Dis moi ce que tu lis.
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Nantho Valentine
oryjen
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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.
Dr Pouet
[ Dernière édition du message le 22/04/2018 à 18:24:58 ]
Anonyme
J'ai mis des années et des années avant de me décider à le lire, et encore je l'aurais fait uniquement parcequ'il est également nancéien (un bled à côté de Nancy en fait) : à tort ou à raison, je fuis comme la peste les oeuvres écrites en français par des français, considérant que c'est comme au ciné ou pour les séries, ultra binaire.
Soit c'est génial, ce qui est incroyablement rare, soit de la grosse daube, ce qui est incroyablement courant.
Bref je commence le bouquin à reculons, et uniquement pacreque ma daronne a passé le weekend à me bourrer le mou comme quoi fallait que je le lise.
Et j'ai commencé à le lire en espérant que ça soit aussi nul et pompeux que du d'ormesson, avec un type bombardé grand écrivain alors qu'il écrit comme kapam, la sympathie en moins.
Bon ben en fait, passées les 15 premières pages, je me suis vite aperçu que c'était pas de la petite littérature, et en fait j'ai lu le bouquin d'une traite.
- sur la forme : c'est super bien écrit. Ca rappelle le style de Barjavel en forme, avec des mots et expressions très dures dnas leur substance, mais toujours adoucies par un humour omniprésent, des jolis mots, des allitérations, etc.
Parfois y a carrément la gouaille d'un Céline.
- sur le fond : c'est quand même putain de hardcore. Là j'ai qu'une envie, aller déboulonner la plaque de l'avenue foch ou du boulevard joffre, et de chier dessus.
A choisir ça me genêrait moins que la France soit remplie de rues du maréchal pétain.
(j'en dis pas plus sur l'intrigue, pour ceux comptant le lire ou voir le film, que Claudel a adapté et réalisé lui même)
[ Dernière édition du message le 22/04/2018 à 18:26:25 ]
.: Odon Quelconque :.
https://fr.audiofanzine.com/le-pub-des-gentlemen/forums/t.8152,dis-moi-ce-que-tu-lis,post.9406632.html
Un émerveillement à chaque page feuilletée au hasard.
« What is full of redundancy or formula is predictably boring. What is free of all structure or discipline is randomly boring. In between lies art. » (Wendy Carlos)
Anonyme
M/T et l'histoire des merveilles de la forêt
Kenzaburô Oé
Japon 1986
Quatrième de couverture:
Il était une fois un village au fond d'une vallée, dans l'île de Shikoku. C'est là que jadis se sont rassemblés des fuyards, bannis hors de la ville du château. Ils y ont fondé une société autonome de rebelles. La forêt les entoure, peuplée de forces mystérieuses : les «merveilles». Une rivière capable de détruire une armée entière. Un déluge qui dévaste la terre. Un chef, surnommé le «destructeur», des filles de l'île des «pirates», des villageois qui ressemblent aux démons de l'enfer bouddhiste, une géante, des vieillards qui disparaissent dans les nuées au clair de lune et un enfant né avec une malformation, marque fatale des «merveilles de la forêt». Kenzaburô Ôé nous raconte l'histoire de son village natal, telle que la psalmodiait sa grand-mère. Bouleversant hommage à son fils, c'est aussi une réflexion brillante sur la structure des révoltes et les sociétés autarciques.
Ça commence plutôt bien avec cette première page:
Pour penser la vie d'un homme, il est nécessaire de tracer un plan qui ne se contente pas de partir de sa naissance, mais qui remonte plus haut encore et qui ne s'arrête pas non plus le jour de sa mort, mais qui s'étende au-delà. La venue d'un homme au monde ne devrait pas se réduire à sa naissance et à sa mort. Il naît dans le grand cercle des gens qui l'englobent et, encore après sa mort, il devrait y avoir quelque chose qui subsiste.
Mais entre les quelques premières pages et le dernier chapitre comptant 65 pages j'ai vraiment eu du mal à m'intéresser au récit étalé sur 432 pages. Un peu comme dans "Le jeu du siècle", l'auteur nous perd ici plus encore dans un luxe de détails doublés de répétitions. On peut saluer la rigueur et l'imagination débordante de Kenzaburô Oé mais tout ça finit par alourdir le propos et perdre le lecteur que je suis. Bien sûr il y a de belles choses sur le fond (très riche) et la forme, mais trop peu pour moi. On retrouve aussi des symboliques récurrentes, déjà lues ailleurs. Il faut tirer son chapeau à De Ceccatty et Nakamura pour avoir traduit si précisément ce roman assez dense et exigeant que je déconseillerais à quelqu'un voulant découvrir Kenzaburô Oé.
