Dis moi ce que tu lis.
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Nantho Valentine
Anonyme
crossroads
J’ai adoré.
C’est dur : parents qui se séparent, enfance pauvre, pensionnat glauque, fin tragique.
Ça se lit très bien, ça reste humain et ça s’étale pas trop sur les à côté, le sujet du livre reste Stéphane Sirkis.
J’ai trouvé des similitudes avec des histoires familiales que je connais, du coup le récit prends de l’intérêt et on se prend d’affection pour cette famille dysfonctionnelle et bien chargée.
Les schémas, les non-dits, le manque de lâcher prise et de recul.
Gros pavé mais bonne lecture.
Instrumental/Ambient/Post-Rock : https://dzeta.bandcamp.com/
Anonyme
Le Triomphe de la Nuit
Edith Wharton
1937
C'est avant tout la très belle peinture illustrant couverture qui m'a attiré (détail de Femme accoudée à la table de Eugène Carrière). Du coup je prends le livre et lis les premières lignes de la préface de l'auteure:
"Croyez-vous aux fantômes?" C'est la question absurde que posent souvent les gens incapables de ressentir les influences du surnaturel - celui je ne dirais pas qui a vu un fantôme, car il reste un oiseau rare, mais - qui a perçu sa présence, qui est sensible au souffle immatériel des esprits en certains lieux et à certaines heures.
Bon OK ! Vu vs perçu = j'embarque direct ! et je n'ai pas été déçu par les cinq nouvelles composant ce recueil. Car il ne s'agit pas là uniquement de fantômes, mais également de gens vivant dans les sociétés d'une certaine époque. On peut donc ôter les fantômes de ces histoires, il restera des personnages qui ne perdront pas de leur intérêt ainsi que les cadres dans lesquels ils et elles évoluent, à savoir les bourgeoisies américaines, anglaises ou françaises entre fin XIXème et début XXème, qu'elles soient urbaines ou rurales.
Dès le première nouvelle j'ai été surpris par la façon dont l'ambiance et le rythme sont posés. En effet, le fantôme fait son apparition d'une façon tellement banale qu'on ne se rend pas tout de suite compte qu'il en est un, enfin c'est l'impression que ça m'a fait.
Je continue la lecture et je me dis: "Attends ! mais il y avait un truc là non?" et de relire les quelques lignes qui précèdent. Ah mais oui !
Bon après les fantômes sont plus ou moins subtils, mais dans l'ensemble ils n'arrivent pas comme des cheveux sur la soupe juste pour faire peur. Non ils sont invités à faire des incursions dans notre monde à qui veut bien les percevoir ou les voir. Certains fantômes ont une raison d'être là, d'autres le sont pour des raisons totalement inconnues.
Certaines fins peuvent donc "laisser sur la faim" sauf si on admet que quelques fois, des choses arrivent sans qu'on puisse les comprendre ou se les expliquer.
Plutôt dans une veine romantique, c'est très très bien écrit. Ça se lit donc tout seul car l'auteure sait trouver la manière de vous installer dans l'ambiance, vous accrocher et trouver ensuite un équilibre qui vous captivera avec juste ce qu'il faut, sans vous perdre au passage dans des digressions inutiles ou des longueurs qui casseraient le rythme de lecture et l'attention.
Le style est assez descriptif mais ne se perd jamais dans d'interminables détails qui masqueraient une faiblesse narrative. Avec quelques meubles, une lumière, un vêtement elle vous fait entrer dans un salon bourgeois new-yorkais ou une maison en pierre perdue dans la campagne bretonne.
De courts trait poétiques, lyriques lorsqu'ils sont relatifs à la nature et fins lorsqu'ils sont relatifs à la psychologie des personnages, viennent illuminer les récits.
La préface laisse entrevoir selon moi à quel point Edith Wharton était brillante et rien que ces quelques pages méritent qu'on jette un coup d'oeil au livre.
