Après avoir remis les pendules des B3 virtuels à l'heure, Acousticsamples revient sur le cas du Fender Rhodes. Une nouvelle référence ?
Il existe tant de Fender Rhodes virtuels sur le marché qu’à moins de disposer de solides arguments, on voit mal ce qui pourrait décider un éditeur à en sortir un de plus. Or, les arguments solides, c’est précisément la spécialité d’Acousticsamples dont, faut-il le rappeler, le B-5 est devenu dès sa première version le mètre étalon des orgues B3 virtuels, et dont les guitares se sont hissées parmi les plus grandes références du genre. A l’heure où débarque VTines, le nouveau Rhodes MkI de l’éditeur qui en proposait déjà un à son catalogue, il va sans dire qu’on est curieux de voir de quoi il retourne. Et la première surprise nous attend des l’installation.
Banque au format UFS que vous pourrez lire dans Falcon ou le Freeware UVI Workstation, VTines pèse moins de 90 Mo une fois installé, ce qui s’avère extrêmement léger en regard des Rhodes samplés existant sur le marché. Pour vous faire une idée, le bon vieux Scarbee Mark I qui, malgré ses 15 ans, est longtemps demeuré une référence en la matière, repose sur 1,3 Go de samples, tandis que le Canterbury Suitcase de Soniccouture repose sur 16 Go d’échantillons !
Quel est donc cette diablerie qui permet au VTines d’être aussi léger ? C’est simple : tout comme le B-5, il repose sur un moteur audio hybride appliquant une couche de modélisation physique à un jeu de samples de base, ce qui, outre la légèreté, procure de nombreux avantages. Ceux qui ont joué avec le Lounge Lizard d’AAS ou la banque Electric Pianos de Pianoteq le savent, la modélisation procure de nombreux avantages sur l’échantillonnage. Sans même parler des multiples possibilités que cela offre en matière de paramétrage, cette technologie offre une réponse continue à la vélocité qui nécessiterait des centaines de Go de données pour obtenir un équivalent avec du sampling pur sur certains instruments. La modélisation ne s’encombre pas en effet de layers ou de round robin : générés par des algorithmes, les sons ne sont jamais deux fois les mêmes et il en résulte une grande expressivité de l’instrument ainsi qu’un feeling organique vraiment sensible au jeu. L’unique souci de cette technologie tient dans le fait qu’en dépit d’indéniables progrès au fil de ces dernières années, le son obtenu garde un petit côté ´trop propre sur soi’ pour convaincre pleinement. Les modèles physiques ont beau être épatants, procurant des sensations de jeu proches de l’instrument réel en termes de réactivité, on y décèle souvent ce petit rien d’artificiel qui fait la différence avec le vrai (notamment dans les graves concernant les Rhodes), là où le sample fait plus facilement illusion à la fin bien qu’il ne procure pas les mêmes sensations de jeu.
Conscient de cela, Acousticsamples a donc choisi de concilier le meilleur des deux mondes, conjuguant l’authenticité du sample et la souplesse de la modélisation comme cela avait été fait pour le B-5. Reste à voir si cela fonctionne aussi bien qu’avec ce dernier.
Tine-age Dream
Dès les premiers accords plaqués, alors que le preset par défaut est une simple sortie DI dépourvue de tout effet, on est frappé par le côté clean et brillant du son comme par son étendue spectrale. Des basses aux aigus, c’est vraiment très beau et équilibré, avec une attaque bien définie et un son de Bell bien présent. Cet équilibre se retrouve dans la réaction à la dynamique de jeu, le VTines évitant l’écueil de quantité de concurrents qui tordent le son trop vite et négligent le registre pianissimo de l’instrument, son côté « Glockenspielien » pour parfois sombrer dans la caricature Wurlitzienne.
N’allez pas en déduire que nous sommes face à un ventre mou qui ne sait pas s’énerver. Dès qu’on lui rentre dedans, en effet, VTines délivre ainsi ce son crémeux si caractéristique, et on sent qu’entre ces registres et le principe de vélocités continues, le dernier né d’Acousticsamples respecte toutes les nuances du jeu.
Histoire d’illustrer tout cela, voici deux exemples montrant le côté teigneux de l’instrument comme son aspect plus délicat (je rappelle que nous ne sommes ici qu’en DI, sans le moindre traitement).
- Ballad – Acousticsamples Vtines00:24
- Groove – Acousticsamples Vtines00:12
Et pour vous faire une idée de l’état de la concurrence, voici les mêmes fichiers MIDI joués par la plupart des concurrents avec les réglages les plus neutres possibles (sortie DI sans aucun effet et égalisation neutre en mone).