Anonyme
L'homme-boîte
Kobô Abé
Japon 1973
Quatrième de couverture:
Cet homme qui a enfoui sa tête et le haut de son corps dans une boîte en carton n'est pas un Diogène cynique réfugié dans un tonneau par mépris de l'humanité.
Tourmenté et solitaire, c'est un anti-héros, un être mythique dont le mal profond est l'impuissance, et pour qui la boîte, à la fois sécurisante et protectrice, est un écran placé entre lui et les autres, destiné à le protéger des contraintes de la société... Ecrit dans une langue dense, drue, dépourvue de sentimentalisme, ce roman a eu un immense succès au Japon, avant d'être traduit dans une quinzaine de langues.
Pas facile de résumer ce livre mais on aura compris qu'il s'agit là d'histoires ayant à voir avec l'homme-boîte au sens général. Un phénomène social imaginé par l'auteur. Il ne s'agit pas d'un récit à proprement parlé, mais de diverses situations plus ou moins liées entre elles. La forme est donc assez irrégulière avec des chapitres narratifs, d'autres constitués de dialogues ou encore d'idées plus ou moins relatives au sujet. C'est quelques fois assez direct mais d'autrefois assez surréaliste, poétique et absurde avec une petite dose d'humour. Il est bien évidemment beaucoup question de voir, d'être vu sans être vu, de cacher son regard et de se cacher du regard des autres mais il y a bien d'autres choses encore. Je dois avouer qu'au début, le côté surréaliste m'a rapidement ennuyé. Mais c'était sans compter sans quelques îlots poétiques vraiment merveilleux qui m'ont poussés à aller jusqu'au bout. Il faut donc saluer la traduction de Suzanne Rosset. C'est donc un roman au charme étrange, qui ne laisse pas indifférent si on accepte de se laisser porter. Moins barré que Rendez-vous secret, mais résolument plus abstrait que La face d'un autre (tous les deux du même auteur). Pour lecteur averti.
Quelques extraits ci-dessous vous permettront j'espère d'apprécier les qualités littéraires de Kobô Abé:
Le canon du fusil puis la boîte firent un bruit ressemblant à un bas de pantalon humide secoué avec un manche de parapluie.
Depuis ce matin, la pluie ne cesse de tomber, et le ciel sombre de la nuit trace comme une ligne au niveau du sol.
Bien qu'on ne puisse y attacher aucun prix, chacun sait que le reflet du verre a une étrange fascination:
sans qu'on s'en rende compte, on est amené à pénétrer un monde où le temps a une autre dimension.
Elle avait une démarche bleutée et légère échappant à tous les horizons comme un ciel immense.
Ce cou éphémère, pâle et transparent.
La blouse blanche de l'infirmière avait pour effet d'arrêter le temps.
[...]de légers sourires, sculptés dans un air durci, éphémères et vulnérables
comme si ils avaient été colorés avec un pinceau de lumière.
Un phototgraphe...c'est un voyeur...sa spécialité, c'est de percer des trous,
où qu'il soit. Sa nature est bien vile.
Mais ce genre de regard est comme si on vous retirait quelque chose au couteau,
comme si on déchirait les vêtements que vous portez.
Mais quel genre de chute peut faire un poisson de mer?
Je n'ai jamais entendu parler de la chute d'un poisson !
Un poisson finit toujours par remonter et flotter à la surface de l'eau.
[...]C'est une chute renversée. Oui, une chute dans l'autre sens...une chute à l'envers.
[...]Le faux-poisson a décidé d'attendre. Sa volonté, fût-elle teintée du bleu de l'océan,
finit par pâlir.[...]Il se noya dans l'air et mouru.
Oui...la regarder nue, et la dépouiller encore plus de sa nudité
jusqu'à voir une nudité au-delà de la nudité...
C'était une nudité déjà contemplée par quelqu'un d'autre.
Une nudité légère comme si elle flottait dans l'eau.
Une légère vapeur se glissait à la naissance de la cuisse
dont le devant était doucement effleuré par la brise comme une ombre.
Elle avait dû retirer ses sous-vêtements peu de temps avant. Elle les avait enlevés,
les avait enroulés et jetés en boule à ses pieds.[...]
Les petits sous-vêtements noirs étendaient leurs pattes comme une araignée morte.
Tous mes muscles étaient prêts à jaillir comme des étincelles.
Écoute...tu es beaucoup plus nue quand tu commences à retirer tes vêtements
que quand tu les as complétements retirés.[...]Une nudité en train de s'accomplir
une action encore plus purement nue que la simple nudité.
