, c’est avoir amassé des richesses, sachant qu’on attribue généralement cette réussite pécuniaire à un mérite de travail ou d’intelligence : ceux ou celles qui ont mieux réussi que les autres, qui ont gagné plus d’argent, le mériteraient pour avoir plus travaillé ou parce qu’ils sont plus intelligents que les autres… Or, il serait bien étonnant qu’une telle culture ne pèse pas sur notre rapport au matériel : peut-on vraiment être perçu comme un·e bon·ne guitariste, voire comme un·e vrai·e guitariste, si on ne dispose pas d’une « vraie » guitare un peu onéreuse et non d’une entrée de gamme, voire de plusieurs, et de toute la panoplie de pédales et d’amplis qui va avec ?
Et cela est d’autant plus vrai que, dans un monde dont l’essor repose sur la production et la consommation (le PIB est l’indice de réussite d’un pays), les collectionneur·euse·s sont souvent montré·e·s, non pas comme des gens ayant un problème de transfert émotionnel comme nous venons de l’évoquer, mais comme des passionnés qu’on nous donne à admirer, comme des spécialistes de leur domaine. C’est ainsi qu’on suppose qu’un·e collectionneur·euse d’art est forcément un·e connaisseur·euse d’art, qu’un·e bibliomane s’y connait forcément en littérature ou qu’une personne ayant 15 synthés doit forcément s’y connaître en synthèse…
Or, cela n’a rien d’évident, comme on le voit avec le phénomène japonais Tsundoku. Contraction de Tsunde-Oku qui désigne le fait d’accumuler des choses pour les utiliser plus tard, et Doku-Sho, qui signifie livres, le Tsundoku serait un syndrome né au 19e siècle, à l’époque où la bourgeoisie japonaise achetait des livres pour se créer une légitimité intellectuelle. Or, on reparle de ce phénomène après qu’on s’est rendu compte récemment, grâce à l’appli de livres électroniques Gleeph, que quantité de gens avait une centaine de livres achetés qu’ils n’avaient jamais lus, certains même allant jusqu’à 500 livres non lus… Là encore, on est face à une forme d’achat compulsif et un désir d’amasser qui ne relève pas du besoin, mais très probablement de la réassurance sur l’image que l’on a de soi : acheter un livre, c’est être plus proche de l’avoir lu que de ne pas l’acheter, c’est le placer dans la bibliothèque virtuelle de notre culture parce qu’une fois qu’on l’y a mis, on se sent déjà plus intelligent et cultivé, pour soi comme pour autrui…
Sans même parler de quantité, il est à noter que la valeur marchande de ce qu’on achète nous importe : s’acheter une guitare onéreuse que seul·e·s les pros s’achèteraient à titre d’outil de travail, c’est se nimber d’une aura de respectabilité, comme de mettre la Recherche de Proust à côté des livres de Gérard Genette dans sa bibliothèque plutôt que des Dan Brown et des Anna Gavalda… Dès lors, même sans en faire usage, les plus consuméristes d’entre les musicien·ne·s vont se faire une spécialité de se renseigner sur tous les espaces de discussion du web pour savoir quel est la meilleure guitare, la meilleure pédale ou le meilleur ampli. Il s’agit d’accumuler de la sorte une forme d’expertise valorisée socialement et de jouer sur la confusion entre savant·e de la guitare et bon·ne guitariste. L’idée, ce n’est pas « faire » pour « être » façon Sartre, mais bien « avoir » pour « paraître » façon Séguéla…
Il est par ailleurs amusant de voir à quel point ces mêmes personnes sont souvent plus promptes à investir dans du matériel plutôt que dans des formations ou dans du temps de pratique, parce qu’il est bien plus simple d’acheter une nouvelle paire d’enceintes que de développer son acuité auditive au travers de milliers d’heures d’écoute, de racheter une guitare plutôt que de bosser l’instrument, de favoriser ainsi l’immédiateté de la gratification.
