Un peu moins en vogue aujourd’hui, les workstations ont la peau dure dans l’univers sans pitié des synthés. Il faut dire que leur côté couteau suisse permet de créer des morceaux complets ou dépanner le musicien dans bon nombre de situations…
Il n’est pas rare de manquer d’un son de piano, cordes, cuivres, synthé ou d’un kit de percussions bien particulier. On peut bien sûr lancer sa STAN préférée sur son ordi favori, commencer à charger des VST, assigner les pistes, régler le mixage, envoyer les bons effets et trouver la bonne cohérence sonore à tout ça, perdu au milieu de centaines de milliers de sons ou de plug-in pas toujours mis à jour, compatibles ou légaux. Ceci peut arriver en studio, sous la pression d’un directeur artistique de bonne humeur, en répétition, parce que les autres membres du groupe ont choisi d’ajouter des titres dans lesquels il faut faire du soutien rythmique avec une section de cuivres, un passage au B3, une nappe qui gargouille et un bouzouki qui grince, ou encore sur scène, parce que le sax s’est mis un coup de bec dans les gencives deux jours avant le concert. Le besoin n’est donc pas toujours spécifique ou prévisible.
Autre cas de figure, une aversion profonde pour tout ce qui touche à l’informatique, ses paramétrages, ses autorisations, ses mises à jour, sa latence, quelle que soit l’utilisation faite. En contexte de home studio, on est aussi parfois un peu contraint par l’espace, si bien que vouloir produire un titre de A à Z sans s’encombrer de multiples synthés, modules, effets et enregistreurs relève de la gageure. Et quand bien même, si par bonheur, on a la place et les sous, on peut vouloir piloter un parc bien fourni à partir d’une machine centrale, façon Seigneur des Anneaux dawless. Sur scène enfin, ça peut être la crainte du PC qui déjante en direct, il parait que ça arrive. Heureusement, il existe une solution matérielle, dernier rempart face à ce monde agressif, ce mauvais sort qui s’acharne, l’impossibilité de repousser les murs ou la lassitude de passer d’un synthé à l’autre : la workstation. Mais au juste…
Qu’est-ce qu’une workstation ?
Pour faire vite, c’est un gros synthé qui regroupe une section synthèse multitimbrale, des effets et un séquenceur. La section synthèse doit posséder une polyphonie élevée, pour jouer un maximum de notes simultanées. On exige aussi une multitimbralité confortable, c’est-à-dire la capacité à produire des sons différents en même temps (basse, guitare, pianos, claviers électriques, bois, cuivres, cordes, percussions, synthés, FX…). Ensuite pour les effets, le plus sera le mieux, d’une part pour traiter séparément chaque canal sonore, d’autre part pour mettre la touche finale de mastering. Enfin niveau séquenceur, il s’agit de pouvoir construire des morceaux complets, soit de manière linéaire (enregistrement de pistes du début à la fin), soit en boucle (enregistrement de motifs puis assemblage en morceaux). Avec tous ces outils, la workstation permet de produire un morceau complet en studio ou jouer plusieurs parties simultanées lors d’une session live.
On confond parfois workstation et arrangeur. Bien que ces deux instruments aient des liens de parenté dans leurs éléments constitutifs, il y a toutefois une différence d’approche fondamentale : avec une workstation, on crée un morceau de A à Z, son par son, effet par effet, section par section, le tout assemblé « à la pogne » dans un séquenceur ; avec un arrangeur, on opte pour une orientation performance, avec des possibilités de synthèse limitées, mais une puissante section accompagnement qui génère automatiquement une rythmique complète, harmonisant des accords plaqués en temps réel, sur lesquels on ajoute une mélodie ou du chant. Un arrangeur est plus approprié dans un contexte piano-bar ou bal avec une formation minimaliste (musicien seul ou musicien + chanteur). Il peut-être aussi très utile pour les compositeurs, permettant de tester rapidement différentes ambiances ou harmonisations. Quelques rares arrangeurs se révèlent aussi être de véritables workstations, c’est le cas du PA4X de Korg.
