Roi des égaliseurs logiciels s’il en est, le très attendu Pro-Q 3 déboule en cette fin d’année bardé de nouvelles fonctionnalités. Incontournable ? Probablement. Irréprochable ? Ça reste à voir.
Si Waves et Sonnox furent longtemps les références en matière d’égaliseurs paramétriques numériques logiciels (comprenez qu’on ne parle pas ici d’une quelconque émulation d’EQ vintage apportant sa couleur au son par l’addition d’harmoniques), force est d’admettre que Pro-Q leur a depuis quelques années déjà ravi la place sur la plus haute marche du podium. Or, ce n’est pas tant du côté du son que l’égaliseur de FabFilter a damé le pion à la concurrence mais sur celui des fonctionnalités et de l’ergonomie, en proposant un outil à la fois riche, puissant et simple à utiliser, bourré de petites choses bien pensées et qui, au quotidien, font une vraie différence en termes de productivité. Bien sûr, la concurrence a réagi et, au-delà des éditeurs dont nous parlions, de nombreux développeurs ont proposé à leur tour des égaliseurs toujours plus performants et ergonomiques, de Flux à DMG en passant par Eiosis, HoFa, Melda, eaReckon, ou les petits poucets Tokyo Dawn Labs, Toneboosters ou DDM, lesquels offrent des outils complets pour une poignée d’euros. Même l’offre freeware actuelle ferait rougir les références d’hier, sachant que la plupart des égaliseurs fournis en standard avec les STAN ont également bien progressé. On commence même à voir poindre des égaliseurs « intelligents » comme chez iZotope ou Sonible, capables de s’adapter en partie au signal qu’on leur soumet. Bref, c’est peu dire que le marché est concurrentiel au point que pour motiver l’achat d’un EQ logiciel à 150 euros, il vaut mieux avoir de très solides arguments.
Bien conscient de cela, FabFilter entend toutefois apporter tout ce qui pouvait manquer à Pro-Q avec cette troisième version, sachant que la plupart des nouveautés intégrées n’ont rien de gadgets.
Précisons-le : ce test bref intervient dans le cadre de notre test en vidéo du Mastering Bundle de FabFilter, réalisé à l’occasion de la sortie de Pro-Q 3.
Toujours plus de souplesse
On débutera ce tour d’horizon des nouveautés par la gestion tant attendue du son multicanal jusqu’au Dolby Atmos 7.1.2, ce qui ravira d’autant plus les spécialistes du son à l’image que Pro-Q détecte les canaux qu’on lui présente et permet d’appliquer une égalisation différente à chacun depuis une même instance du plug-in.
Que les musiciens se rassurent toutefois car tout le reste les concerne, et notamment la gestion améliorée du mode M/S qui désormais ne concerne plus la globalité du traitement mais peut être activé pour chaque filtre. Voilà qui devrait permettre de limiter le nombre d’instances du plug-in dans un projet, vu qu’entre les 24 bandes qu’il propose et son aptitude à travailler en L/R ou M/S pour chacun d’entre elles, il n’y a bien que le fait de vouloir réaliser une égalisation avant et après un traitement externe qui puisse vous pousser à utiliser plus d’un Pro-Q par tranche.
Bien loin de s’arrêter à ces améliorations attendues depuis belle lurette, les hollandais ont profité de cette nouvelle version pour glisser un nouveau filtre Tilt, permettant de modifier en deux clics la balance spectrale d’un signal (autour d’une fréquence médiane que l’on peut définir, plus on booste les aigus et plus les graves sont atténués) ainsi qu’une nouvelle pente dite « mur de brique » pour les filtres passe-haut et passe-bas. Dans ce mode, on est au-delà des 96 dB par octave, ce qui la réserve, même si l’éditeur a fait son possible pour limiter les effets de phase, à des tâches très particulières de restauration audio ou de design sonore.
Face à cette fonctionnalité relativement anecdotique, il convient toutefois d’apprécier la plus immportante évolution de cette V3 : la possibilité d’utiliser Pro-Q en mode dynamique.
Q d’or dyn
À ne pas confondre avec un compresseur multibande qui coupe un signal en plusieurs bandes pour appliquer à chacune une compression différente, un égaliseur dynamique permet de définir pour chaque filtre d’une courbe d’égalisation un seuil en deçà duquel il ne se passera rien, et au-delà duquel le boost ou l’atténuation seront proportionnels au niveau du signal. De la sorte, le traitement s’avère beaucoup plus progressif et ainsi plus naturel et transparent qu’avec un EQ traditionnel qui, quoi qu’il se passe, applique toujours le même traitement. C’est idéal pour faire du dé-essing par exemple, mais aussi pour gérer des problèmes qui surviennent sur des pics sonores sans pour autant endommager ce qui se trouve en deçà. En outre, par rapport au côté plus bourrin du traitement multibande, c’est un moyen de travailler avec une grande précision car loin des seuls passe-bas et passe-hauts qui déterminent les bandes dans celui-ci, l’égaliseur dynamique dispose lui de filtres plus intéressants pour travailler de manière chirurgicale.
Cette addition n’a donc rien d’un gadget et comme d’habitude avec FabFilter, elle jouit d’une excellente intégration. Sur chaque bande de type Shelf ou Bell, une bague entourant le potard de gain permet d’activer ou non le mode dynamique. En fonction du sens dans lequel on ira sur la bague, on pourra définir le rapport de l’égalisation au signal, le seuil étant quant à lui défini automatiquement par le logiciel, même si vous pouvez d’un clic passer en réglage manuel via un petit fader. En revanche, on regrettera de ne pas avoir la main sur les temps d’attaque et de relâchement du traitement, Pro-Q favorisant des temps de réponse rapides par défaut. Il faut croire que l’éditeur ne veut pas faire d’ombre au Pro-MB qui n’est toujours pas sorti en V2.
