Pour cette nouvelle étape dans l'exploration des services Mastering en ligne, on passe chez BandLab. Tout un univers, un sujet peut-être un peu clivant, mais surtout un service d'une rapidité ébouriffante et... gratuit !
Masters à partager
BandLab, c’est tout un monde. Un DAW, une app, presque un réseau social… pas évident à appréhender ou à expliquer pour celles et ceux qui ne connaissent pas. Lors de notre inscription, on nous demande si on est artiste, fan, si on cherche des collaborations… Puis quelle musique on écoute, quels artistes nous inspirent ? Au final, on atterrit sur un fil d’actualité, exactement comme sur les réseaux généralistes, où des musiciens postent leurs morceaux, commentent ceux des autres. En cherchant un peu dans les menus, on accède à toute la gamme des propositions de BandLab, classées en trois catégories : Créer – pour composer et produire de la musique – Développez-vous – pour faire connaître ses œuvres, les diffuser – et Gagner – pour monétiser sa musique. Tout cela est donc très vaste, les propositions sont très diverses et certaines nous semblent un peu farfelues, et nous allons nous concentrer sur la partie qui nous intéresse : Créer.
On monte un groupe ?
Parmi les outils de production proposés, on visite en premier lieu le Studio : un DAW en ligne, où on retrouve toutes les caractéristiques de nos logiciels habituels. On peut ici enregistrer ou importer de l’audio, jouer des instruments virtuels sur des boîtes à rythmes, insérer des effets, et au final mixer tout cela. BandLab propose aussi une collection pléthorique de banques de sons et de boucles, pour agrémenter nos productions, un outil d’Intelligence Artificielle pour nous aider à « trouver l’inspiration » (on a brièvement essayé, on n’y retournera probablement pas). Autre originalité, on trouve un « séparateur » pour isoler les différentes pistes à partir d’un fichier audio. Enfin, BandLab se décline aussi sur téléphone, avec une application qui nous permet de continuer à composer et partager les œuvres depuis notre phone intelligent… évidemment. Mais surtout, ce qui nous intéresse aujourd’hui dans ce monde virtuel et si moderne, c’est le service de Mastering en ligne, qui est, comme tout le reste des services, gratuit ! Eh oui… C’est la première fois de notre voyage à travers les sites de mastering que c’est le cas, et ça pose forcément la question suivante : à quel moment gagnent-ils de l’argent chez BandLab ? Probablement à l’étape suivante, qui consiste à diffuser la musique et à la monétiser. À ce niveau-là, pour accéder à un certain niveau d’efficacité, les services peuvent devenir payants.
Du Feu et de la Clarté
En se penchant de plus près sur la page Mastering, on voit quatre propositions différentes illustrées par un pictogramme et nommées de manières plus ou moins évocatrices. Pour chacune de ces orientations possibles pour notre master, BandLab propose quelques styles pour lesquels cela fonctionnerait, et une petite description. Universel, pour le rock, la pop et l’électronique, produira des « dynamiques naturelles » et des fréquences équilibrées ; Feu, pour la trap ou le reggaeton, génère des « basses puissantes » ; Clarté, pour les musiques classiques ou acoustiques, propose des « aigus clairs et une légère expansion dynamique » ; et enfin Cassette, pour le jazz ou le rock, se démarque par une « saturation chaude » et des « dynamiques analogiques » (le traitement, évidemment, est totalement numérique et n’a rien d’analogique). Avant même d’insérer une piste audio qu’on souhaiterait traiter, des exemples nous sont proposés pour chaque option, avec la possibilité de passer de l’original au master. Les morceaux, instrumentaux, ne sont composés que de sons électroniques, et sonnent plus comme des sonneries de téléphone ou des musiques d’ascenseur version 2024, que comme des œuvres musicales. Pas de rock, de jazz ou de musique classique, pour revenir aux esthétiques listées par la marque, pas une voix, il nous est difficile de nous faire une idée intéressante d’après ces écoutes. Il faudra charger un de nos morceaux pour aller plus loin dans l’exploration, et cela tombe bien, car un petit bouton en bas à droite nous y invite. On choisit d’utiliser deux morceaux : Shirt Off, avec sa batterie acoustique et multiples guitares, pop-rock avec une voix plutôt douce, et B.I.C., hip-hop coloré 90's avec une voix frontale et un discours ciselé, des samples et synthés en accompagnement. Et puisque c’est gratuit, et que nous ne sommes pas limités, les deux chansons seront traitées et écoutées dans les quatre versions possibles.