On couplera enfin cela avec un des travers de notre temps : une véritable obsession pour le bonheur que la très discutée psychologie positive nous présente comme une quête de chaque instant et que la société de consommation interprète, à tort, comme une quête de plaisir ininterrompu. Répondant au fameux carpe diem d’Horace et à une vision complètement dévoyée de l’épicurisme ou du concept de passion, le but de la vie serait de faire de chaque jour une orgie de plaisir, toujours trouver dans la consommation de biens ou de services de quoi baigner notre cerveau de bien-être, sachant qu’il n’a pas été conçu pour cela. Ne pas se faire plaisir, c’est ne pas être heureux·euse, et ne pas être heureux·euse, c’est mal : voilà en substance ce que nous renvoie la société de consommation au travers des médias traditionnels comme des réseaux sociaux sur lesquels il est important de montrer des signes extérieurs de bonheur, quitte à ce que tout cela soit feint, et où l’on fait mine d’ignorer qu’être fan(atique) de quelque chose ou de quelqu’un et de le « suivre » sont à la base des comportements discutables.
Or, le marketing et la pub ont très bien compris le bénéfice qu’ils pouvaient tirer de tels ressorts, qu’ils soient psychologiques, neurologiques ou socioculturels…
Quand la pub pousse la manette du GAS…
L’étymologie même du mot « Oniomanie » est intéressante puisque le mot se compose de ὤνιος onios « à vendre » et μανία mania « folie » et pourrait se traduire par la « folie des choses à vendre »… Or vendre, c’est un peu la raison d’être de la pub et du marketing qui ont ainsi tout intérêt à déclencher des crises de GAS.
Dans le sillage de ce que nous venons de dire sur le diktat du bonheur, on ne s’étonnera pas qu’une partie du marketing et de la publicité cherche à nous convaincre que sans consommer tel service ou tel produit, nous ne serons pas heureux, pas libres ou même carrément médiocres. Voyez cette publicité pour des gommes à mâcher qui, sous couvert d’humour, nous dévalorise clairement : Vous puez de la gueule ! Heureusement, notre produit peut vous sauver…
De façon à peine moins agressive, c’est ce qu’on retrouve dans cette vieille pub pour des synthés : évitez la médiocrité ! Laquelle ? Celle de la concurrence ? La nôtre si on n’achète pas le clavier ? Celle du monde ? Et la solution serait donc l’acquisition de ces fameux claviers ?
Sur cette autre publicité de branding (on travaille là l’image d’une marque dans son ensemble), on nous enjoint de nous faire des souvenirs, soit un processus naturel qui n’est en rien lié à la consommation et qui ne se commande pas. Quel est donc le sous-entendu ? Que sans la marque, on ne pourra pas se faire de souvenirs ? Que ce ne seront pas de vrais souvenirs ?
À un autre niveau, on considèrera l’injonction simple de se souvenir du message, de le graver dans notre mémoire, sachant que lorsqu’on clique pour se faire expliquer la chose, on nous sert un discours sur la « promesse » de la marque : celle-ci n’entend pas seulement se mettre au service des musiciens, mais se place comme source d’inspiration de leur passion (« We […] want to inspire peoples’ passion »), et promet à la fois une affirmation et un épanouissement de l’individu (« express their individuality », « expressing themselves and making an impact, to progress personally ») et à la fois une meilleure intégration sociale (« to come together with others »).
Or, il est intéressant de voir comme les pronoms personnels évoluent à mesure que se déroule la page. Si au début, la marque utilise le We pour parler d’elle et le They pour parler des musiciens, sitôt prononcée la formule magique « MAKE WAVES MOMENTS », on passe au You plus proche, et on finit en bas de page avec le Me (les visages en arrière-plan jouent sur l’ambiguïté d’une citation qui n’en est pas une), plus fort dans son intimité, plus hypnotique aussi et opérant la fusion avec le lecteur cible : on y lit que la marque « EMPOWERS ME TO MAKE WAVES WITH MY SOUND AND MUSIC ». On comprend aussi à ce niveau que la finalité de tout cela n’est pas de faire du son ou de la musique, mais de se servir de ces derniers pour « MAKE WAVES », soit le slogan de la campagne… Bref, la marque nous vend de l’épanouissement personnel, nous fait passer du they au me pour nous absorber et nous convaincre qu’elle tient sa promesse de faire de nous des musiciens, tout en se plaçant comme l’alpha et l’oméga de la création. Tout cela est complètement artificiel mais bien ficelé.