Je ne connaissais pas cette auteure, et du peu que j'ai lu à son sujet depuis, elle n'est pas réputée pour ce genre littéraire mais force est de reconnaître qu'elle maîtrise son sujet sans jamais céder à la facilité. Peut-être une qualité des grand(e)s? J'en relirai sans aucun doute puisque ses ghost stories sont parues en France dans deux volumes chez 10/18 et le second, faute d'être disponible chez les libraires et bouquinistes locaux, devrait bientôt atterrir dans ma boîte aux lettres
Mention spéciale pour la traduction de Florence Lévy-Paolini. J'ai eu l'occasion de lire quelques paragraphes en anglais sur internet et je m'y retrouvais.
Je vous conseille vivement ces histoires-de-fantômes-mais-pas-que.
[ Dernière édition du message le 18/03/2019 à 13:49:14 ]
Dr Pouet
Y a-t-il un sujet sur le Japon, voire l’Asie ? Il me semble que non (à part « Gabou au Japon », mais qu’il serait dommage de détourner de son sujet initial, et un nouveau sujet serait justifié je trouve).
Et donc peut-être que Kumo devrait en créer un !
Anonyme
K, pas Rivers, hein.
En fait j'avais déjà essayé, mais j'avais trouvé le truc mal écrit et assez nul. Jme suis demandé pourquoi en parcourant le livre, qui aux débuts m'a donné l'impression inverse : bien écrit et bien trouvé.
Par contre, la fin, si on peut appeler ça une fin, c'est de la merde.On voit bien que le gusse savait plus où il voulait aller et avait pris un acide de trop. ca m'a clairement fait penser à l'inégal (pour les mêmes raisons) Tous à Zanzibar de John Brunner, belle uchronie, mais là aussi l'écrivain s'est perdu en route.
Je sais pas trop quand le roman a été écrit, probablement dans les 70's, à ce moment y avait quand même un gros courant pour les fins elliptiques et dénuées de sens, genre la fin de la série du Prisonnier, et là encore niveau LSD, P.MC Goohan n'était pas un noob.
Dr Pouet
les fins elliptiques et dénuées de sens, genre la fin de la série du Prisonnier
Pas complètement, quand même.
sqoqo
Mais Tous à Zanzibar reste assez fortiche jusqu'au bout, dans mes souvenirs
Anonyme

Oreste quitte son village sur un bateau où il rencontre le Prince Patagon, directeur d'un cirque itinérant.
Il s'engage, au milieu de nouvelles recrues, d'un lion vieillissant et feignant, d'un nain, d'une veuve etc etc... Au fur et à mesure que le récit avance on quitte la joyeuseté pour le tragique discret, on sent que ça va barrer dans le mauvais sens, l'auteur instille une certaine tristesse, mélancolie... ça va basculer, comment pourquoi, on ne sait jamais trop. C'est très étrange comme bouquin, on le sent venir le malaise, le malheur, léger comme tout, sans vraie raison.
Ça fout mal à l'aise, on est sans nouvelle de Conti depuis la nuit du 4 au 5 mai 1976...
Il est l'un des 30000 disparus de la dictature argentine.
Le livre est d'autant plus bouleversant que la fin de Conti... enfin bref.
[ Dernière édition du message le 25/03/2019 à 18:39:19 ]
Anonyme
Citation de Dr :xHors sujet :Y a-t-il un sujet sur le Japon, voire l’Asie ? Il me semble que non (à part « Gabou au Japon », mais qu’il serait dommage de détourner de son sujet initial, et un nouveau sujet serait justifié je trouve).
Et donc peut-être que Kumo devrait en créer un !
Paradoxalement, pour ma part je ne saurais pas exactement comment l'alimenter, enfin si:
reprendre les notes prises au fil de mes lectures (romans, essais, poésie) et faire des rapports avec des films, dessins animés, de la musique ou des arts graphiques mais ça me demanderait énormément de temps et je n'en ai pas le courage.
Mais merci d'avoir pensé que je pourrais faire ça
Dr Pouet
C’est parce-que je me posais des questions sur les kanji.
