Plus de dix ans après la première version conçue à partir de l’orchestre virtuel réalisé par Miroslav Vitous en 1999, IK Multimedia propose Miroslav Philharmonik 2. Cet orchestre peut-il lutter avec les nombreuses bibliothèques actuellement disponibles ?
Indéniablement, avec le piano et la batterie, l’orchestre est l’« instrument » le plus décliné sous forme virtuelle. La quasi-totalité des grands éditeurs de logiciels s’est en effet confrontée à la création d’une version personnelle de l’orchestre échantillonné (voire modélisé), en employant souvent les grands moyens, tant en termes de ressources humaines et musicales mobilisées que d’un point de vue purement technique, résultant souvent en un logiciel dédié, ou des scripts conçus — ex nihilo — lors de l’utilisation d’une plateforme licenciée auprès d’un éditeur spécialisé.
Ainsi de VSL et son excellent VSL Instrument Pro (hélas réservé à ses bibliothèques maison), de Wallander Instruments et son Wivi Player, d’East West qui a conçu tous ces orchestres autour de sa plateforme maison Play (voir les tests du Platinum Orchestra, de Hollywood Brass ou Hollywood Silver Strings), Best Service qui a proposé son Miroslav String Ensembles sur Engine (issu d’Independence de Yellow Tools), Sample Modeling qui construit instrument par instrument son orchestre via Kontakt d’abord, puis le SWAM Engine, UVI et son UVI Workstation pour les instruments de l’IRCAM, et la majorité des autres éditeurs travaillant avec Kontakt de Native Instruments, comme (liste non exhaustive, prenant surtout en compte les produits testés sur Audiofanzine), BML de Spitfire Audio, Audiobro et ses LASS, Impact Soundworks et Bravura Scoring Brass, la série Berlin ou les Orchestral String Runs d’Orchestral Tools, jusqu’à Native lui-même, en partenariat avec Soundiron ou Audiobro pour sa Symphony Series, avec Brass Collection ou String Ensemble, Kirk Hunter et ses Concert Strings et Brass, Cinesamples, Sonokinetic, Steinberg avec HALion Strings, 8DIO, Project SAM avec Orchestral Essentials, Symphobia, etc.
Le rachat (ou l’achat de licence) par IK Multimedia des bibliothèques de Miroslav Vitous (dont la première mouture remonte à 1993…) a résulté en un instrument virtuel conçu autour de la version de SampleTank disponible à l’époque, Philharmonik.) La bibliothèque originelle avait été enregistrée avec le Czech Philharmonic Orchestra dans le mythique Dvorak Hall à Prague. Les six CD d’origine étaient conçus pour les échantillonneurs Akai, puis furent rapidement portés sous d’autres formats. L’éditeur italien avait offert des enregistrements supplémentaires (provenant de laissés pour compte de l’originale, ou nouvellement enregistrés par Vitous lui-même) pour une banque proposant 1 300 instruments sur 7 Go de données (compressées suivant un processus maison). L’intégration avec SampleTank permettait de disposer de toutes les forces du ROMpler, notamment en termes d’effets (avec la réverbe CSR) et de l’algorithme Stretch maison (dont les performances sont très différentes en fonction des sources).
Introducing IK Multimedia Miroslav Philharmonik 2
Autant dire tout de suite que la version 2 de Philharmonik a revu les choses en beaucoup plus grand. À nouveau réalisés sous la direction de Vitous, cette fois-ci aux Orchestra Studios du CNSO (le Studio 1, dit The Gallery), les échantillons supplémentaires sont censés présenter une acoustique moins marquée que celle de la première mouture, laissant ainsi plus de liberté à l’utilisateur.
La bibliothèque pèse maintenant 50 Go (toujours compressés), plus 6 Go constitués de Philharmonik 1 (très bonne idée de l’avoir inclus, d’autant qu’IK ne s’est pas contenté de simplement fournir les programmes basiques), offrant plus de 2 700 instruments. On achètera le logiciel sur le site de l’éditeur ou dans n’importe quelle boutique spécialisée, soit en téléchargement, soit sur disque USB. Les tarifs varient de 288 Euros pour la version upgrade depuis SampleTank 3 ou Philharmonik 1 en téléchargement, à 517 euros pour la version complète sur disque dur (419 en téléchargement, plus de détails ici).