Finissons avec une dernière pub : on se demande bien comment on pourrait respirer sans ce tuto salvateur où le produit devient l’oxygène assurant une fonction vitale :
Dans toutes ces pubs, l’idée au fond est la même : nous persuader que nous serons plus fort·e·s, plus complet·ète·s, plus à même de vivre une fois que nous posséderons le produit, voire que nous serions diminué·e·s sans lui. Évidemment, nous sommes habitué·e·s à ce gentil rudoiement publicitaire depuis des lustres au point de ne même plus y prêter attention ou de nous en formaliser, et nous savons bien en notre for intérieur que le bonheur promis par la pub est factice… Soyez sûr aussi qu’il n’y a rien de mal intentionné là-dedans, de machiavélique : baignés par la culture d’entreprise, les publicitaires n’en veulent qu’à votre bonheur et sont souvent réellement persuadés que leurs clients seront plus heureux avec le produit que sans, ils sont persuadés d’être au service d’une forme de progrès… Mais ne croyez pas qu’il y ait dans cette violence ordinaire, ce postulat que la marque sait ce qu’il y de mieux pour vous et vous l’assène de façon subtilement bourrine, quelque chose d’anodin, ni même que votre intelligence suffise à déjouer tout cela, comme nous le verrons plus tard en nous réintéressant à la façon dont notre cerveau fonctionne…
Contentons-nous pour l’heure d’observer comme le marketing et le webdesign peuvent aussi s’y prendre pour éveiller en nous une compulsion d’achat.
To-buy list
Voyez cette capture. Lorsque l’utilisateur·trice est connecté·e à son compte, la page My products lui affiche ce catalogue où l’on grise tous les produits déjà possédés pour mettre en valeur ceux qui ne le sont pas… « C’est pratique ! » se diront certain·e·s, sans relever que la raison d’être de la page My Products n’est justement d’afficher QUE les produits possédés. En mélangeant ainsi les torchons et les serviettes, on n’est plus face à une simple liste de produits, mais face à une to-do list à acheter car son design génère une insatisfaction : voyant ce qui manque pour compléter la collection, on sera tenté de remédier à cela… Pour peu qu’un des articles non possédé soit en promo (voyez en bas de page le petit « Sale » rouge), il y a bien plus de chance de générer un achat, quel que soit l’intérêt réel pour le produit…
Chez le concurrent, c’est un peu la même chose prise sous un angle différent mais tout aussi redoutable : on grise à l’extrême le produit, de sorte qu’il est à peine visible par rapport aux produits que l’on possède. C’est au survol du produit grisé que la frustration visuelle cède la place à un beau visuel en couleur bien contrasté et qui semble dire « achète-moi pour apaiser définitivement la frustration et voir le monde en couleur ! »
Posséder tout pour cocher toutes les cases : c’est sur cette même obsession que reposent les offres de bundle ou de crossgrade vers ces derniers comme le font les plus gros éditeurs du marché… Il est d’ailleurs intéressant de voir comme les tarifications unitaires de certains poussent à la surconsommation, avec des produits à l’unité vendu 150 euros par exemple, tandis qu’un bundle en rassemblant une trentaine sont vendus non pas 6600 euros, ni même 3000 ou 1000 euros, mais seulement 600 euros ! Inutile de dire que le seul produit véritablement vendu est de fait le bundle, tandis que les tarifs des produits à l’unité ne servent que de faire valoir à ce dernier…
Or, ce faisant, même si cela n’a pas de gros impact environnemental, on est bien là dans un cas d’incitation à la surconsommation : vous étiez parti·e pour acheter un plug-in qui vous faisait envie et voici que, considérant l’incroyable rapport qualité/quantité/prix du bundle, vous en venez à dépenser quatre fois plus pour acquérir trente produits de plus que vous n’aviez pas forcément considérés jusqu’ici… Pour quel enjeu ? Aucun si ce n’est d’assurer la vente bien sûr, mais aussi de développer la collectionnite qui vous poussera à mettre à jour le bundle à chaque nouvelle édition !