Petite histoire des workstations
S’il est bon de rappeler que les systèmes Fairlight CMI et NED Synclavier pouvaient déjà revendiquer ce titre à la fin des 70’s, on considère le M1 de Korg comme la première workstation de l’histoire, en 1988. Il offre 16 voix de polyphonie, 8 canaux de multitimbralité, un séquenceur Midi 8 pistes d’une capacité maximale de 12000 notes et 2 multieffets simultanés. La synthèse se limite à la lecture d’échantillons, il y a peu de paramètres de synthèse, le filtre est assez quelconque et les possibilités de modulation limitées. Korg va vite devenir le grand spécialiste de la workstation, perfectionnant le concept à intervalle régulier : 01/W, Trinity, Triton, M3 ; avec l’Oasys, on atteint le paroxysme, rassemblant différents moteurs de synthèse dans un clavier intégrant carte PC, carte son, disque dur et logiciel spécifique tournant sous Linux. Bénéficiant de progrès technologiques, le Kronos est à ce jour la plus puissante workstation jamais sortie, pas même égalé par le récent Nautilus.
Retour au siècle dernier. Dans le sillage du M1, la concurrence s’organise plus ou moins vite : côté USA, Ensoniq prend le flambeau, coiffant E-mu alors concentré sur les échantillonneurs. Citons les VFX-SD, SD-1, TS, MR. E-mu finira par intégrer une Rom à son Emulator-4, qui revendiquera le titre de workstation sous le vocable E-Synth. En 1992, Kurzweil sort un OVNI, cumulant synthèse modulaire virtuelle, échantillonnage, arpégiateur, séquenceur, effets : le K2000, digne héritier du K250. Il ne cessera d’être décliné, puis la marque abandonnera un temps les workstations avant de doter certains pianos de scène de fonctionnalités complètes (PC4, Forte). Récemment, le K2700 marque le grand retour de Kurzweil sur ce marché. Alesis sortira le Fusion, une workstation pleine de bons ingrédients, qui n’aura hélas pas le succès qu’elle mérite. Côté européen, ce fut morne plaine, on peut toutefois signaler les S2/S3 et l’Equinox sortis en 1995 et 1999 par GEM (Italie), société disparue depuis dans le cosmos.
Côté japonais, la concurrence est aussi féroce : chez Yamaha, la série SY est suivie par la série EX, formidables workstations qui préfigurent ce qu’on trouve aujourd’hui sur le marché. Non contente de mélanger synthèse, effets, séquences, la série EX offre différents moteurs sonores : lecture de samples, FM, modélisation analogique, modélisation physique, effets polyphoniques. Hélas, le constructeur abandonne petit à petit cette conception au fur et à mesure de l’évolution de la gamme Motif. Aujourd’hui, les séries Montage et MODX intègrent uniquement la lecture de samples et la synthèse FM. Chez Roland, le D-20 sort la même année que le M1, c’est une base de D-50 transformé en workstation (synthèse LA avec ajout de drums, multitimbralité, séquenceur et un pratique lecteur de disquettes). Mais la marque s’impose surtout avec la série Fantom, déclinée en de nombreuses variations, solides mais pas spécialement originales, jusqu’aux Fantom et Fantom-0 basés sur l’architecture Zen-Core, offrant différentes modélisations et permettant d’en charger en option. Nous y reviendrons évidemment dans notre sélection.
Critères de choix
Choisir une workstation aujourd’hui est devenu quasi cornélien, parce que chaque constructeur a sa propre couleur sonore, ses domaines de prédilection, ses technologies, sa gamme, sa conception spécifique du produit et son positionnement prix. Voilà à notre sens les points prioritaires à scruter avant achat.
