Compresseurs, EQ, synthés et compagnie, nos bécanes regorgent d’outils virtuels en tout genre. Mais, parmi ceux-ci, combien de systèmes de mesures ? En voici un, le Pure Analyzer System, conçu par l’éditeur Flux::.
Comme je le rappelais en ouverture du test du Blue Cat’s Analysis Pack : « l’un des avantages les plus évidents et immédiats de l’audionumérique [est] l’analyse du signal ». En effet, le support visuel, la représentation graphique donnent de nombreuses clés à nos oreilles (parfois fatiguées, mais pas seulement), pour des opérations aussi délicates que du mastering, du mixage cinéma, le live ou pour la simple compréhension de phénomènes ou événements parfois difficilement détectables. Sans compter la nécessité de pouvoir répondre à des normes sans cesse en renouvellement, notamment en matière de niveau crête et niveau perçu, ou pour être sûr de passer les normes de PAD (prêt à diffuser) des chaînes, dont les exigences ne sont pas toujours normées (voir encadré).
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Bien entendu, tout le monde n’a pas des besoins aussi sophistiqués qu’un ingénieur cinéma ou télé, mais ce type d’outils peut être aussi très pratique et utile à tous les musiciens ou compositeurs souhaitant comprendre un peu plus que leur art purement musical, voire répondre à des demandes induites par l’économie de la production telle qu’on la connaît depuis plusieurs années pour peu que l’on soit en marge du circuit dit commercial. Ou pas d’ailleurs, puisque la tendance au one man band/studio/engineer peut parfois se rencontrer là où l’on ne l’attendrait pas.
Bref. Flux::, développeur français de produits ayant généré nombre de commentaires dythirambiques et dont le Spring Pack a déjà été testé sur AudioFanzine, nous propose un ensemble de mesures regroupant les outils indispensables à ce type de logiciel (voire plus), tout en y intégrant les dernières normes. Revue de détail.
Introducing Flux:: Pure Analyzer System
Le logiciel est disponible à l’achat et au téléchargement sur le site de l’éditeur, au tarif TTC de 279 euros, pour Mac et PC (et console Avid Venue). En option, on peut acheter trois ensembles de fonctionnalités supplémentaires, Live Option, Metering Option et Multichannel Option (on y reviendra), pour la somme de 149 euros chaque. Ce qui met l’ensemble à 726 euros et le destine déjà à une certaine catégorie d’utilisateurs. Notons cependant que rien ne force à tout acquérir d’un coup, à l’exception peut-être du Metering qui sera développé plus avant. L’autorisation se fait via iLok (ou le Flux Dongle pour les premiers utilisateurs de la marque).
On télécharge donc l’ensemble, ainsi que le Sample Grabber et le manuel (en anglais uniquement, et le bouton Freeware à ses côtés ne laisse de me faire sourire). Mais qu’est-ce donc que ce Sample Grabber ? Flux:: a conçu son système d’analyse sur la base d’une application autonome (32 bits), séparant acquisition audio (via Sample Grabber) et analyse (via Pure Analyzer, dont les graphismes sont gérés par la GPU, ce qui permet de monter à un affichage de jusqu’à 120 fps…).
Ainsi, on peut imaginer que Pure Analyzer est installé sur un ordinateur dédié, et les flux audio à analyser sur d’autres ordinateurs, la communication se faisant via réseau (sans fil ou Ethernet), le protocole ZeroConf/Apple Bonjour (procédure totalement transparente, ne nécessitant aucun réglage, sauf problème réseau particulier) et le fameux plug Sample Grabber (oui, c’est un plug VST, AU TDM et RTAS, 32 bits seulement, hélas). On peut ainsi installer ce dernier sur autant de bécanes que l’on veut (Sample Grabber ne nécessite aucune protection) et sur l’ordinateur principal passer de l’une à l’autre en sélectionnant le Sample Grabber correspondant à la machine source. Imaginons le nombre d’applications possibles dans le domaine du live, ou dans celui de l’enseignement : une bécane pour le professeur, et tous les ordinateurs des élèves pouvant être raccordés d’un clic pour procéder à l’analyse des TP, de la composition en cours de réalisation, de la vérification des tutoriels, etc. Une première grande idée, et fort bien réalisée par l’éditeur, bravo.