Après il n’y a pas forcément besoin que tu l’alimentes. On y posterait quand l’occasion se présente. Comme celui sur l’amérique latine, de Aztec Soviet.
Anonyme
Quelle est ta question sur les kanji? Je peux peut-être y répondre ou au moins te filer une piste.
[ Dernière édition du message le 26/03/2019 à 15:20:27 ]
Dr Pouet
On dit que les kanjis sont tirés voire copiés des idéogrammes chinois.
J’imagine qu’il s’agit des idéogrammes d’avant la simplification sous Mao. Pourtant ils semblent plus simples que les anciens idéogrammes chinois non ?
Y a-t-il un lien (faible vu la différence de phonèmes) entre la prononciation chinoise et la japonaise, ou aucun ?
Y a-t-il un lien au niveau du sens ?
Plein de questions que je me pose !
Tu veux pas créer le thread ?
Anonyme
Anonyme

Grain de grenade
Edith Wharton
1937
Suite des histoires de fantômes. Rien à redire, toujours aussi bon
Anonyme
Anonyme
Perso j'imagine bien certaines de ces histoires dans une série comme "La Quatrième Dimension".
le reverend
Dis moi ce que tu relis.
Les 6 premiers volumes de la série The Expanse, de S.A. Corey, avant d'attaquer le 7e volume paru il y a juste quelques mois.
Putain, 22 ans que je traine sur AF : tout ce temps où j'aurais pu faire de la musique ! :-( :-)
oryjen
Je tombe sur le portrait du peintre Michel S., de Villeneuve-Lès-Avignon, l'un de mes (bons) profs au Beaux-Arts entre 1982 et 1986.
J'apprends avec stupeur qu'il a très peu vendu, et conserve avec embarras toute son oeuvre dans une sorte d'appentis derrière l'atelier...
Atterré que personne n'ait pu être intéressé par cette oeuvre magnifique et très personnelle.
Ce type n'a suivi personne (ou juste un peu Giacometti, dans l'esprit mais pas dans la forme... Une sorte de convergence fortuite de sentiment, de préoccupation). Sa peinture est belle, profonde, méditative, silencieuse, lumineuse, humaine jusqu'à la stupeur. Magnifique témoignage d'une vie d'homme et de vies d'hommes.
Pendant ce temps, Jeff Koons faisait carton plein.
Quelle décadence...

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.
[ Dernière édition du message le 28/03/2019 à 17:17:38 ]
Dr Pouet
Atterré que personne n'ait pu être intéressé par cette oeuvre magnifique et très personnelle.
Ce type n'a suivi personne (ou juste un peu Giacometti, dans l'esprit mais pas dans la forme... Une sorte de convergence fortuite de sentiment, de préoccupation). Sa peinture est belle, profonde, méditative, silencieuse, lumineuse, humaine jusqu'à la stupeur. Magnifique témoignage d'une vie d'homme et de vies d'hommes.
Pendant ce temps, Jeff Koons faisait carton plein.
Quelle décadence...
C’est clair. Triste
Vince_
Le maître du haut chateau, acheté pour jouer à l'intelligent, illisible pour moi.
Anonyme

Ethan Frome
Edith Wharton
U.S.A 1911
États-Unis, début du XXème siècle.
Starkfield, dans le Massachusetts, est la minuscule bourgade dans laquelle le narrateur se retrouve un hiver pour des raisons professionnelles.
Chaque fois qu'il va à la poste, il croise un type à l'allure singulière: grand, maigre, une cicatrice sur le front et la partie droite du visage paralysée. Pour compléter le tableau, ce quinquagénaire est taciturne et rares sont les personnes qui s'arrêtent pour échanger quelques mots avec lui et lorsque c'est la cas, c'est toujours à voix basse cela va sans dire.
Qui est donc ce personnage singulier? Il s'agit d'Ethan Frome.
Bientôt, l'occasion sera donnée au narrateur d'en savoir un peu plus au sujet de ce personnage intriguant.
