Comme chaque année, Arturia nous revient avec sa fameuse V Collection, le plus gros bundle de synthés modélisés existant sur le marché, accueillant toujours plus de nouveaux venus à chaque fois, ou de nouveaux revenus...
Si je vous dis cela, c’est que sur les produits qui grossissent chaque nouvelle édition du bundle, certains sont en général sortis au court des douze précédents mois, d’autres sont des refontes de modélisations vieillissantes et d’autres encore sont de vraies nouveautés.
Et cette V Collection X n’échappe pas à la règle puisqu’en plus d’Augmented Brass et Augmented Grand Piano sur lesquels nous allons nous pencher, on y trouve Acid-V, l’émulation de TB-303 que nous avions testée à l’époque de sa sortie, mais aussi Minifreak-V, version logicielle du synthé éponyme d’Arturia. Si nous ne étendrons pas sur la première, vraiment excellente en termes de son et proposant quantité de petites choses étendant les possibilités de l’original, on soulignera la pertinence du Minifreak qui, à défaut d’être déjà une légende de la synthèse, n’en est pas moins un synthé simple à prendre en main et jouissant, comme toutes les créations d’Arturia, d’une vraie personnalité… On renverra au test de Synthwalker pour en savoir plus sur le petit monstre.
Évoquons à présent Augmented Brass et Augmented Grand Piano qui rejoignent l’Augmented Strings et l’Augmented Voice de la V Collection 9, et se voient complétés par la première de deux vraies nouveautés de cette mise à jour : Augmented Woodwinds.
Réalité Augmented
Rappelons-le : la série Augmented exploite un concept assez à la mode en ce moment, qui consiste à mélanger samples et synthèse pour produire des sons hybrides où le grain de l’acoustique amène son supplément d’âme aux sons synthétiques, un peu à la façon des premiers instruments d’Output.
Dans le détail, on se retrouve avec un panneau principal flanqué de huit potards tandis qu’on accède à l’édition en cliquant sur Advanced. Nous attendent à cet endroit les deux layers sur chacun desquels on peut jouer deux sons provenant soit de samples soit de synthés, le tout étant soumis à une section de modulation, un arpégiateur et des sections d’effets en insert ou master. Bref : une architecture Omnsipheresque et qui offre d’autant plus de possibilités qu’on dispose de plusieurs types de synthèse : soustractive, granulaire, à table d’onde… Arturia connait son affaire en la matière !
Ceci étant dit, penchons-nous un peu plus sur le nouvel Augmented Woodwind en notant une bonne chose d’emblée : Les développeurs ont revu les contrastes du navigateur de présets, qui s’avère enfin lisible du coup. Pour l’heure toutefois, notons que les autres instruments Augmented ne bénéficient pas de cette correction et qu’il reste encore des pans d’interface à améliorer sur ce point car ils ne passent pas alors les tests de lisibilité des référentiels d’accessibilité.
Pour le reste, on ne change pas la formule et on se retrouve, ergonomiquement comme fonctionnellement, face aux mêmes interfaces que dans les autres Augmented. Et le son dans tout ça ? Eh bien disons que le résultat est dans la couleur des autres volumes de la série, à savoir qu’on y trouve quantité de sons très intéressants (tous les sons le sont dans l’absolu) mais qu’il faut avoir conscience de trois choses :
La première c’est que les saxophones sont les grands oubliés de cet Augmented Woodwinds, et c’est bien dommage car c’est une réserve de timbres qu’il aurait été intéressant d’avoir en plus de la clarinette, du basson et de la flute traversière. Je n’ai pas en outre repéré d’autres types de flutes ou de hautbois.
Et la seconde, c’est qu’il ne faut certainement pas attendre de cet Augmented Woodwind qu’il vous serve sérieusement pour écrire des lignes de bois expressives. Le sampling des instruments demeure en effet très rudimentaire, avec au mieux deux niveaux de vélocité à la transition souvent bien bourrine, un round robin x2 au max quand il y en a, très peu d’articulations et aucun script. Du coup, le côté expressif de l’instrument à vent et la façon dont le timbre évolue avec le souffle est ici complètement absent. Cela n’a toutefois rien d’étonnant car les instruments acoustiques ne sont pas spécialement la culture d’Arturia à la base, pas plus d’ailleurs que le sampling, et on ne devient pas Spitfire en deux minutes.
