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Dis moi ce que tu lis.

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Sujet de la discussion Dis moi ce que tu lis.
... et je te dirais qui tu es...

En ce moment je lis "L'ombilic des Limbes" d'Antonin Artaud, décidement (dément?) ce mec était génial!!!

Et vous c'est quoi vos lectures en ce moment???
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4161
Une fois n'est pas coutume, je vais vous livrer un extrait de la préface d'un livre que je n'ai pas encore lu, car reçu tout juste ce matin. C'est un livre de William T. Vollmann, dont je vous avais relaté ma lecture éblouie de son brûlot arctique "Les Fusils" quelques pages en arrière. Celui-ci s'intitule "La Tunique de Glace" et raconte, comme toujours en manière d'abyme du présent et de ses hantises, l'épopée de la découverte de l'amérique par les Vikings au Xe siècle.
Je ne vous retranscris pas la préface entière, pourtant fort courte, mais juste le dernier tiers qui m'a frappé ce matin aussi durement qu'un direct à l'estomac. J'y ai vu soudainement toute la politique et toute la philosophie dont nous aurons jamais besoin, au travers de tous les errements culturels qu'on voudra:
Citation :
"Chaque âge fut pire que le précédent, car nous pensions chaque fois qu'il était de notre devoir d'amender ce que nous trouvions, rien de ce qui était ne se reflétant dans les miroirs de glace de nos idées. Nous n'en méritions pourtant guère le reproche, pas plus que ne sont répréhensibles les bacilles qui attaquent et détruisent un organisme vivant; car si l'histoire a un sens*, alors notre saccage des arbres et des tribus doit bien avoir eu quelque utilité. - Qu'il en soit ainsi.

*et si elle n'en a pas, alors il n'y a rien de mal à en inventer un."


Comprend qui veut.

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

4162
ah oui, effectivement.
4163
Spontanément ça me fait penser à Nietzsche qui disait quelque part que les faits, dans l'absolu, ne sont pas moraux.

[ Dernière édition du message le 15/06/2014 à 12:32:43 ]

4164
Ça rappelle aussi le choeur des tragédies. On retrouve cette voix étrange dans certaines nouvelles de Kipling (sous la forme d'enigmes humanistes très concises dans les trois derniers recueils " a diversity of creatures", "debits and credits" et "limits and renewals").
4165
Pas d'accord KB: Le seul point commun avec Nietzsche pourrait éventuellement s'enraciner au plus profond de l'aube de la Tradition, où toute notre pensée symbolique est attachée... C'est un peu vague...
Il y a clairement chez Vollmann une éthique exposée par l'absurde, par l'outrage, une morale désespérée toujours teintée d'une ironie rageuse.
Quand il parle de l'éventuelle "utilité" des saccages dont nous sommes coupables et sur lesquels notre prospérité actuelle est grassement assise, il brosse en un seul mot assassin le portrait du cul-de-sac moral et philosophique où presque toute la pensée occidentale se trouve actuellement acculée.
Le verbe en italique nous ouvre grand l'abîme de notre prétentieuse sottise, de notre suffisance...
"Qu'il en soit ainsi", amère réplique de "l'ainsi soit-il" des religions du Livre, me fait l'effet d'une ironie mordante, rappelant les saints prétextes derrière lesquels a toujours cru se cacher l'avidité vorace des occidentaux. On peut y lire aussi, en filigrane "voici le bout de votre affaire, regardez-vous, l'heure des comptes a sonné et à présent buvez ce vin, que vous avez tiré, jusqu'à la lie." (son oeuvre est un ensemble d'une cohérence inouïe, ce type est une sorte de héros à la Faulkner, hanté par UNE idée qu'il tourne, retourne et examine sous tous les angles, sous toutes les couleurs du spectre... Je viens de lire le bref récit de son enquête hallucinante à Fukushima...)

Hein? Ha oui, bien sûr, il parle des barbares Vikings, pas de nous, non, pas de nous...

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

[ Dernière édition du message le 16/06/2014 à 08:51:24 ]

4166
270455.jpg

Il y a quelques temps j'ai eu l'occasion de lire quelques extraits du sulfureux Drieu La Rochelle*.
Je m'étais dis que j'en lirais si je croisais un de ses livres.
J'en ai trouvé deux d'occasion vendredi dernier.

"Le feu follet" est un court roman de 170 pages dont il ne faut selon moi rien dévoiler et ne rien en savoir pour l'apprécier et laisser l'oeuvre et son personnage se révéler.
C'est du romantisme noir, très noir et très "moderne" pour un bouquin paru en 1931, avec un style direct mais travaillé, si bien travaillé qu'il semble pourtant couler de source.
La tension est habilement et discrètement entretenue jusqu'à la fin de l'histoire.
Très bien écrit donc.
Cinématographique aussi.
Louis Malle ne s'y est pas trompé puisque j'ai appris qu'il en avait fait une adaptation cinématographique.

Seul bémol du roman: certains dialogues un peu trop longs et pas toujours intéressants.

Deux citations parmi d'autres petites perles:

Citation :
Rome est le point de départ de tous les chemins qui mènent à Rome.


Citation :
Les drogués sont des mystiques d'une époque matérialiste qui, n'ayant plus la force d'animer les choses et de les sublimer dans le sens du symbole, entreprennent sur elles un travail inverse de réduction et les usent et les rongent jusqu'à atteindre en elles un noyau de néant. On sacrifie à un symbolisme de l'ombre pour contrebattre un fétichisme de soleil qu'on déteste parce qu'il blesse des yeux fatigués.


"Adieu à Gonzague" est une courte lettre de l'auteur, trouvée dans ses tiroirs.
Lyrique et tragique.