Edith Wharton, ici dans un registre plus classique, ne me déçoit pas. En effet, les talents littéraires et de conteuses entrevus dans ses histoires de fantôme sont bien là. Les personnages sont bien construits, tout comme le paysage dans lequel ils évoluent, sorte de personnage à part entière jouant également un rôle déterminant. À une époque il a été édité en France titré "Sous la Neige".
En filigrane, apparaissent bien évidemment des questions de classes sociales mais aussi plusieurs formes de rudesses: celle des mentalités mais également celles psychologiques et climatiques, ces deux dernières étant liées par bien des aspects.
J'imaginais bien quelqu'un comme Howard Hawks ou le John Ford de "Les Raisins de la Colère" à la réalisation d'une adaptation cinématographique avec idéalement et "anachroniquement" le Clint Eastwood d'aujourd'hui dans le rôle de Ethan Frome vieux, et Audrey Hepburn dans le rôle de la jeune Mattie.
Une adaptation a été réalisée en 1993. La bande-annonce fait peur.
Un roman bien ficelé, captivant, bien rythmé, immersif, sombre (excepté quelques courtes pages cul-culs dans le dernier quart) que je vous conseille vivement.
Anonyme

Polycéphale et Madame
Ramon Gomez de la Serna
Argentine 1932
Buenos Aires, début du XXème siècle. Perfecto est de la nouvelle "race", c'est à dire qu'il est de cette jeunesse argentine qui émerge avec le siècle naissant. Il a toutefois une autre singularité: il est habité par les multiples esprits de ses ancêtres qui sont espagnols, birmans, russes, vénitiens, irlandais, chinois, mexicains et portugais. Ces derniers émergent avec plus ou moins de violence à certains moments.
Il rencontre Edma dans laquelle il perçoit également diverses esprits venus d'ailleurs.
Ils se plaisent. Se marient. Partent en Europe pour leur voyage de noces, afin de mieux faire connaissance l'un de l'autre mais aussi d'eux-mêmes et se rapprocher plus encore de ceux qui les habitent.
Un roman haut en couleur, rempli de poésie et de surréalisme du début à la fin. L'auteur est réellement talentueux et, à presque chaque page, il nous ébloui avec des phrases pleines de poésie, d'idées sans jamais fléchir, tenant bon jusqu'à la fin sans décevoir. Un livre dont il ne m'est pas simple de parler, car seule la lecture lui donne toute sa saveur.
Je mets donc quelques extraits en spoiler afin que vous vous fassiez une idée du talent de Ramon Gomez de la Serna que je relirais si l'occasion se présente.
On vivait joyeux, ou plutôt satisfait, dans cette ville d'un type si particulier,
saturée de la lumière blanche et salée des plages[...] ce n'est pas une ville pour carte postale;
elle ne se regroupe pas autour d'une cathédrale ou d'un quartier de banques,
mais s'éparpille à travers la campagne avec un goût particulier pour toutes les directions.
À propos du strabisme du personnage grâce auquel:
il réussira à voir ce que personne n'a jamais vu
Dans les reflets de son miroir, lorsqu'il se rasait, il lui arrivait de découvrir,
en des contre-jours sincères,l'abondance rousse de sa chevelure, ce reflet incarnat
qui le ramenait aux races barbares, effet sanglant qui ne lui plaisait guère et semblait plutôt l'accuser.
Il était toujours gêné, en se coiffant, de retrouver cette braise rouge.
Son visage avait quelque chose d'abrupt, de désordonné, avec des grimaces de masques d'argile peinte.
C'est en cela qu'il trouvait en lui le Mexicain.
Visage larmoyant fait de mottes de glaise, physionomie sculptée par la main d'un dieu plus barbare que les autres.
Le dieu baroque de l'autre hémisphère se disait, protestant contre les Apollons et les Ganymèdes:
"Les belles statues, que de mal elles ont fait à la vie !"
Il avait la voix antique d'un paysage de montagne, de caverne et de vallons où les mots s'amplifiaient
en ricochant dans les anfractuosités avec des résonances profondes de tango.
Les pantalons rayés installent l'homme chic dans l'élégance...Mais il faut qu'ils aient de bonnes raies...
