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Culture / Société
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Matériel en voie d'extinction ? L'impact de l'équipement audio et musical sur l'environnement, et vice et versa...

S’interroger sur l’impact écologique de la musique, c’est évidemment se questionner aussi sur la fabrication de nos instruments et matériel audio. Une question bien complexe pour une petite industrie…

L'impact de l'équipement audio et musical sur l'environnement, et vice et versa... : Matériel en voie d'extinction ?
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Car oui, si grande soit votre passion pour la musique, si grand soit votre amour pour votre guitare ou votre synthé, sachez-le : la taille du marché mondial des instru­ments de musique est rela­ti­ve­ment modeste. Selon thebu­si­ness­re­sear­ch­com­pany.com, elle pèse­rait 13,25 milliards de dollars en 2022 , sachant qu’elle recoupe celle du marché des équi­pe­ments audio, esti­mée à 33,13 milliards de dollars en 2022 (laquelle concerne aussi bien d’autres secteur que ceux qui sont les nôtres car l’au­dio est partout). 46,38 milliards de dollars au mieux donc,  sachant que le marché mondial de la nour­­ri­­ture pour animaux de compa­­gnie (chien, chat, hamster, pois­­son, etc.) pèse à peu près 80 milliards de dollars : près de deux fois plus ! Pour vous donner un repère, sachez qu’en 2021, le seul chiffre d’af­faires de Google s’éle­vait à 257,64 milliards de dollars, tandis que le marché de la construc­tion auto­mo­bile est estimé à 2 900 milliards de dollars en 2022…

Bref, du point de vue des émis­sions de gaz à effet de serre si l’on se base sur ces données écono­miques, inter­dire le boeuf dans la fabri­ca­tion de la nour­ri­ture pour chien aurait sans doute plus d’in­ci­dence que pas mal de choses que l’on pour­rait faire dans le monde de l’au­dio et des instru­ments de musique… Reste qu’il n’y a pas de petit geste en écolo­gie, pas d’ef­fort qui soit négli­geable et si petite soit-elle en regard d’autres, on aurait tort de ne rien attendre d’une indus­trie qui pèse plus de 40 milliards de dollars lorsqu’on explique à Monsieur ou Madame Tout-le-monde l’im­por­tance de chan­ger leur façon de consom­mer…

Nous verrons en outre qu’au delà de la ques­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, le rapport du maté­riel audio et musi­cal à l’en­vi­ron­ne­ment s’avère complexe, et que la modes­tie de notre indus­trie n’est pas son meilleur atout…

L’arbre qui gâche la forêt

Sans doute à cause des déboires média­ti­sés de certains construc­teurs de guitare qui, par le passé, ont fait montre d’un manque total de respect pour les règle­men­ta­tions sur les espèces proté­gées, lorsqu’on parle écolo­gie et instru­ments, c’est souvent pour évoquer le seul problème de la défo­res­ta­tion liée à la fabri­ca­tion d’ins­tru­ments en bois…

Récem­ment encore, grâce au CSFI, on a vu les arche­tiers français se battre pour main­te­nir l’im­port du pernam­bouc brési­lien tandis que les évolu­tions de la CITES ont singu­liè­re­ment compliqué la tache de tous les acteurs de la facture instru­men­tale en impo­sant un traça­bi­lité des bois utili­sés, et en régu­lant ou inter­di­sant la coupe de certaines espè­ces…

palissandres et IMOr, il faut bien avoir conscience que, sans qu’elle soit négli­geable (rien ne l’est en écolo­gie), la consom­ma­tion en bois d’un aussi petit marché n’en fait pas le premier élément critique pour la défo­res­ta­tion, et de loin… L’agri­cul­ture, le chauf­fage comme le BTP ou l’ex­pan­sion des villes sont assu­ré­ment bien plus respon­sables de la défo­res­ta­tion massive que ne le sont les luthiers et facteurs…

En se basant sur les chiffres chinois, Jacques Carbon­neaux de l’APLG estime ainsi qu’au niveau mondial, en 2018, la consom­ma­tion en palis­sandre du secteur des instru­ments de musique ne dépasse pas les 5% face à celle des autres indus­tries… 

couper un arbre est simple mais il ne suffit pas de vouloir en plan­­ter un autre en guise de dédom­­ma­­ge­­ment pour que cela fonc­­tionne, tandis qu’on évoque rare­ment la consom­ma­tion d’éner­gie, de ressources, la pollu­tion et les émis­sions de gaz à effets de serre que l’im­port du bois implique.

Le problème n’est pas tant quan­ti­ta­tif donc, mais plutôt quali­ta­tif car les essences prisées pour la facture et la luthe­rie sont le plus souvent rares, et leur exploi­ta­tion menace la biodi­ver­sité en boule­ver­sant des écosys­tèmes complexes : si l’Ama­zo­nie est en train de se muer en savane au prix de l’ex­tinc­tion de milliers d’es­pèces de mammi­fères et de dizaine de milliers d’es­pèces d’in­sectes ou de végé­taux, c’est aussi pour cela. BIen conscients du problème, on trouve des avant-gardistes chez les scien­ti­fiques comme chez les facteurs : les travaux d’un Romain Vialat à l’ITEMM (Inter­view à venir) sur l’acous­tique des bois locaux ou les compo­sites sont assu­ré­ment porteurs de bien plus d’ave­nir que les projets de refo­res­ta­tion dont le succès n’a rien d’évident.