Quoi qu’il en soit, l’intégration de cette nouvelle fonction est très convaincante sur le plan ergonomique et parce qu’on peut la combiner avec les différents modes (M/S ou L/R) pour chaque bande, elle agrandit considérablement le terrain de jeu de Pro-Q, même si l’on regrettera qu’elle ne puisse pas être utilisée avec le module de Side Chain, sans doute pour ne pas faire d’ombre au Pro-MB qui permet lui de faire ce genre de choses. Pour une V4 peut-être…
Nous n’avons toutefois même pas fini le tour de cette V3, sachant que l’éditeur en a aussi profité pour glisser au rayon ergonomie quelques nouveautés qui vous changeront la vie au quotidien.
Fenêtre sur Q
On ne le dira jamais assez : à part pour du nettoyage, on ne règle pas l’égalisation d’une piste sans prendre en compte l’égalisation des autres pistes. En effet, l’équilibre spectral d’un morceau repose sur le fait que chacune de ses pistes trouve sa zone d’expression sans empiéter sur les autres et qu’il faut autant que possible procéder à des égalisations complémentaires, surtout lorsque deux instruments se partagent les mêmes bandes passantes, auquel cas on se retrouve avec des problèmes de masquage. L’exemple typique de cela, c’est celui de la basse et de la grosse caisse qui toutes deux s’expriment dans le grave et ont tendance à se marcher sur les pieds. Mais on trouvera encore quantité d’exemples dans le registre médium où des instruments comme la guitare, les claviers ou les cuivres rentrent souvent en compétition avec la voix. Pour aider l’ingénieur à résoudre ces problèmes, iZotope avait inauguré avec Neutron un ingénieux système de visualisation reposant sur l’aptitude des différentes occurences du plug-in à communiquer entre elles.
Attentif à ce qui se fait ailleurs, FabFilter a intégré un système similaire. De fait, dans une occurence de Pro-Q, vous pouvez désormais afficher en surimpression la courbe de réponse en fréquences de toutes les autres instances du plug-in, tandis qu’un halo rouge vous signale la zone spectrale dans laquelle un problème de masquage est détecté. La chose très agréable par rapport à ce qu’a fait iZotope, c’est qu’on dispose automatiquement du nom des pistes pour reconnaître les différentes instances (et non Pro-Q 1, Pro-Q 2, Pro-Q 3, etc. comme dans Neutron qui demande de tout renommer à la main) qui nous attendent toutes dans un petit menu en agitant leurs jolies petites courbes.
En revanche, on regrettera de ne pas pouvoir piloter les autres instances du plug-in à partir de la même fenêtre, chose que Neutron sait faire. En effet, lorsqu’on veut arbitrer un conflit entre deux instruments, on procède souvent avec des égalisations complémentaires : plutôt que d’atténuer de 6 dB à 2 kHz une piste A sans toucher à la piste B, on préférera atténuer A de 3 dB seulement et booster B de 3 dB à la même fréquence pour obtenir le même différentiel. Avec Pro-Q 3, il faudra effectuer ces corrections successivement en ouvrant chacune des instances du plug-in, ce qui est un peu laborieux quand on a goûté au système d’iZotope.
Convenons toutefois que l’éditeur fait son possible pour améliorer notre quotidien car en marge de tout ce que nous avons listé, ce Pro-Q 3 compte encore quantité de petites améliorations, qu’il s’agisse de l’affichage des valeurs des pics en mode Spectrum Grab, de la possibilité de faire de l’EQ Matching avec la courbe Post EQ de n’importe quelle autre occurence, ou encore de l’amélioration du menu contextuel pour chaque bande. Et c’est sans parler des qualités habituelles du plug-in qui font que, aujourd’hui encore, même Pro-Q 2 est un plaisir à utiliser (gestion du mode plein écran, raccourcis claviers et comportement de la souris malins, légèreté côté CPU, etc.). Bref, dans l’ensemble, si ce n’est pas parfait, ce n’est vraiment pas loin de l’être…
Conclusion
Fabfilter ne se moque pas du monde avec cette troisième version de son égaliseur phare, en apportant quantité d’améliorations à un outil qui était déjà excellent. Toujours plus riche sur le plan des fonctionnalités, Pro-Q réussit à être encore plus puissant et polyvalent sans perdre de sa légendaire ergonomie. Vaut-ce la peine de le mettre à jour ? Oui, rien que pour bénéficier de l’EQ dynamique et oui dans la mesure où FabFilter propose des offres de mise à jour intelligentes avec des tarifs dégressifs en fonction du nombre de plug-ins dont vous disposez. On regrettera toutefois que le side chain ne soit pas géré par l’EQ dynamique ou encore l’absence de réglages d’attaque et de relâchement pour en gérer la réactivité.
Vaut-ce maintenant la peine d’investir 150 euros en regard de ce qu’on trouve désormais en standard dans nos STAN ou dans l’offre freeware ? Tout dépend de l’attachement que vous avez à l’idée de productivité : l’outil est en effet si intuitif et bien fichu qu’il vous fera gagner un temps non négligeable au quotidien, ce qui a une vraie valeur pour un professionnel qui facture à l’heure, mais peut aussi revêtir un intérêt pour l’amateur qui ne veut pas que son élan créatif soit contrarié par un outil qui alourdit les tâches répétitives. Quand on y a goûté d’ailleurs, il est bien difficile de revenir à des outils plus rustiques et moins bien pensés, raison pour laquelle le Pro-Q est le « Go to » EQ de quantité d’utilisateurs, pros comme amateurs. Et ce n’est sans doute pas avec cette version qu’ils changeront de crèmerie.