Évidemment, on peut tout aussi bien utiliser l’ensemble sur un seul ordinateur, et passer d’une DAW à un éditeur audio sans problème, en sélectionnant dans le menu de l’analyseur, le plug désiré (jusqu’à 64 par DAW…). On peut aussi utiliser le(s) hardware(s) installé(s) sur l’ordinateur hôte ; notons que le programme crée aussi un Flux:: Aggregate Device, comme le montre la fenêtre audio Configuration Audio et Midi. Bref, en plus du Sample Grabber, le choix d’entrées/sorties, que l’on effectuera dans les préférences I/O, est plus que copieux. Et le tout gère l’audio jusqu’à des fréquences d’échantillonnage de 384 kHz…
Encore une fois, bravo. Mais, car il y a un mais, et même une sévère ombre au tableau : il est impossible de définir un nom pour chaque instance de Sample Grabber, ce qui peut à la rigueur suffire lors d’utilisation en réseau, mais qui commence à poser problème si l’on a 64 plugs dans sa DAW, mais qu’un affichage du type MacPro de Macheprot, et un simple (2) ou (37) apparaissant en plus, mais seulement après connexion. Pas plus qu’on ne peut définir soi-même sa propre configuration de modules. Indéniablement deux points à améliorer.
Du module et des réglages
Pure Analyzer dispose de configurations pré-établies selon quatre types d’utilisation, Studio, Film Mixing, Mastering et Live, qui appelleront les différents modules composant le logiciel. En version Essential, Pure Analyzer offre un crête-mètre et un indicateur de niveau RMS, un Vector Scope (phase, stéréo et corrélation), un afficheur de forme d’ondes (Wave Scope), un analyseur de spectre, un Spectrogram et un Spatial Spectrogram (dit Flux Nebula, visualisation des fréquences dans l’image stéréo d’un contenu audio). Les différentes options ajoutent des modules plus orientés (on trouve aussi toutes les infos sur le site de l’éditeur) : Live ajoute des générateurs de signaux, les outils d’analyse indispensables à toute sonorisation d’un espace (sonomètre en dB SPL, affichage de la fonction de transfert pour l’amplitude, la phase, lecture d’impulsion, reconnaissance des retards, entrées multiples, etc.), Metering renforce les capacités des outils déjà présents (avec compatibilité et lecture EBU R128, ITU-R BS.1170 True Peak, affichage global en temps réel des statistiques, etc.) et Multichannel (analyse de 16 canaux simultanés, ajout du mode Multi-Micro à l’option Live, support de toutes les configurations surround, ajout du Flux Nebula Surround Scope).
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On se concentrera ici sur Essential et Metering ; pour toutes recherches sur le live et le surround, les nombreux forums spécialisés incluent au moins une discussion sur le sujet. Et je ne dispose ni des matériels ou logiciels équivalents à fins de comparaison, ni de la pratique et des connaissances nécessaires dans ces domaines.
Avant de détailler, un petit coup d’œil à l’interface et ses principes. Première chose, il faudra un grand écran, sous peine de ne pas voir correctement certaines informations. Ensuite, un clic sur chaque module mis en place grâce au menu de configurations l’affiche en grande taille, en cachant les autres. Un clic-droit ou sur le symbole d’engrenage situé dans le coin supérieur gauche ouvre les réglages d’affichage et de balistique de chaque module. Un Main Setup permet de paramétrer les éléments communs, des mots de passe des Sample Grabber (une option de sécurisation des flux via réseau), le taux d’affichage des images et des time codes (avec référence à tous les standards d’image), réglage de la FFT, de la fenêtre d’analyse, etc. Du côté de IO, on choisira les cartes reliées, les sorties du générateur de bruit, les entrées des canaux 1 et 2 (avec inversion de phase), fréquence d’échantillonnage, taille des buffers et compagnie. Bref sans rentrer dans tous les détails, les paramètres sont extrêmement nombreux, et permettront de répondre à quasiment tous les cas de figure, sauf celui, et c’est regrettable, de paramétrer la présentation des modules à sa guise.
