Trois ans après l’excellent MicroFreak, Arturia présente une version polyphonique de son fort sympathique synthé hybride. Voyons ce que le MiniFreak nous réserve, avec ses fonctionnalités étendues et sa nouvelle robe…

Arturia fait partie des rares concepteurs de synthés qui nous gratifient régulièrement d’un OVNI (Objet Vibrant Non Identifié). Ce fut le cas en 2012 avec le MiniBrute, suivi du MatrixBrute en 2016, puis le MicroFreak en 2019, pour finir par le PolyBrute en 2021. Dans chacun de ces synthés, il y a beaucoup de matière grise, que ce soit au plan des technologies, des fonctionnalités, de l’interface utilisateur ou du format. Au plan sonore, les synthés Arturia ont leur propre caractère, ce qui les différencie des grands concurrents historiques ou des concepteurs dits « boutique ». À tel point qu’aujourd’hui, la société grenobloise s’est forgé une solide réputation internationale de développeur de matériel audio (synthés, BAR, contrôleurs, interfaces audio) en plus d’une offre logicielle tout aussi abondante.
Après le MicroFreak testé dans nos colonnes, dont le micrologiciel est désormais passé en V4, ce qui lui a apporté bien des améliorations, le MiniFreak vient enrichir la gamme naissante de synthés hybrides de la marque, mélangeant différentes sources numériques à un filtre analogique multimode, avec de nombreux outils pour faire évoluer le son en temps réel. À la suite d’une opération complexe de contrôle mental à distance soigneusement préparée, combinant marabouts, prières divines et sacrifices de VST sur l’autel des dieux de la synthèse, nous avons réussi à arracher le MiniFreak des redoutables griffes de Red Led, notre puissant et vénéré Rédac’Chef. Vite, testons le premier (en V1.0.0) avant que le second ne se réveille et ne nous mette son terrible coup de genou…
Plates-bandes
Le MiniFreak est un synthé compact tout plat (578 × 231 × 55 mm pour 3 kg), avec une coque constituée d’un dessus plastique et d’un dessous métal, ce qui lui confère une parfaite rigidité. Exit le clavier capacitif original mais râpeux du MicroFreak, pour un mini-clavier dynamique à 37 touches slim assez courtes. Sa réponse est vraiment bonne, supérieure même à notre Reface CP, qui se défendait pourtant déjà bien. D’autant qu’ici, on a droit à la vélocité et à la pression mono. Bref, ce clavier est parfaitement adapté au jeu polyphonique proposé par le moteur interne. À gauche, on trouve deux rubans capacitifs, capables d’agir suivant trois modes distincts : pitchbend à rappel & modulation, macro 1 & 2 (assignables à 4 paramètres) et séquenceur & arpégiateur. La position de modulation est indiquée par des rangées verticales de diodes arc-en-ciel, donc la couleur varie suivant le mode, sympa !
Navigation aux instruments
Quelques mots d’ergonomie. Si le synthé privilégie les commandes directes, on passe parfois par les menus pour accéder à quelques paramètres de synthèse additionnels et aux réglages globaux (accordage fin, Midi, synchro, réponse des potentiomètres, accordage, courbes de vélocité/pression, gammes microtonales, micrologiciel, calibrage des modules analogiques), rien de plus normal. Chose curieuse, on ne trouve toujours pas de réglage de transposition globale de la machine par demi-ton, l’ajout de cette fonction est prévu. L’appel des programmes se fait avec un unique encodeur poussoir, pas toujours très pratique quand on veut passer rapidement entre deux numéros éloignés, d’autant qu’il ne reboucle pas en fin de liste. Ce serait bien qu’Arturia ajoute un mode de sélection directe via la rangée de boutons capacitifs (par exemple en trois appuis) ou crée une liste de favoris. Le tri par catégorie est en revanche présent, tant mieux. Si le mode Panel et la fonction Preset Init sont bien prévus (initialisation totale ou partielle, par module, excellent !), il manque en revanche la fonction Compare. On se rabattra sur la prise automatique d’instantanés en cours de programmation pour y revenir calmement plus tard, avant sauvegarde. On trouve aussi des fonctions utiles de copie/inversion de modules.
