Avec huit pages complètes de commentaires, décorticages, analyses, critiques, l'annonce de la sortie de la nouvelle interface d'Arturia avait déjà généré un certain bouillonnement dans les pages d'AF. On sentait une certaine impatience, disons... N'attendons donc pas une seconde de plus !
Vous vous doutiez que le test n’aller pas tarder, vous piaffiez même d’impatience ! Ne mentez pas, je le sais. Je le sais d’autant mieux que moi aussi j’étais impatient de l’avoir entre les mains pour la tester, cette nouvelle interface Arturia.
Pourquoi ? En premier lieu parce qu’il y a, sur le papier, ce « seize entrées ligne » qui laisse un peu chancelant, tout en aiguisant la curiosité, car l’on a rarement vu d’interface qui vise aussi clairement le marché des aficionados et aficionadas de synthés. Également parce que l’interface est clairement conçue pour intégrer aussi bien une installation studio (comme carte son) qu’un set-up de concert, où elle est totalement utilisable sans STAN, comme pur mixeur. Et pour finir, parmi d’autres spécifications excitantes, ce contrôle par l’écran qui permet de paramétrer presque tout (c’est déjà très fort) depuis l’interface… couplé à un nouvel environnement logiciel qui a l’air très ergonomique. Bref, on avait déjà de nombreuses raisons de vouloir en savoir plus.
Présentation
Commençons avec un petit rappel des spécifications, avant de décrire l’appareil lui-même :
- 16 entrées analogiques (avec préamps contrôlés numériquement) sur jack 6,35 mm, avec les entrées 1–2 également sur combo XLR/jack et les entrées 3–4 sur mini-jack stéréo + 2 entrées et sorties ADAT pour une extension de 16 canaux avec une fréquence d’échantillonnage de 48 kHz (plus, en mode SMUX, la possibilité d’augmenter la fréquence à 98 kHz pour 8 canaux max).
- Une interface Word Clock sur BNC
- Une entrée/sortie/thru MIDI au format DIN, un port USB-MIDI et une sortie MIDI Clock sur mini-jack
- 8 sorties ligne sur jack 6,35 mm TRS + 2 sorties ligne sur jack 6,35 mm TRS pour le monitoring, avec contrôle individuel du niveau de sortie, un bouton Mute et un bouton Custom assignable à la fonction Mono, Dim ou Alternate Speakers.
- 2 sorties casque sur jack 6,35 mm et mini-jack (avec la possibilité de transformer les sorties 3–4 en sorties casque supplémentaires)
- Un mixeur interne à faible latence, avec la possibilité de configurer, sauvegarder et rappeler des commandes directement depuis l’interface
- Un écran pour le retour en temps réel des niveaux, de l’acheminement audio, des préréglages, le paramétrage de l’appareil, etc.
- Le choix entre le montage en rack ou en mode bureau
En réalité, cela donne :
- À l’arrière, on trouve les 16 entrées sur jack 6,35 mm TRS, les sorties « Monitoring » (sorties 1 et 2, sur fond blanc) et les sorties lignes (3 à 10), les entrées et sorties ADAT (1–8 et 9–16), les entrées et sorties Word Clock sur connecteurs BNC, l’ensemble des connecteurs MIDI au format DIN (entrée 1 + sorties/thru 1 et 2) et la sortie MIDI clock sur mini-jack. Pour finir, la prise USB (hub), et la connexion USB-C vers l’ordinateur.
- À l’avant, on est face à une présentation plus « ludique », avec des parties très clairement séparées, des boutons de tailles et couleurs différentes, bref une façade pensée pour une prise en main rapide. À gauche, les deux blocs des sorties et entrées déportées à l’avant. Bien au centre, l’écran de commande avec, à sa gauche, divers boutons d’accès rapide : entrées, sorties, mixer, cues, et accès direct aux réglages des entrées 1 et 2 – à droite de l’écran, un encodeur cliquable qui sert de souris pour naviguer sur les différents menus, et un bouton « retour ». À droite, on trouve les deux blocs de contrôles des niveaux de sorties, d’abord pour les sorties monitoring 1 et 2 (avec un bouton de mise en sourdine, et un bouton à fonction paramétrable), puis pour les sorties casques 1 et 2 (deux sorties en parallèle, avec des prises jack de deux tailles différentes). Pour finir, le bloc USB, avec une seconde prise de hub, et le connecteur MINI sur format USB.