Palette sonore
Cela peut paraitre une évidence, mais une workstation qui coche toutes les cases laissera toujours un sentiment mitigé si la palette sonore ne correspond pas à nos attentes. On pardonnera plus facilement l’absence d’une fonction pourtant essentielle que des sons insatisfaisants à nos oreilles ; car qu’à l’usage, on arrivera toujours à contourner une fonction manquante, mais quoi qu’on fasse, on aura toujours ce son qui nous rebute. On reviendra dessus encore et encore, à grand coup de corrections, traitements internes puis effets externes : beaucoup d’énergie pour rien, ce type d’instrument est censé être auto-contenu, donc plaire tel quel.
Il n’y a pas de miracle, un synthé aussi complet soit-il n’est pas génial dans tous les types de sonorités. Déjà parce que le constructeur veut se démarquer, ensuite parce qu’il se base souvent sur des échantillons signature de la marque qu’il décline à travers les années. Donc tout va dépendre de l’utilisation, des styles musicaux visés, actuels et futurs, si on veut rentabiliser son achat sans perdre de la valeur en revendant tous les trois ans. C’est là qu’il faut se demander si la palette sonore peut être étendue, soit par chargement d’échantillons, soit par ajout de moteurs de synthèse (nous y reviendrons). Dernier point à regarder pour ceux qui font du live, la machine permet-elle des transitions douces entre les sons, en particulier les combinaisons multitimbrales ? Cela varie selon les modèles.
Qualité de fabrication
Le niveau de gamme joue évidemment sur la qualité de construction, à commencer par les matériaux, qui déterminent la solidité et le poids : coque en acier lourd, alu plus léger, bois massif ou imitation, plastique plus ou moins résistant. Ensuite, les inscriptions : peinture (laque, émail, époxy, Nextel granuleux – très fragile dans le temps), sérigraphie (fine ou épaisse, gravée ou en relief), Lexan (autocollant transparent hyper résistant dont les inscriptions sont protégées, car réalisées côté colle). Puis la solidité des commandes : potentiomètres, encodeurs, curseurs, interrupteurs, sélecteurs, pads. Sont-ils bien ancrés, précis, répondent-ils à l’accélération (encodeurs), à la dynamique (vélocité et pression pour les pads), les capuchons sont-ils agréables à manier, en quelle matière sont-ils faits (certains matériaux Soft Touch ont tendance à se dégrader dans le temps) ? Puis l’écran : dimensions, résolution, luminosité, contraste, réponse (aucune, tactile résistif simple, tactile capacitif multitouch). Après, le clavier : nombre de touches, taille (standard, slim, mini, piano…), lest (léger, semi-lesté, lourd), action (enfoncement, pression, relâchement, rebond, bruit éventuel), réponse dynamique (vélocité initiale, pression mono, pression polyphonique, vélocité de relâchement). Clairement, le niveau de gamme est segmentant, on a souvent des claviers moyens en entrée/milieu de gamme (sans capteur de pression, sans ressorts métalliques, à ensembles de touches moulés) et des Rolls en haut de gamme (avec capteur de pression, avec touches indépendantes, ressorts métalliques, lestage impeccable). Enfin, l’ancrage de la connectique : vissée, sertie ou branlante de partout ?
Ergonomie
On passe ensuite à un point crucial pour une workstation : l’ergonomie. Si elle est capillotractée, c’est un tue-l’amour, des galères en perspective et une revente douloureuse à terme. Questions-clés : combien y a-t-il de commandes directes (curseurs, potentiomètres, interrupteurs), comment sont-elles placées (logiquement, bien espacée ou trop serrées), quels paramètres peut-on modifier en temps réel (synthèse, sélection/activation/coupure d’un canal ou d’une piste de séquenceur, commandes de transport du séquenceur Play/Stop/Continue/Record/Avance/Retour, accès direct aux effets), de quels contrôleurs dispose-t-on (molettes, pads, rubans, capteur optique), comment se passe l’édition via les menus (défilé interminable de pages, onglets bien rangés, spéléologie, lisibilité, taille des caractères, facilité d’accès aux paramètres-clés), comment les programmes sont-ils triés (par numéro, par nom, par catégorie, par favori), peut-on créer des listes faciles à rappeler en live ?
