Cette année, il pleut des synthés. En plein revival analogique, une jeune société belge lance son premier synthé, numérique de la tête aux pieds. Voyons jusqu’où va l’originalité…
« Vous devriez visiter Anvers, rien que pour l’endroit », disait Coluche. C’est là qu’est née la société Modor Music, dont le tout premier produit vient tout juste d’être lancé : le NF-1, un synthé numérique au format module rackable. Pour commercialiser la machine, Modor a fait appel à www.turnlab.be, bien connue des amateurs de synthés d’hier et d’aujourd’hui. Lancer un synthé numérique en plein revival analogique est un peu culotté, surtout quand c’est un premier essai. Mais c’est en ligne avec l’ambition de faire quelque chose de nouveau. Les grands fabricants ont plutôt tendance à amortir leur R et D sur de longues périodes, si bien que la plupart des nouveautés ont un goût de déjà entendu… Mais avec le NF-1, c’est tout le contraire, puisque sa raison d’être le pousse délibérément à s’écarter des standards, que ce soit pour le look, la conception ou les sonorités. Alors, écoutons cette nouvelle histoire belge, en espérant qu’elle soit bien bonne…
Candidat sérieux
Lorsque nous avons reçu le NF-1, nous avons tout de suite été impressionnés par la taille et le poids de la machine : 48 × 27 cm pour 5,8 kg, c’est du lourd ! La carcasse est entièrement métallique, en acier plié peint en blanc et noir. Cela inspire confiance d’emblée.
Le panneau avant est large et généreux, avec pas moins de 44 rotatifs (dont un potentiomètre volume/interrupteur secteur et un encodeur cranté) et 20 boutons poussoirs. Les commandes sont nombreuses, bien dimensionnées et idéalement espacées ; leur positionnement oblique étonne un peu, mais ne nuit pas au plaisir de les tripoter ; cela contraste avec la rigueur extrême du placement des potentiomètres du Dominion 1, qui nous rendait visite en même temps (lui, c’est pour les amateurs d’angles droits, surtout ceux à 90 degrés…). Les potentiomètres sont garnis d’un capuchon en plastique léger, qui recouvre un axe métallique très sensible à la rotation : certains lui trouveront une résistance trop faible ; il y a 3 tailles de potentiomètres (suivant la fréquence potentielle d’utilisation ou le degré d’importance), la plus grande étant vraiment grande. Les boutons poussoirs, façon Matrix-12/Modal 002, sont de qualité. Les textes sérigraphiés en noir sur fond blanc auraient gagné à être plus gras, pour une meilleure visibilité. En partie supérieure droite, on trouve un afficheur rétro-éclairé 2 × 16 caractères, qui sert à visualiser le nom des programmes, les paramètres en cours de modification et les commandes cachées (nous y reviendrons en détail).
Question position de jeu, c’est fromage et dessert chez Modor, puisque le NF-1 est livré (en plus du manuel en anglais très bien fichu) avec des flancs en bois et des équerres métalliques ; on peut donc l’installer indifféremment à plat ou dans un rack 6U. Les vis fournies sont un peu cheap et le fraisage des flancs en bois aurait pu être plus soigné. Le NF-1 s’intègre parfaitement dans un rack, puisque le constructeur a eu l’excellente idée de placer toute la connectique sur un panneau en retrait. Connectique d’ailleurs très rudimentaire : sorties gauche/droite stéréo niveau ligne (mais pas de sortie casque), duo de prises pédales (maintien et volume/modulation), trio MIDI et borne pour alimentation externe de type bloc à l’extrémité (9V/600 mA). Proposer une alimentation externe simplifie la vie, mais c’est une faute de goût, vu la haute qualité de la machine. Les possibilités MIDI sont complètes, puisqu’on peut émettre/recevoir tous les CC utilisés par les paramètres internes, dumper les programmes et mettre à jour l’OS. À l’intérieur du Modor, c’est du DSP56725 de chez Freescale (ex Motorola) : la machine est 100 % numérique et c’est parfaitement assumé par le constructeur (cf. interview en fin de test).
