Pour la deuxième année, Audiofanzine fait son Mois vert : un mois consacré à l’information et à l’échange autour des problèmes environnementaux, pour mieux en comprendre les différents aspects comme pour voir les interactions de ce dernier avec le monde de la musique et de l’audio.
Après le succès de la première édition en 2023, le Mois vert est désormais un rendez-vous annuel. Évidemment, ce n’est pas forcément par plaisir que nous ouvrons l’espace éditorial d’Audiofanzine aux thématiques environnementales, mais par devoir civique et pour répondre à l’appel du GIEC qui réclame aux médias d’informer le public sur les bouleversements à l’œuvre et sur l’impact qu’ils ont déjà et vont avoir sur nos vies dans les prochaines années. Sur la conscience aussi que certains aspects de nos modes de vie pèsent lourd dans la balance environnementale, la musique dans son ensemble n’échappant pas à la règle…
Demandez le programme !
Comme l’an passé, la chose passera évidemment par des articles et des interviews, certaines en vidéo, mais elle passera aussi par le retour du concours « Le gros loto des petites annonces » qui permettra à un·e vendeur·euse de matériel d’occasion de gagner le double d’une de ses ventes, et à un·e acheteur·euse de se voir rembourser son achat via notre service Looper, l’idée étant de promouvoir l’achat et la vente d’occasion pour favoriser une économie réellement circulaire où l’on réutilise plutôt que de jeter.
Elle passera également par un engagement pris au terme de ce mois pour financer une opération écologique en fonction des affichages publicitaires du site : toutes les 60 000 bannières affichées, nous nous engageons à financer la plantation d’un arbre, ce qui est une façon comme une autre pour Audiofanzine d’investir ce qu’il gagne pour faire œuvre utile. L’an dernier, l’opération avait permis de participer à la plantation d’une haie d’arbres fruitiers dans la commune de Roinville en Essonne. Et comme le montre cette vidéo, les arbres ont été plantés et bien plantés : il ne reste plus qu’à ce que le temps fasse son œuvre désormais…
Quant à savoir si tout cela relève du greenwashing, disons qu’en explorant ses propres contradictions comme celles de l’industrie qui le nourrit, Audiofanzine n’a pas grand chose à y gagner. Mais ce sera à vous d’en juger au terme de ces trente jours comme pour l’an dernier, sachant qu’une question brûle les lèvres de certains :
C’est quoi le rapport avec l’audio et la musique ?
Aucun du point de vue de la musique en tant qu’art, si l’on considère qu’elle est chevillée à l’homo sapiens depuis la nuit des temps et devrait l’être jusqu’à sa fin : tant qu’il y aura des hommes et des femmes sur Terre, ceux-ci devraient continuer de chanter, frapper des peaux ou souffler dans des roseaux…
Si en revanche on questionne, comme nous l’avons fait l’an dernier, l’avenir de la musique live telle qu’on la conçoit actuellement dans les gros festivals, celui de l’impact de la musique à l’heure du numérique ou encore celui de la fabrication d’instruments ou matériel audio, la réponse est nettement moins évidente. Or, la question ne se pose pas seulement à ce lointain et ténébreux horizon 2100 d’autant plus pratique que personne ou presque parmi nous ne sera en vie pour le voir, elle ne se pose pas seulement à l’autre bout d’un tiers-monde si souvent en proie aux catastrophes qu’on n’y prête même plus attention, elle se pose aussi ici, dès maintenant et pour les décennies à venir…
Pourquoi ? Parce que les forêts brûlent aussi chez nous, que l’eau douce s’y raréfie au point de créer de premières pénuries, que la pollution y tue chaque année et qu’on le découvre avec stupeur, au gré des tensions géopolitiques qui s’intensifient actuellement autour des questions d’énergies et des ressources s’amenuisant : la France, tout comme l’Europe, est loin d’être souveraine dans quantité de domaines, ce qui compromet sa capacité d’adaptation aux évolutions environnementales et la rend extrêmement dépendante de ce qui se produit dans les pays qui l’alimentent en ressources minières et énergétiques. Voudrions-nous fabriquer une interface audio entièrement en France, avec des matériaux et des composants français, que ce serait impossible : pas seulement pour des raisons de compétences et d’infrastructures, mais simplement parce que nous n’en avons pas les ressources et ne les aurons jamais. C’est une simple question de géologie.