Avec mesure et discernement
On commence par l’analyseur de spectre, un outil qui peut s’avérer indispensable pour comprendre deux-trois petites choses sur ses mixages, notamment la façon dont le grave se comporte. Et là, il faut dire que la gestion de cette partie du spectre est assez spectaculaire : même si l’on note un léger ralentissement avec une taille de blocs élevés (65 536 samples dans l’utilisation pour ce test), PAS se démarque de ce qui se passe chez la concurrence, et la définition des octaves graves est surprenante. On apprécie les nombreuses options de paramétrage, la gestion des différents canaux et sommes, et les fonctions d’affichage, notamment celle qui permet de montrer en toutes lettres et chiffres le niveau maximum et sa fréquence (Mark) et celui avec affichage des dB et Hz en haut de la fenêtre à droite, avec ligne pointant dessus (Mark + Arrow). Autre fonction très bien vue, le magnétisme systématique de l’axe horizontal à deux lignes horizontales qui suivent en temps réel les deux courbes affichées (max et RT). Un gain de temps assez appréciable. Saluons aussi la très bonne réactivité, même lors d’une utilisation en réseau, quelle que soit la connexion.
Rien de particulier à signaler sur le Vector Scope, hormis le fait qu’il inclut l’indicateur de corrélation de phase tout en bas. Bien entendu, de nombreuses options d’affichage et de mesures sont fournies. En mode Surround, ce qui fait sa petite originalité, il permet de choisir entre plusieurs modes Square, Equi, Theater et Music, avec choix de modes (L-R, Front, Rear, Stereo Downmix, etc.)
Le Flux Nebula est tout aussi intéressant, sans réel équivalent parmi les bundles ou plugs spécialisés (ceux à ma disposition en tout cas, les Blue Cat Audio la série Reveal de BIAS et le Visualizer de NuGen). Grâce à lui, on peut visualiser (est-ce utile de rappeler « en temps réel » ?) le contenu audio à la fois en termes de fréquence et en termes de répartition dans l’espace stéréo, dans une forme entre l’indicateur vectoriel et l’analyseur de spectre. Très utile, il permet de déceler des fautes au niveau de la stabilité de l’image centrale, donc le grave, avec un focus allant de ± 1 à 48 dB. On peut aussi lire l’afficheur en mode Power, Dynamics, un mélange des deux précédents et Frequency (notons qu’on retrouve ce mode d’affichage dans d’autres modules).
Rien de particulier à dire sur le Spectrogram, si ce n’est qu’il offre plusieurs choix de représentations graphiques, d’une simple monochromie à l’habituel dégradé en fonction des fréquences. Pareil pour le Wave Scope, affichant la forme d’onde plus ou moins rapidement. Le manuel indique que des fonctions supplémentaires sont prévues. Wait and see…
On termine avec le Metering. Premier outil de mesure, celui du niveau RMS. Là aussi de nombreux réglages, références, pondération ITU 1770, ANSI A, B, C et D (la première étant l’inverse des courbes Fletcher-Munson, dites aussi isosoniques, que tout apprenti manipulateur de l’audio devrait connaître puisqu’elles reflètent les niveaux nécessaires pour que l’oreille entende comme de même intensité les fréquences, en fonction d’un référent à 1 kHz), balistique, reset, échelle (totalement personnalisable, bravo), etc. Et l’on dispose de nombreux présets, de Ref-18dBA, au Vumètre standard, en passant par divers BBC, le K-System (youpi), les DIN 45406 (norme PAD à –9 dB QPPM, crêtes à 0 dB), Nordic N9, etc. Très complet et la comparaison avec mes différents indicateurs de niveaux (Bias, Blue Cat, UA, NuGen) n’a montré que des très rares différences de 0,1 dB.
On continue avec le True Peak (dBTP pour dB True Peak). Cet indicateur, sans trop rentrer dans les détails, est censé reproduire les différents peaks pouvant survenir lors d’une conversion N/A, peaks dûs au processus d’interpolation alors employé, qui résulte parfois en des valeurs supérieures au 0 dB. Idéalement, il faudrait pour être sûr de soi, convertir en analogique, mais on perdrait alors le bénéfice de travailler in the box. D’où l’utilité de ce type d’indicateur.