Les autres, ne sont que le béton armée de l'élégance.
Comme sa vie se déroulait sans aucune logique, il était l'homme de l'avenir.
Des gens, sourds pour la plupart, et ensevelis dans les formules comme sous une patine sombre.
Ces palais remplis seulement d'un respect antique, ces vieux qui n'avaient rien de l'allure entreprenante des murs neufs, pétris d'un air et d'un soleil récent.
On peut visiter toutes les villes avec un guide...Madrid non..Il faut pénétrer peu à peu son secret, dans une parfaite solitude, sans l'aide de personne.
Dans son sourire, on percevait une sorte de joie de la trahison; c'était comme si, l'ayant séduit pour qu'il l'amenât jusqu'ici, elle allait tourner à tout jamais l'angle de la disparition.
Arrachant un feuillet de calendrier:
Et le 26 alla voler, froissé en chiffon colérique d'un geste plus violent que celui dont on froisse les jours.
Ils sortirent, avec cet air qu'ils avaient de passer d'un spectacle à l'autre.
Jusqu'à quatre heure du matin, ils gardèrent l'allure de ceux qui vont voir un autre spectacle.
- Qu'est-ce qui t'attire? interrogea-t-il
On pu voir tourner en elle le présentoir des caprices féminins.
Déjà sauvé de l'horrible dimanche, on était sur les trottoirs solitaires du lundi.
Elle soufflait la fumée sur sa propre cigarette comme pour égarer son âme.
Puisqu'on ne vit pas pendant ces journées, disait-il souvent, la vie se perd beaucoup moins...Tous les jours ne peuvent être vécus...Seul celui qui sait cela ne vieillit pas.
Son charme était si grand que, devant le kiosque à journaux, sur la couverture de la meilleure revue,
on vit apparaître son portrait.
Il connaissait l'âme orientale, capable de méditer une réponse sous les longs cils du silence.
L'antiquaire, lente araignée, finit par se montrer.
- De quelle horloge avez-vous un besoin si urgent? De l'horloge du bonheur?
- Cette horloge n'existe pas...seuls en subsistent quelques heures solitaires.
- L'horloge du caprice alors?
- Celle-là, je la porte en bracelet.
Rojas alla chercher un taxi et son retour fut annoncé par l'ombre de la voiture qui apparut comme un nuage devant la porte.
Il existe des bibliothèques de parfums dans lesquelles l'érudit monte aux échelles à la recherche de parfums oubliés, d'arômes inouïs, d'odeurs qu'eussent aimé avoir les femmes.
Chaque nuit, toutes les belle-mères se communiquent leur tactique du jour.
Les hommes d'aujourd'hui ressemblent aux annonce publicitaires: ils ont l'âme empaquetée dans des majuscules.
Je n'aimerais connaître que Leningrad; c'est, j'en suis sûre, la ville rêvée pour les cauchemars.
Les autos paraphaient ses regards.
- En toi, ce soir, apparaît la française dont l'idéal est de se vêtir d'une unique paillette.
Elle avait le front haut, comme le sont les fronts argentins, assez vastes pour y inscrire l'avenir.
De la robe décousue tombaient les paillettes en continuelle chute d'étoiles qui saupoudrait les tapis, pluie sidérale sur un ciel bas.
Une de ces vieilles femmes qui ont chez elles un piano à queue.
Une porte d'armoire grinça dans le lointain et jeta l'éclair d'une glace.
- Pour moi le surréalisme est bien français; il traduit ce désir de dire des choses extravagantes
que seule inspire votre langue; des phrases que l'on rêve et qui sont pleines d'une parfaite courtoisie,
ou d'une grande portée...Cela ne serait pas possible en espagnol, où tout revêt une grande rudesse et beaucoup d'impertinence...Perfecto fit une pause; puis, hardiment, lança sa phrase absurde:
- J'ai camouflé le paradis.
Elle avait les yeux cernés d'un autre monde et son bâton de rouge était celui des doux mensonges.
