Quand le roi de la pédale haut de gamme entreprend de virtualiser son iconique réverbe, inutile de dire que lève un sourcil et dresse les deux oreilles, prêt à cliquer sur le footswitch…
Le petit monde des pédales d’effet pour guitare est à la fois extrêmement foisonnant et extrêmement conservateur. Si quantité de marques plus ou moins grosses s’y bousculent pour proposer chaque année pléthore de nouveaux produits, il est en général bien dur d’accoucher d’une pédale qui devient instantanément une référence dans son genre, les guitaristes ayant pour la plupart un goût prononcé pour le Vintage et les références bien établies. C’est ainsi qu’en dépit de tous les efforts des constructeurs, les pédales les plus vendues demeurent toujours des modèles qui ont plus de 30, 40 voire 50 ans d’existence… Et de ce fait, on aura d’autant plus d’estime pour Strymon dont la Blue Sky sortie en 2010 puis la Big Sky ont fait office de « game changers » sur le marché de la pédale de réverbe.
Il faut dire qu’un boulevard s’ouvrait à la marque tant le monde de la guitare était en retard sur celui du studio sur ce point précis. Jusqu’alors, nombre de guitaristes se contentaient en effet de pédales n’ayant rien de transcendant niveau son (Boss RV, ElectroHarmonix Holygrail) car loin des algos de référence qu’on utilise en studio… Du coup, lorsque la Blue Sky débarque, elle se taille vite une grosse réputation, tant par la qualité de ses programmes que par la polyvalence de ces derniers, à plus forte raison quand sort la BigSky, version plus avancée de la BlueSky. Or, c’est précisément de la BigSky qu’il s’agit ici, à l’heure où Strymon passent toutes ses pédales en V2. Que vaut l’émulation d’une des réverbes reines de la guitare une fois virtualisée en plug-in ? C’est ce que nous allons voir !
Blue cheese
Et côté réverbe précisément ? Eh bien on retrouve tout ce qui fait le succès de la BigSky, à savoir onze algos couvrant à peu près tous les besoins normaux en réverbération, et même un peu plus. En supplément des algos Hall, Plate, Room et Spring classiques sur les descriptions desquels on ne s’étendra pas, on dispose ainsi de :
– Swell, où une enveloppe de volume fait apparaître progressivement une grosse réverbe, et qui s’avère idéal pour garder de la lisibilité sur les attaques comme pour animer les notes tenues
- Bloom, une réverbe bien dense typique de celle utilisée par les groupe de Shoegaze des années 90.
- Cloud, qui semble jouer sur la synthèse granulaire pour produire un halo de réverbe
- Chorale, où l’usage d’un Vowel Filter (filtre à formant) donne l’impression qu’un chœur humain chantant des voyelles surgit de la réverbe…
- Shimmer, la recréation de l’effet inventé par Eventide où deux pitch shifter viennent transposer des signaux dans la réverbe pour créer une sorte d’aura sonore
- Magneto, une simulation des multiéchos à bande utilisés en simili réverbe dans les années 50
- Reflections, une réverbe de type Ambiance, avec des réflexions très courtes et la possibilité de placer graphiquement la source dans la pièce
- et enfin et surtout Non-Linear, qui rassemble plusieurs types de réverbes à effet spéciaux (3 types de réverbes inversées, réverbe gatée, etc.)
Bref, il y a de quoi faire, d’autant qu’on dispose de la possibilité de suspendre n’importe quelle réverbe de deux façons, via Infinite ou Freeze. En mode Infinite, la réverbe se suspend mais chaque nouvelle note que vous jouez va générer de la réverbe, alors qu’en mode Freeze, les notes que vous jouez demeurent Dry… Bref, c’est plutôt complet. Mais comment ça sonne ? Comme ça :

- Room00:09
- Room(2)00:09
- Hall(3)00:07
- NonlinearPlate00:09
- NonlinearPlate(2)00:09
- Bloom00:19
- Cloud00:19
- Magneto00:19
- Magneto200:19
- Nonlinear(2)00:09
- NonlinearSoundDesign00:09
- NonlinearSoundDesign(2)00:09
- NonlinearSoundDesign(3)00:09
- NonlinearSoundDesign(4)00:09
- Reflections00:09
Voyez que pour ce qui est des grosses réverbes « lushy », la réputation de la BigSky est amplement méritée, tandis que ses programmes Reflections, Room et Hall font la blague… Personnellement, j’avoue que c’est le mode Chorale qui m’a le plus séduit, parce que l’idée est excellente et que cela permet véritablement de hanter une piste avec des voix fantomatiques :