Les prix semblent ne plus vouloir dire grand-chose chez d’autres puisqu’il n’est pas rare de voir un compresseur tellement pro qu’il est proposé à 349 euros à sa sortie, pour « sacrifier son prix » à 29 euros trois semaines plus tard… Ailleurs, on poussera à la consommation de façon bien maline en vous proposant un produit freeware pour commencer. C’est la première dose gratuite du dealer de drogue, mais aussi le gentil cheval de Troie par lequel l’éditeur va titiller, depuis le freeware même ou par e-mail, votre nerf du GAS via des offres promotionnelles si agressives qu’il sera dur de leur résister…
Face au ridicule de certaines politiques de prix, on jure bien qu’on ne se fera pas avoir par ces grossières manœuvres qui nous prennent pour des imbéciles… Sauf que ce n’est pas à nous que s’adressent ces campagnes promotionnelles ou ces publicités… mais à notre cerveau… qui se fait très facilement berner, quelle que soit notre intelligence…
Vous avez sans doute déjà été au contact d’une offre à durée limitée où vous n’aviez que 24 h pour bénéficier de tel rabais ? Laissez-moi donc vous parler du FOMO…
FOMO Sapiens
Si notre monde évolue à un rythme effréné d’un siècle à l’autre, d’une décennie à l’autre et même d’une année à l’autre, c’est loin d’être le cas de notre physiologie qui met quant à elle des dizaines voire des centaines de milliers d’années pour s’adapter à son environnement. Si l’on observe bien une évolution dans la mâchoire et la dentition de l’Homme depuis qu’il a découvert le feu et que cela a simplifié la découpe et la mastication des aliments, notre cerveau utilise toujours quant à lui certains des mécanismes primitifs qu’il utilisait déjà lors de la préhistoire. Il ne s’agit pas ici de soutenir le concept du cerveau reptilien dont les scientifiques ont depuis longtemps prouvé qu’il n’était pas fondé, mais bien de parler de mécaniques primitives héritées dans nos fonctionnements de base.
À l’époque où l’homme était chasseur-cueilleur, c’est à dire à l’époque où il n’avait ni les moyens de produire ses aliments par la culture ou l’élevage, ni ne maitrisait encore les techniques de conservation, son alimentation reposait sur des opportunités : le fait de trouver un arbre couvert de fruits comme d’arriver à pêcher un poisson entrainait ainsi un gavage en règle, par peur de ne pas pouvoir trouver de tel festin le lendemain (la peur de manquer) comme par peur de voir un autre prédateur lui disputer la nourriture.
Or, c’est le même réflexe de surconsommation précipitée qu’on cherche à activer lors d’une opération promotionnelle en temps ou en stock limités, ce que les gens du marketing appellent le syndrome FOMO (Fear Of Missing Out, soit la peur de rater quelque chose, un biais observé sur les réseaux sociaux où la peur de rater quelque chose génère une angoisse). Dépêchez-vous, nous dit le marketing, car il n’y en aura pas pour tout le monde et si vous n’achetez pas maintenant, il sera trop tard ensuite… L’idée est évidemment de court-circuiter toute réflexion pour activer un réflexe primitif, qui est légitime quand il est lié à la survie, mais qui ne l’est évidemment pas dans ce cas. De la sorte, vous comprenez pourquoi vous êtes assailli·e en permanence par des offres limitées, des codes de réduction unique, des « grace period » (on appréciera à sa juste valeur l’usage du mot « grace ») où le produit est moins cher à son lancement. Voilà qui explique aussi la raison pour laquelle un Black Friday fonctionne aussi bien…
Or, en évoquant le fameux FOMO, nous avons mis un pied dans le monde merveilleux et terrifiant des biais cognitifs, où les cerveaux des génies comme des plus imbéciles sont ramenés à la même enseigne pour le plus grand bonheur du marketing…
Du biais aux billets avec le marketing
On doit la théorie des biais cognitifs aux psychologues Amos Tversky et Daniel Kahneman au début des années 70, ces derniers cherchant alors à expliquer la raison de décisions économiques irrationnelles. Ce faisant, ils mettent à jour un premier biais qu’ils appellent « l’aversion pour la perte » et qui explique que, contre toute logique, une entreprise poursuit un projet non rentable parce que si elle ne le poursuivait pas, elle aurait l’impression de perdre ce qu’elle a investi. Or, l’argent dépensé est déjà perdu et poursuivre le projet ne conduit qu’à en perdre plus encore… C’est un peu l’histoire du Concorde, mais c’est aussi ce biais que l’on peut retrouver dans notre exemple précédent : en vous pressant d’acheter avant la fin d’une période de promo, on joue sur le fait que vous redoutez de perdre de l’argent si vous n’achetez pas à ce tarif préférentiel. Or, si vous n’en éprouviez pas le besoin auparavant, c’est précisément en l’achetant que vous perdez de l’argent.
