Quand il est question d’orchestre virtuel, on évoque la plupart du temps East West ou la Vienna Symphonic Library. Il existe pourtant un certain nombre d’éditeurs au moins aussi exigeants sur la qualité, dont un qui est en train de créer au fur et à mesure un orchestre imposant. Parlons donc de la BML signée Spitfire Audio.
Chez Audiofanzine, on s’applique le plus possible à suivre toutes les tendances et nouveautés concernant l’orchestre virtuel. Nombre de produits rangés sous cette catégorie ont déjà été testés, d’autres non, pour raison de manque de nouveautés, ou à cause du silence radio des éditeurs. Histoire aussi de rappeler qu’en dehors des deux locomotives que sont VSL et EastWest, occupant brillamment le terrain grâce à des actualités produits régulières et une science indéniable du marketing, il se trouve nombre de propositions qui ne sont pas que de simples alternatives, mais de réelles solutions complètes, offrant souvent des propositions dont on ne dispose pas chez les deux premiers.
Qu’il est long le chemin parcouru depuis la Rom orchestrale du Kurzweil K2500, le rack Virtuoso d’E-mu, les bibliothèques Peter Siedlaczek’s Advanced Orchestra Vol. 1–5 pour Akai/Roland ou le Miroslav Vitous Symphonic Orchestra proposé sous de multiples formats (chez IK Multimedia maintenant, sous le nom de Philharmonik) et quelques autres, jusqu’aux lecteurs d’échantillons type exs24 d’Emagic/Apple, Gigasampler, Kontakt de Native, HALion de Steinberg, Play d’EastWest, MachFive, le player VSL, qui lisent les bibliothèques comme la Vienna Symphonic Library, les HALion String Edition, Kirk Hunter Diamond Orchestra, Audiobro LASS, 70 DVZ Strings d’Audioimpressions, EWQL Symphonic Orchestra ou la série Hollywood, Project SAM Orchestral Brass, Sonic Implants Symphonic Collection, Adagio ou Colin O’Malley’s Claire chez 8DIO, Orchestral Tools ou Sonokinetic. Sans oublier les efforts de la modélisation comme le Synful Orchestra, le Wivi Player de Wallander et les hybrides tels ceux de Sample Modeling (on trouvera facilement sur Audiofanzine de nombreux tests consacrés à la plupart de ces banques).
La qualité atteinte actuellement est assez incroyable et l’offre est un vrai casse-tête pour tout utilisateur potentiel ou embarqué dans l’aventure, puisqu’il peut devenir très difficile de faire un choix parmi tous les produits commercialisés. Le tour d’horizon commencé depuis quelques années devrait, on l’espère, éclaircir un peu la situation.
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Et les « petits » éditeurs ne restent pas inertes, même si c’est le « bruit » des plus gros qui parvient avant tout. Ainsi de Spitfire Audio ; après sa série haut de gamme Bespoke, le lancement de Spitfire Percussion, puis la série Albion, Vol.1, Albion II Loegria et Albion III Iceni, l’éditeur se décide à présenter un projet sur le long terme qui en impose, la BML pour British Modular Library.
Après la série Albion qui procédait principalement par blocs de couleurs orchestrales, par sections mélangées, même si on pouvait trouver aussi des instruments séparés, la BML offre un orchestre extrêmement détaillé, pupitre par pupitre, sur plusieurs volumes (on ne connaît pas encore le nombre de ceux-ci), et bénéficiant des mêmes musiciens (issus du London Symphony Orchestra, du London Philharmonic Orchestra ou du Royal Philharmonic Orchestra) et des mêmes lieux, les mythiques Air Studios de George Martin, que les séries précédentes, ce qui permettra de mixer ou remplacer des parties globales par des éléments séparés. Revue de détails des cinq premiers volumes.
Introducing Spitfire Audio British Modular Library
Les bibliothèques sont conçues pour Kontakt (version complète seulement, à partir de 4.2.4), enregistrées en 24 bits/96 kHz et proposées en 48 kHz, selon sept positions de micros (close, close ribbon, stage, decca tree, ambient, outriggers et gallery), via une série de microphones vintage à lampes et à ruban, dans des préamplis Neve et convertis via des interfaces Prism. L’éditeur fourni aussi des versions « prémixées » en stéréo et en surround 5.1, l’ensemble des prises étant proposé au téléchargement selon un rythme assez étalé dans le temps, ce qui permet de ne télécharger que les fichiers dont on a besoin (pas la peine de prendre du multicanal si l’on n’a pas d’installation idoine). On peut ainsi disposer de plusieurs configurations selon que l’on utilise un portable ou une tour.