Ceci étant, il ne s’agit pas seulement d’évoquer la façon dont les contraintes environnementales vont peser sur nos vies et notre passion, mais aussi comment ces dernières ont un impact sur l’environnement. Il se trouve en effet que notre mode de vie, axé sur la consommation effrénée de biens et de services, a un lien direct avec la dégradation de l’environnement à l’œuvre et que lorsqu’on fanfaronne par exemple sur les 4,6% de réduction des émissions de gaz à effet de serre au plus haut sommet de l’État Français en voulant jouer les élèves modèles, on se garde bien de compter les émissions des entreprises françaises qui ont délocalisé leurs usines à l’étranger, en Asie notamment… (Il s’agira de voir si le CNM, en charge de dresser actuellement le bilan carbone de l’industrie musicale française dans son ensemble, évitera ou non ce biais méthodologique.)
On se garde bien aussi de parler des sujets préoccupants comme l’eau douce ou la pollution des sols, l’effondrement de la biodiversité qui, en conjonction avec le réchauffement, favorise le passage des virus des animaux à l’homme.
On se garde bien encore de souligner que l’ouverture prochaine de mines de lithium en France, stratégiques pour la transition énergétique, présentera nécessairement quelques menus inconvénients : en dehors de la pollution qu’elle génère (de toutes les activités humaines, l’extraction est la plus dévastatrice pour l’environnement), cette extraction réclame 2 millions de litres d’eau douce par tonne de lithium… Est-on certain d’être toujours aussi enthousiaste vis-à-vis d’une Groove Machine proposant de faire de la musique dans le jardin sans alim secteur ? D’enceintes de monitoring ou de casques sans aucun fil ? Il s’agira de se reposer la question lorsque la paysannerie nous expliquera sous peu qu’elle manque d’eau pour faire pousser le blé qui nourrit, cependant qu’il se pourrait bien que, quelle que soit notre soif, nous nous rendions compte alors que le lithium ne se boit pas…
On se garde bien de dire enfin qu’aucune forme d’énergie n’est verte et qu’extraire des minerais, les transformer en matériaux et construire des éoliennes, des panneaux solaires, des centrales hydroélectriques ou des centrales nucléaires, on ne sait pas le faire autrement qu’avec du charbon, du gaz et surtout du pétrole. Par la force des choses, parce que les sources d’énergie qui ont assuré les progrès fulgurants de l’humanité depuis le XIXe siècle s’épuisent comme quantité de minerais ou même l’eau douce, notre rapport à l’énergie et à la puissance qu’elle apporte va donc changer, et nous allons arriver, face aux finitudes du monde physique, par devoir faire des choix pour l’usage de toute chose qui deviendra rare, à commencer par l’eau… Et vous le comprendrez aisément : il n’est pas sûr que la construction d’équipement musical et audio soit longtemps une priorité dans ce contexte…
Le grand rétropédalage de 2023
Il est d’autant plus important de se poser ces questions quand le bilan de l’année 2023 s’avère pour le moins exécrable… Les 1,5° d’augmentation que nous visions pour 2100, nous les avons quasi atteints cette année et nous avons gaillardement battu le record de température océanique également… En dépit de beaux discours, nous avons aussi pulvérisé le record des émissions de gaz à effet de serre, en cause dans la mécanique du réchauffement, avec 40,9 milliards de tonnes. Selon l’ONU, ces émissions devraient au mieux baisser de 2% en 2030 alors que les États signataires des Accords de Paris s’étaient engagés à les baisser de 43%… Or, vu les tendances actuelles, les 2% ne sont même pas acquis. Et c’est sur ce point d’ailleurs que 2023 aura été le plus sinistre : le renoncement.
Ces faits et records sont en effet choquants, mais l’aberration semble plus grande encore lorsqu’on constate que cette année, tout en se félicitant que la sortie des énergies fossiles soient pour la première fois évoquée à une COP (!), la plupart des grands pays impliqués dans la lutte contre le réchauffement, ou pour la préservation de l’environnement de manière plus générale, ont fait machine arrière : alors que le président américain ne prend même plus la peine de se rendre à la COP, l’Allemagne a cessé de soutenir la transition vers les véhicules électriques pour mieux relancer la voiture thermique, et au Royaume Uni comme en France, au mépris des engagements pris avec des trémolos dans la voix, on autorise sans vergogne de nouveaux forages pétroliers ou gaziers, y compris dans le bassin d’Arcachon…
Sur le plan de la pollution, on reconduit l’usage de pesticides nocifs tandis que la mise à jour de la réglementation européenne REACH visant à interdire des substances chimiques dont il a été avéré qu’elles sont extrêmement nocives pour la santé humaine comme pour l’environnement, a été abandonnée sous la pression des lobbys pétrochimiques.
