SKnote, Valhalla DSP, Sonimus… Ces dernières années, le monde du plug-in a vu naître quelques « petits » développeurs indépendants proposant des produits pas piqués des hannetons.
Pratiquant des tarifs proches du dérisoire en regard de la qualité offerte, ces électrons libres ne disposent pas de la puissance marketing d’un Native Instruments et autres Universal Audio. Cependant, ceux qui savent ne tarissent pas d’éloges à leur sujet au détour des forums. Et comme sur AudioFanzine nous n’avons pas pour habitude de faire la sourde oreille face à la clameur populaire, c’est avec un plaisir non feint que nous mettons aujourd’hui le travail de l’un d’entre eux sous les projecteurs. Amis AFiens, faites donc place au SDRR de Klanghelm, un plug-in donnant dans la saturation subtilement grasse…
Présentation
Nous avons eu la chance de découvrir Klanghelm en juillet dernier avec la sortie de la seconde mouture de l’excellent DC8C. Ce plug-in de compression tient la dragée haute aux ténors du marché pour une fraction des prix généralement rencontrés dans ce domaine ! C’est pourquoi, lorsque nous avons appris que l’éditeur travaillait sur un plug-in de saturation, nous avions hâte d’entendre ça. L’attente n’aura pas été bien longue puisque SDRR, le « caméléon de la saturation », a vu le jour mi-septembre. À l’instar des autres produits de la marque, il est disponible aux formats AU, VST, VST3 et RTAS pour Mac et PC en 32 et 64-bit. Que la planète Pro Tools se rassure, une version AAX est dans les tuyaux.
L’installation est un jeu d’enfant. En effet, après l’achat, vous recevrez tout simplement un mail avec toutes les infos pour vous connecter à votre espace utilisateur et télécharger le plug-in. Pas de numéro de série, ni de dongle ou de centre d’autorisation d’aucune sorte, pas de limitation du nombre d’installations. C’est beau la confiance, et ça force le respect !
Il est à noter que Klanghelm ne propose pas de version de démonstration… Non Messieurs, il fait mieux que ça : il offre tout simplement un freeware directement inspiré de SDRR, j’ai nommé IVGI. Nous vous encourageons fortement à user et abuser de ce joujou qui donne une très bonne idée de ce que son grand frère est capable de faire, même si celui-ci dispose d’une palette sonore autrement plus large comme nous allons le voir…
Défilé de Modes
SDRR propose 4 modes de saturation : Tube, Digi, Fuzz et Desk. Disposant chacun d’une sublime interface graphique, ils ont en commun les réglages suivants :
- Trim : pour régler le niveau d’entrée afin que celui-ci soit optimal pour le bon fonctionnement du plug-in
- Channel Mode : pour une utilisation en Mono, Stéréo, ou Dual Mono
- VU Mode : permet de choisir entre l’affichage du niveau d’entrée, de sortie, ou la différence RMS entre la sortie et l’entrée. Une idée simple et fort pratique pour gérer la différence de niveau perçue en passant par le plug
- Définition du niveau de référence, non seulement pour le VU-mètre mais pour l’ensemble du chemin du signal audio
- Drive : pour doser la quantité de saturation
- Mix : pour doser le mélange entre signal traité et signal source. De plus, ce réglage influe également dans une certaine mesure sur la saturation en regard de la réponse fréquentielle, ce qui élargit encore la palette sonore de chacun des modes
- Output : pour gérer le niveau de sortie
- Stages : propose jusqu’à trois étages de saturation. À noter que suivant le mode choisi, ces étages seront traités en série ou en parallèle, voire un mix des deux. Un petit regret concernant ce switch, il bascule de 1 à 3 de façon linéaire. Impossible donc de passer de 1 à 3 directement, dommage…
- Drift : un paramètre un peu particulier qui permet de doser une modulation en interne pour rendre le son « plus vivant »
- X-Talk : gestion du crosstalk lors du traitement d’une piste stéréo. Comme pour le paramètre Stages, on bascule de façon cyclique de la position OFF à MED puis HIGH.
Enfin, sachez qu’un clic sur le VU-mètre brisera la « vitre » de ce dernier et mettra le plug-in en bypass post-Trim. Joli et efficace.
Voyons maintenant ce que propose chacun des modes.
Le premier se nomme Tube et verse, comme vous pouvez vous en douter, dans la distorsion à lampe. Deux sortes de sons typés lampe sont disponibles et nous pouvons en doser finement le mélange via le potentiomètre « Character ». La gestion des harmoniques engendrées passe par le potard « Harmonic Balance » alors que le rotatif « Freq. Response » permet de cibler quelle zone du spectre la saturation affectera le plus. Enfin, le réglage « Dynamics » déterminera le comportement de la saturation vis-à-vis des transitoires. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce mode fait monter la température, comme en attestent les exemples sonores en écoute plus loin dans cet article.
