Voilà donc la sixième version du logiciel phare de Native Instruments, Reaktor. Comme à chaque incrémentation, l’éditeur y ajoute de nombreuses fonctions et améliorations. Ici, l’utilisateur pourra bénéficier des apports d’autres synthés, eux-mêmes issus de Reaktor. Une boucle bouclée ? Revue de détails.
Lorsque Native propose en 1996 Generator, l’ancêtre de Reaktor, il n’est pas sûr que l’éditeur ait tout de suite imaginé la suite de l’aventure de son environnement de synthèse modulaire. Pourtant, dès Reaktor 2 (1999), sa compatibilité Windows/Mac, et les différents formats de plug-ins inclus, les possesseurs du logiciel se lancent dans la fabrication de synthétiseurs, effets, boîtes à rythmes et autres constructions créatives résultant rapidement en l’une des plus grosses bibliothèques existantes pour un logiciel donné, et les développeurs maison (et certains externes à Native Instruments) vont s’en donner à cœur joie en proposant de très nombreux produits conçus dans le logiciel.
D’autant qu’au fil des versions, les modules, les fonctionnalités, la transversalité complète inter-plateforme, voire une remise en forme du moteur audio (Reaktor 3, 2001), ou l’inclusion d’un nouveau niveau de profondeur de programmation (la Core Technology et les modules Core Cell dans Reaktor 5, 2005) offrent des possibilités sans cesse renouvelées.
Bien sûr, l’outil de Native n’est pas le seul environnement permettant de créer des outils de synthèse (au sens très large du terme), et les Max/MSP ou Pure Data ont leurs ardents défenseurs (le premier bénéficiant aussi d’un engouement suscité par la très grande réussite commerciale de Live d’Ableton, puisqu’une version exclusive est offerte avec le logiciel), et nombreux sont les producteurs de synthés et modules pour PC utilisant SynthEdit (sorti lui aussi en 1999) et SynthMaker, deux environnements permettant d’exporter directement des plugs VST. Il ne faut pas oublier non plus l’ancêtre SuperCollider (1996, dont le créateur James McCartney est maintenant au sein de l’équipe Apple CoreAudio), voire, dans une certaine mesure, l’excellent Tassman de Applied Acoustics Systems (lui aussi à l’origine des nombreux instruments de son éditeur) et même Usine Hollyhock II, qui, sous son orientation plus particulièrement scénique, permet aussi des assemblages de modules intéressants. La liste n’est bien évidemment pas exhaustive…
Et voilà que dix ans après la sortie de la version précédente (cinq ans, si l’on prend en compte la « demie » version, 5.5, présentée en 2010) arrive la sixième incarnation du logiciel, avec comme d’habitude son lot d’innovations. Quelles sont-elles ?
Introducing Native Instruments Reaktor 6
La première chose qui frappe, c’est au moment de sortir le porte-monnaie : la baisse de prix est spectaculaire, puisque l’on passe de 500 euros (à l’époque) nécessaires pour obtenir la version 5, à 199 euros pour la version 6 complète, et 99 pour la mise à jour ! C’est la première (très) bonne nouvelle. Non négligeable non plus, les possesseurs d’un clavier Komplete Kontrol S peuvent s’offrir Reaktor 6 au tarif de la mise à jour. L’éditeur gâte ses utilisateurs.
Machine de test MacBook Pro i7 |
On se rend chez Native pour télécharger le Reaktor 6 Bundle Downloader, gestionnaire de téléchargement disponible pour Mac et PC, qui se chargera de rapatrier quatre installeurs différents (.iso, l’ensemble pèse à peu près 850 Mo). Les paquets contiennent respectivement les données pour le Service Center et les différentes EULA (Reaktor Bundle), l’application, les plugs, le Service Center, la bibliothèque partagée Rex (Reaktor 6), les différents Blocks (Reaktor Blocks, une des grosses nouveautés de cette version) et les différents Ensembles, instruments et effets (Reaktor Factory Library). L’éditeur fournit aussi les modules (Ensembles, Instruments et Macros) des précédents Reaktor, en remontant jusqu’à la version 3 du logiciel, merci.