En vis-à-vis de cela, on distin­guera par ailleurs la démarche d’un Berg Guitares  qui parvient à faire des instru­ments de très haute qualité en ne recou­rant qu’à des maté­riaux locaux, récu­pé­rés ou recy­clés (voir cette inter­view). Là encore, ce sont des pion­niers qui, en dépit de leur petite taille, dessinent un avenir possible à la luthe­rie… Avec ses imper­fec­tions, la CITES tente d’ar­bi­trer tout cela tandis que la plupart des profes­sion­nels du secteur, par réel amour du bois et de la nature ou désir de rassu­rer leurs consom­ma­teurs, s’en­gagent dans des conduites respon­sables et des projets de refo­res­ta­tion…

amazonie-deforesteeCette démarche est certes un pis-aller qui n’offre aucune garan­tie car à des dizaines de milliers de kilo­mètres de nous, couper un arbre est simple mais il ne suffit pas de vouloir en plan­ter un autre en guise de dédom­ma­ge­ment pour que cela fonc­tionne, tandis qu’on évoque rare­ment la consom­ma­tion d’éner­gie, de ressources, la pollu­tion et les émis­sions de gaz à effets de serre que l’im­port du bois implique. Et non seule­ment, l’arbre planté en guise de dédom­ma­ge­ment peut ne pas pous­ser pour des raisons natu­relles (la vie demeure un mystère complexe et de récentes recherches montrent que les arbres commu­niquent entre eux de diffé­rentes manières), se voir arra­cher pour des raisons écono­miques (depuis la fin des empires colo­niaux, reven­diquer le contrôle de forêts qui ne sont pas les nôtres relève d’une ingé­rence et d’un non-respect de la souve­rai­neté des États), mais en admet­tant que cela marche, tout le temps que mettra le jeune arbre à atteindre la taille de l’arbre adulte prélevé s’écou­lera au détri­ment des espèces animales et végé­tales qui dépen­daient de lui dans un lien écosys­té­mique. On imagine mal une mairie démo­lir un immeuble en promet­tant de relo­ger ses habi­tants quand un nouvel immeuble aura poussé (s’il pousse) mais c’est pour­tant un peu la logique de la refo­res­ta­tion…

Quoi que l’on puisse penser de l’ef­fi­ca­cité de tout cela, ce n’est toute­fois pas tant au niveau de la forêt même que se situe le problème de la facture instru­men­tale, mais plutôt au niveau du trans­port des maté­riaux : lorsqu’on abat un arbre en Afrique pour faire une guitare en Chine qui sera ensuite vendue en Europe, il ne fait aucun doute que ce sont bien les bateaux qui vont l’ache­mi­ner qui seront les plus domma­geables à l’en­vi­ron­ne­ment, à travers la pollu­tion des mers et les gaz à effets de serre qu’ils émettent. C’est bien pour éviter ce genre d’aber­ra­tion qu’on préco­nise la produc­tion loca­le…

Encore qu’il soit même complexe de défi­nir la notion de fabri­ca­tion locale à l’heure de la mondia­li­sa­tion…

Fabri­ca­tion locale ?

Comme on le sait, dans le contexte du réchauf­fe­ment clima­tique, c’est souvent le trans­port qui a le plus gros impact sur les émis­sions de gaz à effet de serre géné­rées par un produit. Dès lors, il ne fait aucun doute que plus ce dernier sera fabriqué en local, et mieux ce sera pour l’en­vi­ron­ne­ment…. Sauf que cette notion de « fabri­ca­tion locale » se heurte à la logique de la mondia­li­sa­tion car, pour des raisons de main d’oeuvre, de ressources et d’éco­no­mie d’échelle qui vont jouer sur le prix, on ne peut pas construire dans tous les pays où l’on vend. De fait, sur le strict plan écolo­gique, pour­rait-on repro­cher à une entre­prise Française de fabriquer en Asie du Sud-Est si l’es­sen­tiel de ses ventes se font en Chine, au Japon ou aux USA et que le marché français ne repré­sente que 5% de son chiffre d’af­faire ?

l’Union Euro­péenne dépend à 98% de la Chine sur les terres rares…

Les choses se compliquent un peu plus encore lorsqu’on examine le problème sous l’angle des ressources, humaines comme maté­rielles. Encore qu’en un sens, on pour­rait para­doxa­le­ment dire qu’elles se simpli­fient vu qu’elle ne font plus l’objet d’un choix…

Vous vous souve­nez de la phrase de Valéry Giscard d’Es­taing : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. » Eh bien disons que notre ancien président aurait pu dire la même chose sur quan­tité d’autre maté­riaux en plus du pétrole. De fait, l’Eu­rope dépend par exemple à 98%  de la Chine sur les terres rares… Et il en va de même pour la main d’oeuvre : quan­tité de profils qui abondent en Asie n’existent pas ou peu en Occi­dent. De sorte que Tim Cook en vient à expliquer à Forbes que si l’iPhone est fabriqué en Asie, ce n’est pas en premier lieu pour des raisons de coût de main d’oeuvre ou de marge, mais simple­ment parce qu’on ne saurait pas le construire ailleurs que là-bas : les Chinois disposent en effet des ressources qui nous font défaut, comme de compé­tences qui nous font défaut. Guillaume Pile, PDG et fonda­teur de Two Notes, nous explique peu ou prou la même chose lorsqu’on lui demande pour quelle raison il fabrique en Asie : en France, on sait faire du protoy­page, de grandes séries, mais pas les petites séries dont notre petit marché a besoin tandis que certains savoir-faires n’existent pas ici, soit parce qu’ils n’existent plus, soit parce qu’il n’ont jamais existé (Inter­view à venir).