Par exemple, le Vol.1, regroupant les articulations principales des premiers violons et des violoncelles (les listes complètes sont sur le site de l’éditeur, comme celle-ci) est disponible sous la forme de quatre packs de téléchargement, pour un total de 60 Go de fichiers compressés via l’algorithme de Native Instruments (format .ncw, donc à peu près le double en format non compressé).
Le téléchargement s’effectue via le gestionnaire de Continuata (très pratique, à la différence de certains éditeurs n’offrant qu’un paquet de plusieurs Go), l’autorisation étant superflue selon l’éditeur, puisque tous les fichiers sont watermarkés. Ce qui veut dire aussi que l’on peut installer la bibliothèque sur autant de machines que l’on veut.
Les volumes disponibles à la date de ce test sont les BML201 (Horn Section Vol.1), BML203 (Low Brass), BML301, BML302 et BML303 (Sable, banques de cordes). Le BML101 (Flute Consort Vol.1), consacré à la flûte, est dans les tuyaux. On se reportera pour quelques fonctions aux précédents tests sur AF, tels que ceux d’Albion et d’Iceni III.
Tous à la parade commune
On l’aura lu, la première richesse est la diversité de prises ainsi que la cohérence sonore avec les premières bibliothèques de l’éditeur. C’est ensuite la diversité d’articulations qui fera tout l’intérêt. Ainsi que la proposition récurrente d’un instrument regroupant toutes les articulations, d’un ensemble de présets offrant toutes les articulations une par une, d’un ensemble dit économique (idéal pour travailler rapidement, en déplacement ou autre, présets économiques qui pourront être remplacés par les plus détaillés une fois de retour en studio) et un ensemble généralement nommé Other Brushes (l’éditeur a retenu ce nom, Brushes, qu’il remplace parfois dans le manuel par Patches) qui propose des programmes complémentaires, dont certains spécifiquement conçus pour la superposition avec les anciennes bibliothèques.
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L’interface est aussi commune, offrant l’accès aux réglages d’articulations, de mixage et de contrôles, ou à l’Ostinatum (voir encadré). On dispose d’une ligne, une portée (nommée Stanza par l’éditeur) affichant les différentes articulations disponibles, les petits symboles sous la portée indiquant leur statut (chargées ou non). Mêmes indicateurs pour les prises de son, entre trois ou quatre suivant les différents packages de l’éditeur (Main Mics, Alt Mics, Mix Mics, Surround Mics). On peut, grâce à un petit symbole placé au-dessus des curseurs de mixage, créer un mix par articulation ! L’autre symbole permet de régler la largeur stéréo et le placement de la balance.
Viennent ensuite les divers réglages de transposition, de mapping de contrôleurs, avec visualisation des trois ou quatre principaux (Dynamics, Vibrato, Speed et Expression), les fonctions de Round Robin (il n’est pas rare de trouver huit échantillons de round robin pour les Staccato et Staccatissimo).
Un par un
Commençons par la première bibliothèque (l’avant-dernière sortie, en fait), Horn Section Vol 1. L’éditeur n’a proposé pour le moment que les Main Mics. La banque offre un ensemble de deux cors ainsi qu’un soliste, permettant de reproduire plusieurs tailles de pupitres selon que l’on joue une ou deux notes. Au menu de l’ensemble, pas moins de 15 articulations, des legato aux trilles, en passant par les sourdines, trilles, rips (la taille variant avec la molette de modulation), multi-tongue (le nombre de coups de langue change suivant la position de la molette), marcato, bells up, etc. Voici un premier exemple, utilisant les samples Long, Cuivre, Staccatissimo et Rips. Précision : autant que possible, les exemples reprendront ceux utilisés pour les tests d’orchestres virtuels précédents, en rappelant ici qu’aucun effet ne sera rajouté, et que l’on n’entendra que les prises de son disponibles.
Le cor solo est lui moins fourni, puisque n’offrant que cinq articulations, mais il compte la plus importante, l’indispensable legato. Il ne dispose pas non plus de l’Ostinatum. Voici un exemple d’abord avec la seule position Close, puis un mélange de toutes.
Autre volume, le dernier réalisé, Low Brass, dont seuls les Main Mics ont été mis en vente. Au menu, du beau grave, puisque l’on trouve un trombone contrebasse, un tuba, un cimbasso solo et un ensemble de deux cimbassos. Le trombone contrebasse est à coulisse, le cimbasso est aussi un trombone contrebasse, mais à pistons ou à palettes. Verdi ou Wagner nous voilà ! Oui, enfin, euh, façon de parler…
Un premier extrait du CB Trombone, micro Tree, puis un mélange des quatre prises.
La même chose avec le Cimbasso.
Pour en finir avec les cuivres, voici le Tuba solo.