Installation puis autorisation classiques via le Service Center, rien à signaler, Reaktor aussitôt validé, aussitôt utilisable comme application autonome ou comme plug au sein de n’importe quelle application compatible (des STAN aux divers hôtes comme Mainstage ou Blue Cat’s Patchwork).
Back On The Blocks ?
Première amélioration appréciable, on peut redimensionner à loisir la fenêtre de l’application, horizontalement ET verticalement même avec le Browser visible, les possesseurs de portables en sauront gré à l’éditeur. Expérimentant en ce moment le passage d’un écran 15 pouces à un 13 pouces, et les comparaisons devant être faites entre Reaktor 5 et Reaktor 6, le gain en ergonomie pratique et visuelle est sans conteste en faveur de la dernière version. D’autant que sa refonte graphique est assez complète, jusques et y compris au niveau de l’édition, avec notamment un système de couleurs pour les câbles suivant leur destination/fonction et un code couleur différent pour les modules en mode Structure.
Ces derniers offrent maintenant deux possibilités d’affichage (icônes, champs de texte plus grands, etc.). Les câbles peuvent aussi être enroulés, et regroupés pour être ensuite éclatés lors du branchement dans le module cible (la fonction s’appelle Bundles). L’ensemble, plus tenu et cohérent, est une belle réussite graphique, d’autant que l’on ne perd aucune des façons de se servir du, ou d’aborder le, logiciel. Bien entendu, une simple refonte ne suffirait pas à la satisfaction des utilisateurs (rappelons-le, dix ans ont passé depuis la version 5). Mais avant d’aller plus loin, un petit récapitulatif du fonctionnement de la bête s’impose.
Tout en haut de l’échelle (donc le plus grand constituant divisible), Reaktor propose les Elements. On l’oublie un peu souvent, car on a tendance à simplement les prendre pour des instruments, mais les Ensembles peuvent être composés de plusieurs instruments, ce qui permet une utilisation multicanal et multitimbrale. Ensuite l’Instrument lui-même est constitué de Modules, que l’on assemble et connecte dans la fenêtre Structure (il faut être en mode Edit). Les Modules peuvent être regroupés en Macros, afin de proposer une structure, un fonctionnement pré-câblé (des effets, des générateurs de forme dynamique, des oscillos complexes, etc.). Cette architecture, héritée des versions précédentes de Reaktor, est depuis la version 5, regroupée sous la famille Primary Structures. Car l’arrivée au sein de Native de Vadim Zavalishin (lui-même créateur d’un système de synthèse modulaire équivalent, nommé Sync Modular, et dont on a déjà parlé lors des tests du Diva d’u-He et de l’Oxium de Xils-Labs, ainsi que dans les forum liés) a permis de rajouter la nouvelle couche de programmation, Core Structures, contenant Core Cells, Core Macros et Core Modules, qui permet de rentrer dans la conception même des éléments d’un synthé (au lieu de prendre un oscillateur dans la bibliothèque, on va le « fabriquer » entièrement. Cette nouvelle couche extrêmement puissante demande en revanche de plus amples connaissances (docs et tutoriaux sont fournis par Native) sous peine de se retrouver errant dans les fonctions DSP comme une âme en peine…
Cette richesse et la complexité en découlant ont pu faire peur à de nombreux utilisateurs. Comme pour les rassurer, Native propose avec les Blocks un système relevant beaucoup plus du synthé modulaire classique, avec retour à une forme graphique plus ergonomique, notamment pour les débutants ou les musiciens désirant concevoir un synthé ou effet à base de modules « simples ». Là encore, les propositions sont très nombreuses, accessibles dans le menu Library>Reaktor Blocks une fois que l’on bascule en mode Edit. Huit dossiers regroupent les différents modules utilisables, et c’est avec surprise (mais avec plaisir !) que l’on trouve Driver (la combinaison filtre/distorsion très efficace, disponible en plug séparé), un dossier Monark proposant les oscillateurs, filtre et générateur de forme dynamique de l’instrument mis en vente en 2013, ainsi qu’un dossier Rounds incluant les deux effets de l’original synthé paru avec la Komplete 9.