À ce stade, on notera quelques éléments intéressants :
D’abord la très bonne idée d’avoir des entrées et sorties présentes sur la façade avant, avec leur contrepartie sur la façade arrière, la sélection (avant/arrière) se faisant au sein du logiciel ou par l’écran. Il suffit de brancher un appareil dedans pour actionner la sélection automatique des prises avant, et la dé-sélection des prises arrières correspondantes (il reste toutefois possible de forcer la sélection des prises arrières dans le logiciel, ou à travers l’écran). Très bien pensé !
Puis les deux boutons permettant d’arriver directement sur l’écran aux réglages de ces deux entrées avant, seules entrées micro et instrument de l’interface, pour les régler instantanément sans avoir à les chercher à travers les différentes fenêtres. Là aussi, on apprécie.
Ajoutons les deux sorties ligne à l’avant, qui peuvent servir de sorties casque, et permettent donc de varier les mix casque. Bon point !
Notons aussi que les sorties lignes peuvent porter du courant continu (elles sont couplées en continu) ce qui leur permet d’être utilisées pour envoyer des tensions de contrôle (CV) vers vos synthétiseurs et machines hardware. Gros pouce !
Puis, le fait que presque tout puisse être sélectionné, changé, réglé à partir de l’écran, ce qui permet une utilisation sans STAN de l’appareil. De la même façon, tout le système MIDI est également autonome (« standalone ») et ne requiert pas d’ordinateur pour fonctionner.
Et bien sûr, le très grand nombre d’entrées et sorties, analogiques, MIDI ou ADAT, qui ouvre en grand les portes du routage de systèmes complexes. Et une construction très robuste, tout métal, avec tous les connecteurs visés sur le châssis. Chapeau !
Au passage, nous noterons aussi que nous avons été très positivement impressionnés par le contrôle par l’écran : lors des essais et des tests, il nous est apparu que le passage de l’environnement numérique à l’appareil se faisait totalement naturellement, grâce à des menus aux présentations claires, visuellement évidentes, bien pensées.
Un seul petit point à noter, et qu’il faut garder en tête : l’écran n’étant pas tactile, il est parfois nécessaire de beaucoup tourner l’encodeur pour atteindre l’élément que l’on veut changer, et qui se trouve en page 4 du menu en question. C’est peut-être le seul point qui aurait pu être mieux pensé : la capacité de naviguer de page en page sur l’écran sans avoir à « scroller » à travers tous les réglages de chaque page.
Et pour finir, oui, il n’y a que deux entrées (au format XLR) vraiment dédiées au micro. Ce n’est pas courant ; c’est un choix ; je ne le listerais pas dans les points négatifs, car je pense qu’il faut considérer que cela positionne l’interface sur un certain marché et fait qu’elle ne s’adresse pas à tous les consommateurs. Elle est donc à la fois très polyvalente, très complète, mais elle n’oublie pas (et je tiens à souligner que je trouve cela positif) de proposer une approche qui lui est spécifique.
Logiciel
Il serait ambitieux, pour ne pas dire illusoire, d’imaginer que l’on puisse ici couvrir toutes les options offertes par le logiciel. Arrêtons-nous cependant sur quelques-unes qui nous ont paru remarquables, parce que parfois tout simplement absentes sur d’autres interfaces :
- possibilité de coupler toutes les paires d’entrées en piste stéréo. Et pareil pour les sorties lignes.
- réglage possible de la sortie casque pour diverses impédances de casque
- réglage des sorties ligne en façade. Les options sont triples : ligne, casque, sortie directe et réamplification (avec un ground lift). Très pratique d’avoir les trois en un !
On ajoute à ça quatre bus « Aux » (joignables en 2 bus auxiliaires stéréo, avec pour chacun l’option d’écoute avant fader, ou « PFL »), un mix « Cue » et une matrice de routage très simple, avec des groupes qui se développent (et se replient) en un clic (nota benne : la matrice est un des rares éléments non accessible depuis l’appareil lui-même). Toutes ces pages sont affichables en cliquant sur le pictogramme correspondant, en haut au centre de la fenêtre principale. Il est bien entendu possible de sauvegarder tous les réglages, et l’on peut accéder à ces préréglages enregistrés depuis l’interface également.