La voiture s'arrêtait, blessée dans l'aile, et s'en venait mourir au bord du trottoir, tout près d'elle.
Elle avait des idées fulgurantes, délicieuses et bien américaines: par exemple, celle de peindre
les cicatrices de ses vaccins. Elle argentait ainsi ces ronds pâles qui posent sur les bras des lunes sans lumière,lunes abandonnées, comme on en voit dans les ciels clairs du matin.
Le petit curé à la tête d'intellectuel et à l'habit de nuages bas.
- Si tu achètes dans cette rue un poste radio, il ne marchera pas...Si c'est un stylo, il écrira à l'envers.
- Ce que j'aime le mieux dans la femme, c'est ce petit morceau de chaire qui se cache sous l'agrafe
de sa jarretelle, le morceau qui désire le plus fortement se libérer de ces entraves à la beauté.
Le tango enroué fendait les rideaux de la campagne, déchirait les seins de la nuit, pour faire apparaître les organes internes de la réalité nocturne, ses humbles harmonies, ses coups de fouet sanglants, sans nostalgique mal de gorge.
Un nouveau tango s'alluma au mégot du tango expirant.
Le salon était illuminé de puissant rayons X et infra-verts.
Il existe une haleine secrète des choses, un rythme trompeur
qui fait croire que les murs du monde sont passionnés, alors que seul
le plaisir cosmique du souterrain se répercute en eux comme
en de subtils écouteurs de la téléphonie sans fil la plus sincère.
Le bruit de l'eau dans les conduits était celui qui l'énervait le plus.
Un dieu faisait du brouillage et des taches pour qu'on n'entendît
pas le secret sensuel de la nuit.
Il s'étonnait de ne rien connaître de ses os; ce qui le choquait le plus,
c'est d'avoir cet espèce de bassin aux larges ailes, avec deux trous
semblables aux yeux d'un masque imposant, cet os de taille
qui constituait la base de son corps et avait quelque chose d'un masque mortuaire.
Le cauchemar était horrible, mais d'une inoubliable beauté.
Le patron fit alors signe à ses deux danseurs sous contrat, leur enjoignant de prendre la piste.
Ils s'élancèrent avec une abnégation de baigneurs qui donneraient l'exemple dans une mer très froide.
Pefecto[...]se joignit à une troupe d'américaines qui entreprenaient chaque jour un nouveau raid d'amusement et laissaient l'ennui assassiné aux quatre coins de différents quartiers.
"Les horloges ressembleront de plus en plus aux hommes, et l'avenir construira l'horloge idéale,
celle qui achèvera sa vie en même temps que son propriétaire".
Karl avait, sur son visage, accentué par un certain froncement de sourcils,
l'expression qui lui avait donné tant de caractère durant sa vie: celle d'un homme
qui ne cesse de fixer l'encadrement de guillotine du dernier couchant.
À propos d'une troupe de danseuse:
Elles commencèrent à tracer des angles droits avec leurs jambes, tandis que, de leurs mains,
elles faisaient le geste familier d'essuyer des miroirs. On eût dit qu'elles débarassaient
leurs destins des toiles d'araignées du pessimisme et de la préoccupation.
Le champagne diminuait son âmes - ses âmes - de moitié, comme baissent
toutes les lumières d'un lustre, quand se produit une baisse de courant
dans une usine éloignée.
Il rêvait depuis longtemps d'ouvrir un de ces lieux du soir où l'on se sent abrité
comme dans une étoile lointaine, où les nappes neuves qui recouvrent les tables
blanchissent et bleuissent lorsque naît le jour nouveau et où, sur chaque petite table,
flotte un air de confessionnal qu'accentue entre la lampe qui fait briller bagues et ongles de cire,
comme les petites bougies rouges d'une crèche [...]
Sa maison serait le refuge des soleils couchants, à l'heure
où l'ombre envahit les jardins, où les intérieurs d'auto se font lugubres et inutiles.
C'est dans la solitude que se goûte le clair de lune.
