Comment répare-t-on les synthés ? Sont-ils tous réparables ? Ce sont là les questions que nous sommes allés poser à Manfred Veber de Vintage Synth & Co, l’un des plus importants réparateurs de synthés en France.
En tant que consommateurs, nous sommes pour la plupart sensibles à l’argument de la durabilité : quand on achète une chose, quelle qu’elle soit et à plus forte raison quand cela représente un gros investissement, on aime l’idée que cette dernière ne nous lâchera pas au bout de six mois évidemment, mais qu’elle continuera de nous servir bien au-delà de sa période de garantie.
Durable ou pas cher ?
Or sans évoquer la machiavélique obsolescence programmée mise au point par les fabricants d’ampoules et de bas nylon en leur temps et qui est un désormais délit (voir ce reportage pour vous en convaincre), il va sans dire que la durabilité ne fait pas forcément bon ménage avec le pouvoir d’achat de chacun. C’est vrai pour l’électroménager autant que pour l’alimentation ou nos instruments de musique et nos équipements audio : plus il veut toucher un public large, plus un fabricant doit baisser le prix de ses produits et trouver des compromis industriels qui permettent donc de baisser ses coûts de fabrication en amont…
Sans même parler de l’économie qui peut être réalisée sur la main-d’œuvre ou les services et la communication, cela passera notamment par l’usage de matériaux ou de composants de moindre qualité, mais aussi par des optimisations en termes de fabrication : plutôt que d’utiliser trente composants électroniques génériques pour faire un module, on fabrique un composant sur mesure qui va les remplacer tous dans un équivalent miniaturisé. Plutôt que des montages électroniques traversants, on va monter les composants en surface, etc. À ce petit jeu, il devient ainsi possible de proposer à quelques centaines d’euros des équipements qui coutaient autrefois des milliers d’euros, ce qui assurément est une bonne chose du point de vue de la démocratisation : si nous disposons tous aujourd’hui, même avec des revenus modestes, d’ordinateurs, de télés, d’interface audio, d’ampli guitare ou de synthétiseurs, c’est indubitablement grâce à ce type d’optimisation.
Il y a toutefois, vous vous en doutez, un revers de la médaille à cela. Outre une plus grande fragilité, les appareils conçus de la sorte sont rarement pensés pour être réparables, de sorte que la durée de vie du produit s’en ressent. Il n’y a donc pas de miracle, même si le marketing essaye de vous persuader du contraire au moment de l’achat.
C’est notamment pour discuter de toutes ses problématiques que nous sommes allés voir l’un des plus grands réparateurs de synthés en France, Manfred Veber, qui vient d’ouvrir son nouvel atelier : Vintage Synth & Co :
Comme on le voit avec Manfred et comme chacun peut en faire l’expérience au-delà du petit monde de l’audio, la qualité, les fonctionnalités, le prix et la durabilité sont des vases communicants, surtout de nos jours où pour des raisons tant environnementales que géopolitiques, les fabricants doivent jongler avec de plus en plus de contraintes en plus de la compétitivité, un sujet qu’avait abordé avec nous Guillaume Pille, le fondateur de Two Notes, en nous entretenant de la fabrication en Chine comme de l’éco-responsabilité d’une entreprise aujourd’hui…
Or, ces dernières ne sont pas près de s’amoindrir si l’on considère les problèmes environnementaux posés par les appareils électroniques sur le plan de la pollution…
Électronique et pollution
Car la pollution électronique est un vrai sujet : de la collecte des ressources nécessaires à la fabrication des composants au retraitement des appareils à la fin de leur cycle de vie…
Pour fabriquer un appareil électronique, qu’il s’agisse d’un smartphone ou d’un synthé, il faut en effet quantité de matériaux dont un certain nombre de métaux. Et pour la fabrications des premiers comme pour l’extraction des seconds, il faut dépenser de telles quantités d’énergie et d’eau douce, dégager aussi tant de gaz à effet de serre que l’essentiel du bilan carbone comme environnemental d’un appareil ne tient pas dans son usage mais dans sa fabrication même. Pour obtenir par exemple une tonne du fameux lithium qui nous sert à faire des batteries et rendre ainsi certains de nos équipements nomades ou sans fil, il faut soulever 100 tonnes de roche et dépenser deux millions de litres d’eau douce…
Si nous ne reviendrons pas sur le détail de la fabrication et son impact écologique déjà traités dans un précédent dossier, on retiendra juste que fabriquer un nouvel appareil a un coût énorme pour la Nature et le vivant, de sorte que la durabilité de ce que nous avons déjà construit est cruciale.