Et pour­tant, me direz-vous, il y a quan­tité de maté­riels qui sont étique­tés Made in France, USA ou Germany, c’est bien la preuve qu’on peut le faire, non ? Certes oui, mais il convient de soule­ver l’étiquette pour voir ce qu’il y a dessous…

Made in World…

madeinSachez-le : la mention « Made in France » ne répond pas à une loi bien stricte mais à une régle­men­ta­tion rela­ti­ve­ment floue du code des douanes de l’Union (CDU), sachant que c’est la DGCCRF qui se charge de véri­fier son usage. Et que nous dit cette règle­men­ta­tion ? Que la mention « Made in » n’im­plique pas que le produit a été inté­gra­le­ment fabriqué dans le pays indiqué, mais qu’il tire, selon la Direc­tion Géné­rale des Entre­prises (DGE) « une part signi­fi­ca­tive de sa valeur d’une ou plusieurs étapes de fabri­ca­tion loca­li­sées » dans le pays indiqué et a « subi sa dernière trans­for­ma­tion substan­tielle » dans ce même pays.

Dit comme ça, c’est un peu vague. Et ça l’est dans les faits : dans le textile, il suffit que le design d’un vête­ment ait été fait en France et qu’on couse l’étiquette de la marque en France pour que l’on puisse parler du « Made in France ». Que le coton utilisé ait été cultivé en Inde, cardé en Chine, tissé au Laos, teint au Thaï­lande puis cousu au Maroc importe peu, sachant qu’au­cune loi n’im­pose au fabri­cant de docu­men­ter les étapes de produc­tion… Et pour notre bon vieux matos audio ? Eh bien c’est un peu la même chose, en sachant qu’on ne sait jamais ce qui se cache derrière le Made in France, Made in Germany ou Made in USA : en géné­ral, on tablera sur une concep­tion et un assem­blage dans le pays déclaré, sachant que les contrôles sont rares, voire quasi inexis­tant dans une petite indus­trie comme celle de l’au­dio. Des orga­nismes comme l’AF­NOR montrent certes plus d’exi­gence lorsqu’il s’agit de décer­ner le Label Origine France Garan­tie (et qui implique qu’au moins 50 % du prix de revient de produit est français, examen des comptes et visite du fabri­cant à l’ap­pui), mais ce label créé en 2010 est loin d’être popu­laire auprès du grand public…

Dans ces condi­tions et en l’ab­sence d’une règle­men­ta­tion plus exigeante, il est extrê­me­ment diffi­cile d’es­ti­mer le bilan carbone réel d’un produit, sans savoir quels trans­ports ont occa­sion­nés ses diffé­rents consti­tuants ni quelle source d’éner­gie a été utili­sée à tel ou tel moment de sa fabri­ca­tion. À n’en pas douter, à l’heure de la raré­fac­tion des ressources et des problé­ma­tiques d’éner­gie, à l’heure aussi où les pays occi­den­taux se dédouanent de leur bilan carbone réel en dépor­tant l’es­sen­tiel de leur produc­tion en Asie, il faudra bien un jour qu’on en vienne à ce qui se fait avec le bois ou la viande : un système de traça­bi­lité qui, seul, permet­tra de juger de l’em­preinte envi­ron­ne­men­tale d’un produit. Ce serait visi­ble­ment dans les tuyaux pour les équi­pe­ments numé­riques, et pour­rait chan­ger bien des choses dans la vision que nous avons de nos produits et de leur emprein­te…

Encore que ce problème de fabri­ca­tion pour­rait à rela­ti­ve­ment court terme ne plus se poser du tout…

Toutes les bonnes choses ont une fin…

Pour construire des instru­ments comme du maté­riel audio, des voitures, des équi­pe­ments, des centrales élec­triques mais aussi des médi­ca­ments, il nous faut de l’éner­gie certes, mais il nous faut aussi des maté­riaux dont la plupart ont mis des millions d’an­nées à se créer dans les profon­deurs de la Terre, par le biais d’opé­ra­tions géophy­siques complexes. Or, il n’y a rien d’évident à collec­ter l’écra­sante majo­rité d’entre eux : c’est la diffé­rence entre les ressources de notre planète, et la portion de ressources qui sont attei­gnables qu’on appelle les réserves. De fait, il faut creu­ser toujours plus profond pour trou­ver des mines qui n’ont pas forcé­ment les mêmes rende­ments que les mines d’au­tre­fois, et recou­rir à des tech­no­lo­gies toujours plus coûteuses en éner­gie… comme en maté­riaux !

 il ne peut y avoir de crois­sance infi­nie dans un monde aux ressources finies


Voyez le cercle vicieux qui se profile sur cette illus­tra­tion émanant d’un rapport réalisé par Claude Birraux et Chris­tian Kert pour le Sénat (oui, je sais : ils sont vache­ment forts en Power­point au Sénat) :

le Pub sociétal : r10-78213

Notre monde contem­po­rain est complè­te­ment dépen­dant de l’éner­gie, à commen­cer par nos home studios et quan­tité de nos instru­ments. Or, pour créer de l’éner­gie, il faut construire des centrales. Et pour construire des centrales, il faut des maté­riaux… Et pour extraire les maté­riaux, il faut… de l’éner­gie !