Je pense que ce court roman est une bonne introduction à l'oeuvre de cet écrivain au parcours et à la personnalité très complexes.

*https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Drieu_la_Rochelle





4167
http://data1.blog.de/blog/d/danslecielalylie/img/2070364593.01._SCLZZZZZZZ_.jpg

1917. Gilles est en permission sur Paris, loin du front.
La vingtaine, célibataire et charmeur, la ville est à lui.
Il pense malgré tout que la vie, la vraie, ne peut se ressentir sur le front, lorsque la mort
peut vous cueillir à n'importe quel moment.




J'ai trouvé là la confirmation de ce que j'avais "entrelu" dans "Le feu-follet" c'est à dire une littérature de qualité, un style direct et solide, tissé de romantisme noir et constellé de reflets mystiques ici et là.
L'antisémitisme n'a pas la part belle, car sur les près de 700 pages du roman il doit y avoir une dizaine de phrases qui sont par contre sans ambiguités. L'auteur ne s'y attarde cependant pas, car là n'est pas le sujet du livre.

Tout cela pour décrire Gilles, un personnage psychologiquement très complexe, englué dans des relations amoureuses morcelées, des intrigues politiques de l'entre-deux guerre, un engagement toujours en chantier.
Il y a tout de même des longueurs dans certains dialogues sur les intrigues et manipulations politiques.
Dans ces dernières l'auteur dénonce allègrement les rebelles de salons qui quittent le navire comme des rats
lorsqu'un revolver pointe le bout de son canon ou les gens en places qui troquent leurs idéaux contre un confort plus personnel.
Certaines formules sont toujours d'actualité.

Si Drieu La Rochelle n'avait pas frayé avec la Collaboration il est probable que ce roman
rayonnerait autrement plus tant il est bien construit et bien écrit.
Il est dommage que beaucoup de lecteurs se refusent à lire un seul livre de certains auteurs aussi talentueux, pour une part d'ombre indiscutable mais loin de recouvrir tous leurs écrits comme c'est encore le cas pour Céline.
Belle surprise par contre pour ceux qui sautent le pas.

[ Dernière édition du message le 01/07/2014 à 08:52:39 ]

4168
Ça donne envie !:bravo:
Une très belle surprise pour moi : Édouard Levé, Autoportrait. Je ne connaissais pas cet homme, photographe, écrivain, peintre (raté, de son propre aveu) qui s'est suicidé après avoir écrit un livre intitulé Suicide. Style sobre, presque plat. Les phrases s'enchaînent, la plupart du temps sans lien les unes avec les autres. Seulement voilà, plus on lit et plus on apprend de choses sur le gars, à tel point qu'en fermant le livre on a presque l'impression que c'est un ami. Une proximité se créé à travers l'abondance de "renseignements" (à propos de tout : entourage, description physique, relation aux gens et aux choses, expériences diverses, etc.) livrés par l'auteur, ça finit par en être émouvant.

Il n'y a pas de paragraphe, le texte est d'un bloc. Je copie le début pour vous donner une idée :

Citation :
Adolescent, je pensais que La vie mode d'emploi m'aiderait à vivre, et
Citation :
Suicide mode d'emploi
à mourir. J'ai passé trois ans et trois mois à l'étranger. Je préfère regarder sur la gauche. Un de mes amis jouit dans la trahison. La fin d'un voyage me laisse le même goût triste que la fin d'un roman. J'oublie ce qui me déplaît. J'ai peut-être parlé sans le savoir avec quelqu'un qui a tué quelqu'un. Je vais regarder dans les impasses. Ce qu'il y a au bout de la vie ne me fait pas peur. Je n'écoute pas vraiment ce qu'on me dit. Je m'étonne qu'on me donne un surnom alors qu'on me connaît à peine. Je suis lent à comprendre que quelqu'un se comporte mal avec moi, tant je suis surpris que cela arrive : le mal est en quelque sorte irréel. J'archive. J'ai parlé à Salvador Dali à deux ans. La compétition ne me stimule pas. Décrire précisément ma vie me prendrait plus de temps que la vivre.
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
4169

kumo boy : ah, un lecteur de Drieu !

ton message m'étonne : l'antisémitisme de Gilles n'est pas accessoire parmi toutes les facettes du personnage ; d'autre part tu n'évoques pas l'élan fasciste de Gilles/de Drieu qui parcourt tout le bouquin, et le conclut d'ailleurs. toute la puanteur de Drieu dans ce personnage qui se dégoûte de lui-même...

Mais ce roman est formidable.

lisez aussi "l'homme à cheval" et "la comédie de Charleroi".

4170
Citation :
ton message m'étonne : l'antisémitisme de Gilles n'est pas accessoire parmi toutes les facettes du personnage ;


Je ne dit pas qu'il est accessoire mais quand on te présente un auteur avec des pincettes tu t'attends à des diatribes toutes les deux pages, ce qui n'est définitivement pas le cas ici.
D'autre part, ce n'est pas l'antisémitisme rageux et violent des pamphlets de Céline, mais plutôt un antisémitisme qui semble dans l'air du temps, soit avant 1939, date de parution du livre.




Citation :
d'autre part tu n'évoques pas l'élan fasciste de Gilles/de Drieu qui parcourt tout le bouquin, et le conclut d'ailleurs. toute la puanteur de Drieu dans ce personnage qui se dégoûte de lui-même...


Je ne l'évoquais pas pour pas spoiler et laisser les lecteurs découvrir le parcours du personnage
entre le début et la fin.
Bon maintenant c'est foutu.

[ Dernière édition du message le 01/07/2014 à 10:16:35 ]