Sous la main
L’un des arguments de vente du NF-1 est sa généreuse façade couverte de commandes. La prise en main est franchement immédiate pour toute manipulation directe. Nous l’avons dit, les commandes sont bien dimensionnées, bien espacées et bien classées. L’écran reflète le nom et la valeur du paramètre en cours d’édition, que ce soit une commande interne, un contrôleur qui bouge ou un CC MIDI reçu (excellente idée pour ce dernier cas, on comprend tout de suite ce qu’il se passe venant de l’extérieur, ce qui fait du NF-1 un excellent analyseur de CC MIDI). Dommage que les potentiomètres ne fonctionnent qu’en mode saut, mais c’est déjà sur la liste du futur OS. Le NF-1 étant décidément original (et nous aurons encore l’occasion de le constater), quelques détails ergonomiques sont bons à mentionner : lorsqu’une section comprend plusieurs modules qui partagent les mêmes commandes (oscillateurs, enveloppes), on trouve des sélecteurs : habituellement, la sélection est exclusive (appuyer sur [OSC2] sélectionne l’OSC2 et désélectionne celui précédemment sélectionné) ; pas sur le NF-1 : sélectionner un tel paramètre le cumule avec le ou les autres de la même espèce, si bien que tous les paramètres communs sont édités en même temps ; inutile de dire qu’on a vite fait de ruiner ses réglages en deux temps trois mouvements. Modor devrait peut-être reconsidérer la chose, en activant par défaut le mode d’édition exclusive et en permettant l’édition commune lorsqu’on appuie simultanément sur plusieurs sélecteurs de modules…
Si on joue l’essentiel du temps avec les commandes en façade, il est parfois nécessaire de passer par les menus. Et là ça se gâte : le principe est de choisir une page menu avec la touche idoine et de l’éditer avec les 2 rotatifs à gauche de l’écran (encodeur et potentiomètre). Jusque-là, tout va bien. Mais pour entrer dans une des 9 pages menu, c’est comme au ball-trap : on appuie sur la touche [Menu] et on a une seconde pour appuyer de nouveau dessus pour changer de page. Si on rate la page cible, on recommence ! Jamais vu un truc aussi capillotracté… Les 9 menus concernent le chargement d’un programme, sa sauvegarde, son nom, son initialisation (merci), l’accès aux paramètres de synthèse additionnels, l’accès aux paramètres système (canal MIDI, accordage global, filtrage des Program Change/CC/Sysex), le réglage des formants du filtre (nous y reviendrons), le tempérament du programme (+/- un quart de ton pour les 12 notes d’une octave) et l’envoi du (des) programme(s) via Sysex MIDI. On peut changer de programme sans effacer le patch en cours d’édition, c’est pratique pour comparer les sons (quand on a compris comment bien utiliser le menu de chargement). Il n’y a pas de mode Panel reflétant la position physique des commandes (c’est à l’étude). Les paramètres de synthèse additionnels sont le panoramique, le volume du patch, la vitesse du LFO (normal/rapide), la source de la modulation du Pitch par le LFO (LS&H, S&H, LFO2, LFO1) et le mode de jeu (Poly, Mono, Legato). Dommage d’avoir planqué ici le volume et le panoramique de patch ! Tout bien réfléchi, de 9 menus, on pourrait aisément réduire à 3 : les paramètres de synthèse additionnels (ceux cités groupés avec les formants du filtre et le tempérament), la gestion des programmes (chargement, sauvegarde/nom, initialisation, dump) et les paramètres système globaux.
Territoires insolites
Le NF-1 permet de créer une palette sonore assez vaste, allant des nappes planantes aux percussions FM, en passant par les évolutions harmoniques subtiles et les ambiances flûtées. Il y a 448 mémoires réinscriptibles (14 banques de 32 sons). Par la variété de timbres qu’il peut générer et les possibilités de modulation, le NF-1 rappelle plusieurs synthés, tout en conservant une identité propre : il excelle dans les sonorités FM type DX, les textures additives type K5000 et les évolutions vectorielles type SY35. Autant de machines à la programmation complexe voire catastrophique, là où le NF-1 est beaucoup plus facile à dompter, avec l’immense majorité de paramètres directement sous la main. En y réfléchissant bien, peut-être que le Fizmo d’Ensoniq (un OVNI lui aussi) serait la machine dont le NF-1 se rapprocherait le plus, que ce soit au plan sonore ou ergonomique.