Le mode suivant penche du côté numérique de la force. En effet, lorsque nous passons en mode Digi, SDRR se transforme en Bit-Crusher. Nous pouvons doser le nombre d’harmoniques, leur type (pair, impair ou un mélange), la réponse en fréquence et la dynamique de tout ce beau monde. D’autre part, la fonction « Bit -> Rate » permet de combiner l’effet de bit-cruching avec une réduction du taux d’échantillonnage. C’est clairement le mode le moins subtil que propose le plug-in mais il peut s’avérer être une arme redoutable en matière de destruction sonore. Une corde de plus à l’arc de SDRR.
Baptisé Fuzz, le troisième mode trempe bien évidemment dans la saturation tendance Fuzz avec deux modèles sauce germanium. Nous retrouvons à nouveau la gestion des harmoniques, de la réponse en fréquence et de la dynamique. Si vous cherchez à donner plus de caractère à un signal audio, avec ce diable-là vous ne serez pas déçus. Délicate ou ravageuse, la coloration obtenue sera toujours pertinente.
Pour finir, le mode Desk se rapproche au plus près de la saturation délivrée par une bonne vieille console analogique. Oui, cela semble présomptueux, et pourtant… De la gestion de transitoires en souplesse ou en force, en passant par la douce égalisation des basses avec un filtre en plateau et une option « Tight » imitant le comportement d’un Pultec, sans oublier les aigus sauce EQ passive à lampe et le « Tight » reproduisant un 1073, tout est là pour donner à SDRR un délicieux parfum hardware.
Bon, à ce stade de l’article, tout Home-Studiste normalement constitué devrait avoir l’eau à la bouche. Mais les écrits ne titillent que nos yeux, il est temps de chatouiller nos oreilles !
Saturation à tous les étages
Les exemples sonores ci-dessous ont été réalisés sur un MacBook Air Intel Core i7 2 GHz avec 8 Go de RAM, tournant sous Mac OS X 10.7.5. Le séquenceur utilisé est Reaper 4.54. En ce qui concerne la consommation CPU, elle oscillait entre 1,3 et 4,7% par instance suivant les cas. Pour chacun des exemples, les réglages ont été soigneusement effectués à l’oreille en fonction de la source.
Commençons cette séance d’écoute avec une voix. Le mode Tube apporte indéniablement une profondeur et une onctuosité dans les basses. Le réglage Digi est ici bien trop agressif, mais en dosant le mixage signal traité / signal source, nous obtenons tout de suite quelque chose de plus intéressant. Il en va de même pour le mode Fuzz. Enfin, le traitement Desk fait vraiment des merveilles. Tout en douceur, nous gagnons de la présence dans le grave ainsi que de la clarté dans le haut du spectre, et ce, grâce à un soupçon de saturation et à l’égalisation « basique » propre à ce mode.
- 01 voix dry 00:38
- 02 voix tube 00:38
- 03 voix digi 00:38
- 04 voix digi light 00:38
- 05 voix fuzz 00:38
- 06 voix fuzz light 00:38
- 07 voix desk 00:38
Continuons avec une ligne de basse synthétique issue du VSTi gratuit Tyrell de U-He. De base, le son est déjà bien typé. Ceci dit, un coup de SDRR sauce Tube nous entraîne directement dans une autre dimension. Le mordant et la chaleur sont au rendez-vous ! En version Digi, le bit-crushing fait son petit effet. Et, lorsque nous enclenchons la réduction du taux d’échantillonnage, la destruction sonore nous ouvre les portes du Sound-Design. C’est là que nous touchons du doigt le nerf de la guerre. Finalement, avec SDRR, tout semble exploitable, le reste n’est qu’une affaire de choix esthétique. Le dernier exemple en mode Fuzz en est d’ailleurs une autre preuve avec une saturation aux accents de transistors germanium.
- 08 bass dry 00:12
- 09 bass tube 00:12
- 10 bass digi bit 00:12
- 11 bass digi rate 00:12
- 12 bass fuzz 00:12
Passons maintenant à un petit riff de guitare crunchy. Le gain en caractère avec les modes Tube, Digi ou Fuzz trouvera toujours une utilisation, même si en Digi le son est plus exotique que naturel. Mais, en ce qui concerne le mode Desk, quelle claque ! À vrai dire, lors d’une écoute à l’aveugle, le signal traité nous semblait être la véritable prise, le son original nous paraissant artificiel à côté. Chapeau bas Klanghelm !