Comme on le voit avec cet exemple, les biais cognitifs sont des décisions illogiques issues de simplifications que fait notre cerveau pour s’adapter au plus vite à un contexte (on appelle ces simplifications des heuristiques de jugement). Pour faire simple, on pourrait assimiler cela à des raccourcis de raisonnement destinés à simplifier la pensée (et donc l’action quand on se doit de penser vite pour agir vite), occasionnant des angles morts dans notre capacité à juger et agir en toute logique et lucidité face à une information ou un choix… Or, à la suite des travaux des deux compères, en fouillant dans les recherches en psychologie comme en conduisant de nouvelles expériences, on s’est mis à en découvrir des dizaines et des dizaines, 250 même ! Au point de pouvoir en établir une classification : on parle ainsi de biais sensori-moteurs, attentionnels, mnésiques, de jugement, de raisonnement, de personnalité, etc.
L’un des plus connus avait d’ailleurs été découvert bien avant les travaux de Tversky et Kahneman par les Égyptiens au XVIe siècle av. J.-C. : ce n’est autre que le fameux effet placebo, qui veut qu’un faux médicament parvienne à guérir des pathologies… Or, sachez qu’on a prouvé depuis que le placebo est efficace… même lorsqu’on informe la personne qu’elle prend un placebo !
Car c’est là la beauté ou la laideur de la chose, les biais cognitifs vous piègent, quelles que soient votre intelligence et vos connaissances en la matière. Seuls le recul analytique et la réflexion de groupe permettent a priori d’y échapper, mais les biais sont autrement plus durs à déjouer lorsqu’ils se présentent à nous lorsque nous sommes seul·e·s, surtout lorsqu’on nous presse d’agir vite… Et le psychologue Gerald L. Clore de conclure :
« (La Psychologie) arrive a une réponse claire, basée sur des évidences, et la réponse est “Non”, les gens ne pensent pas de façon rationnelle habituellement, en tout cas, pas de façon explicite… Plus précisément, la pensée humaine n’est généralement pas rationnelle parce que, pour une grande part, elle est inconsciente (Wilson, 2002), automatique (Bargh, 1997), émotive (Zajonc, 1980) et de nature heuristique (Tversky & Kahneman 1974) »
De fait, après que des ouvrages comme le Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois (1987) leur en ont vulgarisé le potentiel, les gens du marketing se sont appropriés les recherches des sciences psychologiques et cognitives pour développer de nouvelles techniques de vente. Escalade de l’engagement, pied-dans-la-porte, porte-au-nez, pied-dans-la-bouche, amorçage : ce sont là autant de recherches en psychologies qui servent désormais l’argumentaire commercial. Revenons toutefois à nos biais, tel qu’on les trouve dans notre domaine…
Le plus utilisé par l’industrie de l’équipement musical et audio, découvert dès 1920, n’est autre que l’effet de halo, appelé aussi effet de notoriété ou encore effet de contamination. Ce dernier affecte la perception des gens, des choses ou des marques en fonction d’une première impression : une caractéristique jugée positive à propos d’une personne ou d’un groupe de personnes a tendance à rendre plus positives les autres caractéristiques de cette personne ou des choses qui lui sont associées, même sans les connaître (et inversement pour une caractéristique négative). Soit ce qui motive l’endorsement, une technique de vente sur laquelle repose essentiellement le succès commercial des grands fabricants d’instruments, et qui pousse les marques à investir des sommes faramineuses chaque année pour s’attacher l’image de personnes populaires :
Le principe de la pub est simple : Kurt Cobain est cool, alors sa guitare Signature est cool, même si cela n’a aucun fondement rationnel, d’autant que l’artiste, déjà mort depuis longtemps lorsque la marque a sorti ce modèle, n’a même pas essayé la guitare (pas sûr d’ailleurs qu’il ait été d’accord, comme Joe Strummer, pour prêter son nom à ce genre d’opération mais c’est le côté pratique des mort·e·s : leurs héritier·ère·s sont conciliant·e·s). Et le plus beau de l’affaire, c’est que même si la guitare en question était un mauvais instrument, ses utilisateur·trice·s comme la presse spécialisée se montreraient plus indulgent·e·s envers elle par effet de halo, ce qui vaut bien quelques millions de dollars vu la façon dont ce désamorçage du jugement critique boostera les ventes.
De la gentille manipulation ? Oui. Et c’est d’ailleurs en partie sur cette même manipulation, cette exploitation des biais cognitifs, que reposent la magie ou les tours de mentalistes à des fins purement récréatives. Son usage dans le commerce ou la politique est en revanche plus discutable, mais comme aucune loi ne l’a jamais empêché et que notre société repose sur la consommation, personne ne songe plus même à en questionner l’éthique.