On peut aussi créer des sons de cordes ou de cuivres, mais ils ont moins d’impact, de présence et de rondeur que ceux créés sur des synthés VA type Nord, Novation, Roland ou Korg. La même impression que nous avait laissé le Blofeld, en fait. À tel point que nous avons souvent abusé du potentiomètre de drive, pour redonner du mordant et du niveau audio (après tout il est là pour cela). De même, les basses claquantes typées Moog ne sont pas le domaine de prédilection du NF-1. Mais n’est-ce pas cela qu’on cherche, un son alternatif issu d’une programmation paisible ? La section effets joue bien son rôle d’embellissement sonore, parfaitement intégrée, en particulier le chorus qui apporte une belle largeur stéréo. Comme toute machine numérique, une recherche d’artefacts type aliasing ou quantification s’impose : le NF-1 se comporte bien tant qu’on ne franchit pas un certain seuil de fréquence lors d’intermodulations audio ; sinon, gare aux borborygmes, gargouillis et autres gémissements numériques. Quant aux effets de quantisation, on les entend sur la coupure du filtre à résonance élevée ; cela se limite toutefois au maniement du potentiomètre, car les modulations via les enveloppes ou les LFO sont tout à fait lisses.
- 01 AttackStrg 00:42
- 02 Bonx Bass 00:41
- 03 Disto4 00:23
- 04 ModW Bibbr 00:20
- 05 RDV2 00:16
- 06 Ring Pad 00:22
- 07 PWMPWM 00:47
- 08 Stabs Dry 00:20
- 09 Stabs Chorus 00:19
- 10 Stabs Chorus Delay 00:20
- 11 Twinkles 00:38
- 12 Fluty 00:33
- 13 EP 00:18
- 14 Voice Bed 00:30
- 15 Voice Solo 00:22
- 16 Ze Horror 00:27
Moteur V8
Le NF-1 est capable de générer une polyphonie de 8 voix totalement numériques. La sortie est en 16 bits/44 kHz, mais le moteur interne tourne principalement en 24 bits (même 48 bits dans le filtre à formants). La machine est hélas monotimbrale et il semble que cela restera ainsi.
Chaque voix consiste en une chaîne d’oscillateurs, filtres, ampli et effets, avec un bon paquet de modulations. Comme nous allons le voir, les modules font preuve d’originalité et de personnalité qui font sortir le NF-1 des sentiers battus. Chaque voix possède 3 oscillateurs en tous points identiques, 1 générateur de bruit et 1 modulateur en anneau. Les ondes sont calculées en temps réel. Chaque oscillateur peut générer 10 ondes distinctes (non cumulatives) : on retrouve, en entrée, les 3 grands classiques de la synthèse soustractive (triangle, impulsion et dent de scie) parce qu’elles le valent bien ; leur contenu harmonique est variable et modulable. S’ensuit une onde autosynchronisée carrée, qui ne consomme donc pas d’oscillateur supplémentaire, bien vu ! Les 6 ondes suivantes sont un peu plus barrées, avec un spectre variable et modulable. À commencer par 3 ondes de bruit : Sonarnoise est un bruit passé dans un filtre passe-bande dont on peut moduler la résonance ; Windnoise est un bruit de souffle passé dans un filtre en peigne dont on peut atténuer les fréquences basses ; Arcadenoise est une émulation de la puce SID équipant les jeux d’arcade des 80’s.