Larges territoires
Le MiniFreak est un synthétiseur hybride polyphonique 6 voix (et 12 en paraphonie). Chacune des voix comprend deux oscillateurs numériques, un VCF et un VCA. En mode paraphonique, chaque voix fait appel à un seul oscillateur, les VCF et VCA étant partagés par paire de voix (1+7, 2+8… 6+12). Le synthé est totalement programmable. On dispose pour cela de 512 mémoires, dont 256 préchargées d’usine. Par rapport au MicroFreak que nous avions testé au tout début de sa carrière, plusieurs choses nous ont frappés très positivement. Déjà, les niveaux de sortie sont élevés, surtout en connexion symétrique. Ensuite, les sorties stéréo apportent une grande ampleur, on n’est plus du tout dans la même catégorie. Cette sensation de largeur est liée à l’ajout d’une section effets stéréo permettant de créer des ambiances dont n’est pas capable le MicroFreak. C’est particulièrement vrai sur les nappes planantes et les textures éthérées.

- MiniFreak_1audio 01 FM Pad01:19
- MiniFreak_1audio 02 Bass Dice01:50
- MiniFreak_1audio 03 Karpad00:53
- MiniFreak_1audio 04 Nasty FX01:18
- MiniFreak_1audio 05 Super Saws00:39
- MiniFreak_1audio 06 Double Noise01:03
- MiniFreak_1audio 07 Six Couennes Soeurs01:14
- MiniFreak_1audio 08 Picky Chords00:36
- MiniFreak_1audio 09 VA-ed00:37
- MiniFreak_1audio 10 X-Harp01:12
Oscillateurs maison
Pour créer les sons, le MiniFreak utilise deux oscillateurs numériques multifonctions indépendants par voix. On dispose de 14 modèles de synthèse disponibles pour chacun des deux oscillateurs, 1 modèle réservé au second oscillateur et 6 modèles mettant en jeu les 2 oscillateurs (interactions ou traitements du premier par le second, nous y reviendrons). Pour chaque modèle, on accède à trois paramètres spécifiques éditables et modulables via la matrice. Le type de modèle est lui aussi modulable en temps réel, ça peut être très drôle. Allez, on lance le défilé : « Basic Waves » est un modèle qui transforme en continu une onde carrée en doubles dents de scie en passant par une onde dents de scie simple ; on peut jouer sur la largeur d’impulsion de l’onde carrée ou le déphasage des deux dents de scie ; on peut aussi mélanger un suboscillateur sinus à l’octave inférieure. « SuperWave » superpose plusieurs ondes identiques (dents de scie, carré, triangle ou sinus) ; on peut les désaccorder et jouer sur leur volume relatif.
Oscillateurs tiers
Les sept modèles d’oscillateurs suivants sont tirés du code open source des modules Plaits créés par Mutable Instruments. « VAnalog » mélange une impulsion variable et une onde dents de scie/triangle variable, que l’on peut désaccorder jusqu’à 2 octaves, pour un son VA puissant et riche. « Waveshaper » combine Waveshaper et Wavefolder avec réglage progressif de symétrie, dans la plus pure tradition West Coast. Les quelques réglages permettent une étendue sonore considérable. « Two Op. FM » est un algorithme FM simple à deux opérateurs sinus, dont on peut régler le ratio, la quantité de modulation et le feedback. « Formant » fait appel à la synthèse granulaire pour générer deux formants dont on peut régler le rapport de fréquences, la fondamentale et la largeur, pour obtenir différentes voyelles. « Chords », disponible uniquement pour le second oscillateur et désactivé en mode paraphonique, génère 11 types d’accords prédéfinis de 2 à 4 voix, avec différents renversements et plusieurs dizaines de formes d’ondes (dont une table d’ondes). « Speech » génère des formants de voix modulés (parlés) basés sur la technologie Speak & Spell développée par Texas Instruments dans les 70’s, dont on peut changer le genre et choisir les mots préenregistrés (non modifiables). Enfin « Modal » est un résonateur type Karplus-Strong dont on peut éditer la matière, la brillance et le déclin, idéal pour créer des percussions métalliques ou boisées, ou encore des cordes pincées ou frappées.