Elle est dans une position où elle attend d'être contemplée avec intensité.
Un noir intense comme un ascenseur qui chute ! Un noir sans fond qu'on pouvait
voir même une fois yeux fermés.
En fait, auparavant, j'étais terriblement empoisonné par les nouvelles.
Je me demande si vous pouvez comprendre ce que je veux dire. Je ne pouvais calmer
mon inquiétude si il n'y avait pas constamment des nouvelles fraîches[...]
Pourquoi en quelque sorte, pourquoi tout le monde recherches les nouvelles et les transformations
du monde de cette façon...afin de le connaître à l'avance et d'être prêt en cas d'urgence?
Avant, c'était ainsi que je pensais. Mais c'est une vaste comédie ! Les gens écoutent les nouvelles
pour se tranquilliser. Aussi importante que soit la nouvelle qu'on leur fait entendre,
ils l'écoutent et restent parfaitement vivants. La véritable grande nouvelle, c'est l'annonce
de la fin du monde...je crois que c'est l'ultime nouvelle. Bien entendu, tout le mondre désire l'entendre.
Car l'homme, alors, ne sera pas seul à quitter le monde. Quand j'y pense, mon intoxication
venait de ce que j'avais un ardent désir d'entendre cette ultime émission.
Un oeil regarda. Un oeil sans expression qui ne faisait que regarder.
Un oeil insolent qui me forçait à être vu et à ne pas voir.
On avait l'impression de caresser le bas d'un oeuf avec une paume
de main enduite de crème de beauté.
[...]
Elle avait l'allure d'un appareil de précision
de petit format qui ne donne pas l'impression de dépenser d'énergie.
Elle me donna un léger coup d'oeil...si léger qu'il aurait pu flotter ainsi
une demi-journée dans l'espace.
Un slip fin, couleur d'eau, incroyablement petit, mordait dans la chair de ses hanches.
Elle plia légèrement les jambes et mit les paumes de la main le long des flancs,
dans la position de quelqu'un qui va plonger, mais on avait la sensation
de quelque chose de plus comique. Ses mouvements l'un après l'autre, teintés
de lumière et d'obscurité, traçaient des volutes dans l'air, sculptant un univers spécial.
Un sentiment de tristesse s'empara de moi, comme si j'attrapais un rhume.
Je n'ai besoin que d'une chose pour sortir de la boîte [...]une paire de pantalons.
Des pantalons...Si seulement j'en avais, je pourrais parcourir le monde !
[...]une société éclairée ressemble à une société-pantalon.
Tu regardes en l'air, face au mur, en tendant les oreilles pour entendre les bruits
à travers le plafond. La peur fige l'expression de ton visage comme une couche de vernis
passée au pinceau. Le vernis, vite sec, craquelle ta peau de petites rides comme une crêpe.
Tu es beaucoup trop nerveux. Pourquoi ne peux-tu pas te tenir plus près de la réalité?[...]
Maintenant tu regardes le bord de la plaque épaisse posée sur le bureau: un bleu pur,
privilège du néant qui anéantit toute notion de distance.
Un bleu infini teinté de vert. Couleur dangeureuse qui incite à la fuite.
Tu te noies dans le bleu; ton corps s'y engloutit pour l'éternité.
Tu te souviens du nombre de fois où tu as été tenté.
Le bleu du sillon gonflant l'hélice d'un bateau...
l'eau stagnante d'une mine de soufre abandonnée...
des pelletées bleues de mort-aux-rats comme des bonbons gélatineux...
l'aube violette qui se lève lorsqu'on attend le premier train destination nulle part...
le verre teinté des lunettes d'Amour distribuées par la société d'encouragement au suicide ou,
si tu préfères, par le Club spirituel de l'euthanasie.
Le verre est teinté avec la fine membrane du pâle soleil d'hiver qu'un technicien habile
décolle avec soin. Seuls ceux qui portent ces lunettes peuvent apercevoir la gare de départ
de l'express sans retour.
La couleur de la pluie qui enrhume les pauvres...la teinte de l'heure où tombent
les rideaux des passages souterrains...la couleur de la montre donnée en récompense des succès
aux examens et qui a été portée au mont-de-piété...la couleur de la jalousie
jetée sur l'évier en inox de la cuisine...la couleur du premier matin de chômage...
la couleur de l'encre d'une vieille carte d'identité qu'on ne peut plus utiliser...
la couleur du dernier ticket de cinéma acheté par le candidat au suicide...
la couleur du trou rongé pendant des heures par la forte alcalinité
de l'anonymat, de l'hibernation, de l'euthanasie.