L’installation est simple (si l’on dispose de SampleTank, autant l’installer dans le dossier de ce dernier), et l’autorisation passe par l’habituel Authorization Manager, avec le numéro de série fourni et un principe de question-réponse automatisé via une connexion internet. L’éditeur offre 10 autorisations, donc la possibilité d’utiliser le logiciel sur 10 bécanes différentes (oui, 10 !), ce qui est peut-être l’offre la plus généreuse actuellement dans le monde logiciel.
Une architecture connue
Une fois le logiciel et la bibliothèque installés (ce qui peut prendre un certain temps), on trouvera dans le dossier de destination les échantillons, les instruments, des Multis et des Patterns, afin de profiter au maximum des possibilités offertes par la plateforme SampleTank et son dérivé Philharmonik 2.
L’interface a complètement changé entre les deux versions, mais l’organisation est celle de son aîné ST3. Trois pages principales, Play, Mix et Edit permettent de choisir respectivement entre les instruments (en mode Multi, Inst, Pattern ou Live), la table de mixage virtuelle offrant 16 sorties, quatre retours d’effets et un Master, chacun doté de cinq effets d’insertion indépendants, quatre départs d’effets Pre ou Post, Pan, Mute, Solo, un fader de volume et l’assignation à l’une des 16 paires de sorties stéréo et un accès à la partie synthèse/resynthèse très puissante, et disponible indépendamment pour chacune des 16 parties pouvant être chargées dans le logiciel. On retrouve dans cette dernière toutes les fonctions qui font la force de ST3, des paramétrages des réponses aux messages MIDI (avec assignation de la vélocité à six destinations), au traitement des échantillons, avec Round Robin, choix de l’algorithme (Resampling, Pitch Shift/Time Stretch, ou Stretch, en mode Note ou Phrase), en passant par les différents filtres résonants multimodes, multipentes avec Overdrive ou les deux LFO très complets, ainsi que les deux générateurs de forme dynamique à cinq segments (AHDSR) et le type de jeu (Poly, Mono, Legato 1 et 2).
Les Macros sont évidemment toujours disponibles, proposant huit réglages ciblés, choisis comme les plus pertinents par rapport au son actuellement chargé, et pouvant répondre au contrôle MIDI de son choix via la page dédiée (avec réglage de plage de réponse). Un MIDI Learn est aussi disponible (Learn) répondant très simplement : on bouge le paramètre sur Philharmonik 2/ST3, puis le contrôleur, c’est aussi simple, merci (on pourra aussi relire le test de SampleTank 3).
Du contenu à gogo
On trouve six dossiers dans Instruments, Strings, Brass, Woodwinds, Chromatic, Piano et Miroslav Philharmonik 1 (MP 1). Les trois premiers présentent deux sous-dossiers, Ensemble et Solo, tandis que Chromatic décline les différents instruments disponibles, Classical Harpsichord, Concert Marimba, Glockenspiel, Orchestra Chimes et Vibraphone. Le piano propose Philharmonik Grand, et MP 1 regroupe Brass (Solo et Ensemble), Choirs (Male, Female, Mixed et Split), Elements (dont des bruits de respiration, de transitoires, etc.), Orchestral Sections, Other Instruments (Cathedral Organ, Classical Guitars et Harps, Harpsichord, Steinway Piano), Percussions (comprenant aussi bien des instruments chromatiques que des grosses caisses, caisses claires, cymbales, crotales, shakers, etc.), Strings (Solo, Ensemble et Mixed Orchestra) et Woodwinds (Solo et Ensemble). On le voit, c’est très complet, le mélange des deux versions (1 et 2) couvrant la quasi-totalité des instruments habituellement rencontrés en orchestre (eh non, l’enclume pour Verdi, le marteau de Mahler, la chaîne de Schoenberg ou les sirènes de Varèse ne sont pas disponibles, mais on est face là à des cas très particuliers…). On retrouvera la liste des sons disponibles à cette adresse.