Oscillateurs combinés
Comme le MiniFreak possède deux oscillateurs, les concepteurs d’Arturia ont eu l’excellente idée de permettre d’intermoduler les oscillateurs ou traiter le premier par le second. Évidemment, on ne peut utiliser ces modèles polyphoniques 6 voix en paraphonie 12 voix. « FM/RM » permet de moduler le second oscillateur par le premier, en fréquence et en anneau, simultanément. On peut choisir l’onde du second oscillateur en continu, puis doser séparément la FM et la RM. « Multi Filter » est un filtre numérique multimode résonant dans lequel le premier oscillateur est injecté, capable de fonctionner en modes LP, HP, BP et réjection de bande, avec des pentes de 1–2–4–6 pôles. On peut en régler la fréquence de coupure et la résonance (sauf en mode 1 pôle). « Surgeon Filter » est un filtre multimode ultra précis fonctionnant comme un EQ paramétrique dynamique, dont on peut régler la fréquence d’action et la largeur de bande. « Comb Filter » est un filtre en peigne classique, permettant de moduler des bandes de fréquences. « Phaser Filter » est un ensemble de filtres All Pass modulables, capable de créer de 1 à 6 bandes (2 à 12 pôles). Enfin, « Destroy » combine un Wavefolder, un décimateur et un réducteur de bits. So punk !
Couleurs analo
La sortie des oscillateurs est envoyée dans un VCF multimode à 2 pôles. Inspiré du filtre SEM Oberheim, il offre les modes passe-bas, passe-bande et passe-haut (mais pas de réjection de bande ni variables d’état continues). Il sonne beaucoup moins agressif que le filtre Steiner-Parker du MiniBrute, un choix pertinent compte tenu du côté polyphonique du synthé et des sources qui peuvent être bien agressives si on le souhaite. Certains le trouveront trop sage, pas assez sélectif ou colorant, nous le trouvons tout à fait complémentaire aux filtres numériques qui peuvent se substituer au second oscillateur. La fréquence de coupure peut varier de 20 Hz à 20 kHz via le potentiomètre dédié. Elle est directement modulable par l’enveloppe ADSR (modulation bipolaire) et la vélocité via un potentiomètre en façade. Le réglage de la vélocité nécessite le maintien de la touche Shift (à gauche), ce qui est fort peu pratique pour tourner le potentiomètre (à droite) et jouer en même temps, un double-clic pour bloquer la position Shift serait bienvenu. Pour la moduler avec les deux LFO, le suivi de clavier, la pression, la molette, l’enveloppe cyclique, les deux macros ou le séquenceur, il faut passer par la matrice, normal, c’est son rôle.
Ça commence à bouger
Le MiniFreak améliore les possibilités de modulation du MicroFreak, cette fois en polyphonie. Pour commencer, on trouve un Glide polyphonique avec réglage de vitesse ou de pente (temps fixe ou synchronisé au tempo). On dispose ensuite de deux LFO à cycle libre ou redéclenché par le clavier/séquenceur/autre LFO/enveloppe cyclique (en mono ou polyphonie). Ils partagent deux potentiomètres à fonctions doubles, le reste se faisant via le menu (touche Edit). Ils peuvent osciller de 0,015 à 100 Hz ou se synchroniser au tempo suivant différentes divisions temporelles (de 8 mesures à 1/32, y compris les valeurs ternaires et pointées). Les vitesses d’oscillation sont matérialisées par deux LED. Les LFO offrent les ondes sinus, triangle, rampe, carré, S&H, aléatoire, dent de scie exponentielle, rampe exponentielle et Shaper (16 ondes Presets et 8 ondes que l’utilisateur peut sculpter sur 16 pas). Il manque des paramètres de retard, fondu ou phase, pourtant utiles et banals. Il existe aussi un vibrato à onde triangle dont on peut doser la vitesse et l’effet dans le menu.