Bref, loin d’organiser la sobriété appelée par le GIEC, les élites politiques et économiques sautent à pieds joints sur l’accélérateur, cultivant l’ambivalence d’un discours concerné et d’une attitude de déni décomplexé : « II n’y a jamais eu de politique climatique proprement dite. Il y a plutôt des engagements qui ont été pris et sur lesquels on revient, commente avec neutralité Xavier Arnauld de Sartre, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l’énergie. Au lieu de dire qu’on va arrêter de faire du fossile, on ne le dit plus et on continue à en faire, car on n’a jamais arrêté de le faire. »
De fait, en France, on admet désormais qu’on doit se préparer à un réchauffement de 4 °C… pour l’instant… Voyez d’ailleurs ce que nous promet cette trajectoire en 2050 sur la carte ci-contre, sachant qu’alors 50% des forêts seront alors exposées à un risque élevé d’incendie et que deux milliards de mètre cube d’eau manqueront « si la demande reste stable » (Source : groupe de travail interministériel sur les impacts du changement climatique, l’adaptation et les coûts associés). Or, rien qu’avec nos nouvelles mines de lithium, elle ne le sera pas…
Quant aux motifs qui se tiennent derrière ce changement de discours, ils sont simples : le seul moyen sûr que nous proposent pour l’heure les scientifiques pour lutter contre le réchauffement et les problèmes environnementaux tient dans la sobriété et la déconsommation (une solution que nous avons pu éprouver à grande échelle lors des confinements il y a quelques années, où la nature a timidement repris son souffle avec l’arrêt d’une grande partie de nos industries). Opter pour cette décroissance organisée compromet toutefois la performance économique et menace la survie de quantité d’entreprises, avec tout le chômage et la dégradation sociale que cela implique, de sorte que les décideurs sont tétanisés à quelque échelle que ce soit. Ce paradoxe s’est brillamment illustré au cours du dernier Black Friday où l’ADEME et le ministère de l’Environnement ont réalisé une campagne publicitaire pour inciter les gens à acheter moins de neuf pour vanter les mérites de la réutilisation, de l’occasion comme de la réparation.
Or, la campagne a évidemment provoqué un tollé du côté des commerçants qui l’ont logiquement vue comme un appel à compromettre leur activité, de sorte que le gouvernement a dû présenter ses excuses pour sa maladresse tout en maintenant la diffusion. Les contradictions de la sorte sont nombreuses, et il ne fait aucun doute qu’elles expliquent en grande partie l’inaction des sociétés contemporaines qui ont bâti tout leur système de valeurs à l’inverse. Après avoir habitué des populations entières à l’idée que le confort matériel et la consommation de biens ou de services était la première source de bonheur, après avoir placé le PIB ou le pouvoir d’achat comme des indices de réussite des nations, il est bien difficile de remettre en question la consommation et la production sans passer pour un mauvais gouvernement. Dès lors, lorsqu’un Jancovici évoque assez réalistement l’idée de devoir limiter à l’avenir l’accès de chacun à l’aviation, on s’indigne ça et là en hurlant au liberticide, comme si l’aviation, entre autre consommation, était un droit constitutionnel. Ce droit n’a rien toutefois d’universel quand on sait que 80% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion cependant que pour revenir à la musique, on le sait : l’essentiel des émissions des gaz à effets de serre d’un grand festival tient en premier lieu dans le transport et le trafic aérien qu’il génère… On peut donc utiliser des gobelets consignés et servir des repas vegan dans ces évenements, aucun ne pourra jamais prétendre au zéro carbone dans la musique tant qu’il accueillera des artistes et des touristes aéroportés.
Par ailleurs, les économistes sont formels : s’il n’est pas jugulé, le réchauffement frappera d’autant plus durement les économies, au point même que certains, dans le sillage du rapport Meadows publié par des chercheurs du MIT dans les années 70, prophétisent un effondrement mondial du système entre 2030 et 2040 : non seulement l’économie mondiale serait alors ravagée, mais nous n’aurions alors rien anticipé pour nous adapter à la nouvelle donne environnementale.
Sans même parler de ces sombres perspectives, on relèvera l’augmentation bien réelle des prix auxquels sont confrontés les Français comme les habitants des autres pays, et qui, au-delà du secteur de l’énergie, touche aussi les produits alimentaires comme les instruments de musique ou le matériel audio qui nous intéressent. Et si d’aucuns pointent du doigt tel ou tel conflit qui serait la cause de notre inflation, ou encore les restes des congestions dues à COVID, il est des voix pour dire que cette hausse de prix n’a rien de temporaire, parce qu’elle est aussi liée à des raisons autrement moins épisodiques telles que le réchauffement climatique.