Voyez ce visuel issu du catalogue d’une boutique en ligne : il ne paye pas de mine, mais il est un concentré ordinaire de manipulation fonctionnant sur les biais cognitifs :
Le prix du plug-in barré en noir sert moins à vous informer sur la valeur supposée du produit qu’à utiliser, sur vous, le biais cognitif d’ancrage, soit vous donner une valeur haute de sorte que le prix réel vous semble extrêmement bas. Recourant à ce même biais comme au biais de primauté (le premier chiffre est plus important que les suivants), le fait de mettre 29,99 dollars plutôt que 30 fait que le cerveau reconnait le prix comme appartenant à la vingtaine plus qu’à la trentaine…
La couleur rouge n’a rien non d’un hasard même s’il ne s’agit pas cette fois d’un biais cognitif. Si la symbolique des couleurs répond à la subjectivité d’une culture (au Japon, on s’habille en blanc pour les enterrements, contrairement à ce qu’on fait en Occident), la couleur rouge est la seule dont on ait prouvé qu’elle produit un effet physiologique : elle accélère le rythme cardiaque, pulsant plus de sang dans les muscles comme dans le cerveau. Bref, elle favorise physiquement l’attention, l’excitation, l’action et c’est pour cela que les panneaux STOP et les sens interdits sont rouges… ainsi que les prix ! Cerise sur le gâteau, on appréciera la mention Use Code CREATE40 to Get Price Shown. Ah parce qu’en plus on dispose d’un code promo ? CREATE40 comme –40 % ? Comme on dit chez les anglophones, tout conduit à faire de cette annonce un « No-brainer deal » : je vous laisse apprécier cette expression idiomatique dans son sens littéral…
Dans le même ordre d’idée, je ne compterai pas le nombre de fois où l’on m’a dit : « la pub n’a aucune influence sur moi ». Or, parce qu’elle a payé en bonne partie mon salaire depuis 25 ans et parce que des sociétés investissent chaque année des milliards dans des campagnes de pub (850 milliards de dollars en 2023 selon les prévisions), je peux vous assurer que la pub fonctionne. Et elle fonctionne même très bien, principalement à cause d’un biais cognitif contre lequel aucune sagacité ne peut lutter : le biais de Zajonc, aussi appelé effet de simple exposition.
Achetez ! Vous êtes cerné·e !
Ce biais repose sur le fait que plus nous sommes exposés à un stimulus, plus nous avons tendance à le préférer à un stimulus auquel nous serions moins en contact. Et cela marche pour une personne comme un produit, une marque, une musique, etc.
De fait, si demain je crée un pack d’accords MIDI appelé « Unison MIDI Chord Pack », que j’investis massivement en pub pour que, dès que vous allez sur YouTube, vous soyez au contact de mon produit et de ma marque, puis que je le mets d’emblée à « - 60 % pour une période limitée » même si c’est complètement bidon, en indiquant un prix extravagant rayé à côté d’un prix très nettement inférieur, j’ai déjà une chance de vous plaire à l’usure.
Or, si j’ajoute une petite pop-up montrant qu’une vente du pack se produit toutes les 5 secondes en usant du biais de conformisme, et que je vous place face à des témoignages de gens a priori pros qui vous disent le plus grand bien de mon produit pour jouer de l’effet de halo/notoriété, je ne finirai pas obligatoirement par vous avoir comme client·e, parce que vous êtes super fort·e et que vous avez lu cet article, mais je gagnerai chaque jour un peu plus une proximité avec vous, au point que si un jour, vous souhaitez acheter un pack de progressions d’accords MIDI, c’est probablement vers moi que vous vous tournerez, ne serait-ce que pour voir ce que j’ai à proposer…
Voilà. C’est aussi fascinant que déprimant, mais c’est ainsi que la plus bête des publicités peut se jouer de vous pour vous précipiter dans une crise de GAS, quand bien même vous êtes informé des mécaniques utilisées.