Et elle est d’autant plus que, pour des raisons d’épuisement des ressources comme des sources d’énergie « simples » (le pétrole, le gaz ou le charbon) dont nous voulons nous passer en outre pour freiner le dérèglement climatique, il sera de plus en plus complexe de fabriquer certaines choses, ne serait-ce que parce que leur fabrication de nos équipements de loisir ne sera pas prioritaire en regard d’usages plus vitaux. Dès à présent, les extracteurs de minerai avertissent d’ailleurs : ils ne pourront pas fournir du métal à hauteur des besoins que nous avons pour construire des éoliennes et du solaire, en plus des véhicules électriques. Il faudra choisir, et l’on peut bien parier que notre petit marché aura bien du mal à faire entendre sa voix alors… Et ne croyez pas que ce genre de problème ne touche que des métaux rares car le cuivre devrait sous peu faire l’objet, sinon de pénuries, du moins de congestions. Oui, on parle bien du métal qui se trouve à la base de tout réseau électrique…
Mais le problème de l’électronique se trouve aussi en fin de vie des produits qui l’embarquent car, contrairement à l’idée simpliste qu’on peut se faire de l’économie circulaire à écouter certaines de nos élites pour décomplexer la consommation, le recyclage n’est absolument pas LA solution à nos problèmes environnementaux ou de finitude des ressources : au mieux, c’est un pis aller. Au pire, il fait lui-même partie du problème…
Les grandes limites du recyclage…
Pourquoi ? D’abord parce que c’est une opération extrêmement complexe, qu’il existe quantité de produits que nous ne savons pas recycler et que la plupart des choses ne sont recyclables que quelques fois… Ensuite parce que ce qui est recyclable se fait au prix d’une grande dépense d’énergie, et que l’activité du recyclage est elle-même polluante. Enfin, parce que la collecte même comme le tri et l’organisation de la filière demeurent extrêmement complexes.
On estime de fait que moins de 20% des déchets électroniques sont recyclés dans le monde. Que fait-on des 80% qui restent ? On les envoie dans d’immenses décharges à ciel ouvert dans des pays du Tiers Monde, ou on les abandonne dans un coin de campagne, ou encore on les brule ou les enfouit au prix d’une nouvelle pollution de l’air, des sols ou des eaux. Bref, si le recyclage a un grand rôle à jouer pour amoindrir nos problèmes environnementaux, il n’est certainement pas cette pierre philosophale qui voudrait qu’à partir d’un téléphone qui ne marche plus, on puisse faire un téléphone neuf.
Pour en revenir à nos moutons audio, il convient en tout cas que chacun apprécie en conscience la pertinence de ce qu’il consomme : si les produits d’entrée de gamme ne manquent pas d’arguments en terme de rapport qualité/prix, s’ils contribuent à la démocratisation des moyens de production audio, il n’y a pas de miracle là-dedans : juste un transfert du coût qui se déplace de l’économie des hommes vers celle de l’environnement, en sachant qu’il n’est pas si évident à la fin de déterminer où se trouve la bonne affaire, si ce qui est à la portée de la bourse de chacun n’est pas hors de prix pour l’humanité et du vivant dans son ensemble…
Dans ce contexte, il ne fait aucun doute en tout cas que l’avenir est plus aux réparateurs et aux produits réparables qu’à l’industrie du jetable. En attendant que la règlementation hausse le niveau d’exigence sur ce point comme elle a déjà timidement commencé à le faire, on aura à l’esprit que nous n’avons pas à attendre une loi pour faire preuve de bon sens, et convenir que le consommer mieux, en regard de nos pouvoirs d’achat, implique sans doute le consommer moins…