Dans ce sillage, en se souvenant de ce qui s’est produit en Russie puis dans le Maghreb en 2010, on comprendra l’inquiétude mondiale concernant les mauvaises récoltes en riz, l’aliment de base de la moitié de l’humanité, celle-là même qui fournit l’essentiel de nos ressources et fabrique nos médicaments comme la plupart des nos objets, dont nos instruments et équipement audio… Promettre aux Français telle ou telle augmentation du pouvoir d’achat est donc assez illusoire, dans la mesure où plus les années vont passer, plus ce sera au climat, aux problèmes environnementaux et à la géopolitique mondiale de dicter les lois, non de la demande, mais de l’offre… Or, si comme l’annonce l’ONU, la moitié de la population mondiale sera en stress hydrique à compter de 2030, on peut raisonnablement s’attendre à ce que cela se ressente dans le prix d’un paquet de riz comme dans celui d’une pédale d’overdrive verte, d’une interface audio rouge ou d’un micro à boule argenté, comme dans leur disponibilité… « Nous vivons la fin de l’abondance » a prévenu notre président. « C’est que le début, d’accord, d’accord » répond Francis Cabrel…
Et Audiofanzine là-dedans ?
Audiofanzine peut se targuer de faire un Mois vert et de planter des arbres, il n’en est pas moins aussi empêtré dans ses contradictions que le reste de la société. Le principal modèle économique qui a pour l’heure permis son existence (c’est à dire qui paye ses frais de fonctionnements dont une douzaine de salaires en plus de prestataires) repose en effet sur ses contrats avec des magasins partenaires et la vente d’espaces publicitaires qui sont attractifs parce qu’il est prescripteur d’achat. Même s’il ne faut pas le réduire à cela, car il est aussi vecteur d’échanges et d’apprentissage, qu’il est une base de données en même temps qu’une somme de connaissances et un lieu de rencontre, le site génère donc une consommation qui va à rebours de ce que préconisent l’ADEME ou le GIEC.
Lors de ses débuts, il y a 24 ans, nous étions nombreux à ignorer les impacts systémiques d’une activité comme la nôtre : il était facile alors de s’émerveiller sans culpabilité devant telle nouvelle console dantesque ou telle guitare fabriquée avec des bois extrêmement rares, tel synthé cloné pour un dixième de la valeur de l’original, miracle de la démocratisation. Un quart de siècle plus tard, tout cela pose plus de problèmes de conscience, car il est devenu extrêmement difficile d’ignorer qu’il y a le plus souvent une adéquation entre le prix d’un produit, sa durabilité et son éthique de fabrication, d’un point de vue écologique comme humain.
Le clone d’un synthé bien connu à 300 balles devient ainsi extrêmement difficile à juger si l’on considère qu’il sonne très bien et permet à des musiciens désargentés d’accéder à un instrument légendaire, point de vue légitimement retenu par notre testeur, mais qu’il met la société qui a créé le synthé original dans l’embarras (son récent rachat n’est sans doute pas étranger à cela), qu’il est quasi irréparable, qu’il n’aura jamais la durée de vie de l’original (un réparateur nous l’a confirmé) et qu’on ne sait pas trop ce qui se cache sur le plan écologique ou éthique derrière sa fabrication… La tension est toute aussi vive lorsqu’il faut arbitrer le plaisir d’aller applaudir un artiste international que l’on adore dans un grand festival comme le Hellfest ou les Vieilles Charrues, et la conscience qu’on a du coût environnemental de la chose : c’est un peu comme le plaisir de fumer une cigarette en sachant que le cancer du poumon sera collectif et touchera l’ensemble du vivant, du péruvien qui n’a jamais entendu parler de l’artiste comme du festival, au papillon qui n’a pas même conscience de l’existence de l’humanité…
Mais ces contradictions ne doivent pour autant pas justifier l’inaction, et si notre entreprise est depuis quelque temps déjà en complet télétravail et que nous privilégions le train pour nos rares déplacements, nous nous efforçons aussi de progresser sur les fonctionnalités promouvant la durabilité : outre une refonte ergonomique de certains pans de nos petites annonces, on notera qu’il est désormais possible de s’abonner par e-mail à une recherche dans ces dernières. Envoyer plus d’e-mails, c’est assurément alourdir notre bilan carbone, mais c’est un prix qu’il nous semble valoir le coup pour favoriser la réutilisation tant elle est primordiale face aux grandes limites qui sont celles du secteur du recyclage comme de la gestion des déchets…
C’est aussi dans cette optique que nous avons entrepris cette année la publication de tests de micros ou de casques de référence, en marge des produits qui font l’actualité, valorisant ainsi des produits qui sont reconnus pour leur qualité, leur durabilité et que l’on peut acheter neufs… ou d’occasion. Et nous nous sommes aussi essayés cette année à mieux penser nos déplacement en terme de productivité : au cours du mois de février, le tournage de quatre reportages/interviews a pu ainsi être réalisé avec un seul déplacement par train pour deux personnes à Bordeaux…
Enfin, nos développeurs poursuivent toujours leurs efforts d’optimisation : outre un nettoyage de tout le code CSS/JavaScript utilisé par le site, on notera que les vidéos embarquées disposent désormais d’un système de Lazy Loading qui diminue par trois le chargement de JavaScript. Bref, ce sont là des petites choses pour sauver un peu de bande passante ou d’energie, mais à l’image du fameux colibri, il s’agit de faire sa part du mieux que l’on peut. Comment ça : vous n’avez jamais entendu parler du colibri ?