En résumé, les questions d’ergonomie, c’est « vais-je pouvoir facilement créer un son, le retrouver dans une banque, le combiner à d’autres, l’envoyer dans différents effets, piloter plusieurs instruments externes, créer des motifs, les assembler en séquences et rappeler tout ça rapidement » ? Et la question qui fait flipper tout le monde sur scène : « combien de temps met la workstation à booter en cas de panne de courant » ? Souvent, vu tout ce qu’il y a à charger, la réponse est « un certain temps ». Et donc, y a-t-il des bogues connus et des risques de freeze avérés ?
Connectique
Comme les workstations sont capables de produire plusieurs sons simultanément, piloter des modules externes, répondre à nos sollicitations au pied et à l’œil et s’interfacer avec le monde informatique, il convient de jeter un sérieux coup d’œil à la connectique. Combien de sorties analogiques (paires stéréo, individuelles, avec effets, sans effets) ? Combien d’entrées audio, quel type (minijack, jack 6.35, XLR avec préampli micro), comment le signal entrant est-il routé en interne (vers le filtre, vers les effets) ? Idem pour l’audio numérique, avec la question corollaire : a-t-on une véritable interface audio intégrée ? Là encore, le niveau de gamme (donc de prix) est très discriminant au plan de la connectique audio.
On passe ensuite aux entrées pour pédales : combien de pédales (interrupteurs, continues), sont-elles assignables, à quoi, pour chaque partie ou globalement ? Juste après, y a-t-il des prises CV/Gate pour piloter des instruments analogiques externes, combien, configurables pour quel type de signal, pilotées par quoi en interne ? Vient l’heure du Midi : combien de prises, quel format ? Concernant l’interface USB, que transmet-elle : Midi, CC, Sysex, banques, audio multipiste, stockage de données, OS ? La workstation peut-elle piloter directement des synthés hôtes par USB ? Certaines machines proposent des alternatives à l’USB pour le stockage, telles que des cartes SD. Enfin, on peut regarder le type d’alimentation (interne ou externe). Là encore, le niveau de gamme est discriminant.
Fonctions clavier de commande
Les workstations sont aussi des claviers de commande. Cela peut être intéressant de se poser la question de ce qu’on veut piloter, tant en interne qu’en externe. Cela dimensionnera au passage la taille idéale du clavier, les modèles en rack ayant disparu. Certaines marques déclinent leurs workstations en différentes natures de clavier au sein d’une même gamme. On regardera tout particulièrement le nombre maximal de parties pilotables, l’affectation des canaux Midi sortants (numéro, générateur interne, externe, les deux ?), le zonage du clavier, les fenêtres de vélocité et les filtres Midi (changements de programmes, contrôleurs physiques – touches, molettes, pédales, rubans, commandes en façade, pads, messages Midi classique, CC, RPN, NRPN). Certaines workstations sont limitées sur ces différents points, soit en nombre de canaux transmis, soit dans leur assignation (numéro de canal = numéro de partie), ce qui est pénalisant pour certains usages.
Moteurs de synthèse
Aujourd’hui, une workstation doit être capable de produire 128 voix de polyphonie sur 16 canaux multitimbraux, avec allocation dynamique des voix (chaque canal puise les voix disponibles au fur et à mesure qu’elles se libèrent). C’est le minimum syndical. En matière de synthèse, les workstations utilisent toutes la lecture d’échantillons comme outil de base. Il faut dire que c’est le moyen le plus simple d’offrir la palette sonore la plus large. Certaines machines permettent aussi l’échantillonnage direct ou l’import d’échantillons (créés par l’utilisateur, la marque ou des développeurs sonores de tierce partie).