Ça bouge encore
Gros point fort du MicroFreak, une matrice de modulation permet d’assigner 7 sources prédéfinies (enveloppe cyclique, ADSR, LFO1, LFO2, pression/vélocité, molette et clavier) à 13 destinations (Pitch 1+2, Wave 1, Timbre 1, coupure du VCF, ainsi que 9 destinations assignables via 3 pages de 3 colonnes). Cela représente donc 91 cordons disponibles à tout instant ! L’édition est facilitée par la grille sérigraphiée et l’encodeur dédié. Ce dernier permet, d’une part, d’alterner entre les points virtuels de patch (une diode s’allume à l’intersection source/destination) et d’autre part, de modifier la quantité de modulation (bipolaire) quand on appuie dessus. L’écran affiche les paramètres concernés et la quantité de modulation.
Section effets
En sortie de VCA mono, le MiniFreak est équipé de trois multieffets numériques, chacun capable de générer des algorithmes avec plusieurs variations (nombre entre parenthèses) : chorus (5), phaser (6), flanger (4), réverbe (6), retard (12), distorsion (6), réducteur de bit, EQ 3 bandes, Peak EQ, compresseur multibande (4). Les effets gourmands tels que réverbe, retard et compresseur ne peuvent avoir qu’une instance. Les algorithmes basés sur les temps peuvent être synchronisés à l’horloge. Les effets sont placés en série (FX1 => FX2 => FX3), mais le retard et la réverbe possèdent des routages spécifiques, en insertion ou envoi. Chaque effet dispose d’un réglage son sec/son traité (ou d’un dosage d’envoi dans le mode éponyme).
Ça bouge toujours
Pas avare de bonnes idées, Arturia a doté le MiniFreak d’un arpégiateur et d’un séquenceur. On peut en régler le tempo et la division temporelle directement en façade. Les deux modules sont aussi équipés d’un facteur de swing, d’un réglage de Gate, d’un maintien et des fonctions Spice/Dice, permettant de faire varier les temps et les espacements de Gate de manière aléatoire, suivant une quantité modulable avec le ruban capacitif. Les notes arpégées/séquencées peuvent être transmises en Midi, selon un réglage utilitaire global. Découvrons l’arpégiateur. Il peut fonctionner sur une plage de 1 à 4 octaves, selon 8 motifs dépendant de l’accord joué : haut, bas, haut/bas, aléatoire, suivant l’ordre joué, avant avec probabilités, accord et motif. Dans ce dernier mode, l’arpégiateur génère un nouveau motif aléatoire à chaque note jouée, avec des répétitions liées à la plage d’octaves sélectionnée. On trouve des fonctions supplémentaires, telles que répétition de pas, ratchet double, octaves aléatoires et transformation aléatoire de note au sein du motif. On peut aussi envoyer le motif d’arpège en cours vers le séquenceur en appuyant sur la touche Record pendant que l’arpège tourne, bien vu !
Encore plus chic !
Le MiniFreak représente un net pas en avant par rapport au MicroFreak : qualité audio supérieure, sorties stéréo, moteur à deux oscillateurs intermodulables, deux LFO, matrice de modulation plus puissante, trois effets intégrés, mini-clavier sensible à la vélocité et à la pression, sans oublier la polyphonie de 6 voix. Il en reprend les qualités, les modèles d’oscillateurs innovants, le VCF multimode, les possibilités de modulation, l’arpégiateur et le séquenceur, avec une prise en main toujours directe. On perd toutefois les sorties CV/Gate/pression. Dans la version 1.0.0 du micrologiciel, l’oscillateur à tables d’ondes et le vocodeur ne sont pas intégrés. D’après les équipes d’Arturia, c’est au programme, avec des moteurs remaniés. De même, elles prévoient d’ajouter la transposition globale par demi-ton et d’améliorer les modulations du VCA final.