Le chant du colibri face à l’effet du témoin
Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! »
Et le colibri lui répondit : « Je le sais, mais je fais ma part. »
Cette jolie légende est souvent reprise par de nombreux écologistes pour expliquer l’importance de tout geste, si petit et modeste soit-il. On l’appréciera en regard d’une histoire vraie, nettement moins jolie : le 13 mars 1964, Kitty Genovese fut violée et assassinée en pleine rue à New York, sous le regard d’une demi-douzaine de voisins. Durant les quarante minutes qu’a duré l’abominable agression, aucun n’a tenté de la secourir ni même d’appeler les secours, sans trop savoir pourquoi ou au seul motif de ne pas vouloir être impliqué… Choqués par la chose, des sociologues et psychologues ont alors entrepris des recherches sur le sujet et ont mis à jour un phénomène qu’on appelle désormais « effet du témoin » ou « effet spectateur », suivant lequel, face à une situation d’urgence, plus il y a de témoins, moins la probabilité que l’un d’entre eux intervienne est grande. Or, c’est exactement ce que l’on observe concernant l’urgence écologique à l’échelle des individus (l’expérience a été démontrée par des psychologues sur le sujet écologique avec un homme jetant une bouteille en plastique en pleine rue : plus il y a de témoins, moins la chance que la chose lui soit reprochée est grande), des entreprises, ou des pays.
La France ne bougera pas tant que les USA ne le feront pas, et ces derniers ne feront rien avant la Chine qui estime pour sa part que c’est aux Occidentaux que le premier geste échoit. À l’échelle de l’individu, beaucoup confessent en France qu’ils n’arrêteront pas de prendre l’avion épisodiquement tant que Bernard Arnault utilisera son jet privé, alors que son usage à lui seul ne représente rien face au trafic aérien touristique français, ce qui lui permet de se dédouaner à son tour.
Et sur ce modèle s’ensuit une dilution de la responsabilité qui explique en partie, entre autres biais cognitifs et facteurs sociaux car nous ne sommes pas seulement les jouets de nos cerveaux, l’incompréhensible absence de réaction de l’humanité face au plus grand péril qu’elle ait jamais connu. Nous sommes dans le wagon de métro bondé, notre mère la Terre se fait violer à l’autre bout, et tout le monde regarde ailleurs…
Dès lors, pour revenir à nos moutons électriques, l’industrie de la musique est-elle la plus désastreuse des industries qui soient du point de vue environnemental ? Évidemment non si on la compare à celle des transports ou de l’extraction minière dont elle dépend toutefois. Pas plus qu’Audiofanzine n’est le site le plus désastreux qui soit sur le web. Mais l’un comme l’autre, comme chacun et chacune d’entre nous, ont le choix d’exercer un pouvoir de nuisance comme d’amélioration du monde, de poursuivre sa dégradation ou au contraire de l’aider à se réparer, et ce pouvoir, si petit soit-il, n’est pas rien en regard du grand tout comme de la morale et du jugement que porteront sur nous nos héritiers et héritières dans quelques années seulement.