Voyez ce que ça donne au travers de quelques presets sur la même séquence :
- AUGwood-80sCinema00:17
- AUGwood-AncientPitch00:17
- AUGwood-Automn00:17
- AUGwood-Autumner00:17
- AUGwood-BakedClarinet00:17
- AUGwood-Bulldog00:17
- AUGwood-Hit&Rise00:17
- AUGwood-Impact00:17
- AUGwood-LakeBathing00:17
- AUGwood-LowBlows00:17
- AUGwood-PizziStacato00:17
- AUGwood-SharpDrama00:17
- AUGwood-Unsure00:17
Puisqu’on y est, on portera les mêmes remarques sur l’Augmented Brass, tout aussi digne d’intérêt, avec le même potentiel et les mêmes défauts. Même s’il manque clairement de dynamique, Augmented Grand Piano me semble en revanche sortir du lot de la série, dans le parfait prolongement du Piano-V dont la modélisation permettait déjà d’obtenir des pianos un peu hybrides.
De fait, on se retrouve ici avec beaucoup de choses très intéressantes, allant du pseudo piano tack au pseudo marimba, ou des felt générant de magnifiques traînées granulaires dans des réverbes immenses. Voyez ce que ça donne au travers de quelques presets, en commençant par quelque chose d’assez sage puis en visitant différentes possibilités :
- AUGpiano-StratusGrand00:19
- AUGpiano-Tape00:19
- AUGpiano-Mirrors00:19
- AUGpiano-LoveMessage00:19
- AUGpiano-Bowed00:19
- AUGpiano-Burning00:19
- AUGpiano-Cage00:19
- AUGpiano-Dusty00:19
- AUGpiano-Kairos00:19
Bref, une belle boîte à idées pianoïde très polyvalente qui ne prend que 3 Go sur le disque dur, ce qui peut en faire un instrument de choix à mettre sur un ordinateur portable aux côtés du Piano V pour disposer d’une immense palette de sons sans pourrir son SSD, toujours trop petit quand on est musicien.
Et puisqu’on en est à parler de piano, autant évoquer LA grosse nouveauté de cette version : CP-70 V.
Retour en CP
Sorti en 1976 par Yamaha, le CP-70 pourrait sans conteste prétendre, plus que le Rhodes ou le Wurlitzer, au titre de piano électrique. Contrairement à ces derniers, il est en effet équipé de vraies cordes frappées par des marteaux, le tout étant capté par des micros piezo. Dépourvu de table d’harmonie, ce qui lui permet d’être nettement moins encombrant et plus transportable, le clavier produit vraiment un son de piano électroacoustique qui n’a pas manqué de séduire de nombreux musiciens. Le son de piano en intro du New Years Day du U2, celui d’Every little thing she does is magic de Police, du Video Killed the Radio Stars de Buggles, du Steppin’ Out de Joe Jackson, du That’s All de Genesis, du Purple Rain de Prince, du Hold the line de Toto : tout cela vient d’un CP-70, clavier qui a connu les mains les plus illustres, de Keith Emerson à George Duke en passant par Elton John, Peter Gabriel, John Paul Jones ou plus récemment Alicia Keys qui en a fait son piano de tournée…
Bref, c’est une légende de plus qui rentre dans la Collection, et ce n’est pas pour nous déplaire d’autant que l’émulation permet de retrouver sans problème ce son de piano très médium, brillant et un peu « plaqué » qui fait la marque du CP. En vis-à-vis de l’EQ, on appréciera notamment les paramètres de timbre, d’enveloppe et de dynamique qui, depuis les paramètres avancés, permettent de couvrir une large palette de son. Suivant les réglages, on pourra se rapprocher d’un piano acoustique ou au contraire d’un électrique, tandis que certaines combinaisons font mouche du côté des effets, notamment lorsqu’on va chercher des modulations ou de la saturation.