Et c’est sans parler de la quan­tité de maté­riaux dont nous dispo­sons… De fait, dans les réserves, on distingue ainsi les réserves rentables, c’est à dire celles qui sont exploi­tables avec un réel béné­fice, car il ne fait aucun doute qu’on cessera par exemple d’ex­traire du pétrole, non pas forcé­ment le jour où il n’y en aura plus du tout sur la planète, mais le jour où extraire un baril coûtera un baril en éner­gie : on ne gagnera alors rien à l’ex­trai­re…

le Pub sociétal : metauxepuisementOr, ce problème est d’au­tant plus inté­res­sant que les données concer­nant les réserves rentables s’épuisent à vitesse grand V, comme l’avaient prévu les brillants Denis et Donella Meadows dès 1972 dans le rapport Les limites de la crois­sance. Exami­nant les rapports entre démo­gra­phie, écono­mie et ressources, ces cher­cheurs du MIT accouchent d’une vérité simplis­sime. Il ne peut y avoir de crois­sance infi­nie dans un monde aux ressources finies : cette évidence qu’un enfant de 10 ans n’a aucun mal à comprendre demeure visi­ble­ment hors de portée de la plupart des chefs d’état et capi­taines d’in­dus­trie à l’heure actuelle. Du moins ne veulent-ils pas s’étendre là-dessus parce qu’elle remet en ques­tion le fonde­ment même de leur dyna­mique : augmen­ter toujours le CA comme le PIB, ce qui semble en fait impos­sible pour des limites physiques…

Pour vous en convaincre, voyez le tableau ci-contre produit par Guillaume Pitron dans La guerre des métaux rares. Au rythme actuel de produc­tion, il nous reste­rait une ving­taine d’an­nées avant que nous ne nous trou­vions face à des pénu­ries d’an­ti­moine, d’étain, de plomb, d’or, de zinc, de stron­tium et d’ar­gent. Moins de 10 ans même si l’on consi­dère une explo­sion de la demande, ce qui est préci­sé­ment le cas avec l’in­évi­table tran­si­tion éner­gé­tique. Lors du dernier World Mate­rials Forum, les acteurs de l’ex­trac­tion ont d’ailleurs alarmé sur la criti­cité crois­sante des maté­riaux néces­saires à cette dernière.

Dans un rapport du 25 avril 2022 pour l’as­so­cia­tion euro­péenne des produc­teurs de métaux Euro­mé­taux, des cher­cheurs de l’uni­ver­sité KU Leuven ont égale­ment alerté que l’Union Euro­péenne s’ex­po­sait à d’im­por­tantes pénu­ries de plusieurs métaux critiques dès 2030, en se basant sur les plans indus­triels prévus par l’Union Euro­péenne pour atteindre la neutra­lité carbone en 2050. Selon ces derniers, ils nous faudra 35 fois plus de lithium (800 000 tonnes par an) qu’en 2020, 27 fois plus de dypro­sium, 9 fois plus de néodyme, 4 fois plus de praséo­dyme, 4 fois plus de cobalt et 2 fois plus de nickel. Le rapport pointe égale­ment des hausses impor­tantes de la demande en sili­cium (+46,4%), en cuivre (+35,4%) ou en alumi­nium (+32,5%). De fait, « la quan­tité cumu­lée de métaux à produire au cours des trente-cinq prochaines années dépas­se­rait la quan­tité cumu­lée produite depuis l’an­tiquité jusqu’à aujour­d’hui. » (Vidal, 2018, in Ressources miné­rales, progrès tech­no­lo­gique et crois­sance)

Sachant que l’ex­trac­tion minière, petit détail de l’af­faire, est l’un des plus fara­mi­neux moyen qu’ait trouvé l’homme pour détruire l’en­vi­ron­ne­ment. L’in­dus­trie miné­rale est le premier produc­teur au monde de déchets solides, liquides et gazeux.

le Pub sociétal : dillonmarsh

Voyez cette simu­la­tion réali­sée par Dillon Marsh pour bien comprendre l’im­pact d’une mine de cuivre comme celle de Pala­bora en Afrique du Sud. À gauche, la boule repré­sente la quan­tité de cuivre métal produite par la mine en 43 ans, tandis qu’à droite, on voit le péri­mètre des déchets miniers en surface (et en surface seule­ment : la pollu­tion s’éten­dant dans l’air et dans les sols avec ce que cela implique pour les nappes phréa­tiques). Un désastre d’au­tant plus grand que la moitié des mines mondiales se trouvent dans des espaces natu­rels dont il faudrait préser­ver la biodi­ve­rité. Un désastre d’au­tant plus grand qu’on ne fait pas grand cas la plupart du temps de la santé et de l’es­pé­rance de vie des gens qui travaillent dans ces mines (Le Congo, repré­sen­tant 60% des ressources en Cobalt emploie­rait plus de 40 000 enfants dans ses mines selon l’UNI­CEF, lesquels auraient des taux de Cobalt dans le sang 43 fois supé­rieurs à la moyenne). Un désastre d’au­tant plus grand que l’ex­trac­tion minière consomme énor­mé­ment d’eau potable. Il faut 200 mètres cube d’eau pour une tonne de roche, sachant qu’avec une tonne de roche, on obtient… 33 grammes de cuivre par exemple. Et il faut 100 tonnes de roches pour 28 grammes d’or (repen­sez-y en regar­dant le placage de vos connec­teurs Jack). De fait, quand l’eau vient à manquer comme au Chili en raison du réchauf­fe­ment clima­tique, ce pays étant un des plus gros four­nis­seur de cuivre mondial (13 % des réserves mondiales de cuivre rien que pour la mine de Chuqui­ca­mata), on consomme toujours plus d’éner­gie pour désa­li­ni­ser l’eau de mer