D’abord sur le passage énervé :
- Groove – Waves Electric8800:12
- Groove – Soniccouture EP73 Deconstructed00:12
- Groove – Scarbee MkI00:12
- Groove – Scarbee Classic EP-88s00:12
- Groove – Pianoteq 600:12
- Groove – Neo Soul Keys00:12
- Groove – Lounge Lizard EP-400:12
- Groove – Keyscape Rhodes LA Custom00:12
- Groove – Keyscape Rhodes Classic00:12
- Groove – EZkeys00:12
- Groove – Arturia Stage-73 V00:12
- Groove – Air Music Velvet00:12
- Groove – Addictive Keys00:12
Puis le passage calme :
- Ballad – Soniccouture EP73 Deconstructed00:24
- Ballad – Scarbee MkI00:24
- Ballad – Scarbee Classic EP-88s00:24
- Ballad – Pianoteq 600:24
- Ballad – Neo Soul Keys00:24
- Ballad – Lounge Lizard EP-400:24
- Ballad – Keyscape Rhodes LA Custom00:24
- Ballad – Keyscape Rhodes Classic00:24
- Ballad – EZkeys00:24
- Ballad – Arturia Stage-73 V00:24
- Ballad – Air Music Velvet00:24
- Ballad – Addictive Keys00:24
- Ballad – Waves Electric8800:24
Inutile de dire que les variations d’un plug-in à l’autre sont flagrantes et même si certaines d’entre elles sont dues au réglage de l’instrument samplé ou modélisé, sachant que pas un Rhodes n’est semblable à l’autre et que les réglages (ou mauvais réglages) de ces derniers ont une grosse influence sur le son, il n’en demeure pas moins que bien des choses ne sont pas explicables de la sorte : l’EZkeys qui n’offre aucune nuance dans le timbre et distord même à faible vélocité, le manque flagrant de basses sur le Waves ou le Velvet, les peines qu’éprouve l’Addictive Keys à durcir le ton, le manque de grain dans le bas du Lounge Lizard, etc. De fait, lorsqu’on met de côté ceux dont la bande de réponse en fréquences est rabotée (que ce soit dans les graves, les aigus ou les deux) et ceux qui lorgnent sur le Wurlitzer en tordant dès les premières vélocités, on se rend vite compte que notre ami VTines est dans le peloton de tête, et que sa réponse en vélocité continue comme le réalisme de ses sample de relâchements ou la propreté du son qu’il présente (sur les modèles Keyscape, un bruit de fond est présent sur chaque sample qui, même lorsqu’on active le denoiser intégré, a vite fait de s’accumuler sur les accords et ce n’est pas forcément ce qu’on attend d’une sortie DI) constituent un avantage non négligeable sur tous ses petits camarades. Or, VTines a encore nettement plus à offrir, comme nous allons le voir en faisant le tour du logiciel.
Sous le capot
Comme à son habitude, l’éditeur a misé sur une interface photoréaliste qui tente de conserver au maximum l’ergonomie de l’original. De la sorte, sur l’onglet Main qui nous accueille, on dispose de 4 potards à bague qui permettent de régler le son dans ses grandes lignes : le premier permet de doser le mélange entre son acoustique et son électrique, le second de gérer les basses et les aigus, le troisième de paramétrer le trémolo (vitesse et intensité mais aussi synchronisation au tempo de l’hôte et commutation mono/stéréo de l’effet) et le quatrième de doser la réverbe et la distorsion. Complétant le tout, un sélecteur permet d’activer ou non l’ampli en sortie tandis qu’un gestionnaire de presets permet de sauvegarder ses réglages ou d’accéder à une trentaine de sons proposée par Acousticsamples.
Quatre autres panneaux vous sont proposés : Amp permet de régler le dosage Dry/Wet de l’ampli du Rhodes et le placement des micros qui le reprennent, FX vous donne accès au réglage de six pédales dont le chaînage est fixe (chorus, phaser, flanger, wah, delay, Leslie, saturation, réverbe), MIDI d’éditer la courbe de réponse en vélocité à main levée ou via un ingénieux système consistant à deduire cette dernière de notes que vous jouez (une sorte de MIDI Learn de la vélocité), et enfin PREFS qui vous permet de régler en profondeur les paramètres du clavier, et qui mérite qu’on s’y arrête un instant.
Avant cela, je vous propose toutefois d’entendre ce que donne le Vtines avec ampli et trémolo enclenchés, puis avec le chorus utilisant l’algo de Thorus, l’excellent chorus d’UVI.