S’il n’y a pas grand-chose à reprocher à l’éditeur en termes de sonorités, d’articulations ou de prises de son, on pourra toutefois noter quelques bouclages par trop audibles. Sans toutefois arriver au niveau de certains produits EastWest ou d’autres éditeurs (voir tests sur AF), dans lesquels les bouclages ne font pas simplement entendre une boucle, mais des clics ou des artefacts.
Afin de lever toute ambiguïté, voilà ce que l’on peut qualifier de bouclages audibles chez Spitfire.
Ces bouclages sont différents pour chaque note, d’un point de vue temporel, ce qui permet d’ajouter une certaine « vie » lors d’une partie à plusieurs voix, mais interdit aussi du coup les belles synchros d’exécution (notamment sur les poussés-tirés d’archet, mais n’allons pas trop vite).
Attention aussi à ne pas dépasser la durée standard d’une tenue sur un instrument à vent : un triple forte régulier de 20 secondes sur un tuba, comment dire… Du coup, l’on reste dans la plupart des cas dans une durée avant bouclage audible à peu près raisonnable.
Rappelons aussi qu’on ne dispose pour ces volumes, et pour l’instant, que des micros principaux.
Corps à cordes
L’ensemble de cordes, nommé Sable, constitué des volumes BML301, BML302 et BML303 est, à l’heure du test, le plus complet. En effet, les différents packages ont été fournis par l’éditeur, Main Mics, Alt Mics, Mix Mics, le volume 1 en étant d’ailleurs déjà à sa version 1.1, et offrant le Surround.
Et l’on aurait tendance à dire qu’il est le plus complet dans tous les sens du terme. En effet, le principe a été de sortir dans le Vol.1 toutes les articulations basiques pour les premiers violons et les violoncelles, dans le Vol.2, toutes celles pour les seconds violons, les altos et les contrebasses et dans le Vol.3, des techniques de jeu supplémentaires et des effets pour tous les instruments. Du coup, la profusion d’articulations impressionne, car on est à peu près sûr de trouver ce dont on a besoin (à l’exception de techniques trop pointues et rencontrées uniquement dans un contexte très contemporain).
Ne pouvant faire entendre toutes les articulations de tous les pupitres, on se contentera des premiers violons avec, dans l’ordre, Legato, Long, Long Con Sordino, Long Harmonics, Spiccato, Spiccato Feathered, Staccato, Staccato Dig, Short Con Sordino, Pizzicato, Pizzicato Bartok, Col Legno, Flautando, Tremolo, Trill Major, Trill Minor, Legato (Fast), Legato (Runs), Legato (Tremolo), Long Molto Vibrato, Marcato Attack, Sul Ponti, Sul Ponti Distorted, Tremolo Sul Ponti, Tremolos 150 BPM, Tremolos 180 BPM, Trills Minor 3rd, Trills Perfect 4th, Disco Falls, Slides, Runs, Tense Longs, FX ! Ouf.
L’ensemble présente une belle musicalité, et semble sans concurrence quant au nombre et à la qualité de ses articulations. Les scripts fonctionnent bien, qu’il s’agisse du legato ou des round robins. Le taux de notes ou de bouclages « ratés » est le plus bas rencontré dans tous nos tests de banques orchestrales, ce qui n’est pas rien. Paramètre à prendre en compte quand même : le Memory Server de Kontakt, si utilisé, affiche 5,17 Go…
Et il ne s’agit là que des premiers violons !
Bilan
Avec BML, l’éditeur frappe un grand coup. Certes, le budget pour la totalité de l’orchestre représentera une certaine somme (inutile de demander combien, n’ayant pas cette info, ni le nombre de volumes prévus). Pour les volumes déjà sortis, voici les tarifs : BML201 (Horn Section Vol.1, 169 £), BML203 (Low Brass, 184 £), BML301, BML302 (Sable Vol1 et 2, 399 £ chaque) et BML303 (Sable Vol.3, 299 £). Soit 1450 £, à peu près 1715 euros (sachant qu’il y a diverses promos, bundles, etc.). Oui, cela peut paraître élevé. Mais ça ne l’est pas si l’on pense qu’il n’existe pas d’équivalent réel par le nombre de prises microphoniques, la variété et le nombre d’articulations, la stabilité et la puissance du player, et aussi la possibilité d’installer sur autant de machines que désiré, chose impossible à faire avec les iLok ou e-Licenser de la concurrence, impliquant le rachat d’une clé et d’une licence plein pot… Et pour rappel, un Symphonic Cube chez VSL, seul concurrent potentiel (par le nombre d’articulations mais pas de prises de son) quand BML sera complète, vaut la bagatelle de 6000 euros.
Quelques petits défauts, certes, notamment dans certains bouclages, mais rien de rédhibitoire comme chez certains, et une puissance, une qualité et une variété qui restent sans égal. Un orchestre de luxe, dans tous les sens du terme, pour la bonne cause et pour un public qui pourra en amortir le coût dans ses productions.