Le fait d’abattre un arbre dans une forêt tropicale pour fabriquer une guitare porte-t-il seul la responsabilité de ces problèmes ? Évidemment non. Mais c’est une allumette de plus jetée dans le brasier dont s’occupent les colibris… Le fait de ne pas abattre cet arbre résorbe-t-il l’incendie ? Non, mais c’est toujours ça de moins que les colibris auront à éteindre, en attendant que le reste des animaux sortent de leur stupeur. Sachant cela, on peut porter plus d’attention au bois de la guitare qu’on achète comme à sa réelle utilité quand on dispose déjà de plusieurs guitares en plus de celle là : il ne s’agit nullement de décourager qui que ce soit de faire de la guitare dans de bonnes conditions, mais de souligner que toute action a des répercussions et qu’aussi vrai que notre liberté s’arrête là où commence celles des autres, il convient d’agir en conscience car la consommation décomplexée ne peut plus être à l’ordre du jour si nous voulons un futur viable. Ce n’est pas parce que nous nous trouvons devant un buffet à volonté et que nous pouvons théoriquement tout manger, qu’il faut pour autant le faire… Il faut au contraire questionner l’existence même d’un tel buffet. Et, à l’inverse, ce n’est pas parce nous nous sentons insignifiants et impuissants face à ces enjeux colossaux que nos actions ne pèsent pas : souvenez-nous de ce qu’on dit du battement d’ailes du papillon…
Bref, c’est tout l’esprit de ce Mois vert que chacun d’entre nous puisse mesurer l’étendue de l’incendie comme sa capacité à lutter contre, et à surtout combattre cette passivité qui veut que le sort soit déjà jeté, ou cette autre passivité qui consiste à s’en remettre à la seule sagesse des états ou au seul génie des géants de la technologie qui nous sauveraient, sachant que quantité de civilisations avant la nôtre, des grecs jusqu’aux romains en passant par les aztèques ou les égyptiens, on fait ce pari et qu’elles l’ont perdu… Il y a d’ailleurs beaucoup à dire là dessus sur ce point en évoquant les solutions qui sont à notre portée.
Des solutions simples aux problèmes complexes ?
Si on laisse de côté ceux qui nient le désastre environnemental en dépit des preuves physiques au pied de leur porte, des chiffres et des courbes qui nourrissent chaque année quantité de rapports venus des quatre coin du monde, et qu’on exclut aussi les plus pessimistes des collapsologistes qui pensent que l’humanité vit ses derniers instants, on avance en général trois grandes voies pour amoindrir les effets du problème :
La sobriété
C’est la solution préconisée par le GIEC, l’ADEME et par l’écrasante majorité des scientifiques, qui expliquent que s’il sera impossible d’éviter bien des catastrophes, bien des morts de famine, de guerre ou de maladie, on peut limiter les dommages en consommant moins de ressources et moins d’énergie. On parle alors de sobriété, qui est un mot politiquement correct pour évoquer la décroissance, un concept qui n’est assurément pas du goût de tout le monde car personne n’aime entendre son médecin lui dire du jour au lendemain qu’il faut arrêter de manger ça ou ci ou de se livrer à telle activité, fut-ce pour sa santé…
Ainsi même si la sobriété n’est pas forcément la caricature de retour en arrière que certains voudraient en faire, elle n’en réclame pas moins un réel effort pour se détacher de certaines choses superflues et se concentrer sur l’essentiel. Ce même essentiel d’ailleurs que quantité d’entre nous avaient mieux cerné lors du premier confinement.
Et si l’on en croit les mêmes scientifiques, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas de créer la décroissance de toutes pièces mais de l’anticiper pour ne pas en souffrir le moment venu car elle est inéluctable : souvenez vous, il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde aux ressources finies. Or, nous sommes en train d’apercevoir la finitude de nombre de nos ressources. Concrètement, cela veut dire qu’en France métropolitaine, on peut d’ores-et-déjà arrêter de manger des mangues ou des bananes car il viendra un jour où nous n’y aurons plus accès de toutes façons, pas plus qu’à quantité d’articles qui garnissent les étals de nos magasins. Choisir de restreindre soi-même sa consommation, c’est de fait se prémunir du manque ensuite, même si cela est plus facile pour certaines choses que pour d’autres : se passer de mangue se conçoit assez facilement, se passer de café ou de tabac est une autre affaire…
Or, soulignons-le à toutes fins utiles : ça n’implique pas de renoncer au plaisir, mais juste de trouver son plaisir ailleurs car soyez en sûr, un accord de Mi est tout aussi intéressant sur une guitare fabriquée près de chez vous avec du bois local que sur une guitare venue de l’autre côté de la planète… Certes, vous rêvez peut-être du modèle exact utilisé par votre idole : mais c’est cette nécessité là qu’il faut sans doute questionner dans une démarche de sobriété…
Le néo-malthusianisme
Dans le sillage des observations de l’économiste Thomas Malthus qui avait remarqué les problèmes que pouvait poser la démographie en regard d’une planète aux ressources forcément limitées, les néo-malthusianistes pensent que toute la solution au problème tient dans le contrôle de la démographie galopante de l’humanité, laquelle a doublé sa population en cinquante ans seulement. De fait, soit en laissant les guerres, famines et épidémies faire leurs œuvres, soit en instaurant un contrôle des naissances, nous serions tirés d’embarras.