- AliciaTremolo00:50
- AliciaChorus00:50
PREFS à tout
C’est à cet endroit précis que l’on se rend compte que l’on n’est pas face à du sampling pur mais aussi face à de la modélisation. Il ne s’agit pas d’intervenir sur une enveloppe ADSR globale ou sur le réglage du cycle de Round Robin, mais de régler pour chaque note (un réglage global est aussi possible) certains aspects mécaniques de l’instrument, comme on le ferait dans un vrai Rhodes armé d’un tournevis. C’est ainsi que vous pourrez déterminer la hauteur de chaque lamelle (la fameuse tine) comme le distance du micro électromagnétique qui lui est assigné, ou encore le niveau de cloche (Bell) qu’on retrouvera dans le son, l’attaque comme le niveaux des samples de relâchement qui ont fait l’objet d’une attention toute particulière, le niveau minimum et maximum à partir duquel se déploient les harmoniques et comment elles se déploient, et évidemment l’accordage de la note. Bref, un monde de possibilités s’ouvre à vous permettant d’obtenir des Rhodes à la personnalité très différentes, mais aussi bien des effets spéciaux.
Voyez d’ailleurs les exemples suivants pour vous en convaincre, ces exemples faisant usage des options de configurations comme de la section d’effets pour certains :
- PowerPop00:11
- Glock00:11
- Keys00:11
- morebells00:11
- Phaser00:11
- 80s00:11
- Wah00:11
Soulignons-le toutefois, la plupart de ces paramètres interagissent entre eux de façon complexe et il faudra pas mal de pratique pour comprendre la relation particulières qu’entretiennent entre eux la hauteur de lamelles et la distance des micros par exemples, ou encore l’attaque et le niveau de cloche. Par ailleurs, comme on l’entend sur ces exemples et même si cela est conforme à la réalité, on sera souvent surpris des grosses variations qu’entraînent un réglage sur le niveau de sortie de l’instrument, ce qui nous donne l’occasion d’émettre quelques souhaits pour une future v2.
What Else ?
Indubitablement, Acousticsamples a jeté un beau pavé dans la mare avec ce VTines, tout comme cela avait été le cas lors de la sortie du B-5 pour le monde de l’orgue Hammond B3. À considérer la v2 de ce dernier comme les autres Rhodes virtuels du marché, on voit vite qu’en dépit de ses nombreuses qualités, le dernier né d’Acousticsamples a encore une marge de progrès.
On adorerait d’abord voir l’instrument proposer d’autres modèles que le Mk I, voire des variantes de ce dernier vu qu’aucun Rhodes ne sonne pareil. On souhaiterait aussi que la section Amp s’étoffe de quelques combos guitare très souvent utilisés pour amplifier l’instrument, tels que le Fender Twin Reverb ou le Roland Jazz Chorus, bien que rien ne vous empêche d’utiliser la sortie DI du Vtine pour attaquer l’ampli réel ou virtuel de votre choix. Et même si on peut tout à fait gérer ça dans son séquenceur, on se dit qu’un petit compresseur/limiteur ne serait pas de trop, ne serait-ce que pour homogénéiser le niveau de sortie des différents réglages comme nous l’avons évoqué, ou pour faire remonter certains aspects du son (on obtient ainsi des choses intéressantes en jouant sur le Bell Amount et Pickup Distance et en rentrant dans un compresseur type 1176). Bref, il y a encore de quoi agrandir le terrain de jeu sonore !
Enfin, même si cela ne rentre pas forcément dans une émulation au sens strict du terme, concept auquel l’éditeur semble attaché, on regrettera qu’il ne soit pas possible d’inverser les sons, tant ce traitement est devenu un classique du sound design appliqué au Rhodes. Il n’est toutefois pas certain que la technologie hybride utilisée par le moteur rende la chose possible…
Conclusion
Il manque sans doute deux ou trois petites choses à VTines pour être parfait, mais il ne lui manque déjà rien pour s’élever au-dessus de la mêlée du gros de la concurrence sans pour autant nous en faire payer le prix fort. En combinant sampling et modulation, Acousticsamples est en effet parvenu à proposer un instrument qui hérite du meilleur des deux technologies, avec la souplesse de l’une et le réalisme de l’autre, le tout étant assorti de belles possibilités en termes de réglages. Ajoutez à cela un poids ridicule de moins de 90 Mo et vous aurez compris que nous tenons sans doute là le « GoTo » Rhodes de plus d’un musicien. Face à une telle réussite, deux choses s’imposent donc, un coup de chapeau et une question : c’est pour quand le Wurlitzer ?