On ne pourra donc pas tout entendre dans ce test, tant les sonorités sont nombreuses. Commençons cependant par les cordes, qui ont longtemps fait à elles seules la réputation des produits Vitous (avec leur son empreint de « résine », où l’archet est très présent). Prenons les Ensemble Violins : on dispose de 12 dossiers, Violins (des programmes avec KeySwitches, KS), Violins Sustain, Detache, Espressivo, Staccato, Spiccato, Pizzicato, Tremolo, Sul Pont(icello), Trills, Legato et Glissando, Intervals & Legatos. Soit l’équivalent de ce que l’on retrouve chez la concurrence, à l’exception d’une ou deux articulations (Pizz Bartok ou Con Sordino par exemple). Chaque dossier (sauf le premier sur lequel on reviendra) offre à son tour plusieurs variations, généralement diverses nuances (pp, p, mf, f, etc.) ou propositions (comme Stacc Forzato, Trills Half ou WholeStep, Detache Fast, etc.).
Le premier dossier, Violins, regroupe donc les programmes bénéficiant de KeySwitches, et l’ensemble de la bibliothèque (y compris pour les éléments Solo) est conçu selon ce modèle, quand cela est nécessaire, bien sûr (pas de KS sur un piano, ou d’autres instruments comme les Marimba, Vibra et compagnie, dans lesquels la vélocité permettra de passer d’une couche de nuance à l’autre, programmes suivis du suffixe VS). Un oubli étrange, cependant, il n’existe pas d’Ensemble English Horns KS, alors que trois articulations sont bien disponibles (Sustain, Portato, Staccato). La bonne nouvelle est que les instruments de Miroslav Philharmonik 1 ont « subi » le même traitement, et Ensemble comme Solo offrent des programmes KS et VS.
Le dossier Violins comporte lui deux programmes KS, 14 Violins Multi et 14 Violins Multi + 1st Violin, une bonne idée, même si l’on aura plutôt intérêt à rajouter une partie réalisée avec le violon solo disponible. Un mot tout de suite sur la constitution de l’orchestre, Vitous et IK Multimedia s’étant arrêtés sur une taille intermédiaire, hybride entre ceux des périodes classique, romantique et le symphonique actuel : 14 violons, huit altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses, trois trompettes, quatre cors, trois trombones et un trombone+tuba, et tous les bois par trois. Mais n’oublions pas que Philharmonik 1 est fourni, ce qui permettra de mixer les deux séries d’instruments et ainsi de reconstituer 14 premiers violons et 11 seconds violons, ou de grossir n’importe quel pupitre. On regrette alors que le nombre d’instrumentistes par pupitre dans les instruments de PH1 ne soit pas spécifié.
Revenons à nos 14 Violins Multi KS (chargeant 1,15 Go d’échantillons dans le logiciel…). Voici quelques exemples audio des différentes articulations avec changement à la volée :
Un premier constat : les sonorités legato ne sont pas particulièrement réussies. Autre constat : si l’on peut sans problème assigner le paramètre Expression (ce qui fut fait pour les exemples ci-dessus) à un contrôleur continu, il n’y a aucun programme permettant de passer d’une couche de nuances à l’autre via un tel procédé (bien plus pertinent qu’un passage par la vélocité…). Et, en se baladant dans les différents programmes, on s’aperçoit que si les KS proposent bien des changements via la vélocité, la plupart du temps, les différentes nuances sont côte à côte, ce qui est la moins pratique des solutions. On est là face à une implémentation telle qu’on en rencontrait il y a plusieurs lustres, alors que les usages ont bien changé depuis (pensons à l’expressivité et à la dynamique en continu des instruments réalisés par Orchestral Tools par exemple, avec leur True Adaptive Legato), une des limites de la plateforme SampleTank, certainement.
Bien sûr, on dispose d’un dossier présentant des gammes, intervalles, legato, etc. Mais aller chercher une articulation précise et la programmer à un endroit de la séquence diffère de jouer en direct ce que l’on souhaite. Et il y a trop de différences de tempo (et donc de timbre) entre les phrases, pour cause de resampling, ce qui demandera un gros travail pas toujours couronné de résultats probants. De plus, rien n’est synchronisé au tempo (il faudra alors utiliser les Patterns, qui ne proposent pas toutes les solutions), ce qui implique de passer par Stretch, avec analyse, sauvegarde et programmation de la durée relative (en pourcentage, pas très pratique) afin d’obtenir la bonne vitesse d’exécution. Pas vraiment un ensemble de procédures rapides, ni au goût du jour en termes de workflow.
