Face aux problèmes environnementaux, il y a les élites qui parlent beaucoup mais ne font rien. Et puis il y a celles et ceux qui se remontent les manches pour inventer le futur d'une musique responsable à leur petite échelle, celles et ceux aussi qui ont depuis longtemps compris l'importance de la durabilité... Hommage soit rendu à ces gens de bonne volonté !
Ce mois Vert aura été l’occasion de soulever nombre de problèmes environnementaux posés par la musique et l’audio ou les impactant directement. Et si tous n’ont pas, loin de là, encore trouvé leur solution, cela n’empêche pas des hommes et des femmes de se gratter la tête et de se remonter les manches pour agir dans le bon sens, plutôt que de baisser les bras, de rester stoïques, de s’en remettre aux élucubrations sciencefictionnesques des vendeurs de rêve, ou pire, d’être dans le déni…
Cet article a donc pour double objectif de rendre hommage à ces gens de bonne volonté qui ne manquent jamais de se dresser dans les temps difficiles, comme de nourrir vos réflexions sur la possibilité de faire de la musique ou de l’audio autrement. Parce que s’il est bien complexe de réparer les dégâts causés par Sapiens en quelque 300 000 ans, le terreau des idées demeure fertile pourvu qu’on y sème les bonnes graines avec tout l’espoir et la bienveillance qui conviennent.
Coup de chapeau bien bas à tous ceux qui sont présentés ci-dessous et qui, à leur petite échelle, dessinent le chemin des possibles. Loin du siècle des lumières, nous voici donc face au siècle des éclaireurs…
Les pionnier·ère·s de la musique verte
Jonathan Berg, Bruno Glandy et Pierre Woreczek de Berg Guitares
Faire des guitares haut de gamme dans le style Vintage en travaillant à plus de 90% en local : c’est le pari fou et tenu par Jonathan Berg et ses acolytes à Pontoise, où un grand savoir-faire de lutherie s’appuie sur une éthique sans compromis dans le respect de l’environnement : quasiment zéro plastique, récupération de old stocks, usage de biomatériaux et de bois locaux, recyclage des cordes, peintures respectueuses de l’environnement, micros facilement changeables. Tout concourt à faire de ces guitares des petites merveilles et de l’entreprise Berg Guitares un modèle du circuit court et local qui est clairement l’avenir de la guitare. Retrouvez l’interview d’un des fondateurs de la marque juste ici.
Laurent Cabrillat de Hey! Studios
Plus connu sour le nom du Larron, Laurent Cabrillat est aussi le fondateur des studios Hey! à Bordeaux qui sont le parfait modèle d’une structure qui, après mûre réflexion et analyse des enjeux qui sont ceux de notre époque, a fait l’objet d’une écoconception qui sera vraisemblablement imitée par tous les studios de demain. Localisation pensée pour un accès en vélo depuis une grande agglomération bien desservie en termes de transports, optimisation du chauffage et de la consommation électrique, achat d’occasion de la plupart des équipements, Do It Yourself : tout concourt à faire de ce lieu un studio modèle et même plus que ça ; un lieu d’échange laissant une grande place à l’humain, au partage et à la rencontre, soit le terreau fertile d’une culture vivante et responsable.
Léopold Foucault du CNM
Le Centre National de Musique a pour mission de soutenir les professionnels de la musique et des variétés dans leur développement en France et à l’international. Et en ces temps de questionnements environnementaux, cela passe aussi par le fait d’analyser les enjeux de la transition écologique comme de subventionner les initiatives qui y concourent. Après avoir participé au rapport « Décarbonons la Culture ! » du Shift Project, Léopold est devenu le monsieur « transition écologique & développement durable » du CNM, motivé par le fait de comprendre les enjeux du secteur et d’imaginer avec ses acteurs le futur responsable de l’industrie musicale.