À supposer que la chose soit possible (aucun animal n’est jamais parvenu à gérer lui-même sa fertilité à l’échelle de l’espèce, la reproduction relevant de l’instinct, même si l’on a observé à l’échelle de l’humanité, que le levier le plus efficace pour ralentir la natalité tenait dans la condition et l’accès à l’éducation des femmes), elle est effectivement intéressante sur le sujet de l’artificialisation des sols et notamment de la déforestation : plus les êtres humains sont nombreux, plus ils prennent de place pour leur habitat comme leurs cultures, ce qui participe du réchauffement et de l’effondrement de la biodiversité…
Il convient toutefois de tempérer la pertinence de cette solution quand les plus grands responsables des problèmes environnementaux dans leur ensemble ne se trouvent ni dans les pays ni dans les couches sociales où l’on fait le plus d’enfants. C’est même tout l’inverse : selon Oxfam, 1% des plus riches (77 millions de personnes) émettraient à eux seuls autant de gaz à effet de serre que les 66% les plus pauvres (5,1 milliards de personnes), soit 16% des émissions globales.
En admettant qu’il faille raboter la population mondiale, c’est donc plutôt vers le sommet le plus riche qu’il faudrait commencer, sachant que quelle que soit en outre la politique de natalité qu’on applique ici ou là, elle ne règlerait pas pour autant les problèmes de pollution de l’air, de l’eau et des sols, ni même les prochaines pénuries d’eau.
Enfin, on le notera : si la démographie des pays les plus défavorisés s’écroule, ce qui va vraisemblablement se produire vu qu’ils ne sont pas armés comme nous le sommes pour survivre au réchauffement et se trouvent en première ligne de ses désagréments, il convient une nouvelle fois de rappeler que ce sont pour l’essentiel ces gens qui collectent nos ressources et fabriquent les biens que nous consommons…
Le techno-solutionnisme
Dernière solution : la technologie ! C’est assurément la plus séduisante en regard de l’austérité proposée par la sobriété ou le néo-mathusianisme, car c’est la seule qui semble concilier avenir et croissance économique, en nous demandant de rester bien assis dans notre fauteuil et de profiter à plein de la société de consommation. C’est donc tout naturellement vers elle que se tournent la plupart des élites politiques et économiques pour nous assurer des lendemains qui chantent, qu’il s’agisse de nos chefs d’état ou des plus grands leaders industriels, GAFAM en tête.
Hélas, force est de constater que si le techno-solutionisme est prometteur, c’est justement parce qu’il n’est fait que de promesses, et que les promesses, c’est bien connu, n’engagent que ceux qui les croient. En vis-à-vis de chaque rapport faisant état du délabrement environnemental, on trouve ainsi une multitude d’annonces avançant que telle nouvelle découverte dans le secteur des nanotechnologies, des biotechnologies ou encore de l’IA « pourrait », à terme, permettre de faire ceci ou cela qui serait très intéressant d’un point de vue écologique. On élabore même des plans dignes de livres de science fiction, avec des parasols gigantesques gravitant en orbite de la Terre pour lui faire de l’ombre tandis que d’autres scrutent de potentielles planètes jumelles de la nôtre qui se trouveraient à des années lumières de nous… Nous qui peinons déjà à nous rendre sur la Lune… Face à tous ces conditionnels, admettons-le toutefois : pour l’heure, aucune montagne n’a accouché ne serait-ce que d’une souris, et si les géants de la tech affichent tous l’ambition du zéro carbone pour passer pour de bons élèves de l’écologie, aucun d’entre eux ne communique sur sa consommation d’eau astronomique ou son implication dans diverses pollutions. On a même, grâce à leur bon concours technologique, découvert une nouvelle forme de pollution : celle des satellites en orbite terrestre…
La plus parfaite illustration de cela nous vient du boom de l’IA survenu l’an passé. Si cette invention peut à plus d’un titre être considérée comme un tournant majeur pour l’humanité, tout comme la découverte du feu ou l’invention de l’imprimerie, si son potentiel est réellement enthousiasmant à certains endroits, elle n’en brille pas moins pour l’heure par son côté contre-productif sur le plan écologique.