D’autres intègrent des formes de synthèse alternatives à la lecture samples. On trouve la modélisation de pianos acoustiques, la modélisation de claviers électriques, la modélisation analogique, la synthèse FM, la modélisation physique, la modélisation d’orgues à roues phoniques, les articulations d’instruments acoustiques, la synthèse modulaire… Il faut donc bien étudier ce que proposent les marques et les tierces parties (styles musicaux, nombre et taille des banques d’échantillons, moteurs additionnels, qualité globale, tarif, type de licence – achat, mode SaaS, nombre d’installations simultanées, portabilité vers un autre instrument). Ce n’est d’ailleurs pas toujours clair d’une marque à l’autre.
Multieffets
Une workstation étant un instrument en principe autonome, elle doit pouvoir traiter simultanément plusieurs canaux sonores par des effets de nature différente. On s’attachera donc à analyser combien d’effets sont disponibles en même temps, s’ils sont partagés ou exclusifs par canal, comment se fait le routage pour chaque partie (insertion, bus, Sidechain), quels éventuels sacrifices sont faits quand on passe du mode programme simple au mode combinaison multiple ou séquenceur (autrement dit, que devient le son d’un programme simple traité par les effets quand on le met dans un contexte multitimbral ?).
D’une manière plus classique, on regardera la liste des algorithmes fournis, les éventuels effets à modélisation, le nombre de paramètres éditables, les possibilités de modulation en temps réel, les présélections d’effets fournies pour ne pas partir de zéro et la qualité sonore (en particulier les réverbes, qui sont parfois le talon d’Achille des synthés d’entrée de gamme). Les workstations disposent aujourd’hui d’effets globaux, pour l’ambiance générale d’un morceau (chorus, réverbe), le mastering (compresseur et limiteur multibande) et les corrections pour tenir compte du lieu d’écoute (EQ multibande). On scrutera aussi les éventuelles possibilités de traiter des sons externes ou un micro par des boucles d’effets. Ah tiens, y a-t-il un vocodeur ?
Arpégiateur
Ce n’est pas le point clé pour une workstation, mais c’est toujours agréable d’avoir un petit arpégiateur pour générer des motifs en temps réel ou créer des parties de séquences quand une programmation à la main serait fastidieuse. On se posera d’ailleurs la question de savoir si la workstation permet d’utiliser l’arpégiateur et le séquenceur simultanément ou encore d’enregistrer des motifs arpégés dans le séquenceur. Autre question, est-ce que les notes arpégées sont envoyées en Midi, toujours utile pour piloter un appareil externe ?
Les points-clés pour un arpégiateur sont les suivants : modes de synchronisation (internes, externes), types de motifs (simples, complexes, monodie ou polyphonie), nombre maximal de notes mémorisées pour générer l’arpège, possibilité de créer ses propres arpèges, transposition d’octaves, réponse à la vélocité, facteurs aléatoires (notes, Ratchets), nombre d’arpèges qui peuvent tourner simultanément, ça va peut aller de 1 à 16 !
Séquenceur
S’il y a bien un module déterminant pour les workstations, c’est le séquenceur. Il doit évidemment être multitimbral et capable de piloter des générateurs internes et des modules externes (Midi, USB, parfois en CV/Gate). Toutes les marques et produits ne sont pas à égalité dans ce domaine, on a d’ailleurs constaté des rétropédalages fâcheux chez certains fabricants, réfutant même l’appellation workstation pour leurs propres produits. On regardera d’abord le nombre de pistes, la capacité de notes, la nature de la mémoire des séquences (permanente ou effacée à l’extinction des feux) et les possibilités d’import/export de séquences (en interne, par exemple depuis le mode motif, ou en externe, sous forme de SMF de type 0 ou 1).
Un séquenceur doit permettre d’assembler facilement des motifs (créés de manière cyclique, comme une rythmique) et d’enregistrer en mode linéaire (sur une durée indéterminée, ou a minima très longue). Certains sont d’ailleurs limités en nombre de mesures. Sur une workstation, le séquenceur doit idéalement pouvoir se programmer en temps réel, en pas à pas et en mode grille. Il doit ensuite offrir des possibilités d’édition globales (copier/coller/insérer/supprimer), par fenêtre de note, par section de plusieurs mesures et par évènement isolé. On appréciera aussi les possibilités d’enregistrer des automations (CC Midi) et de les éditer après coup. C’est encore mieux lorsque cela se fait de manière graphique, sous forme de piano roll ou de liste déroulante. C’est le luxe lorsque l’écran permet de glisser-déplacer des évènements, mais c’est encore trop rarement le cas.