Mais le shimmer vaut aussi son pesant de cacahuètes que ce soit pour soutenir un choeur dans le grave ou créer des traînées scintillantes sur un piano :

- voixdry00:30
- voixlowblow00:30
- pianoshimmer00:27
Sympa, non ? Sachant que je ne suis pas parvenu à reproduire cet effet avec le Vowel Filter d’Audiothing et une Valhalla : impossible d’avoir quelque chose d’aussi bien intégré à la réverbe…
En revanche, l’algo spring m’a semblé, comme trop souvent, un peu trop caricatural dans son côté « boing-boing », ce qui n’a rien d’étonnant vu l’ADN guitare de la BigSky. On est loin toutefois d’avoir quelque chose d’aussi polyvalent que ce que proposent PSP Audioware avec Springbox et Nexcellence, ou encore Aegan avec sa Spirit Reverb, même si ça demeure très correct.
Bilan positif donc ? Assurément, mais…
Le ciel bleu peut bien s’effondrer
Car il y a évidemment un « mais », et même plusieurs. D’abord, le plugin ne brille pas forcément par ses myriades de fonctionnalités avec des possibilités d’égalisation très rustiques se limitant deux contrôles Tone et Low end, et surtout l’impossibilité de synchroniser le prédélai au tempo. Certes, ce côté rudimentaire très compréhensible dans le contexte d’une pédale guitare permet au plug-in de rester simple mais dans le monde du studio, on est souvent habitué à disposer d’un peu plus de contrôle sur les choses. Il y a en revanche une limitation beaucoup moins pardonnable : le logiciel reprend le défaut principal du modèle hardware en ne gérant pas la True Stereo, ce qu’on aura bien du mal à pardonner à ce prix. Voyez par vous même comme la réverbe à 100% perd l’information stéréo de ce delay : :

- PingPongDry00:04
- PingPongRoom100Wet00:04
Dans le trajet interne du signal, on a en effet à un moment une sommation mono de sorte que le delay ping-pong placé en amont se transforme en delay ping-ping… et c’est très très dommage pour en effet sensé donner un sentiment d’espace, car si on comprend cette limitation sur une pédale matérielle guitare dont la puissance DSP est limitée, en sachant en outre que nombre de guitaristes ne font pas usage d’un setup stéréo, les exigences sont toutes autres dans le monde du studio… Perdre la stéréo d’un signal parce qu’on insère un effet dessus, c’est selon moi rédhibitoire quand aucune limitation en DSP ne pourrait expliquer ce choix.
Du coup, en regard de tout cela, on se fera sa propre idée du prix de 235 euros réclamé pour le plug. On peut juger le prix raisonnable si l’on considère qu’on dispose d’une réverbe simple et sonnant globalement bien pour deux fois moins cher que le modèle hardware de référence qu’elle émule…
Mais on peut aussi juger le prix deux fois trop cher pour une réverbe qui n’est pas True Stereo et qui, au-delà des grosses ambiances qui sont sa spécialité et du mode Chorale intéressant, ne brille pas spécialement par ses plates, room, hall ou spring par rapport à ce qu’on trouve sur le marché… Comprenez que Strymon ne surclasse pas ses concurrents comme il l’a fait dans la guitare…
Bref, s’il y a suffisamment de bonnes choses dans ce premier galop informatique pour espérer que Strymon va persévérer, il y a suffisamment de choses discutables aussi pour qu’on attende une V2 qui en fasse plus que la pédale, soit une BiggestSky un peu plus ambitieuse pour le monde du studio…
Conclusion
En tant que guitariste, vous adorez votre BigSky et désespériez d’en avoir une version plug-in pour vous simplifier la vie en home studio et pouvoir en mettre sur toutes vos pistes ? Réjouissez-vous car Strymon nous en propose une émulation exacte, peut-être même trop exacte si l’on considère que le principal défaut de la pédale, soit l’absence d’un traitement True Stereo, se retrouve dans le plug-in. Au-delà des aficionados de la marque, il y ainsi peu de chance que l’arrivée de la BigSky dans le monde très concurrentiel des plug-ins de réverbe remue les foules : avoir autant d’algos différents dans un même plug a beau être pratique, cela ne suffira probablement pas à faire de l’ombre aux leaders de marché. Il n’en demeure pas moins que ce portage reste une réussite en termes de fidélité à l’original et que l’on est curieux de voir si le constructeur aura à cœur de nous proposer d’autres virtualisations de ses produits ou, qui sait, des choses plus originales…