Or, à l’heure où la surconsommation est en question à cause des problèmes environnementaux comme de finitude des ressources, il est à espérer que ces techniques de vente seront un jour un peu plus encadrées, la seule façon de faire un juste commerce étant de fabriquer un bon produit pour le vendre aux gens qui en ont exprimé le besoin, sans créer artificiellement ce dernier, sans jouer des faiblesses du client. Concernant l’usage des biais cognitifs au sein de « dark patterns », Il semblerait en tout cas que les choses commencent à bouger outre-Atlantique comme ici…
Et Audiofanzine là-dedans ?
Certaines des techniques que nous avons détaillées sont utilisées sur notre site même, que ce soit dans le comparateur de prix (prix en rouge), dans nos bannières Produit ou dans la newsletter promo (prix barré, etc.), sans même parler de l’usage que peuvent en faire les publicités de nos clients. Des techniques que nous n’avons pas forcément conscientisées au moment du design mais qui n’en relèvent pas moins des mêmes procédés, et dont nous serions bien en peine de nous passer vu que c’est sur la performance de ces espaces que reposent la survie du site et nos emplois. Moi-même, j’ai déjà tourné plusieurs vidéos « shopping » à l’occasion de Noël ou du Black Friday, moi-même qui, à l’instant précis où je rédige cet article, suis en proie à une petite torture pour savoir si je « dois » ou non acheter une banque de batterie actuellement en promo…
Ce sont là toutes les contradictions d’un humain et toutes les contradictions d’un média web basé sur le modèle économique de la « gratuité », vu que rien n’est jamais gratuit, de notre côté (fabriquer un site comme Audiofanzine coûte beaucoup d’argent) comme du vôtre (c’est en portant à votre attention ces pubs et espaces de vente que nous monétisons Audiofanzine). Gageons toutefois que notre franchise et notre bienveillance jouent pour nous, sachant que, dans le sillage de cet article, nous nous en remettons à la sagacité de chacun pour déjouer les pièges du GAS et comprendre qu’il y a un rapport raisonnable à trouver avec l’équipement.
Quant à savoir si l’on peut parvenir à ce rapport sans passer par le fameux syndrome, c’est encore une autre histoire…
GAS : un passage obligé ?
J’espère que vous l’aurez compris : cet article ne vise pas à condamner le fait de s’équiper, d’autant qu’il n’y a qu’en se confrontant à certaines réalités qu’on progresse : ce qui m’a permis d’apprécier toutes les qualités d’un Neumann U87 après dix ans de pratique en tant qu’home studiste, c’est le fait d’être passé, pour enregistrer une guitare acoustique, d’un SM58 à un Berhinger B2 Pro, puis à un Blue Spark avant d’avoir l’occasion d’essayer le Neumann. Au gré de cette progression, j’ai pu constater à chaque fois les limites d’un micro face à l’autre, comme j’ai pu m’apercevoir que je n’utilisais pas bien le SM58… Bref, dans le rapport au matériel se joue aussi une forme d’expérience… Or, à en croire de nombreux témoignages, cette expérience passe souvent par la case GAS.
De fait, beaucoup de musiciens ou techniciens expérimentés l’avouent : ils sont eux aussi passés par un surinvestissement dans le matériel à un moment de leur vie. C’est un peu comme une bêtise qu’il faudrait avoir faite pour réaliser que c’est une bêtise : se jeter à corps perdu dans le matos, dans la quête de la meilleure guitare ou du meilleur micro, du meilleur plug-in, pour réaliser à la fin que l’essentiel ne se joue pas là, et en venir à réduire son équipement à un strict nécessaire de qualité et dont on a appris à se servir.
Plus on progresse dans l’audio et la musique, plus on comprend en effet le bénéfice de réduire ses équipements à un minimum. Pourquoi ? À cause d’un autre biais cognitif appelé la « paralysie d’analyse ». Ce dernier se présente lorsque trop de choix s’offrent à vous, de sorte que choisir devient un enfer et nuit à votre productivité. Quand on a dix synthés, on passe trois heures à choisir celui qu’on va utiliser tandis que celui qui n’en a qu’un est déjà en train de jouer depuis longtemps. Il est à noter en outre que les contraintes de moyens sont souvent d’excellentes façons de booster la créativité pour s’affranchir des limites du peu d’équipement dont on dispose. Bref, dans tous les cas, souvenez-vous l’adage anglais : less is more… Même si le néophyte n’aura sans doute pas envie d’entendre cela et qu’il devra faire son propre chemin, passer par une probable phase de GAS, avant de se rendre à la même évidence à laquelle arrivent la plupart d’entre nous…
À toutes fins utiles, nous finirons en tout cas avec une checklist à considérer pour vous défendre en cas de poussée de GAS…
12 façons de résister à une crise de GAS
- Faire l’inventaire de l’équipement qu’on possède déjà en estimant lesquels ont été des achats inutiles, et apprécier la pertinence du produit que l’on compte acheter face à ces derniers.