Dernier point, les pistes audio. Certains séquenceurs intègrent des pistes audio en parallèle des pistes Midi. Cela permet d’enregistrer des instruments externes ou des voix, ou encore de bouncer des pistes Midi pour récupérer de la place. C’est le cas chez Korg dès l’entrée de gamme, avec 16 pistes audio direct-to-disk. La concurrence permet la plupart du temps de générer un mix audio stéréo pour l’exporter ensuite.
Notre sélection
Aujourd’hui, il ne reste que quatre marques produisant des workstations : Korg, Roland, Yamaha et Kurzweil. Il y a donc peu de produits et peu de renouvellement. Tout va être question de gamme, de marque, de palette sonore, d’ergonomie, de qualité de construction, de possibilités d’extension et d’interfaçage avec l’extérieur (autres synthés en Midi, STAN logicielles en audio).
Moins de 1000 €
La série Kross 2 de Korg est la seule sous la barre des 1000 €. Elle propose deux modèle (61 touches légères et 88 touches lourdes). Polyphonique 120 voix et multitimbral 16 parties, le Kross 2 offre une Rom réduite basée sur la lecture de samples, 7 multieffets, 2 arpégiateurs et un séquenceur Midi 120.000 notes (sans édition graphique) ; il peut également échantillonner et exporter des fichiers WAV. Sa construction est light, son petit écran ne facilite pas l’édition et il manque de commandes directes. Pour ceux qui veulent se lancer sans se ruiner. Il y a également le Krome EX 61 (61 touches semi-lestées), on parle juste après de la série…
Entre 1000 et 2000 €
Le segment des workstations de moyenne gamme dans les 1000–2000 € est le plus disputé. Les modèles proposent tous au moins 120 voix de polyphonie sur 16 canaux multitimbraux. On peut encore trouver les modèles Krome EX (73 touches semi-lestées et 88 touches lourdes) datant de 2012. Bien mieux construit que le Kross 2 (qui a repris ses modes combinaison et séquenceur), il s’appuie sur un moteur PCM de 3,8 Go, un grand écran graphique tactile qui améliore considérablement l’édition et 8 multieffets. Une sorte de Kronos light concentré sur les PCM avec un séquenceur plus ergonomique, mais sans échantillonnage utilisateur ni extensions.
Dans la même gamme de prix, on trouve la série MODX de Yamaha (61 et 76 touches semi-lestées, 88 touches lourdes). Ce sont de véritables petits Montage. Construits plus légèrement et possédant moins de commandes directes, ils bénéficient toutefois des mêmes moteurs de synthèse (Rom PCM identique de 128 voix, FM 8 opérateurs réduite à 64 voix), des mêmes effets (réduits à 15 multieffets max), du même générateur de motifs rythmiques multitimbral sur 16 canaux et de l’USB audio (réduite à 4 entrées / 10 sorties). C’est au niveau du séquenceur linéaire que le bât blesse, le MODX étant juste capable d’importer des séquences 16 pistes ou d’en enregistrer en temps réel sans pouvoir les éditer. Sur ce point, son statut de workstation est souvent discuté. C’est une machine complexe, parfois compliquée. Pour nous, une excellente workstation de milieu de gamme avec une palette sonore très équilibrée, sans doute la meilleure en termes de « sons acoustiques ».