L’eau qui mérite d’ailleurs qu’on s’ar­rête un peu sur son cas…

L’or bleu, ce 119e élément…

alpesPas loin d’être invi­si­bi­li­sée à l’heure actuelle où tout le monde n’a d’yeux que pour les problé­ma­tiques d’éner­gie, de pétrole et de gaz à effet de serre, la ques­tion de l’eau potable risque d’ailleurs de boule­ver­ser bien des choses égale­ment depuis que les scien­ti­fiques estiment que nous avons fran­chi un seuil de non retour la concer­nant. D’abord parce qu’elle est très utili­sée dans l’ex­trac­tion de mine­rais, l’agri­cul­ture ou la produc­tion d’éner­gie et que sa raré­fac­tion va se traduire par des pénu­ries dans ces diffé­rents domaines, mais aussi parce qu’elle risque de manquer sous peu sur la moitié du globe si l’on en croit l’ONU. C’est actuel­le­ment le cas en Soma­lie… Mais bon, me direz-vous, la Soma­lie, c’est loin de nous et on s’est presque habi­tué à les voir mourir de soif et de faim dans nos JT, les Soma­liens… Le problème, c’est que cela pour­rait être aussi le cas dans le bassin médi­ter­ra­néen où la situa­tion de Marseille, par exemple, préoc­cupe gran­de­ment certains cher­cheurs du CNRS : Marseille, une ville ultra-polluée, dont l’ur­ba­ni­sa­tion n’est abso­lu­ment pas conçue pour affron­ter le réchauf­fe­ment clima­tique et qui repose large­ment sur les glaciers des Alpes pour se four­nir en eau potable. Or, voyez ce qu’il reste de ces derniers sur les photos ci-contre…

On ne parle pas encore d’ha­bi­ta­blité de la ville compro­mise, mais il y a fort à parier que les agri­cul­teurs de la région vont très vite se retrou­ver dans des situa­tions compliquées, à plus forte raison quand d’an­née en année, on bat des record de séche­resse en hiver, ce qui empêche les nappes phréa­tiques de se gorger d’eau de pluie… La ques­tion de l’eau qui se pose dans les pays loin­tains, elle va donc aussi se poser ici sous peu, sachant qu’après une année 2022 bien sèche et un début 2023 qui n’au­gure pas du meilleur, les restric­tions sont déjà à l’ordre du jour, même si elles sont risibles en regard des chan­ge­ments qu’il nous faudrait anti­ci­per

Mais lais­sons-là les Marseillais pour reve­nir à nos maté­riaux en consi­dé­rant la carte ci-dessous qui fait état des prin­ci­pales sources en métaux et terres rares en regard de ce qu’on appelle le stress hydrique, soit le manque d’eau potable.

eauminerai 

Ou comment comprendre que le problème de l’eau dont presque personne ne parle va vite peser sur le bon vieux tableau pério­dique des éléments de Mende­leïev qui indexe tous les compo­sants de la matière, vivante ou non, soit ce qui nous permet aussi de construire nos guitares, nos pédales, nos amplis, nos synthés, nos inter­faces audio, nos micros, etc.

L’in­dus­trie du maté­riel audio et musi­cal pourra-t-elle se four­nir en maté­riaux lorsque ces derniers manque­ront proba­ble­ment pour construire des centrales élec­triques, des télé­phones ou des ordi­na­teurs, des trans­ports et… des médi­ca­ments ?

le Pub sociétal : FRENCH-Periodic-Table-Element-ScarcityRepre­nant le fameux tableau, l’illus­tra­tion ci-contre tente de repré­sen­ter les propor­tions qui existent entre les éléments chimiques et leur dispo­ni­bi­lité, sachant que les nouvelles tech­no­lo­gies comme le numé­rique, les éner­gies renou­ve­lables ou la voiture élec­trique font explo­ser la demande sur la plupart des terres rares ou précieuses. De la sorte, on doute déjà de pouvoir fabriquer les voitures élec­triques promises à la légère par certaines de nos élites (Sur 94 éléments exis­tant à l’état natu­rel sur Terre, 75 sont mobi­li­sés pour la construc­tion d’un véhi­cule élec­trique), tandis que la raré­fac­tion de certaines ressources, en amont des pénu­ries, va évidem­ment se traduire par de sérieux problèmes géopo­li­tiques.

C’est ainsi que lors de la COP26, les services de rensei­gne­ment améri­cains ont estimé que le risque de conflits inter­na­tio­naux serait nette­ment plus élevé dès 2030 en raison des migra­tions clima­tiques comme de la volonté de s’ap­pro­prier les dernières ressour­ces…

Dans ce contexte, la ques­tion est la suivante : pensez-vous que, si modestes soient ses besoins, l’in­dus­trie du maté­riel audio et musi­cal, rele­vant du loisir, puisse se four­nir en maté­riaux lorsque ces derniers manque­ront proba­ble­ment pour construire des centrales élec­triques, des télé­phones ou des ordi­na­teurs, des trans­ports et… des médi­ca­ments ?