En avant la MixTape
On charge donc la première piste audio, et après quelques secondes un nouveau cadre plus sombre apparaît, où on visualise la forme d’onde et à nouveau les quatre options de master. Sans rien nous demander, BandLab lance la pré-écoute sur l’intégralité du morceau, avec le mode par défaut Universel. À partir de là, on peut alterner entre l’original et le master, et passer d’une option de master à une autre pour comparer ces différentes propositions. Alors qu’on abordait le contexte global BandLab avec une certaine défiance, la proposition Universel sur notre chanson Shirt Off nous semble d’emblée plutôt crédible ! À creuser, donc… On notera ici qu’aucun réglage ne nous est proposé, au-delà de ces quatre couleurs à prendre pour ce qu’elles sont, qu’aucun type de fichier, format ou résolution, n’est mentionné, et encore moins un niveau LUFS, une destination d’écoute ou de diffusion pour ce master. Une fois qu’on a choisi le master que l’on souhaite, on clique sur Télécharger, et le fichier est généré très rapidement, pour atterrir dans le dossier « téléchargements » de notre ordinateur. Globalement, les temps de traitement lors des différentes étapes sont ridicules, la vitesse du service est franchement bluffante. La première mauvaise surprise, c’est que le fichier généré n’est pas renommé, il garde le nom du fichier d’origine… pas très pratique. La seconde, c’est que le fichier en question n’est téléchargeable que dans un format, qui n’est donc mentionné nulle part, et on découvre après coup que c’est un WAV 16 bits 44.1 kHz. Assez surprenant, car le standard tend aujourd’hui plutôt vers le 24 / 48, notamment pour les plateformes de streaming.
On enlève le tee-shirt, on sort le stylo
La première des informations que l’on peut tirer une fois notre session d’écoute créée et organisée, c’est que les niveaux ne sont pas trop disparates. Certes, on ne vise ici pas le –14 dB LUFS exact que nous recommandent les plateformes de streaming et les masters produits par BandLab ne sont pas limités à –1dB en instantané, mais nos niveaux sont cohérents les uns par rapport aux autres et on obtient une écoute homogène en trimant nos fichiers mix, pré-master (fait maison) et master (par un studio de mastering parisien). Il s’avère même, après analyse, que tous nos fichiers tombent entre –13 et –15 dB LUFS et rentrent donc dans les critères de niveau intégré des plateformes.
Concernant l’écoute de Shirt Off, le premier mode sur lequel nous nous attardons, en l’occurrence le modestement appelé Universel, nous paraît tout de suite très crédible. Il est décrit comme préservant des dynamiques naturelles, et on doit bien dire qu’il respecte son descriptif. L’écoute est agréable, et une présence plutôt musicale en ressort tout en préservant la texture harmonique et sans que le tout devienne agressif. Le mode Feu nous prouve dès le début qu’il respecte également son descriptif, des graves très présents, voire envahissants, un haut médium quasiment absent, un manque d’intelligibilité évident dans la voix et un effet de pompe dû à l’omniprésence des graves qui semblent écraser le reste du mix à chaque coup de kick. Le morceau ne correspondant en aucun cas aux styles musicaux censés répondre aux spécificités de ce mode, la logique parait respectée. Le mode Clarté nous présente rapidement un déficit de compression, on manque de frontalité dans l’ensemble du master. D’un autre côté, la balance tonale est plutôt respectée hormis une augmentation assez importantes des hautes et très hautes fréquences, ce qui fait ressortir un peu d’air, mais surtout les harmoniques des cymbales, le haut des consonnes sifflantes, et plus généralement l’enveloppe des timbres principaux. Il nous reste le mode Cassette, qui nous intrigue, parce que c’est certainement celui vers lequel nous serions allés instinctivement pour travailler ce morceau. BandLab nous propose ici une saturation chaude et une dynamique analogique, et ça tombe plutôt bien parce que notre master de référence possède aussi ces deux caractéristiques. À l’écoute, la saturation est un peu discrète, et on aurait probablement aimé qu’elle soit un peu plus assumée. Dans les modes précédents, les descriptifs fréquentiels annoncés avaient a contrario tendance à être exagérés. On est un peu troublés par les fréquences renforcées par le traitement, qui se situent plutôt entre 5 et 10 kHz, alors qu’on pourrait attendre de ces caractéristiques qu’elles viennent renforcer les hauts médiums, dans une saturation analogique. Sur l’ensemble des quatre propositions, il y a un léger déficit de représentation de ce qui se passe sur les côtés ; les petits détails d’arrangement et certains éléments de production nous semblent trop peu mis en valeur.