Chez Roland, le milieu de gamme est en passe d’être remplacé. La série Fantom-0 (61 et 76 touches semi-lestées, 88 touches lourdes) va succéder à la série FA. Il va falloir être très attentif, car les noms de modèles se ressemblent, entre anciennes et nouvelles gammes, mais pas les spécifications ! Avec un prix plus attractif, le Fantom-0 a une qualité de construction inférieure au Fantom, à base de plastique moulé et d’un clavier sans capteur de pression. Il a aussi un peu moins de commandes directes et une connectique moins avancée. Au plan synthèse, il cumule la lecture de samples, le SuperNatural Acoustic, le SuperNatural Piano & EP (préinstallés, contrairement au Fantom haut de gamme) et la modélisation d’orgues à roues phoniques. On pourra installer d’autres moteurs optionnels, en particulier la modélisation de synthés vintage maison. Si la polyphonie n’est pas communiquée, la multitimbralité est de 16 parties. On bénéficie d’une grosse section de 20 multieffets, d’un séquenceur 16 pistes avec une édition complète (mais limité à des motifs de 64 mesures), de possibilités de clavier de commande avancées, de l’échantillonnage utilisateur et d’un port USB audio 2 entrées / 16 sorties stéréo. C’est donc un modèle réduit plus abordable que l’onéreuse série Fantom.
On termine ce moyen de gamme avec la série PC4 de Kurzweil (modèles 76 touches semi-lestées et 88 touches lourdes avec pression). On passe à 256 voix de polyphonie, sur une base de 2 Go de PCM auxquels s’ajoutent 2 Go en Flash Ram pour importer des samples additionnels (le PC4 ne sample pas lui-même), une synthèse modulaire virtuelle (VAST) permettant d’empiler/cascader 32 couches d’algorithmes variés (oscillateurs, filtres, modulateurs audio, synchronisations, autres modulateurs), la modélisation d’orgues à roues phoniques et la FM 6 opérateurs (compatible DX7). Le PC4 possède une section de 32 multieffets remarquables aux plans qualité, possibilités de modulation et options de routage. Il est capable de se transformer en clavier de commande 16 zones, avec commandes directes assignables. Il possède un arpégiateur multitimbral 16 parties et un séquenceur 16 pistes (à pas avec CC Midi, classique avec édition graphique). La palette sonore est excellente, même si certains samples datent un peu. Dommage que son écran ne soit pas plus grand ni tactile.
Plus de 2000 €
Pour le haut de gamme, on passe globalement à plus de 200 voix de polyphonie (cela dépend des moteurs de synthèse) sur 16 canaux multitimbraux. On peut d’ailleurs regretter qu’aucun constructeur n’ai poussé à 32 canaux, pour les compositeurs les plus exigeants ou ceux qui aiment empiler les sons comme des mille-feuilles. La workstation qui embarque le plus de moteurs de synthèse est le Nautilus de Korg (61 et 73 touches semi-lestées, 88 touches lourdes). Le petit modèle commence d’ailleurs à un tarif juste en-dessous de 2000 €. C’est la seule workstation à date capable de lire les multisamples par streaming. On retrouve les 9 moteurs de synthèse du Kronos pouvant être utilisés simultanément en mode multitimbral (pianos acoustiques, PCM, modélisation de claviers électroniques et d’orgues, modélisation physique de cordes, modélisation de synthés analogiques, modulation de phase / FM 8 opérateurs), les séquenceurs d’ondes, le puissant processeur à 16 multieffets, le double arpégiateur polyphonique et le séquenceur 16 pistes Midi + 16 pistes audio direct-to-disk. Le Nautilus peut échantillonner et importer des banques de toute nature. Hélas, le constructeur a limité le nombre de commandes directes et n’a pas employé de clavier répondant à la pression. C’est donc une série à cheval entre les deux gammes, qui ne prend pas la suite du Kronos.
Chez Yamaha, le Montage est la version de luxe du MODX, au plan qualité de construction, puissance de synthèse, commandes directes et effets. D’une qualité audio irréprochable, il représente le must en matière de palette sonore acoustique (section PCM 128 voix stéréo) et synthèse FM (8 opérateurs, 128 voix). De nombreuses commandes et macro permettent un contrôle avancé du générateur sonore interne et de synthés externes. Il est doté d’une section à 19 multieffets (insertions, globaux, mastering) et de l’USB audio (4 entrées / 16 sorties, avec possibilité de passer à 192 kHz sur 4 canaux stéréo). C’est une machine complexe, à l’ergonomie parfois déroutante, équipée d’un séquenceur à motifs très puissant, mais limitée par un séquenceur linéaire 16 pistes pas au niveau des autres workstations. Il existe en versions 61 et 76 touches semi-lestées, ainsi que 88 touches lourdes.