- 13 riff dry 00:33
- 14 riff tube 00:33
- 15 riff digi bit 00:33
- 16 riff digi rate 00:33
- 17 riff fuzz 00:33
- 18 riff desk 00:33
Sur une ligne de piano électrique virtuel bien pâlichonne jouée avec le freeware MrTramp2, la Fuzz rend le son bien plus crédible. En poussant le paramètre Drift à fond (avec SDRR en fonctionnement Stéréo), nous y ajoutons un supplément de vie de l’ordre de l’indicible. Et pour cause, en jetant un oeil sur l’image stéréo, nous sommes passés d’un son strictement mono à un signal virevoltant légèrement au sein de l’espace. Joli !
- 19 synth dry 00:24
- 20 synth fuzz 00:24
- 21 synth drift 00:24
Nous avons poussé le jeu un peu plus loin en envoyant cette ligne de « Wurlitzer » vers un plug-in de delay lambda (celui de Reaper pour ne pas le nommer). Puis, nous avons placé une instance de SDRR en mode Desk derrière ledit delay… Il n’y a pas du delay vintage là ?
- 22 synth delay 00:28
- 23 synth delay desk 00:28
Sur une prise de guitare acoustique, le mode Desk avec des réglages légers donne un signal plus équilibré dont la dynamique est contrôlée. D’autre part, nous avons fait, pour la forme, un test plus poussé du Drift : SDRR travaillant en mono, nous avons poussé au maximum le Drift et effectué 2 rendus successifs de notre guitare acoustique. Théoriquement, les fichiers sons obtenus devraient être strictement identiques. Par conséquent, les lire en même temps avec l’un d’eux en inversion de phase devrait donner un silence absolu. Et pourtant… Preuve que ce paramètre Drift apporte une touche aléatoire ténue mais diablement efficace lorsqu’il s’agit de rendre le son vivant.
- 24 gtr acc dry 00:40
- 25 gtr acc desk 00:40
- 26 gtr acc desk null 00:40
C’est maintenant autour d’une batterie virtuelle produite avec le freeware DrumMic’a de passer à la moulinette. Dans cet exemple, nous nous sommes tout d’abord attachés à donner un peu plus de pêche à la boucle grâce à 3 instances du plug-in : un Tube sur la grosse caisse, un Digi sur la caisse claire, et un Desk sur les Overheads. Ensuite, nous avons placé un SDRR sur le bus batterie et nous sommes passés d’un préset à l’autre. La palette sonore est tout de même étonnante !
- 27 drums dry 00:06
- 28 drums tube digi desk 00:06
- 29 drums tube digi desk master 50s 00:06
- 30 drums tube digi desk master 60s 00:06
- 31 drums tube digi desk master 70s 00:06
- 32 drums tube digi desk master 80s 00:06
- 33 drums tube digi desk master poor radio 00:06
- 34 drums tube digi desk master radio grandpa 00:06
- 35 drums tube digi desk master radio vintage 00:06
- 36 drums tube digi desk mixbus enhancer 00:06
Bien que cela ne soit pas du tout le propos de ce plug-in, nous nous sommes tout de même amusés à utiliser le mode Tube comme un ampli guitare virtuel en prenant soin de placer un simulateur de HP derrière – le freeware LeCab2 de LePou avec une réponse impulsionnelle gratuite d’un Vox AC30. Et bien, le résultat n’est pas si mal que ça. Au sein d’un mix, il pourrait tout à fait faire illusion pour peu que ça ne soit pas l’instrument central.
- 37 gtr rythm2 dry 00:18
- 38 gtr rythm2 tube 00:18
Pour clôturer cette séance d’écoute, voici une mise à plat avec et sans SDRR sur chacune des pistes. Aucune égalisation ni aucun compresseur n’entre en jeu. Les seuls ajouts sont trois instances du Valhalla VintageVerb ainsi que le limiteur freeware Limiter No6 sur le bus Master qui ne travaille quasiment jamais. Le résultat parle de lui-même.
- 39 Call it even dry 00:33
- 40 Call it even 00:33
Conclusion
Vous l’aurez sans doute compris, pour nous le SDRR de Klanghelm est un petit bijou. Actuellement à un tarif de lancement de 22 malheureux petits euros, c’est vraiment le plug-in à côté duquel il serait dommage de passer. Certes, il n’est pas parfait ; quelques retouches ergonomiques par-ci par-là seraient les bienvenues. Et tant qu’à y être, nous aimerions des fonctions en plus comme un gestionnaire de presets, une comparaison A/B, un MIDI Learn, ou bien encore la possibilité de grouper plusieurs instances entre elles. Mais soyons sérieux cinq secondes, une telle palette de couleurs sonores, un tel caractère à un tel prix ! Ce sont les gros éditeurs qui doivent faire la moue pendant que Klanghelm nous offre un orgasme auditif à si peu de frais.