À combien esti­mez vous les chance de voir un jour construit un SM58 100e anni­ver­saire, une 185e réédi­tion de la Tube Screa­mer quand le cuivre, le sili­cium, l’an­ti­moine, le plomb et l’étain seront dispu­tés dans les prochaines années par toutes les plus grosses indus­tries et toutes les nations à des fins autre­ment plus vita­les…

Heureu­se­ment, nous rassurent toute­fois certains, le génie humain va trou­ver des parades à tous ces problèmes. Sans parler des spécu­la­tions sur l’hy­dro­gène dont le déve­lop­pe­ment embryon­naire montre qu’il pose, comme toute source d’éner­gie, au moins autant de problèmes qu’il n’en résout, sans parler des fantasmes d’ex­trac­tion sur les météo­rites ou au centre de la terre qui relève pour l’heure de la science fiction, la solu­tion concrète à nos problèmes de ressources, nous dit-on, c’est indu­bi­ta­ble­ment le recy­cla­ge…

Le gros malen­tendu du recy­clage

Face à la fini­tude des ressources décrites dès les années 70 par le rapport Meadows, la solu­tion la plus souvent avan­cée est en effet celle du recy­clage, dans une espèce de vision idéa­li­sée de l’éco­no­mie circu­laire. Le premier problème à cela, c’est qu’il y a quan­tité de maté­riaux qu’on recycle mal parce qu’ils sont des alliages complexes de plusieurs éléments premiers. Comme l’ex­plique Guillaume Pitron dans La guerre des métaux rares, cela revient dans bien des cas à vouloir sépa­rer la farine de l’eau dans de la pâte à pain : un proces­sus « d’une complexité folle, chro­no­phage, éner­gi­vore », ce qui nous ramène au cercle vicieux évoqué plus haut : si recy­cler une pile coûte l’éner­gie de deux piles, vous voyez vite là où ça peut coin­cer…

le Pub sociétal : dechets-dechargePassons sur le fait que l’opé­ra­tion génère une pollu­tion non négli­geable et consomme de l’eau potable pour ne nous inté­res­ser qu’à un autre problème : la collecte et le stockage des déchets en attente de recy­clage, et qui est loin d’être une évidence si l’on consi­dère que la plupart de nos déchets élec­tro­niques finissent dans des décharges à ciel ouvert dans des pays du tiers monde… Or, comme la chose est de moins en moins possible (la poubelle est pleine dans ces pays aussi et le tri, l’ache­mi­ne­ment et le recy­clage sont coûteux), on en vient même à voir des villes améri­caines arrê­ter tout bonne­ment le tri des déchets et les programmes de recy­clage au profit de décharges ou de l’in­ci­né­ra­tion, quoi qu’il en coûte.

Certes, il n’est pas inen­vi­sa­geable qu’on invente de nouvelles tech­no­lo­gies qui vont révo­lu­tion­ner le recy­clage ou l’ex­trac­tion, les rendre plus simples et moins éner­gi­vores, moins coûteuse en eau. Espé­rons juste qu’on aura les maté­riaux et l’éner­gie pour construire ces dernières, et qu’elles génè­re­ront moins de pollu­tion que les tech­no­lo­gies actuelles, ce qui n’a rien d’évident dans la mesure où la société de consom­ma­tion n’a jamais fait qu’illus­trer le para­doxe de Jevons (appelé aussi « effet rebond » et qui veut que plus on opti­mise la consom­ma­tion d’une tech­no­lo­gie en ressources ou en éner­gie, et plus on recourt à cette dernière, ce qui se traduit malgré le progrès par une augmen­ta­tion conti­nuelle de la consom­ma­tion)… Pour l’heure en tout cas, les chiffres du recy­clage montre qu’il s’agit plus d’une promesse que d’une réalité : depuis 2015, plus de 6,9 milliards de tonnes de déchets plas­tique ont été produites. Envi­ron 9 % ont été recy­clés, 12 % ont été inci­né­rés et 79 % ont été accu­mulé dans des décharges ou dans la nature (source : Natio­nal Geogra­phic). Selon l’ONU, 1% des terres rares seule­ment seraient recy­clées, notam­ment parce que 18 métaux seule­ment ont des taux de recy­clage supé­rieur à 50 %.

Pour l’heure, plutôt que de parler d’un recy­clage qui ne doit être consi­déré, comme le soulignent l’ADEME ou le GIEC, que pour les quelques déchets que nous n’avons pas réussi à réduire au terme d’une poli­tique zéro-déchet, on misera donc plutôt sur la réuti­li­sa­tion…

New deal for a new world…

streetdrummerRecy­clage et réuti­li­sa­tion : Il convient de ne pas confondre les deux termes. On parle de réuti­li­sa­tion lorsqu’un objet voire un déchet peut être utilisé à nouveau, en détour­nant éven­tuel­le­ment son usage initial. Alors que le recy­clage est l’opé­ra­tion par laquelle la matière première d’un déchet est utili­sée pour fabriquer un nouvel objet, ce qui contrai­re­ment à la réuti­li­sa­tion, consomme systé­ma­tique­ment de l’éner­gie et génère de la pollu­tion.