Le Fantom de Roland (61 et 76 touches semi-lestées, 88 touches lourdes) est le plus onéreux de la gamme. Il s’en sort très bien au plan de la palette d’échantillons PCM. Il bénéficie de plus des moteurs V-Piano, SuperNatural Acoustic, VA généraliste, orgues à roues phoniques, ainsi que de possibilités d’extension (SuperNatural Piano et EP, synthés célèbres de la marque modélisés, nouveau moteur n/zyme permettant entre autres l’utilisation de tables d’ondes). L’addition devient toutefois lourde si on ajoute toutes les options disponibles ! Au plan ergonomie, c’est ce qui se fait de mieux sur le marché, un instrument exemplaire dans chaque menu, que ce soit pour l’édition des sons, le réglage des 21 multieffets simultanés, la configuration du clavier de commande 16 zones internes + externes ou l’édition du séquenceur 16 pistes Midi. Dommage que ce dernier ne permette pas la programmation de pistes linéaires (motifs chainables limités à 64 mesures), ce qui peut être limitant pour certains types d’utilisation. Doté d’une connectique complète et d’une interface audio USB (3 entrées / 16 sorties stéréo), il est capable d’échantillonner, de créer des multisamples à injecter dans le moteur PCM global ou de les jouer avec les pads. Il dispose d’un filtre analogique stéréo multimode assignable en sortie.
Le K2700 de Kurzweil est une workstation très complète. C’est un instrument au son raffiné qui se mixe très facilement, mais Kurzweil n’a pas renouvelé l’ensemble de sa palette sonore de multisamples (certains datant du K250 de 1985 !), mis à part les deux principaux pianos acoustiques, versions compactifiées de celles du Forte. Heureusement, le K2700 jouit d’une synthèse modulaire sans équivalent sur 32 couches empilables ou cascadables, d’une magnifique section à 32 multieffets et d’une puissance d’édition sans égal (cf. PC4). Doté de 256 voix de polyphonie sur 16 canaux multitimbraux, il peut faire tourner simultanément 16 arpèges, 16 séquences de CC Midi et 16 pistes de séquences linéaires, avec une édition millimétrique. Hélas, le petit écran non tactile vient entacher son ergonomie. Il dispose de 4,5 Go de samples, auxquels s’ajoutent 3,5 Go de Flash Ram pour les samples utilisateur (il ne sample pas lui-même, ce qui est un retour en arrière par rapport au reste de la série K2XXX qui pouvait recevoir une carte d’échantillonnage optionnelle). Il dispose de contrôleurs plus nombreux que le PC4, dont 16 pads dynamiques et un grand ruban. Il offre aussi une interface audio USB stéréo. Il n’en existe à ce jour qu’une version 88 touches lourdes sensibles à la vélocité et à la pression.
Conclusion
Après une domination du marché sans partage pendant une vingtaine d’années, les workstations ont aujourd’hui perdu de leur superbe, au profit de solutions logicielles imbattables en puissance pure. Pourtant, elles peuvent dépanner dans de nombreuses situations, que ce soit au studio, en répétition ou sur scène. Résultat, le nombre de marques présentes sur ce marché s’est considérablement réduit, tout comme la gamme qu’elles proposent, le plus souvent limitée à un modèle de milieu de gamme (1000–2000 €) et un modèle haut de gamme (plus de 2000 €). Cependant, elles intègrent de plus en plus de possibilités de synthèse et d’effets, mélangent différents moteurs à modélisation disponibles simultanément, avec une fiabilité maximale et sans latence. Mais pour combien de temps encore ?