- Chaque auto possède son propre destin..A celle-ci est attaché celui de son ancien propriétaire,
tandis que ta voiture a gardé le tien...c'est une complication supplémentaire pour toi déjà si compliqué.
Toi qui n'avais rien d'allemand, te voilà mêlé désormais à un destin germanique.
- La vie n'en sera que plus drôle.
- C'est bien vite dit; mais si le destin de cette voiture est d'écraser les gens et que tu sois obligé
de prendre sur toi tous les écrasements?
Plus tard, après avoir renversée une jeune femme:
- Tu vois ! C'est l'autre destin !
Nadina disparut par le portail de tous les hôtels réunis, et l'auto repartit avec la souveraine indifférence
que manifestent toutes les voitures pour celui qui vient de descendre, même si le chauffeur a le coeur brisé.
Comme ils devaient avoir froid, ces pauvres porte-manteaux sans habits [...] ils semblent pleins de confidences des vêtements qu'ils ont portés.
Instinctivement, ils regardèrent le ciel, comme s'il était nécessaire de l'interroger sur une affaire qui ne concernait que ce bas monde.
Les nuages tentateurs disaient la possibilité de son rêve, rapides comme si on leur eût insufflé la vitesse contenue des aéroplanes et des automobiles.
- Pourvu que le destin ne mette pas ses doigts dans les hélices ! soupira l'aviateur.
sqoqo
Anonyme

État Civil
Pierre Drieu La Rochelle
1921
Pas grand chose à dire sur ce livre.
Je n'ai pas tout à fait saisi la frontière entre l'autobiographie réelle et fictive.
J'ai également été un peu gêné par les transitions entre des anecdotes triviales et des paragraphes
très littéraires recélant une forme de philosophie.
Ce déséquilibre de ton a un peu gêné ma lecture au début mais je m'y suis fait.
Globalement c'était un plaisir de retrouver et lire la riche et fine plume de Drieu La Rochelle,
celle-là même qui m'avait manqué dans "Journal d'un homme trompé".
AVERTISSEMENT:
Si vous trouvez le livre dans l'édition similaire à celle figurant sur la photo ci-dessus,
sachez qu'il y a un problème d'impression et/ou de mise en page.
En effet, le chapitre III qui commence p.31 est soudainement amputé en plein milieu d'une phrase,
suivi d'une page blanche p.32. Le chapitre IV commençant p.33.
Le genre de truc qui me fait sortir directement de la lecture.
N'ayant pas trouvé d'exemplaire récent en rayon pour vérifier/comparer, j'ai trouvé les pages manquantes
dans la version pdf. Plus loin dans la lecture, j'ai alors découvert que les pages manquantes du chapitre III figurent p.122 ! Le livre est donc mal foutu mais complet.
Quelques extraits pour ceux que ça intéresse:
- Bonjour ma mère. Te rappelles-tu un petit garçon de trois ans?
- Oui, je me rappelle même plus loin en deça quelque chose dans mon sein
qui pouvait devenir quelqu'un et j'espérais que cela deviendrait
un petit garçon et un monsieur comme toi maintenant.
- C'est toi qui a vécu plusieurs années de ma vie.
[...] J'ai vécu ignorant de ma mère qui filait distraitement ma mémoire.
Ne serait-elle pas anéantie si ma famille ne m'en avait transmis
le fragile récit, la vie de ces petits personnages qui ont porté
mon nom? Livrés à eux-même ceux que j'ai été jusqu'à cinq ou six ans seraient morts.
Le sang, ce hiéroglyphe se dessine partout sous ma peau, mystérieux comme
le nom d'un dieu. Je subis son influence mais je ne saurai jampais trouver
le mot magique où elle se sublimerait.
Le sang est subtil comme l'esprit. Des maladies passent dans le sang et la couleur des yeux.
[...] Le sang est un fleuve immense, anonyme comme les siècles, qui me traverse venant
des origines du monde. Réfléchit-il plutôt les derniers paysages qu'il a baignés?
On m'a appris à lire. Mes yeux ont été armés de ce pouvoir immense.
J'ai connu l'inititation décisive des signes.[...]