- CP-Def00:17
- CP-Concert00:17
- CP-Fonky00:17
Et forcément :
Bref, un très bon ajout même si on aurait adoré qu’Arturia en profite pour nous proposer le modèle d’un CP-80 également, le grand frère à 88 touches, ce qui amène forcément une petite variante dans la façon dont l’instrument sonne…
D’un clavier l’autre, il est temps d’examiner les deux refontes que nous propose cette dixième édition, à commencer par l’un des pianos électriques les plus légendaires qui soit…
Wurly, wurlytaaaaable…
Deux grosses stars ont en effet été revisitées : le Mini-V et le Wurly-V. Commençons par ce dernier qui passe en V3 et c’est tant mieux vu les gros progrès faits par la modélisation d’Arturia. Non seulement on dispose de plus de réglages et de plus de modèles proposés, mais on se défait surtout de cette espèce de son de pièce qui collait à la V2 et donnant l’impression d’une distance avec le clavier, même en sortie DI et en l’absence de toute réverbe. Voyez la comparaison des deux :
- WurlyV2-Tramp(2)01:37
- WurlyV3-Tramp01:37
On dispose de fait d’un son Dry bien plus cohérent qu’autrefois, bien plus dynamique et moins sourd aussi, auquel on ne reprochera sans doute qu’un léger manque de grave, même si le Wurlitzer a toujours été un instrument très « médium ». On n’atteint pas encore la finesse du V Reed d’Acousticsamples mais le progrès est indubitable, sachant qu’on dispose désormais de plusieurs modèles : 200, 200A, 200 Bass et 200a Bass.
- WurlyV3–20000:39
- WurlyV3–200a00:39
- WurlyV3–200Bass00:39
- WurlyV3–200aBass00:39
Côté Moog, on aurait adoré pouvoir comparer la V3 à la V4 sur des presets et des réglages précis, mais la refonte est telle que c’est tout bonnement impossible, les réglages ne semblant même pas calibrés de la même façon, avec la même course, cependant que certaines possibilités sont apparues, que l’organisation même des potards a changé et qu’on ne trouve pas de presets communs entre les deux versions. Voilà qui est un peu déroutant, d’autant qu’on s’éloigne de l’ergonomie de l’original…
Il faudra donc se fier aux exemples audio et à un ressenti indéniable : le Minimoog d’Arturia n’a jamais sonné aussi fat, boxant désormais dans la catégorie des meilleurs. Il faut dire que les Grenoblois avaient tout intérêt à revoir leur copie tant il existe sur le marché des émulations convaincantes du célèbre synthé, qu’elles émanent de Native Instruments, Synapse Audio, GMedia, Softube, Universal Audio ou même… Moog ! C’est à ce point qu’on redécouvre le Mini Arturien, et la fonction Feedback qui, désormais assortie d’un Drive, permet vraiment de faire passer le synthé dans une autre dimension. Tout aussi appréciables, on dispose également d’un système de compensation de la perte des graves au niveau du filtre, ainsi que d’un potard Vintage qui, comme son nom l’indique, vous fait passer d’un modèle propre sur lui à une machine vieillie en fût de chêne, avec tout ce que cela implique sur l’épaisseur du son. Précisons que l’étage des paramètres avancés s’avère lui aussi plus clair, et que ce Mini couvre un territoire sonore bien plus vaste que son illustre inspirateur :
- MoogV-Bass00:05
- MoogV-BassCham00:05
- MoogV-BassFonk00:05
- MoogV-BassOline00:05
- MoogV-BassTeng00:05
- MoogV-AirFunk00:17
- MoogV-Beauty00:17
- MoogV-BowedStrings00:17
- MoogV-Butterfly00:08
- MoogV-ChamGroove00:05
- MoogV-DXdreams00:17
- MoogV-EchoKraft00:17
- MoogV-GentleKey00:19
- MoogV-Goom00:08
- MoogV-Mallets00:17
- MoogV-Organ00:17
- MoogV-Pointillism00:08
- MoogV-SynthOrgan00:17
- MoogV-TonewheelOrgan00:17
- MoogV-Whaterver00:08
Bref, du tout bon qui ne ternira pas la bonne impression de cette mise à jour, sachant qu’il nous reste à prendre un peu de recul pour juger de la V Collection dans son ensemble.
Musée virtuel
Soulignons d’abord qu’avec six nouveaux instruments ajoutés et deux refontes, cette V Collection X ne manque pas d’arguments pour ceux qui sont déjà possesseurs de versions antérieures du bundle : le Moog et le Wurlitzer sont vraiment mieux, l’Acid-V et le CP sont deux bonnes additions et l’Augmented Grand Piano vaut le détour. Vous connaissez toutefois le principe : chacun·e devra comme d’habitude voir si le jeu en vaut la chandelle en fonction de ce qu’il ou elle possède déjà chez Arturia (ce qui impacte le tarif proposé pour la mise à jour) et de ses affinités avec tel ou tel produit dont il ne disposerait pas encore.