Fanny Reyre-Ménard et Coraline Baroux-Desvignes du CSFI
Avec le concours du CNM, la Chambre Syndicale des Facteurs d’Instruments a été le premier acteur à organiser une table ronde sur le sujet de la transition écologique dans la facture instrumentale, sous la houlette de Fanny et Coraline. Mais on doit aussi au CSFI des études sur l’économie du secteur comme des combats pour défendre les intérêts des fabricants d’instruments dans un monde de règlementations complexes tels que le CITES. Bref, un organisme appelé à jouer un rôle majeur, aux côté du CNM, dans la transition écologique de la facture instrumentale…
Jérémy Cabaret et Romain Viala de l’ITEMM
À l’Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique, on ne se contente pas de former des accordeurs ou des techniciens, on conduit aussi des recherches scientifiques poussées sur les matériaux utilisés en lutherie comme en facture d’instrument, sous la houlette du passionné Romain Viala, pour comprendre ce qui fait leurs qualités acoustiques et imaginer les matériaux de demain, qu’il s’agisse de bois locaux ou de composites plus respectueux de l’environnement. Et le mieux, c’est que l’ITEMM propose de nombreuses formations pour s’initier à ces nouvelles approches, réenvisager les choses qui nous semblaient acquises sous un œil neuf et salutaire. Bref, un lieu de formation de la première importance pour l’avenir des instruments, et donc de la musique…
Dieter Klotz de Klotz
Chez Klotz, on fabrique des câbles de toutes sortes, mais on ne les fabrique pas n’importe comment ni n’importe où. Désireuse de passer à une énergie décarbonnée, la société Munichoise s’est ainsi équipée de ses propres panneaux solaires qui produisent 54% de son électricité. Et la démarche est d’autant plus efficace que l’usine dispose d’un système de pompe à chaleur optimisant le chauffage. Comme souvent, l’écologie rejoint l’économie en ces temps où la facture énergétique allemande s’alourdit. Et c’est d’autant plus vrai que le fabricant, devant agrandir ses locaux, s’est aperçu qu’en utilisant un système d’étagères modulaires pour ses stocks, il pouvait éviter la construction d’un nouveau bâtiment. Bref, la démarche est intelligente, et elle se double en outre d’une communication qui ne l’est pas moins : sur le Chanel Youtube de Klotz, on trouve ainsi des tutos pour souder soi-même ses cordons, alors même que le fabricant vend des cordons ! Rien que ce geste en faveur du DIY mérite un beau coup de chapeau…
Julien Lebrun et Jacques Carbonneaux de l’APLG
L’Association Professionnels des Luthiers artisans en Guitare et autres cordes pincées rassemble des hommes et des femmes qui ont l’amour du bois comme des forêts, et ce n’est pas un hasard du coup si des projets intéressants ont vu jour en ce sens, comme celui qui, avec le concours de l’ONF, a permis à des luthiers de récupérer des bois précieux de Bourgogne alors qu’ils étaient destinés à devenir du bois de chauffe…
Fred Kopo de KoPo Guitar
Longtemps à la tête de l’APLG et soucieux de produire des guitares écoresponsables, Fred Kopo a été l’un des premiers à se réintéresser aux qualités acoustiques des essences de bois locales pour faire des instruments de premier ordre, ainsi qu’à des composites comme son fameux KLAS à base de lin (Kopo Linen Acoustic Solution) ou à des bioplastiques. Un pionnier donc, qui montre s’il était besoin, que nous devons changer pas mal d’a priori que nous avons sur les bois de la facture instrumentale et que bousculer les traditions ne se fait pas au détriment de la qualité… Consultez son site pour plus d’infos.
Benjamin Énault, Fanny Fournier et Bertrand Habart de Music for planet
#Music4Planet est un mouvement dédié à la question de l’environnement dans la pratique musicale, désireux de réunir tous les acteurs conscients de ces enjeux. Mais c’est aussi un podcast qui s’est spécialisé sur ces sujets et qui va à la rencontre de nombreux acteurs qui inventent la musique de demain en bougeant leurs petites fesses vertes. Si vous avez soif d’infos sur le sujet, c’est donc le parfait moyen de poursuivre ce Mois vert de votre côté, et de venir en parler sur Audiofanzine !
Julien Feuillet et Maatea Stabile de Pikip
Chez les Marseillais de Pikip, on propose des systèmes de diffusion capable de sonoriser des festivals et des concerts avec la seule énergie du soleil ! Pour arriver à ce petit miracle, la R&D du fabricant est repartie d’anciennes solutions en y appliquant quantité d’inventions plus récentes en plus de technos propriétaires, qu’elles soient acoustiques ou électriques. Seule limite : la capacité de sonoriser des événements de 1500 à 3000 personnes max ? Ça tombe bien ! C’est vraiment le genre de public qu’il faudrait désormais accueillir au maximum si l’on veut en finir avec les festivals et concerts désastreux sur le plan écologique à cause du transport qu’ils génèrent. Retrouvez l’interview de Pikip juste ici.
La ressourcerie du spectacle
Une ressourcerie, c’est un espace de collecte, de réemploi et de revente d’objets usagés, soit le B.A.BA de l’action sociale et solidaire, et le modèle à promouvoir lorsqu’on parle d’économie circulaire. Bref, vous comprendrez fort bien comme le fait d’avoir une ressourcerie du spectacle à Vitry est précieux, sachant qu’on y trouve du matos audio, des éclairages, mais aussi divers équipements et accessoires du spectacle, en vente ou en location. Mais c’est encore un lieu d’échange, de transfert de connaissance et de projets : bref, un véritable poumon associatif pour le secteur culturel responsable…
Thierry Le Guenne de Ted Guitars
Chez Ted, on mise tout sur l’aluminium, un métal que l’on sait parfaitement recycler, et dont pas un seul copeau ne finit pas par être fondu pour faire la guitare, ses potards ou ses sélecteurs. Même la plaque découpée finit par faire un Flight case original. Seul problème : l’alu demeure un peu rigide pour faire une sangle, d’où l’idée de réutiliser des pneus de vélo tout terrain. C’est malin, ça marche super bien et niveau look Mad Max, il n’y a pas grand-chose à redire sur cette très bonne idée !