Quelques exemples de ces intervalles et autres gammes :
Les instruments fonctionnent la plupart du temps bien les uns avec les autres, même si certains panoramiques dans PH1 sont prédéterminés, ce qui obligera à appliquer les mêmes si l’on souhaite superposer pupitres de l’ancienne et de la nouvelle version. Le piano Philharmonik Grand est une addition utile, et gagnera à être exploité en situation orchestrale plutôt que soliste, ses médiums rappelant souvent ceux de modules comme le Proformance 1+ d’E-Mu (souvenirs lointains, je n’en ai plus sous la main…). Voici un des morceaux utilisés pour les tests de pianos virtuels réalisés pour Audiofanzine, faisant entendre le préset Classic Philharmonik Grand :
Les bois se comportent plutôt bien, même si l’on regrette ici comme ailleurs l’absence de véritables instruments legato, incluant comme la concurrence des échantillons de legato/portamento à différents intervalles en jeu direct. D’autant qu’à la différence des Strings, aucun dossier Glissando, Intervals, Legatos n’est fourni… Les exemples qui suivront dans le test mélangeront jeu en direct et Patterns fournis par l’éditeur (un regret à ce propos, c’est qu’on ne puisse en changer la tonalité directement depuis le clavier, en MIDI, il faut passer par le menu déroulant) :
Les cuivres sont de qualité variable, ce qui pèche étant la plupart du temps les sons courts, dont l’arrêt est souvent brusque, peu réaliste à certaines vitesses d’exécution. On entendra quelques trompettes, cors et trombones dans l’exemple suivant.
Côté vibraphone et compagnie, les sons sont assez réussis, même si ne présentant la plupart du temps que trois nuances au maximum, mais avec différentes mailloches/baguettes et une fonction Round Robin (qui semble procéder par emprunt aux demi-tons adjacents et resampling, ou d’une couche de nuances à l’autre, plutôt que par véritable alternance entre deux échantillons d’une même note).
Chœurs, percussions et autres instruments remplissent leur travail correctement, avec quand même une mention pour les percus ; on ne peut raisonnablement pas attendre d’un tel ensemble de rivaliser avec des instruments complètement dédiés comme le Symphonic Choir d’East West ou les voix chez Soundiron et 8DIO (sur le plan des tenues seulement, ne comparons pas un principe comme le WordBuilder avec ce que ne permet pas PH2) ou avec des banques comme Berlin Percussion d’Orchestral Tools, ou la London Orchestral Percussion de Big Fish Audio (qui n’a d’ailleurs rien de « londonien » puisqu’enregistrée aux États-Unis…).
On pourra se rendre sur la page des démonstrations audio de l’éditeur, qui propose une bonne étendue des qualités (et limites) de l’instrument.
Bilan
On ne reviendra pas trop longtemps sur les qualités de la plateforme Sampletank depuis la version 3, notamment la synthèse, les effets, la table de Mix, le côté pratique des Patterns, les Macros, les KS, etc. Il faut cependant constater, malgré la réussite de la plupart des sonorités, qu’elle montre des insuffisances, notamment dans le cas de Philharmonik 2.
Les standards actuels nous ont habitués à une très grande simplicité d’utilisation, même s’il est évident qu’en dessous de la surface, les moyens à l’œuvre sont complexes. Ainsi, les bibliothèques utilisant Kontakt ou Falcon, et VSL Vienna Instruments Pro, proposent des scripts et des solutions permettant de jouer un maximum de phrases et d’articulations sans avoir à ajouter tel ou tel son à prendre dans un sous-dossier, bref de privilégier le jeu en direct à la programmation.
Si l’on est conscient des lacunes énumérées dans le test (voir aussi les Points Faibles en fin de test), il n’en reste pas moins que Philharmonik 2 propose une solution tout-en-un plutôt cohérente, qui permettra de bien débuter pour un montant relativement modéré (compte tenu du nombre et de la variété d’instruments et d’articulations disponibles). Une possibilité de premier achat, donc, mais qui n’apportera pas grand-chose aux possesseurs de produits de la concurrence (généralement bien plus onéreux).
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