Or, la réuti­li­sa­tion, c’est quelque chose que nous savons déjà faire : il s’agit de revendre telle guitare ou pédale qu’on n’uti­lise pas, de donner tel synthé ou micro qui prend la pous­sière sur une étagè­re… Et c’est là plus proba­ble­ment que se situe l’ave­nir de l’équi­pe­ment dans les prochaines décen­nies, d’au­tant qu’à mesure que la réces­sion et l’in­fla­tion se font ici ou là plus présentes, le recours à l’oc­ca­sion devient crucial pour le fameux « pouvoir d’achat ». Là, et dans la répa­ra­tion de maté­riels pensés pour être dura­bles… C’est encore une chose rare, surtout en entrée de gamme où les produits sont pensés pour être jetables (boîtiers ther­mo­col­lés sans vis pour les ouvrir, compo­sants englués, etc.) et où, sans forcé­ment penser que nous sommes face à de l’ob­so­les­cence program­mée (qui est désor­mais un délit), la dura­bi­lité du produit est un souci moindre que l’agres­si­vité du tarif.

Cette guitare ou ce synthé qui sont les vôtres ne vous ont jamais appar­tenu quoi qu’en disent vos factures. C’est la Terre qui vous les a prêtés, bon gré mal gré.

Gageons toute­fois que les lois devraient aussi faire évoluer les choses. On impose déjà à Apple aux USA de propo­ser des kits de répa­ra­tion pour ses iPhones, tandis que les fabri­cants de certains maté­riels sont aussi obli­gés désor­mais de recou­rir à une connec­tique stan­dard USB-C plutôt que proprié­taire. Même en se fixant des échéances bien tardives, les lois visant à inter­dire les plas­tiques à usage unique d’ici 2040 vont par ailleurs concer­ner de plus en plus de produits, tandis que les lois contre l’ob­so­les­cence allongent les durées de garan­ties des produits. Les légis­la­teurs progressent égale­ment vers l’in­ter­dic­tion des PFAS via la révi­sion du règle­ment REACH (voir enca­dré), ce qui risque de poser plus d’un problème aux fabri­cants de cordes, entre autres… Et puisqu’on en parle, le cas des cordes est d’ailleurs très inté­res­sant…

De la sensi­bi­lité des cordes

L’in­ter­dic­tion prochaine de milliers de substances met déjà plus d’un fabriquant de cordes en métal dans l’em­bar­ras et on voit mal comment ces derniers pour­raient obte­nir des déro­ga­tions quand on ne parle pas là que d’un problème écolo­gique mais d’un problème sani­taire avéré… « Les PFAS sont les substances les plus toxiques jamais créées par l’Homme, elles sont indus­trielles, donc notre corps n’a pas les défenses natu­relles pour lutter contre elles. » explique Philippe Grandjean, profes­seur de santé envi­ron­ne­men­tale à la Harvard TH Chan School of Public Health. Et quand on sait que certaines marques de cordes ont basé la spéci­fi­cité de leurs produits sur l’usage de PFAS qu’il ne faudrait surtout pas grat­ter, on comprend que le retour à la bonne vieille corde en acier va être de mise, mêrme si des firmes comme Sipa­rio semblent avan­cer vers des solu­tions dans le domaine des harpes qui seront peut-être appli­cables à la guitare.

Mais il y a pire dès qu’on s’in­té­resse à la corde nylon sur laquelle repose toute la guitare clas­sique. Le nylon, c’est du pétrole. Et le pétrole, non seule­ment on veut arrê­ter de l’uti­li­ser pour éviter les émis­sions de gaz à effet de serre, mais on va en avoir de moins en moins, sachant que son usage sera en outre réservé à des choses plus vitales : la produc­tion d’éner­gie notam­ment.

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Comment faire des cordes de guitare clas­sique du coup ? Inter­ro­gés sur ce point, des fabri­cants de cordes avouent leur embar­ras : certains mènent des tenta­tives pour l’heure infruc­tueuses avec du bambou, tandis qu’on évoque sans trop y croire le retour de la corde en boyau sur les guitares (elle est toujours utili­sée sur les harpes, dans un contexte très enca­dré). Or, sans parler de la consi­dé­ra­tion de la vie animale, il se trouve qu’on parle là de boyaux d’ovins qui, en termes d’éma­na­tion de gaz à effet de serre, sont encore plus problé­ma­tiques que les bovins… Bref, on n’est visi­ble­ment pas sorti de l’au­berge sur ce point précis, sachant qu’une guitare clas­sique sans cordes, ce n’est jamais rien qu’un gros et joli bout de bois qui peut éven­tuel­le­ment servir de percus­sion…

evolution de la production de pe trole des fournisseurs de l ueNul doute que le génie humain trou­vera des solu­tions à ces problèmes qui vont toucher bien d’autres secteurs que ceux de la musique (la pêche notam­ment, mais aussi la chirur­gie, etc.), mais il va falloir faire vite car si le pic du pétrole conven­tion­nel a eu lieu en 2008, celui du pétrole de schiste et des sables bitu­mi­neux aura lieu dans les toutes prochaines années. Que prévoit-on ensuite ? Une décrois­sance struc­tu­relle, c’est à dire une baisse de la dispo­ni­bi­lité de la ressource, menant à une hausse de son prix dans un premier temps, puis à son aban­don rela­ti­ve­ment brutal lorsqu’elle ne présen­tera plus d’in­té­rêt finan­cier à être exploi­tée… Et quand on sait que cette ressource demeure aussi notre prin­ci­pale source d’éner­gie, on comprend la complexité du problème qui va très vite se poser à nous…

