Cherry Audio, petit nouveau sur le marché du synthétiseur logiciel, nous dévoile son tout premier produit : le Voltage Modular. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un synthétiseur modulaire virtuel.
La société peut se targuer d’un long passif sur le marché de l’audio : en effet, elle est composée de vétérans de chez Sonic Foundry, Cakewalk, Bias, Acoustica et Keyboard Magazine. Rien que ça ! Le logiciel est en projet depuis 2004. Autant dire qu’avec un CV et un temps de développement pareil (14 ans), on en attend beaucoup…
Concurrent direct du Softube Modular, sorti deux ans auparavant, Voltage poursuit la même mission : reproduire sur ordinateur l’expérience du modulaire matériel, véritable « laboratoire du signal ». Voyons de quoi il retourne.
Interface, ergonomie
L’interface graphique générale semble manquer de cohérence au premier abord. Textes jaunes sur fond noir, cabinets en bois, modules de toutes les couleurs… On a l’impression d’avoir affaire à un gros jouet pour enfant, là où le Softube Modular est plus minimaliste, dans l’air du temps.
En revanche, ces choix prennent vite sens lorsqu’on commence à utiliser l’engin : c’est extrêmement lisible, chaque élément de l’interface est identifiable d’un coup d’œil, ce qui permet de se repérer très facilement. Ce n’est pas très fin, mais c’est bien fait. On peut redimensionner la fenêtre ! Agréable, surtout pour des patches conséquents.
En haut, en plus des menus « traditionnels » (options, nouveau patch, sauvegarder le patch, sélectionner un preset), se trouvent quelques fonctions bien senties, comme la possibilité d’annuler ou de rétablir les dernières actions, hyper pratique, et assez rare pour être souligné. Nous avons pu remonter jusqu’à 20 actions en arrière, et nous aurions pu continuer ! Il est également possible de régler la valeur de zoom, ou encore la couleur et l’opacité des câbles. Très commode pour voir les potentiomètres cachés, ou pour se repérer dans un patch complexe.
À droite se trouve une section « Library », la collection de modules à disposition. Il est aussi possible de faire son shopping directement dans le synthé via l’onglet « Store ». En haut, l’ensemble des entrées / sorties du synthétiseur, ainsi qu’une section « Perform », permettant d’assigner un ou plusieurs paramètres à un potentiomètre. Cette idée de « Macro Control » est appréciable, sachant que cette option manquait au Softube. Il est possible de régler différentes valeurs d’offset pour des paramètres contrôlés simultanément, ou encore d’inverser la course des potentiomètres, via l’onglet « MIDI » à gauche.
Presets
Niveau presets, c’est complet, quoiqu’un peu redondant : par exemple, les patches « Phasing Arp 1 » et « Phasing Arp 2 » sont très similaires. Mais il y a ce qu’il faut, on ne peut pas leur reprocher de ne pas en avoir mis assez.
Le classement est efficace, et les configurations passent de choses assez simples à d’autres beaucoup plus complexes. C’est un peu moins facile d’accès que les presets d’apprentissage du Softube Modular, mais ça reste idéal pour voir à quoi ressemble un patch bien construit, et pour se familiariser avec l’utilité des différents modules.
Nous nous limiterons à cet intérêt pédagogique, le principal atout de ce type de système ne résidant pas dans l’utilisation de presets en tant que tels, mais plutôt dans les possibilités de construction « from scratch ».
Construire un patch
Allez, on met les mains dans le cambouis ! La barre de recherche permet de trouver facilement le module que l’on veut, pour peu qu’on sache un minimum ce qu’on cherche : oscillateur, LFO, générateur d’enveloppe, module de mixage, ampli… aucun ne manque à l’appel, et souvent, il y a plusieurs alternatives. C’est très complet, 104 modules disponibles en tout ! De plus, Cherry Audio développe sans cesse de nouveaux modules, qui sont intégrés automatiquement à la collection, sans coût supplémentaire.
Les modules sont organisés selon cinq catégories : Sources, Processors, Controllers, Utility et Effects. Chaque section est classée par ordre alphabétique. C’est très simple d’utilisation : il suffit de cliquer sur « Add », ou de glisser / déposer le module. On peut déplacer les modules à loisir, de manière ergonomique : pas besoin de « faire de la place » avant de bouger un module, ils se réorganisent automatiquement, et ne sont pas magnétisés sur des positions fixes. Il est même possible de déplacer plusieurs modules simultanément, en maintenant la touche Commande à la sélection. On met ce qu’on veut, où on veut, quand on veut. Chaque entrée ou sortie se développe en 6 lorsqu’on clique dessus, offrant de multiples possibilités de routing parallèle pour un seul et même module. Les possibilités de patch sont guidées, ce qui nous empêchera de brancher deux connectiques qui n’ont rien à faire ensemble. Ces fonctionnalités se ressentent vraiment à l’utilisation. Ça va vite, c’est clair, et très lisible.