Viennent ensuite 2 ondes FM (FM et Feedback FM) composées de 2 sinus (un porteur et un modulateur), dont on peut régler indépendamment le ratio en multiple de la fondamentale (jusqu’à 8x la fréquence fondamentale pour le porteur et 16x pour le modulateur), comme sur un DX (exemples de ratios : 1:2, 3:1, 8:7, 4:13…) ; l’onde Feedback FM possède une boucle de feedback additionnelle sur le modulateur. Vient enfin une onde additive, où les harmoniques sont ajoutées à différents rangs multiples de la fondamentale (1, 2, 3, 4… jusqu’à 16 fois la fréquence – avec décalage possible du rang harmonique initial de 1 à 8). Pour chaque onde, on peut ajuster la hauteur (réglage grossier sur +31/-32 demi-tons et fin sur +/-1 demi-ton) et la variation (largeur d’impulsion, pitch de l’onde synchronisée, filtrage interne, FM, contenu harmonique… tout ça dépend du type d’onde initial). Cette variation est modulable par le LFO1 et les enveloppes (ENV1 > OSC1, ENV2 > OSC2 et ENV3 > OSC3). Le pitch global (3 oscillateurs) est modulé par l’enveloppe 1 et une source LFO à choisir dans le menu (différents LFO ou un S&H). Le générateur de bruit est de couleur blanche et la modulation en anneau concerne les oscillateurs 2 et 3. Les 5 sources sont ensuite mélangées dans un mixeur avant d’attaquer, ensemble, les filtres.
Parole de filtres
La section filtres du NF-1 est l’un des points forts de la machine. Elle a été tout particulièrement soignée. On dispose de 2 filtres indépendants, configurables en série ou en parallèle. On commence par un filtre à formants haute résolution, plutôt rare sur un synthé matériel. Le dernier que nous ayons testé était celui du Solaris. Mais le NF-1 va plus profond dans ce domaine, tout en permettant une édition aisée. Le principe est d’accentuer certaines fréquences audio pour générer des voyelles. Le filtre à formants du NF-1 est basé sur 3 positions de voyelles programmables, entre lesquelles on peut faire du morphing, à la main ou via des sources de modulation. Pour ne pas partir de zéro, la machine offre 10 voyelles pré-programmées (pour ceux que ça intéresse, le manuel, téléchargeable sur le site du constructeur, donne les tables de fréquences des 4 formants utilisés pour chaque voyelle) ; mais on peut aussi fabriquer son propre trio de voyelles, en paramétrant le niveau global et les 4 fréquences de formant (via le menu). La position entre les 3 voyelles peut être directement modulée par le LFO3 ou l’enveloppe 3 (modulations bipolaires), mais aussi via une matrice dont nous reparlerons. On peut doser entre le signal envoyé dans le filtre et le signal direct ; là encore, c’est modulable. Ce filtre a été particulièrement soigné, avec sa résolution de 48 bits permettant d’assurer une qualité tip top ; un compresseur/limiteur automatique permet de maintenir le filtre en place lorsqu’il devient instable, une délicate attention pour nos oreilles et nos gamelles. Les résultats permettent une nouvelle fois de sortir des sentiers battus, quand on commence à faire évoluer les fréquences en temps réel.
Le second filtre est de type multimode résonant à 2 pôles. Il offre les modes passe-bas, passe-bande, passe-haut et Notch. La résonance va jusqu’à l’auto-oscillation, où elle produit une onde sinus non sifflante, sans aliasing, tant que les formes d’onde ne sont pas tourmentées ou que le drive n’est pas élevé (sinon le filtre se met à hurler). En ajustant le suivi de clavier, on peut jouer avec la résonance seule. Pousser la résonance n’écrase pas les autres fréquences présentes. La fréquence de coupure est directement modulable par le suivi de clavier, le LFO2 et l’enveloppe 2 (modulations bipolaires). Les 2 filtres peuvent être routés en série ou en parallèle. En série, la sortie du mixeur des oscillateurs est routée vers le filtre à formants ; le paramètre Mix de ce filtre permet de doser la partie du signal filtré/non filtré, la somme de ces deux signaux passant alors dans le filtre multimode 2 pôles. En mode parallèle, la sortie du mixeur est envoyée aux 2 filtres, qui traitent séparément le même signal ; le paramètre Mix dose la balance des signaux à la sortie des deux filtres. Tous les mixages sont modulables. Le signal passe ensuite par la section ampli, où il peut être accentué par un Drive final ; on peut également doser le volume et le panoramique, dommage que ce soit via le menu. Comme nous l’avons dit rapidement, les 8 voix peuvent être jouées en mode Poly, Mono ou Legato. Le mode Mono ne coupe pas les segments de Release d’enveloppe. Un potentiomètre Glide permet d’ajuster le temps de portamento entre les notes ; il fonctionne dans tous les modes de jeu des voix, donc en polyphonie, en mono permanent et en mono uniquement lorsque les notes sont liées. Sympa…
Modulations matricielles
Le NF-1 permet de moduler l’ensemble de ses paramètres continus. Pour cela, on dispose des contrôleurs physiques, des CC MIDI, de 3 LFO, d’un S&H et de 4 enveloppes. Les LFO travaillent dans une large plage de fréquences : de 0,1 à 10 Hz en mode normal et de 2 à 200 Hz en mode High, vivent les modulations audio ! Les 2 premiers LFO offrent des ondes triangle, dent de scie, carrée et sinus. Le LFO1 est indépendant pour chaque voix. Le LFO2 peut être synchronisé à l’horloge MIDI. Le LFO3 est un vibrato triangulaire dont l’amplitude est assignée à la molette de modulation. Enfin le générateur de S&H crée des paliers aléatoires ; il est assignable via la matrice, dont nous n’allons plus tarder à parler, et le menu… Dans le menu, on peut basculer en mode LS&H, un S&H dont les paliers sont adoucis.