Et il va se poser bien au-delà des cordes évidem­ment : dans le monde de l’au­dio parti­cu­liè­re­ment, et de l’élec­tro­nique à plus forte raison, le plas­tique reste omni­pré­sent par exemple, ne serait-ce que dans les touches de claviers, les pads, les boutons, les gaines de câbles, etc. Il y a fort à parier que le temps des contraintes venues, vu que l’ave­nir est au « zéro plas­tique », certains se tour­ne­ront vers les bioma­té­riaux que le nautisme ou la navi­ga­tion explorent actuel­le­ment, mais ce virage n’est toujours pas amorcé (même si l’on voit certains acteurs s’in­té­res­ser aux maté­riaux recy­clés, comme Artu­ria par exemple) et plus le temps passe, plus il faudra prendre un virage serré… Et il faudra peut-être prendre bien d’autres virages encore face à la pénu­rie de maté­riaux que les profes­sion­nels de l’ex­trac­tion nous promettent, face à des régle­men­ta­tions concer­nant l’usage de substances dont on découvre peu à peu l’ex­trême toxi­ci­té…

Entre tran­si­tion et rupture, le future de la factu­re…

Vous l’au­rez compris : pour des raisons d’en­vi­ron­ne­ment comme de ressources ou d’éner­gie, la produc­tion future de nos maté­riels et instru­ments devra se réin­ven­ter en bonne partie sur le plan tech­no­lo­gique si elle veut passer dans les prochaines décen­nies cette phase de « tran­si­tion » qui, sur bien des points, prend des airs de rupture. Cela impliquera très proba­ble­ment de ne plus consi­dé­rer la perfor­mance ou le prix comme les prin­ci­paux objec­tifs de fabri­ca­tion, mais plutôt ceux de la dura­bi­lité et de l’éco­no­mie de moyens comme l’em­preinte écolo­gique sur tout le cycle de vie du produit. Face à ces pros­pec­tives, la seule chose qui soit réel­le­ment acquise à l’heure actuelle, c’est ce qui existe déjà et qu’il faut conser­ver comme un précieux leg de la Terre aux musi­ciens. De la sorte, il s’agit d’en­vi­sa­ger cette écono­mie non plus sous le seul angle de la produc­tion mais aussi sous celui de la conser­va­tion et de la redis­tri­bu­tion, non par choix, mais par bon sens bien­tôt, et très proba­ble­ment par néces­sité ensuite. Et lorsque ces ques­tions vien­dront, il s’agira de se rappe­ler que cette guitare ou ce synthé qui sont les vôtres ne vous ont jamais appar­tenu quoi qu’en disent vos factures. C’est la Terre qui vous les a prêtés, bon gré mal gré.

Consi­dé­rant les habi­tudes des géné­ra­tions les plus jeunes, à plus forte raison quand la crois­sance écono­mique n’a rien d’une évidence désor­mais, il est fort probable en outre qu’on passe, sur les instru­ments et le maté­riel aussi, d’une écono­mie de produit à une écono­mie de service : ne plus possé­der un maté­riel forcé­ment, mais le louer le temps qu’on en a l’usage, ou se le faire prêter, ce qui pour­rait redon­ner de l’im­por­tance à pas mal de struc­tures dans la musique : asso­cia­tions, MJC mais aussi studios ou écoles, loueurs… Les écoles s’y sont mise depuis long­temps, le monde du logi­ciel commence à explo­rer cela, et la loca­tion entre parti­cu­liers pointe timi­de­ment le bout du nez, de manière plus ou moins formel­le…

solidarity-playlist-picGageons enfin que, comme pour toutes les autres problé­ma­tiques d’en­vi­ron­ne­ment, et peut-être plus encore sur ce point précis, c’est vrai­ment l’in­gé­nio­sité humaine qui va être mise à contri­bu­tion car, quand il n’y aura vrai­ment plus de pétrole, comme de pas mal d’autres choses, oui, il faudra vrai­ment montrer qu’on a des idées…

Or, il se trouve qu’il y a déjà pas mal de gens qui, prenant acte des chan­ge­ments qui s’an­noncent sans se cris­per sur les vieux modèles sans avenir, sans attendre non plus le soutien d’élites qui tardent à s’in­ves­tir, se grattent la tête et trouvent, à leur petits niveaux, de vraies solu­tions à quan­tité de choses.

Et ils le font sans reve­nir en arrière tech­no­lo­gique­ment comme le cari­ca­turent certains, mais en tour­nant le dos au produc­ti­visme dépassé des années 50 et en explo­rant les terri­toires vierges des tech­no­lo­gies sobres où il n’est plus seule­ment ques­tion de perfor­mance pure, mais d’un rapport entre la perfor­mance et les moyens mis en oeuvre, entre l’ef­fi­cience d’une solu­tion et son empreinte écolo­gique : Pikip fait cela, Berg fait cela, comme quan­tité d’autres qui se sont remon­tés les manches. Et cela est d’au­tant plus inté­res­sant qu’on voit les David reprendre des couleurs face aux Goliaths de l’in­dus­trie, car si une grosse société dispose de plus de moyens, de ressources en R&D et de visi­bi­lité qu’une struc­ture plus petite, elle n’a pas son agilité à l’heure de se remettre en ques­tion et peut souf­frir de bien plus de contraintes et de lour­deur. En regard de cela, les prochaines années s’an­noncent passion­nantes, et même enthou­sias­mantes une fois qu’on envi­sage qu’à toutes les échelles des problèmes qui se pose­ront à nous, les valeurs humaines d’in­tel­li­gence, de coopé­ra­tion et de partage, seront au coeur de toutes les solu­tions.

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