Et le son dans tout ça ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça sonne plutôt bien, partout. On passe des percussions à des basses filtrées bien « juicy », à des pads contenant une bonne dose d’aléatoire, aux séquences entêtantes sans aucun problème, toujours avec une bonne qualité audio. Quelques exemples, entièrement réalisés dans Voltage Modular :
Ici, un « super oscillateur » génère une onde carrée qu’on « plie » légèrement (wavefold). Elle passe dans un filtre passe-bas modulé par un LFO et une enveloppe, puis dans un ampli et enfin, un léger chorus.
Un oscillateur génère une onde en dent de scie qui passe dans un filtre passe-bas, un delay, un panner et une réverbe, le tout contrôlé par un step séquenceur.
Deux oscillateurs générant des ondes carrées, FM sur l’un, PWM sur l’autre, le tout passant dans un filtre passe-bas, un delay et un chorus.
Trois sources : un générateur de bruit, et deux oscillateurs traditionnels dont on module le pitch.
Enfin, le pack « Electro Drums Bundle » permet de générer les sons des légendaires TR-808 et 909 :
L’ensemble des modules présents dans le pack de base, auxquels on rajoute les modules « Electro Drums », font de Voltage Modular une plateforme tout-en-un, polyvalente et très agréable à utiliser. On retrouve effectivement les sensations du hardware : nul besoin de passer par une STAN pour sortir une compo complète. Ajoutez une surface de contrôle pour le plaisir de toucher les boutons à la main, et vous y êtes.
Cherry Audio propose régulièrement de nouveaux modules qui complètent l’offre existante et ouvrent de nouvelles possibilités : sont proposés dans la boutique en ligne e un oscillateur additif, ou encore un vocodeur, parmi d’autres. La plateforme est ouverte aux éditeurs tiers, et certains sont déjà au rendez-vous : Vult, PSP, Autodafe, Misfit. Un gros avantage par rapport au Softube Modular, qui reste une solution fermée. Les prix vont de 9$ à 35$. Ça s’arrête là ? Pas tout à fait…
L’avenir du modulaire ?
Cherry Audio propose d’aller plus loin, grâce à un éditeur de modules, sobrement baptisé Module Designer. Il permet à n’importe qui de développer ses propres modules, de les utiliser à titre personnel, ou de les mettre à disposition de la communauté, gratuitement ou pas. Une solution qui, à l’heure où l’on parle de plus en plus d’économie collaborative, arrive à point nommé.
Le logiciel propose une section « Design », sorte d’éditeur graphique, permettant de construire et de travailler le look du module. On commence par choisir la taille. Ensuite, on glisse/dépose les éléments depuis la section « Controls » qui propose des potentiomètres, des boutons, toutes les entrées / sorties imaginables, des étiquettes textuelles, etc. On les dispose comme on le souhaite, et tout est personnalisable. De quoi créer des fonctionnalités ergonomiques, mais aussi contenter les amateurs de skins et de personnalisation.
Pour la suite, il faut passer sous le capot, mais là encore, c’est bien pensé. La section « Source Code » permet de visualiser et de naviguer dans le code Java simplement, grâce à la liste de l’onglet « Module ». La section « Library » contient l’ensemble des fonctionnalités disponibles, permettant de déclencher tel ou tel comportement. Évidemment, l’utilisation de cet outil nécessite de connaître un minimum le code, mais l’ergonomie est au rendez-vous.
Cherry Audio propose deux licences pour le Module Designer. La première est gratuite, et vous permettra de développer vos modules et de les utiliser. La seconde est une licence commerciale ($99), avec laquelle vous pourrez partager vos créations avec la communauté, et éventuellement les vendre. Le pack de base est commercialisé à $150 (ajoutez $50 pour le pack Electro Drums). Un prix mini pour une solution modulaire complète, qui coûterait des milliers d’euros en matériel.
Pour finir, sachez que le logiciel peut être assez gourmand : en moyenne, 15 à 20% d’utilisation du processeur pour une instance assez fournie. Au vu des possibilités offertes par la machine, ça peut se comprendre.
CONCLUSION
L’ergonomie à toute épreuve constitue le principal point fort du Voltage Modular. On pourrait passer des heures à bidouiller, sans pour autant qu’il faille des heures pour arriver à sortir un son sympa. Cinq minutes suffisent, après, c’est du plaisir…
Ce qui change la donne par rapport à la concurrence ? L’ouverture. En plus de commercialiser des modules d’éditeurs tiers, le Module Designer permet à chacun de concevoir et de partager ses propres modules. Une solution communautaire donc, susceptible d’avoir une très longue durée de vie, et de proposer de plus en plus d’outils conçus par les utilisateurs, pour les utilisateurs.
Doepfer avait mis le modulaire à la portée de tous dans les années 90 en démocratisant le format Eurorack. Aujourd’hui, Cherry Audio fait un pas de plus dans ce sens, proposant une solution complète, évolutive et totalement ouverte, à bas prix. Une porte d’entrée ergonomique pour les novices, un instrument très complet pour les musiciens bidouilleurs, et un bel outil pour les développeurs qui souhaitent aller plus loin.