Hubert Buyssens de Vaudoo Audio
Le problème avec les instruments actifs, c’est non seulement qu’il ne faut pas oublier de les laisser brancher sous peine de vider les piles qu’ils utilisent, mais c’est aussi qu’avant un concert, on n’est jamais bien sûr que les piles en place vont tenir. Alors on les change par sécurité, ce qui mène à une surconsommation de piles d’autant moins écologiques que ces dernières sont des produits très polluants et complexes à recycler. Pour éviter cela, Hubert Buyssens a imaginé le boîtier Power Block qui remplacera facilement votre compartiment à pile et qui fonctionne sur une batterie longue durée, rechargeable en USB et disposant d’un témoin de charge… Cerise sur le gâteau : le petit boîtier évite la chute de tension qui s’opère à mesure que les piles s’épuisent. Bref, une solution nettement plus durable qui devrait, on le souhaite, intégrer tous les instruments actifs du marché (d’autant plus qu’une version « luthier » est disponible avec des specs et des possibilités d’intégrations plus poussées, notamment pour s’adapter aux instruments électroacoustiques)… Plus d’infos sur le site du fabricant.
« Le Chat » de La Charlek
La Chartek, c’est une régie son et lumière éco-responsable et autonome en électricité grâce à l’usage de panneaux solaires… et de vélos générateurs sur lesquels le public se relaie pour produire l’énergie nécessaire ! Le but, c’est évidemment de sensibiliser à l’autonomie électrique, mais aussi et surtout de se produire dans des lieux insolites où il n’y a pas d’électricité, sachant que trois formules existent pour générer 600, 2000 ou 2600 watts de puissance, avec plus ou moins de vélos ou de panneaux capables d’alimenter plus ou moins d’équipement… Une idée géniale dans ce qu’elle permet de se rendre conscience de la difficulté de produire de l’énergie tout en solidarisant artistes et public !
Et beaucoup d’autres…
À cette liste, on pourrait encore ajouter bien d’autres acteurs qui ont parfois fait de l’éco-responsable sans forcément l’envisager comme telle, juste en concevant des produits durables dont ils assuraient un suivi exemplaire : RME a toujours fait fort sur ce point, de sorte que leurs interfaces battent des records de longévité parce qu’elles sont solides et que le constructeur ne cesse de mettre à jour ses drivers pour suivre l’évolution des OS… On aura une mention spéciale aussi pour ces constructeurs qui fournissent des pièces détachées pour leurs produits. L’increvable HD-25 de Sennheiser est exemplaire sur ce point, car tout ou presque y est démontable et remplaçable. Et l’on se demande bien pourquoi tous les casques ne sont pas pensés de la même manière, chez cette marque comme chez les concurrents, car cela devrait être la base de toute conception…
On pourrait parler encore des nombreux fabricants de guitares qui, au-delà de leur engagement dans des projets de préservation de forêt, ont sorti des instruments faits avec des bois locaux (Martin, Taylor, etc.), ou encore de Genelec qui, avec la série RAW, a eu la bonne idée de proposer ses moniteurs en finition brute, sans aucune peinture ni vernis alourdissant le bilan écologique de l’enceinte… Seul bémol à cela : pourquoi ne pas définitivement adopter ces partis-pris d’avenir sur l’ensemble de la marque et ne les cantonner qu’à une série spéciale ou à quelques modèles ? Sans qu’on puisse parler de greenwashing, cela donne l’impression que les produits « eco-friendly » sont parfois plus là pour cibler un marché de niche que par réel engagement de la marque, un peu comme les rayons bio qu’on trouve dans les supermarchés. Il ne s’agit pas bien sûr de décourager ces évolutions qui vont dans le bon sens mais de bien souligner que l’écoconception ne doit pas être pensée en premier lieu comme une opportunité marketing.
Parmi les acteurs importants de la musique verte, on n’oubliera pas de mentionner le formidable travail accompli par de nombreux Festival écoresponsables qui, au-delà de leur programmation musicale, informent sur les sujets de l’écologie et se creusent la tête pour avoir l’empreinte la plus faible possible : Delta, Cabaret vert, Solidays, We love green, Terre du son, Climax.
Ce faisant, on se rend compte toutefois des limites de la croissance en matière d’événementiel : un festival qui devient trop gros d’année en année finit par générer tant de transports que les émissions et la pollution de ces derniers ne sauraient être compensées par quelque geste que ce soit…
Et beaucoup d’autres encore…
Cet article n’a certainement rien d’un annuaire et il passe très probablement à côté de quantités d’initiatives et de gens qui se mobilisent pour faire avancer les choses dans le bon sens. N’hésitez donc pas à vous manifester ou à dénoncer ces derniers dans les réactions à cet article, car ils ne l’ont certainement pas volé ! ;)