Avant de savoir lire, j'étais dans la situation ancienne
du peuple qui regardait les images et écoutait les récits.
Je ne connaissais pas ce dialogue étroit entre celui qui écrit
et celui qui lit.
Nos existences sont dures, étroites. Nos parents ne nous donnent
pas plus que les animaux à leurs petits. Malgré eux, ils nous enseignent
les gestes, la méthode. Mais ils n'ont pas la curiosité de Dieu
pour ses créatures qui est si aigüe que parfois elle semble cruauté.
Ils nous mettent au monde avec leur péché et ils ne s'inquiètent guère
de notre rédemption.
Son visage était meurtri par des larmes de plomb, et je perd pied
dans des abîmes de dégoût quand je songe que sans son malheur
elle aurait été triviale.[...]Ma mère, selon une tradition de prudence,
la seule façon décente de vivre de la plupart des âmes,
tendait une belle housse blanche sur ses fauteuils et son âme.
Cela vaut mieux que de prétendre à ne pas les ménager, alors qu'on
n'a pas les moyens de les renouveler.
Certes, son père lui paraissait respectable en sa vie nette et droite.
Petit rentier, il avait vécu inutile mais modeste, digne, plein de maximes
de la philosophie la plus soignée, ennobli par ses fortes convicitions politiques,
cultivant en Rousseau et en Voltaire un modèle propret.
Les enfants ne sont pas de la même époque, de la même race, du même continent que les hommes.
Ils vivent dans des âges révolus ou attendus. Compagnons farouchement tendres
et dévoués. Ils sont audacieux, cruels, non point amoureux de la nature,
mais ses maîtres.
Armés par tous leur sens d'une puissante divination, ils parlent avec tout l'univers
une langue mystique qu'ils oublient bientôt et ils habitent des terres vierges.
Ils ont le corps souple et grêle des sauvages. Comme eux ils se laissent domestiquer, et comme eux
ils meurent de la perte de leur liberté.
Il y a des hommes que les autres ont chargé de tromper l'appétit des enfants.
Ils écrivent pour eux des histoires comme on jette aux lionceaux des beefsteacks
tout découpés. Ce sont des agents provocateurs qui les attirent dans le piège de l'imagination.
La race inconnue, sans cesse oubliée des jeunes humains, ardente, sérieuse, impatiente,
périt dans les rêvasseries.
Voilà ce qui me reste de huit ans de ma vie. Ces notes sèches et discontinues.
Voici toute la jouissance que ma mémoire me laisse de cette première fortune.
Mon sang est passé dans un autre corps et il ne reste aucune trace de sa fraîcheur
dans ce petit cadavre mystérieux que j'ai rencontré en revenant sur mes pas.
Dans un amphithéâtre nu, propre et laid comme une office, je m'asseyais parfois
en face des professeurs. Ils représentaient la vie au moyen de signes.
Ils ne risquaient pas de se tromper car la vie asservie se continue selon leur
notation et ne la trahit que de loin en loin. Ils (les étudiants) sont là
abandonnés aux machinations des vieillards qui exterminent leur enfance.
C'est l'époque où une sève de parc urbain monte dans leurs veines,
où ils se gavent de la certitude de leurs aînés.
Quelle plus avilissante compagnie que celle des enfants dont la médiocrité d'âme
transpire déjà? Il y a des millions de petits êtres hideux qui à cinq ans trimballent
le cadavre d'un enfant merveilleux.
Mon regard était comme un couteau tenu par la lame.
J'ai foi dans la profondeur du présent.
Les minutes sont plus longues pour les uns que pour les autres.
Qu'est-ce que l'éternité?
Une minute excessivement intense.
[ Dernière édition du message le 21/04/2019 à 23:11:19 ]
chapolin
Il faut un certain temps pour s'y mettre et s'habituer aux longues phrases mais après c'est c'est un véritable enchantement et j'aime beaucoup le petit côté humoristique aussi, la description de sa tante est tout à fait croustillante, je viens de lire le passage où le curé la visite et lui prends la tête
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