Pour ce qui est des contrôles MIDI, on trouve un mixer complet, contrôlable aussi bien dans le logiciel que par les entrées DIN et USB. La forme par défaut du mixer est celle du contrôleur de la série KeyLab d’Arturia, mais peut-être transformé pour s’adapter à votre contrôleur MIDI. En mode autonome (« Standalone »), la section centrale, en haut, permet de configurer le routage des entrées vers les sorties. En haut à droite, vous pouvez visualiser la détection de signal MIDI aux entrées et sorties de l’appareil.
Pour finir le bundle est la « AudioFuse Creative Suite », très généreuse, qui contient : Analog Lab Intro, Comp DIODE-609 (une nouveauté), Pre 1973, Pre V76, Pre TridA, Filter MINI, Chorus JUN-6, Comp FET-76, Delay TAPE-201, Rev PLATE-140, Phaser BI-TRON… Les noms à eux seuls doivent vous permettre de deviner quels sont les appareils « émulés », puisque ce ne sont que des classiques parmi les classiques.
Benchmark
Précisons-le d’abord, l’AudioFuse 16Rig travaille dans une résolution max de 24 bits/192 kHz. Un petit tour du côté de RTL Utility nous apprend que la latence réelle est la suivante :
Le buffer sur 32 échantillons en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 7,392 ms
Le buffer sur 64 échantillons en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 8,753 ms
Le buffer sur 128 échantillons en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 11,927 ms
Le buffer sur 256 échantillons en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 17,460 ms
Le buffer sur 32 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 6,146 ms
Le buffer sur 64 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 6,615 ms
Le buffer sur 128 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 7,031 ms
Le buffer sur 256 échantillons en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 10,865 ms
Afin de tester l’interface, nous avons fait un benchmark avec notre fidèle APx515 d’Audio Precision. Comme d’habitude, nous publions les résultats obtenus en THD, rapport signal/bruit et déviation des voies, pour les entrées et sorties analogiques. Pour toutes les configurations, je règle le gain pour obtenir le meilleur résultat possible.
Gain max mesuré à travers l’appareil : 70,288 dB
Plage dynamique mesurée (pondération A) : 120,383 dB
Commençons par les entrées ligne :
Déviation : ±0,093 dB
THD+N : 0,00055 % THD : 0,00025 %
Rapport signal/bruit : 103,863 dB
Distorsion d’intermodulation : –99,851 dB
Passons aux entrées micro :
Déviation : ±0,148 dB
THD+N : 0,00057 % THD : 0,00025 %
Rapport signal/bruit : 103,230 dB
Distorsion d’intermodulation : –100,229 dB
Qu’en est-il de la sortie casque ?
Déviation : ±0,052 dB
THD+N : 0,15 % THD : 0,15 %
Rapport signal/bruit : 102,014 dB
Distorsion d’intermodulation : –44,493 dB
Conclusion
Je pense que les résultats mesurés se passent d’un long commentaire : ils sont très bons. Seule la sortie casque nous a donné un résultat moindre en THD (mais non pas en bruit, la sortie ne souffle pas du tout) mais rien de catastrophique.
Quant aux spécifications de l’appareil, il faut bien avouer que l’on a été impressionné. En effet, non seulement le grand nombre d’entrées/sorties (qui est évidente dès la découverte de l’appareil) mais surtout de nombreux détails très bien pensés ont retenu notre attention : les entrées et sorties accessibles par l’avant, hautement configurables pour s’adapter à de nombreux usages sur le moment (excellent pour « fluidifier » le travail créatif), jusqu’à 4 mix casques, la possibilité d’installer des écoutes de monitoring alternatives, la gestion de l’interface presque totale (et très facile) depuis l’écran frontal, la possibilité d’utilisation sans STAN (y compris pour ce qui est du signal MIDI) plus un contrôleur MIDI intégré mais également gérable en externe… Ajoutez à cela un logiciel de mix très bien conçu, une construction très solide et un appareil vendu avec ses oreilles de rack démontables (c’est un détail… mais c’est super bien !), et vous obtenez une interface qui vient vraiment renouveler le catalogue d’Arturia, et qui nous semble être une des sorties les plus enthousiasmantes de cette fin d’année 2023.