D’abord parce qu’elle consomme une quantité faramineuse d’eau douce et de terres rares et que de l’aveu de Sam Altman lui-même, il va falloir produire beaucoup plus d’énergie pour la développer, de sorte qu’elle va très fortement augmenter l’empreinte environnementale du secteur numérique.
Ensuite parce qu’en vis-à-vis d’usages vertueux minoritaires (recherche scientifique, médecine), elle est pour l’heure essentiellement utilisée pour produire encore et toujours plus de contenus, qu’ils soient textuels ou multimédias, une énorme partie ne présentant aucun intérêt. Sur le web, on l’utilise ainsi à des fins SEO, pour que les robots de Google lisent ce que d’autres robots ont écrit : un entre-soi numérique qui en dit long sur ce que nous appelons « le progrès ». Convenons-en par ailleurs : la surproduction humaine étant déjà au cœur des enjeux de la pollution, du réchauffement et de la surconsommation de ressources, un enfant de cinq ans comprendrait le côté ubuesque et suicidaire d’ajouter un nouveau super moyen de produire encore plus, plus vite, au prix de toujours plus de ressources et d’énergie… Et la chose est plus ridicule encore lorsqu’on considère que la démographie humaine est une problème en regard des ressources limités, mais qu’on y ajoute tout de même de nouveaux humains artificiels, dont la première caractéristique est de consommer chacun beaucoup plus d’eau et de ressources que n’importe quel homme ou femme de chair…
Quant à savoir si l’IA peut effectivement être utile sur le terrain de l’écologie, une étude commandée par Google estime qu’elle pourrait réduire de 10% les émissions de gaz à effets de serre mondiaux, ce qui est considérable… mais au prix de quelle pollution par ailleurs ? De quelle consommation d’eau ? Le sujet est bien évidemment éludé tandis qu’on peut compter sur l’effet Jevons pour réduire à néant les 10% gagnés…
De fait, il faut bien l’admettre : entre l’enfumage des géants de la tech et la volonté ferme des populations à croire en un Père Noël qui arrangerait tout, le techno-solutionnisme demeure la plus suspecte des trois solutions, rien que parce que la technologie est une partie assez considérable du problème écologique. Miser sur lui, ce serait un peu comme expliquer à un ami souffrant d’un mal incurable : « Tu sais, sur les deux ans qui te restent à vivre, la médecine va sans doute trouver la solution… »
Mais concédons-le : l’IA va peut-être accoucher de cette équation magique qui change le sable en plomb, puis le plomb en or, et trouver comment produire de l’eau douce avec trois cailloux et très peu d’énergie, trouver même comment régler tous nos problèmes… À moins que ce ne soit les extra-terrestres qui nous livrent la solution à tout cela : c’est tout aussi possible. Quant à savoir si c’est plausible…
Nous sommes la solution
Notez à la fin que les trois grandes solutions à nos problèmes environnementaux ne s’excluent pas les unes les autres, la plupart des spécialistes à la question environnementale admettant qu’il ne saurait y avoir de transition :
- sans technologie pensée pour elle (sachant qu’on ne parle pas là de robots futuristes ni d’IA pour faire des photomontages du Pape mais bien de technologies qui se concentrent sur l’économie de ressources et d’énergie : comment faire aussi bien avec moins et en réduisant les impacts environnementaux)
- sans renoncement à la surconsommation comme à la surproduction et recentrage sur les besoins essentiels
- sans contrôle de la démographie mondiale
Les trois camps n’ont donc pas nécessairement à s’opposer : c’est même tout l’inverse…
Parce que les colibris, c’est certain, n’y suffiront pas. Et qu’il faudra bien à un moment que le peuple entier de la forêt se réveille. Ce peuple, c’est vous autant que moi, tous autant imparfaits que nous sommes et tous autant dépendants les uns des autres de ce fait. À chacun et chacune donc de méditer l’exemple de ces hommes ou femmes se retroussant les manches pour imaginer dès aujourd’hui ce que sera la pratique musicale de demain, pour proposer des solutions concrètes face aux institutions tétanisées.
Nous vous en avions présenté l’an passé, et vous allez en découvrir d’autres ce mois-ci : une armée de colibris qui ne demande qu’à être rejointe… Hommage leur soit rendu car ils sont les vrais visionnaires de notre époque !
Sur ce, je vous souhaite un excellent Mois vert !