Poursuivons avec les enveloppes. Le Modor en offre 4, pré-assignées au Pitch, au filtre multimode, au filtre à formants et à l’ampli. Elles sont bien sûr toutes réassignables via la matrice dont nous allons vraiment finir par parler… Elles sont de type 4 temps (T)/3 niveaux (L), ce qui en complique un peu l’utilisation. Heureusement, les 7 paramètres sont directement accessibles en façade, avec des plus gros boutons pour les ADSR. En réglant T2 à zéro et L1/L2 à 127, on se retrouve en ADSR. Nous avons trouvé ces enveloppes un peu molles ; on contourne ce problème en auto-modulant les temps d’enveloppe via la matrice, mais ça ne le fait pas assez et ça mange un cordon ; il faudrait un mode Booster (comme sur la vitesse des LFO) pour pouvoir créer des sons qui déboitent plus. Des possibilités de bouclage d’enveloppes seraient aussi les bienvenues…
On finit en apothéose avec la matrice de modulation à 7 cordons virtuels, permettant de relier 7 sources (parmi 16) à 7 destinations (parmi 59) avec quantité d’action bipolaire. Ceci se fait rapidement grâce aux 3 boutons et 2 rotatifs autour de l’écran. Les sources sont les 3 LFO, les 4 enveloppes, la vélocité, le suivi de clavier, la molette de modulation, le Pitch bend, la pédale de volume (ou CC#7 MIDI), un générateur aléatoire, le S&H, le LS&H (expliqué ci-dessus) et la pression. La liste des destinations est impressionnante : le Pitch de chaque oscillateur ou le Pitch global, les variations d’oscillateur, leurs niveaux, le volume, le panoramique, la fréquence du filtre, sa résonance, la position du filtre à formant, son mix, le Drive, le volume du modulateur en anneau, tous les paramètres de toutes les enveloppes, la vitesse des LFO et du S&H, les harmoniques du porteur et du modulateur FM et tous les paramètres d’effets… bref, tous les paramètres continus de la machine ! Il y a tellement de paramètres sympathiques à moduler dans le NF-1 qu’on aimerait vraiment avoir plus de cordons, genre 16. D’autant qu’il n’y a ni arpégiateur ni séquenceur, alors siouplait Monsieur Modor !
Effets doubles
De nos jours, les synthés numériques intègrent pour la plupart une petite section effets. Le NF-1 ne déroge pas à la règle, avec deux effets séparés : un chorus/flanger stéréo et un délai. Le chorus/flanger est un filtre en peigne modulé, qui prend le signal et l’ajoute plein de fois avec un court délai (quelques centièmes de seconde), la vitesse du délai étant modulée par un LFO. Sur le NF-1, on peut directement régler la balance Wet/Dry, le temps de délai, la profondeur de modulation, la vitesse de modulation et le feedback (positif/négatif). Le second effet est un délai mono. On peut directement régler la balance Wet/Dry, le temps de délai (jusqu’à 750 ms), le feedback (pour accentuer le nombre de répétitions et leur volume), le filtre (type passe-bas 1 pôle pour atténuer les aigus comme sur un écho à bande) et la synchronisation à l’horloge MIDI. Lorsque cette dernière est activée, le potentiomètre [Time] règle la division temporelle, de 1/2 à 1/16e de notes. Dommage qu’il n’y ait pas de réverbe, mais mieux vaut pas de réverbe qu’une mauvaise réverbe. Ici, on a la qualité, en particulier le chorus bien utile pour réchauffer et élargir certains types d’ondes.