Quant aux autres, rappelons qu’avec ses 39 instruments désormais, la V Collection demeure l’un des plus fameux bundle d’instrument virtuel du marché, sachant qu’en vis-à-vis de l’ouverture apportée par la série Augmented, on ne parle là que de synthétiseurs et de claviers (pianos acoustiques et électriques, orgues et Mellotron), ce qui rend l’offre assez attractive pour les musiciens électroniques en particulier. Car même s’il reste bien des légendes qu’on aimerait voir rejoindre la collection, soulignons qu’on dispose là de tous les claviers ou presque qui ont fait le son de la musique populaire depuis plus de 70 ans.
Les modélisations sont-elles des répliques exactes des originaux ? C’est le cas pour ce qui concerne les instruments numériques (DX7, Fairchild, Emulator, etc.) et c’est plus variable concernant les instruments analogiques, sachant qu’Arturia n’a de cesse d’améliorer ses modèles de version en version, à l’instar du Minimoog ou du Wurlitzer que nous avons évoqués précédemment. Alors certes, il y a sans doute meilleur Mellotron sur le marché, meilleur B-3 ou meilleur Rhodes, mais force est d’admettre qu’au prix proposé par Arturia, les Grenoblois n’ont pas de réel concurrent : 39 instruments à 600 euros (en sachant qu’il n’est pas rare que le prix baisse en période de soldes), ça nous place l’instrument à 15 euros à peu près. Dur de faire moins cher, surtout quand on sait les prix d’or auxquels sont vendus ces coucous vintage… lorsqu’on peut encore les trouver !
Que reprochera-t-on à la fin à cette V Collection X ? Pas grand-chose si ce n’est qu’on la voudrait évidemment toujours plus complète : parmi les grands absents, on notera pas mal de synthés Korg ou Roland par exemple, notamment des numériques, cependant que Waldorf et Kurzweil manquent toujours à l’appel. Par ailleurs, on adorerait que l’éditeur se penche sur des marques comme RCF, OSC ou Hartman du côté des choses plus exotiques… La plus grosse lacune demeure toutefois le fait qu’aucune boîte à rythmes ne soit de la partie, et c’est d’autant plus étrange quand on sait que le bon vieux Spark, désormais séparé de son contrôleur qui n’est plus vendu, prend la poussière sur une étagère de l’éditeur alors qu’il aurait grandement sa place ici. On pourrait d’ailleurs en dire autant de l’excellentissime Pigment : à présent que le MiniFreak est de la partie, actant que la V Collection ne cible plus seulement le vintage, il n’y a pas de raison que le synthé logiciel le plus abouti d’Arturia ne trône pas au sein des autres légendes…
Voici toutefois pour finir une petite compo utilisant pour l’essentiel les nouveautés de cette V Collection X :
Conclusion
Pour sa 10e édition, la V Collection joue la carte de l’ouverture en intégrant une version logicielle du Minifreak et trois nouveaux volumes dans la série Augmented : le premier prouve que le bundle ne se cantonne plus seulement au Vintage quand les suivants montrent qu’il n’est plus seulement une collection d’émulations. Voilà qui s’annonce intéressant pour la suite…
Plus fidèles au principe d’origine, l’excellente bassline Acid-V, le CP70-V et les refontes réussies du Mini-V et du Wurly-V devraient combler les fans de la première heure, sachant qu’on peut s’incliner face aux Grenoblois sur le sujet du rapport qualité/quantité/prix. Si vous manquez de synthés ou désirez retrouver les sons iconiques de l’histoire de la musique, vous devriez apprécier ce véritable musée dont vous n’aurez pas assez d’une vie pour faire le tour. Ne manque vraiment à tout cela que l’ajout du génial Pigment ou le fait qu’Arturia se penche enfin sur le cas des boîtes à rythmes, toujours étrangement absentes…
Cette réserve mise à part, il n’y a donc pas grand-chose à dire en regard du prix, d’autant que ce dernier est variable en fonction des produits que vous possédez déjà. Bref, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Arturia soit un leader de marché : la preuve par 39 plug-ins et un bundle dont il nous tarde déjà de voir comment il évoluera.