Interview
Nous avons voulu en savoir un peu plus sur la personne se cachant derrière Klanghelm, et c’est très gentiment que Tony Frenzel a répondu à nos questions par email. Voici une traduction de cet échange.
Nantho : Bonjour Tony. Tout d’abord, pourrais-tu nous en dire plus à ton sujet ? Qui es-tu ? D’où viens-tu ? Quel est ton parcours ? Travailles-tu seul ?
Tony : Je m’appelle Tony Frenzel et je suis allemand. J’ai crée Klanghelm il y a deux ans car j’étais à la recherche d’un plug-in de VU-mètre intégrant un contrôle du Trim. Comme je n’en ai pas trouvé, j’en ai codé un moi-même (VUMT - NDT). Klanghelm est un one-man-show, donc je m’occupe du code, de l’interface graphique, des manuels et du site internet tout seul comme un grand.
N : Il me semble avoir lu quelque part que la création de plug-ins n’était pas ton travail à plein temps mais que tu envisageais de quitter ton boulot actuel pour t’y consacrer entièrement, est-ce vrai ?
T : En fait, lundi prochain (le 21/10/13 – NDT) sera mon dernier jour à mon travail actuel. À partir de mardi, je pourrai me consacrer pleinement au codage de plug-ins, enfin ! J’espère qu’ainsi je pourrai sortir des nouveautés et des mises à jour plus fréquemment, et que le prochain plug-in ne prendra pas 17 mois de boulot pour voir le jour comme ce fût le cas pour SDRR.
N : Qu’en est-il des noms étranges de tes plug-ins ?
T : Chacun des noms de mes plug-ins a une signification particulière, ce n’est donc pas juste une combinaison aléatoire de lettres :-) SDRR, par exemple, signifie « Sex, Drugs and Rock’nRoll » car je considère que la saturation fait partie intégrante du Rock’nRoll. D’autre part, le nom de mes plug-ins est constitué de quatre lettres et/ou nombres tout simplement parce que j’aime le chiffre 4. Mes groupes préférés ont 4 membres, mon prénom comporte 4 lettres, etc.
N : Peux-tu nous dire un mot à propos des tarifs équitables que tu pratiques ainsi que sur le problème du piratage ?
T : J’essaye de garder les prix aussi bas que possible car je veux que mes plug-ins soient utilisés et non pas vus comme un « investissement ». Je suis conscient du fait que certaines personnes puissent penser que mes plug-ins pourraient être inférieurs à d’autres uniquement à cause des tarifs bas, mais je peux vivre avec ça, parce qu’il y a énormément d’utilisateurs que le prix ne trompe pas.
En ce qui concerne le piratage, je pense que c’est une chose avec laquelle nous autres, les développeurs, devons vivre. Je refuse de perdre mon temps à combattre le piratage. Je préfère me concentrer sur les gens qui achètent mes produits afin de leur offrir le meilleur support possible. Je n’utilise pas de protection anti-copie, car je crois en un monde de confiance et j’ai confiance en mes clients comme ils ont confiance en moi. Et les plug-ins finissent par être crackés de toute façon. Par conséquent, ma « protection anti-copie » se résume à :
- Offrir les meilleurs plug-ins possibles. Chaque plug-in que je sors doit au moins avoir une ou deux caractéristiques innovantes qu’aucun autre plug-in existant ne propose.
- Des tarifs bas, de façon à ce que ce soit abordable pour tout le monde.
- Le meilleur support utilisateur possible.
- Les mises à jour gratuites à vie.
- Être passionné, même à propos des plus petits détails.
- Prendre sérieusement chaque suggestion de la part des utilisateurs, même si à première vue cela ne semble pas pertinent.
N : À ce propos, jusqu’à quand le tarif de lancement de SDRR sera-t-il valable ?
T : Cette offre de lancement durera certainement jusqu’à ce que la version AAX soit prête. J’espère que l’ensemble du portage AAX de mes plug-ins sera fini d’ici fin 2013 / début 2014.
N : Pour finir, pourrais-tu nous donner un petit indice quant à ton prochain plug-in ?
T : Avant que je ne commence sérieusement à travailler sur un nouveau plug-in, je vais d’abord sortir quelques mises à jour. Quand j’ai commencé SDRR je voulais coder un égaliseur, puisque cela semblait être la suite logique après DC8C. Mais en travaillant sur les étages d’entrée et de sortie, il s’est avéré que travailler sur la saturation était plus fun. J’ai donc repoussé l’EQ à plus tard. Lorsque les mises à jour seront sorties, je travaillerai à nouveau sur un égaliseur. On verra quel genre d’effet ça deviendra cette fois !
Un grand merci à Tony pour nous avoir accordé un peu de temps. Nous lui souhaitons toute la réussite du monde et attendons avec impatience la suite des évènements !