Vœux de succès
Le NF-1 est un OVNI dans notre galaxie synthétique. Avec ses boutons disposés en oblique, ses oscillateurs singuliers, son filtre à formants peu courant et ses modulations souples, ce généreux module étonne par ses sonorités originales et variées : un peu de VA certes, mais aussi un mélange de FM, d’additif et de spectres. On peut à juste titre lui reprocher le moteur monotimbral, tout comme l’absence d’arpégiateur, de séquenceur ou d’entrée audio ; mais c’est sur l’ergonomie des menus que le NF-1 doit surtout progresser. Bref, pour celui qui veut sortir du sempiternel VA avec un instrument insolite, sympa à utiliser et bien construit, le NF-1 est à considérer sérieusement. Nous lui souhaitons le franc succès qu’il mérite…
Téléchargez les fichiers sonores (format FLAC)
Interview de Marcel Belmans, fondateur de Modor Music
Lors de notre test, nous avons beaucoup apprécié l’humilité et la disponibilité de Marcel Belmans, 36 ans, fondateur de la société Modor Music et concepteur du NF-1. Il a gentiment et rapidement répondu à nos questions. En plus, il s’est donné la peine de communiquer avec nous dans un excellent français, alors qu’il est néerlandophone (mais c’est bien connu, les Néerlandophones savent parler toutes les langues !).
AF: Marcel, pouvez-vous nous présenter Modor ?
MB : la société Modor Music est une toute petite et toute nouvelle entreprise belge ! Elle a commencé à commercialiser son premier synthé, le NF-1, en mars 2015. Nous sommes basés à Anvers, en Belgique. Le nom Modor m’a été proposé par une amie qui a dessiné un premier concept du logo en partant de ce mot. Le mot « Modór » est un vieux mot germanique qui signifie « Source » ou « Origine » (même racine que « Mother » en anglais ou « Moeder » en néerlandais). Une source de son, une source d’inspiration, c’était déjà pas mal, non ? Puis j’ai pensé à ce que je voulais créer : des instruments très tactiles pour encourager la créativité dans la conception de nouveaux sons, qui permettent de modifier et moduler des sons. D’où l’idée de « Sound Modificator » – « Sound Modulator » – « Sound Modor ».
AF: Qui sont les fondateurs et quel est leur parcours avant Modor ?
MB : je suis le seul membre de la société Modor, mais je travaille beaucoup avec Maks Konings de Turnlab. Maks s’occupe de la partie commerciale, avec son gros carnet d’adresses de professionnels (et aussi de moins pro, tout le monde est le bienvenu) dans le monde de la musique électronique. Moi, je suis un ingénieur, mais pas en électronique ou informatique, un ingénieur géologue. Mais les cours de base d’électronique et informatique étaient suffisants pour faire le reste en autodidacte.
AF: Pourquoi vous êtes-vous lancé dans la conception d’un synthé ?
MB : à chaque période de ma vie, j’ai toujours eu une activité à côté de mon activité « officielle », que ce soit à l’école, pendant les études, au travail… pour stimuler la créativité. J’ai toujours voulu créer quelque chose par moi-même, avec la liberté d’en faire ce que je voulais. Je jouais de la musique, je construisais mes propres petits appareils électroniques, je développais un synthé sur ordinateur… puis un jour, j’ai rassemblé toutes mes activités. Et j’ai vu que le dénominateur commun, c’était la création d’un synthé à part entière.
AF: Que signifie NF dans NF-1 ?
MB : « Noises & Formants » ; ce sont les deux aspects du NF-1 les plus différenciateurs par rapport aux synthés « classiques ». Il y a les trois formes d’ondes de type bruit spectral, permettant de créer des couches qui apportent un certain grain au son ; et il y a le filtre à formants. Ce type de filtre existait déjà avant, évidemment, mais on ne trouve nulle part un filtre à formants si facile à utiliser et si intuitif.