Passons à notre second morceau : B.I.C. Les attentes que nous plaçons dans le mode universel que nous avons trouvé séduisant sont vite contrariées. L’équilibrage fréquentiel nous semble ne pas réellement s’adapter aux caractéristiques de notre mix, qui est initialement plus agressif et peut-être un peu trop respecté ici. Il en ressort un réel déficit de médium et une présence exagérée des sifflantes et du charleston. Le bas du spectre est pourtant contenu, solide et équilibré. Il n’y a pas de mode qui soit particulièrement conseillé pour le Rap, mais on imagine que le mode Feu, recommandé pour la Trap pourrait fonctionner sur notre morceau. Encore une fois, l’augmentation des fréquences graves paraît très artificielle et pas vraiment musicale, et se fait au détriment des médiums et des composantes tonales mélodiques et harmoniques de notre mix. En passant en mode Clarté, on perd précisément tout ce qui nous intéresse dans le mix et qu’on aurait voulu faire ressortir au master. Le manque de travail des dynamiques nous saute aux oreilles, et on a la désagréable impression que seules les hautes fréquences viennent jaillir sur les impacts de la voix et de la rythmique. On passe donc à la suite et c’est cette fois le mode Cassette qui va nous paraître le plus adapté. On obtient un équilibre tonal plutôt à propos, tous les éléments prennent leur place, et la légère saturation amène une belle agressivité qui convient bien à ce morceau, bien que ce ne soit pas réellement la direction que nous avions prise dans notre master. Seule une accentuation excessive des aigus, et notamment vers 5 kHz nous prive d’une réelle homogénéité, et on regrette comme précédemment que la modélisation de distorsion analogique n’ait pas travaillé sur des fréquences un petit peu plus basses. À l’issue de nos deux écoutes comparatives, notre analyse des résultats nous fait plus penser à une rencontre entre un mix, ses propriétés et un mode de mastering, qu’à l’adaptation d’un mode aux particularités de chaque mix.
Tous les fichiers en 48 kHz et 24 Bits sont dans le fichier archive suivant.
Conclusion
Si, globalement, BandLab et ses multiples propositions ne nous intéressent pas beaucoup, c’est probablement parce que ces propositions ne s’adressent pas à nous. En revanche, la gratuité du service de Mastering, c’est tout simplement unique, donc forcément intéressant ! L’interface est simple, fonctionne très vite et nous n’avons déploré aucun dysfonctionnement pendant notre expérience (pas le cas de tous les services de Mastering en ligne). On constate par ailleurs que les quatre options, leurs descriptions et les résultats obtenus sont fidèles à ce qu’on pourrait en attendre, bien que les styles musicaux auxquels ils sont associés ne soient pas forcément à propos. Malgré le manque de paramètres disponibles et l’impossibilité de corriger quoi que ce soit, on obtient des propositions qui fonctionnent plutôt bien sur nos deux morceaux. Les spécificités fréquentielles de chacun des modes nous semblent pourtant légèrement trop marquées, et on regrette également le manque de travail sur la largeur du mix et la mise en avant automatique de tous les éléments centraux.