Là aussi on dispose de plusieurs présets, de l’indicateur de base avec référence à 0 dB, au EBU R128, jusqu’au –144,5 > +3, qui permet de vérifier selon Flux:: la plage dynamique du 16 bits, mais il me semble qu’il y a une petite erreur : 144 dB correspond, si je ne me buse, à une résolution de 24 bits. Enfin, qui peut le plus peut le moins…
Pour en revenir aux normes broadcast (avec les crêtes maxi à –9 dBFS/0 dB sur QPPM, ou les nouvelles, –23 LUFS), c’est tout autant utile, et ça évitera de se faire renvoyer son produit, si l’on est amené à fournir un ensemble vidéo et audio mixés (ce que je ne conseille pas, chacun son boulot…).
On continue avec le dernier indicateur, celui de Loudness. On ne mesure donc plus un niveau crête, mais une sorte de volume sonore perçu, de niveau moyen, même si c’est un peu plus complexe que ça. Ceci implique donc une nouvelle manière de pratiquer, et une nouvelle définition, notamment des unités de mesure : LU (Loudness Unit) qui est utilisée pour des mesures en relation avec un niveau de référence et une plage donnés, et LUFS (Loudness Unit, referenced to Full Scale), qui est la mesure absolue. Le mode EBU implique trois échelles temporelles (Momentary, Short et Integrated, les deux premières définissant des fenêtres glissantes de 400ms et 3s respectivement, la dernière utilisant un gate pour ignorer les passages faibles, voir toutes les docs techniques pour de plus amples explications). Le but étant d’obtenir une cohérence entre les différents fichiers, programmes, émissions, pubs et compagnie, en visant un niveau de –23 LUFS sur la durée totale de l’audio (le terme « totale » est fondamental, car il s’agit d’un niveau sur la durée). Enfin reste une dernière mesure, le LRA, Loudness Range, exprimant la répartition des niveaux.
À fin de référence, et de manière à ce que vous compreniez les correspondances avec nos vieux crête-mêtres : une sinus stéréo à 1 kHz à –18 dBFS (un signal de calibration usuel) donne un niveau de –18 LUFS ou + 5 LU en mode relatif, avec comme référent 0 LU est égal à –23 LUFS. Bon. Toute cette partie est quand même destinée à un public assez spécialisé, et ne trouvera que rarement de mise en application dans le cadre du studio et a fortiori du home-studio.
Bilan
Indéniablement, l’éditeur propose une solution très performante. Passé le premier réflexe du « quoi, pas de véritable plug-in ? », on comprend après avoir ouvert plein d’applications sur le Mac de travail audio et celui qui me sert davantage à la rédaction, au graphisme et aux cours, que la solution adoptée est la bonne. La communication via le réseau, les Sample Grabber sont la véritable force du logiciel qui à quelques exceptions près reste un outil de mesure comme on en connaît. C’est dans les détails que Flux:: propose des choses dont on aura du mal à se passer : le principe de Mark et Mark + Arrow, par exemple, parfait pour repérer rapidement un niveau, une fréquence gênante, ou le Vector Scope et ses modes multiples en surround, les nombreux modes des indicateurs de niveaux, et le Nebula, auquel on s’habitue très vite. Le logiciel semble faire aussi très forte impression du côté du live, tout comme du broadcast, mais je ne m’avancerai pas sur ces terrains bien particuliers.
Il est en tout cas plaisant de voir que les deux systèmes récents de mesure aux fonctions originales sont créés par des éditeurs français, sans sombrer non plus dans le chauvinisme déplacé. En ce qui concerne une utilisation en studio, on aurait pu souhaiter l’intégration de l’option Metering dans Essential, puisque Live et Multi sont clairement des mondes à part. Mais même Essential fera parfaitement son office, grâce à ses outils bien conçus pour une utilisation purement musicale. Une belle création, dont les quelques reproches qui lui sont faits ne minorent en rien la pertinence, l’ergonomie et l’efficacité.