- Vérifier si le produit que l’on compte acheter ne va pas faire double-emploi… en étant honnête : avez-vous vraiment besoin d’une sixième pédale d’overdrive ou d’un huitième compresseur VST ? Se forcer à se documenter sur les produits que l’on possède comme à les utiliser permet souvent, en outre, de se rendre compte qu’ils font bien plus de choses qu’on ne le croyait…
- Se forcer à vendre ou donner un produit qu’on possède pour tout produit qu’on envisage d’acquérir et ne passer à l’achat qu’après l’avoir fait.
- Ne rien acheter pour un usage hypothétique si vous n’avez pas de projet concret concernant le produit : on n’achète pas d’équipement sans avoir précisément ce qu’on compte en faire à l’avance, au cas où on pourrait en avoir besoin, mais parce qu’on en a besoin et que ça nous manque pour réaliser un projet concret… Et si ce projet n’est pas à l’ordre du jour, alors on attendra qu’il le soit pour s’inquiéter de l’équipement…
- Lire des tests d’AF comme de mauvais avis sur le produit qu’on envisage d’acheter, histoire de tempérer le discours marketing qui vous vend du rêve et de se prémunir de toute mauvaise surprise…
- Éviter les achats rapides basés sur la compulsion : attendre la dernière minute du délai pour effectuer l’achat ou attendre au minimum 24 h pour y céder… Et si on rate la promo ? Eh bien ce n’est pas bien grave en définitive…
- Convertir la valeur du produit dans un autre domaine : vacances, formation, resto, etc. De fait, se demander si l’on préfère acheter tel micro ou tel ampli tout lampes ou partir une semaine en bord de mer ou à la montagne ? Ou se payer 20 h de cours qui feront progresser bien plus que tout nouvel achat.
- Penser à Angus Young : la même guitare depuis des décennies dans le même ampli sans pédale supplémentaire, ça peut être simple aussi, la musique…
- Ne rien acheter pour un usage anecdotique : si c’est pour un unique usage, on tâche de voir si l’on ne peut pas louer ou emprunter le produit à quelqu’un.
- Ne pas tenir compte du faible prix d’un produit pour ne considérer que le seul besoin qu’il remplit : même s’il vaut un euro, c’est un euro de perdu s’il ne vous sert à rien…
- Parler à quelqu’un de proche de son projet d’achat, car on est plus fort en groupe pour ne pas laisser les biais cognitifs nous envahir.
- Fixez-vous des limites qui encadrent votre consommation : ne pas acheter plus de x produits tous les ans par exemple, ou ne rien acheter qui soit supérieur à tel prix, n’acheter que Français ou Européen, ne rien acheter entre tel ou tel mois, ou encore ne rien acheter qui dépasse telle taille ou tel volume parce que vous ne pourrez pas le transporter…
Et si jamais le grand méchant GAS vous prend, deux règles pour mieux vivre cet échec :
1. Utiliser au plus vite le produit dans un projet (concert, compo, etc.) histoire qu’il n’ait pas servi à rien.
2. Donner ou revendre le produit à quelqu’un qui en aura vraiment l’usage car le vrai gâchis, c’est le matériel qui croupit sur une étagère ou le logiciel qui croupit sur un disque dur…
Bon courage ? Bon courage !
Bibliographie
Livres :
- Traité d’addictologie
Sous la direction de Michel Reynaud, Laurent Karila, Henri-Jean Aubin, Amine Benyamina
Éditions Lavoisier, 2016 - Happycratie – Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, de Eva Illouz et Edgar Cabanas
Éditions Premier Parallèle (2018) - Les marchandises émotionnelles, de Éditions Premier Parallèle (2019)
- Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois
Éditions PU Grenoble (2014) - La soumission librement consentie, de Robert-Vincent Joule & Jean-Léon Beauvois
Éditions PUF (2017) - Influence et manipulation – 3e édition augmentée, de
Éditions Pocket (2014) - Deceptive Patterns: Exposing the Tricks Tech Companies Use to Control You, de
- Dark patterns : des piègles pour l’UX Design, Usabilis