D’autres modules (ici compris comme éléments complets d’un synthé modulaire) sont fournis, d’abord dans le dossier Bento, avec oscillo, filtre, ampli, modulateurs, etc. Le dossier Boutique offre des modules plus travaillés, un double filtre à variable d’état et deux oscillateurs offrant plusieurs formes d’ondes simultanées (donc l’Osc 5, avec sélection de la forme d’onde indépendante pour chaque hauteur, idéal pour toute sonorité simplement additive, comme un orgue par exemple), Modern propose Comb, un filtre en peigne, et Paul Filter, filtre coupe-haut résonant multipente (tous deux dotés de FM). Digilog regroupe Quantizer et Clock Divider, respectivement un effet d’assignation de Pitch basé sur celui entrant (bienvenues les gammes perso) et un diviseur d’horloge se basant sur celle entrante, avec six sous-divisions indépendantes (avec réglage de 1 à 64), garantes de polyrythmes intéressants. Enfin, Utility permet d’insérer divers outils de monitoring ou de commandes, comme un bel Oscilloscope, un moniteur de note entrante, un autre de trigger, un mixeur de signaux CV, un indicateur de signal de sortie, un mixer quatre canaux plus général, etc.
On glisse les modules dans la fenêtre Structure (Edit) et il suffit de patcher les connexions l’une à l’autre dans la plus pure tradition modulaire. Le rappel des interfaces au sein de la fenêtre d’édition est agréable, on garde l’idée d’un module reconnaissable avec ses différentes entrées/sorties. On pourra regretter par contre les limites en termes de modulation, deux Bus pouvant se révéler insuffisants quand on commence à rentrer dans les détails expressifs. Car même s’ils offrent deux modulations bipolaires indépendantes par paramètre, on peut très bien vouloir plus (vélocité, générateur de forme dynamique, mod wheel et aftertouch sur un filtre, ça peut être quelque chose d’assez courant, par exemple). Mais à bidouiller, triturer, câbler, décâbler et essayer toutes sortes de configuration, on constate la puissance et l’impressionnante sonorité de la nouvelle version (attention au CPU…).
Les nouveaux synthés fournis dans la bibliothèque d’usine utilisant les nouveaux Blocks sont à ce titre très parlants : Drive, le bien nommé, permet des sons écrasants d’épaisseur, de grain, le Monark Micro est très impressionnant malgré ses possibilités réduites (on peut penser à des déclinaisons d’un Phatty, par exemple). Quadrapolis est un magnifique générateur de sons séquencés/évolutifs, exploitant quatre 8 Steps (séquenceur pas-à-pas pilotant indépendamment et simultanément hauteur, glide, envoi de valeurs de vélocité et gate (on pourrait penser à des fonctions implémentées dans Rounds) reliés à quatre oscillos (un de chaque type disponible) avec Clock Divider, délai, réverbe, etc.
Seul reproche graphique à l’égard de ces Blocks, l’impossibilité de les redimensionner dans l’affichage Panel, avis aux possesseurs de petits écrans qui ne permettront pas d’afficher la totalité des plus grosses réalisations modulaires.
Bilan
Un des principaux reproches faits à Reaktor au fur et à mesure de son évolution (6 et les cités) était sa complexification progressive. Cela peut se comprendre, mais on ne peut raisonnablement reprocher à un environnement de programmation d’offrir toujours plus de possibilités, notamment l’accès au plus bas niveau de création de modules. Mais Native semble avoir trouvé la solution pour répondre à ce reproche, en ajoutant les Blocks, qui permettent une approche modulaire plus simple, voire ludique. Le design est réussi, et les modules issus de synthés récents (eux-mêmes issus de Reaktor, la boucle est bouclée) sont un apport de luxe, qui offrent de nouvelles dimensions et perspectives sonores.
Reaktor 6 n’est assurément pas une avancée aussi importante que la version précédente, mais la présence de modules de synthèse issus des derniers instruments signés Native, ainsi que l’approche modulaire immédiate offerte par les Blocks est un plus indéniable, et l’on aura tout intérêt, vu le tarif de la mise à jour, à passer à cette nouvelle version, qui promet de nombreuses heures de conception. La communauté a d’ailleurs très vite réagi, les nombreux instruments, Ensembles et Blocks s’ajoutant tous les jours à la base déjà très fournie hébergée par l’éditeur en attestent. Et nul doute que d’autres bombes comme Monark, Kontour ou Molekular ne vont pas tarder à pointer leur nez…