Peut-être ne me croiras-tu pas, mais tout ce que j'ai écrit jusqu'ici est sans doute le produit
de mon imagination, et pourtant ce n'est pas faux. Un mensonge trompe et t'éloigne de la vérité,
mais l'imagination peut servir de raccourci y conduisant.
Un violent désir de gratter ses souvenirs avec ses ongles.
Le monde était empli de la douceur éternelle d'un samedi soir.
Il regarda la rue au-delà du champs du miroir , et la rue lui rendit son sourire.
Le bruit de la porte qui se ferme était empli d'une profonde compassion.
L'efficacité des mots, c'est l'affaire d'une distance de deux à cinq mètres, quand on a conscience de l'autre comme d'une personne différente.
Le cadran de la montre s'use inégalement.
L'endroit le plus abîmé,
c'est autour du chiffre huit.
Parce qu'il a été fixé avec des yeux qui abrasent deux fois par jour,
assurément.
[ Dernière édition du message le 04/05/2018 à 23:00:36 ]
sqoqo
Merci Kumo
oryjen
Ici Kôbô Abé montre une étonnante capacité à figer le temps pour contempler l'instantané de l'improbable bestiole pris juste avant qu'elle ne s'efface après son coup de mâchoires ravageur au plexus.
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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.
Anonyme
Le Tatouage
Junichirô Tanizaki
C'est un court recueil de nouvelles ayant d'après moi le thème de la révélation de quelque chose de caché au fond de chacun des personnages. Ces révélations sont mises à jour par une sensualité "accidentelle", qui tombe sur les personnages alors que ces dernier ne s'y attendaient pas. Il y a également un érotisme subtil mais déterminant.
Le Tatouage
1910
Seikichi est un tatoueur exceptionnel et donc très couru. Mais il a une obsession: trouver la femme dont le corps, la beauté et l'esprit sauront accueillir la plus aboutie de ses oeuvres, celle dans laquelle il mettra toute son âme. Un jour il aperçoit un pied de femme dépassant d'un palanquin. Son intuition lui permet de déduire qu'un pied comme celui-ci appartient à une femme d'une beauté exceptionnelle, celle-là même qu'il cherche depuis un certain temps. Mais le palanquin s'en va. Comment retrouver cette personne? Par un hasard étonnant, cette femme elle-même viendra le trouver trois ans plus tard. Comment la convaincre de se faire tatouer?
Une nouvelle courte mais d'une intensité particulière. Au départ j'ai regretté sa brièveté, mais avec le recul je l'ai "comprise" et acceptée. Un film (Le Tatouage de Yasuzo Mamsumura 1966, avec la ravissante Ayako Wakao ), en a été tiré. J'en ai parlé il y a bien longtemps et je pense que je vais me refaire un visionnage. Une image du film pour le curieux. Attention ça spoile un tout petit peu:
La ravissante Ayako Wakao:
Les jeunes garçons
1911
Un jour, en rentrant de l'école, Eichan est abordé par Shinhichi, fils de bonne famille et souffre-douleur de la classe. Ce dernier, accompagné d'une servante, l'invite le jour-même à la fête qu'il organise pour une divinité. Eichan est un peu surpris, car s'il n'a aucune animosité à l'égard de ce camarade de classe, il n'a pas non plus d'affinité spéciale pour lui. Il se demande donc pourquoi il a été désigné. Mais d'autres surprises l'attendent une fois arrivé à la fête.
Plus développée que la précédente, elle nous entraîne dans l'inattendu et on va de surprise en surprise. J'imagine bien le livre illustré par Takato Yamamoto par exemple.
Le secret
1911
Désirant prendre un peu de distance avec son entourage, un homme décide de se retiré dans un quartier de Tokyo qu'il ne connaît pas très bien, histoire de se ressourcer, se retrouver. Afin de ne pas se faire repérer, le soir il sort déguisé. Puis un soir il a une idée un peu saugrenue qui s'avère tout à fait pertinente. Quelle est donc cette idée?
Si j'ai aimé tout le développement, j'ai toutefois été déçu par l'enjeu final et la chute.
Ces trois nouvelles sont écrites dans un style plus classique que celui d'Abé Kôbô et j'ai pris plaisir à les lire. Ça m'a également permis d'apprécier encore plus cet auteur que j'ai toujours un peu de mal à cerner. Traduction de Cécile Sakai, spécialiste de Yasunari Kawabata et Marc Mécréant dont j'ai aimé la traduction de "Le Pavillon d'Or" de Mishima.
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