AF: En ces temps de revival analogique, pourquoi avoir choisi la voix numérique ?
MB : je ne voulais pas améliorer les synthés existants, je voulais faire quelque chose de tout nouveau. Et pour cela, j’ai vu plus de potentiel dans le domaine numérique. J’ai l’impression qu’à une certaine époque, on a arrêté le développement de nouvelles formes de synthèses numériques alors qu’on était encore loin d’en avoir atteint le bout. Mais tous les musiciens se détournaient vers les vieux synthés analogiques. Je me suis toujours demandé si c’était parce qu’on n’aimait pas le son des instruments numériques… Ou plutôt parce qu’on n’aimait pas le fait qu’ils étaient impossibles à programmer… Un seul contrôleur et quatre boutons sur le panneau pour naviguer dans de vastes systèmes de menus, avec des centaines de paramètres, sur un petit écran de deux lignes ! Pensez aux synthés FM de Yamaha, au Korg M1, à l’E-mu Morpheus… Évidemment beaucoup de gens préfèrent le son analogique, mais je suis sûr qu’il y a des gens qui ont tourné le dos au numérique par frustration, parce que ces instruments étaient inutilisables. On se contentait de jouer les presets d’usine, avec leur son poli par des super ingénieurs du son, mais pas toujours musiciens ! Moi je ne veux pas avoir à dire où est le meilleur entre le son analogique et le son numérique. Cette question n’a aucun sens, et il n’y aura jamais de réponse définitive. Mais à ce jour, je vois plus de potentiel de développement dans le domaine numérique.
AF: Qu’est-ce qui fait du NF-1 un synthé unique en son genre ?
MB : à la base c’est plus ou moins un synthé VA, mais qui n’essaie pas d’imiter le son analogique. Je suis allé chercher des choses plus atypiques pour étendre le domaine de la synthèse VA. Ce sont bien sûr les « Noises & Formants » dont on a déjà parlé, mais aussi la possibilité d’intégrer de la FM 2 opérateurs dans ce système VA, des enveloppes à 7 paramètres pour créer des évolutions un peu plus complexes et des effets chorus/flanger et délai simples mais efficaces, avec tous les paramètres directement accessibles.
AF: Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
MB : en fait, la plus grande difficulté a été de commencer un tel projet, en pensant qu’il devrait un jour être achevé. Après le démarrage il y a plus ou moins 5 ans, le synthé a grandi lentement, pas à pas. Mettre les briques les unes après les autres n’est pas difficile. Et si on continue à ajouter des briques, après un certain temps, on a construit une maison !
AF: Qu’avez-vous déjà en tête comme améliorations ou nouvelles fonctions ?
MB : il y aura encore une mise à jour de l’OS (que l’on pourra installer dans chaque NF-1 après coup, pas besoin de différer son achat…) avec entre autres un mode Snap/Take Over afin d’éviter les changements brusques involontaires quand on touche accidentellement une commande. Des corrections pour des petits bogues… Mais il n’y aura plus de grands changements. L’espace mémoire programme est plein à 99 %. Il n’y a plus de place pour de grandes nouveautés ou des extensions.
AF: Pour vous, qu’est-ce qui signifierait le succès du NF-1 ?
MB : je parlerai de succès quand ça m’aura rapporté assez d’argent pour quitter mon emploi (j’ai encore un boulot, disons « régulier », dans un bureau d’études…) et que je puisse m’occuper à 100 % de la conception et de l’assemblage de nouveaux synthés. Ça peut sembler modeste, mais je pense que ça ne sera pas si facile. Modor Music ne deviendra en aucun cas un géant comme Korg ou Roland. Je veux rester petit et indépendant.
AF: Pouvez-vous nous dire un mot sur une éventuelle suite au NF-1 ou un autre produit ?
MB : pas encore, on va d’abord s’occuper du lancement du NF-1. Mais j’ai déjà réfléchi à des filtres numériques encore beaucoup plus spéciaux… et des types de modulations plus complexes… J’ai déjà quelques idées, mais ça reste encore assez vague. Un jour, je me mettrai à la création d’un tout nouveau synthé. Et ce ne sera pas un NF-2 !