Un demi-siècle plus tard, Korg ressuscite l’un de ses tout premiers synthés dans une version modernisée. Le MiniKorg 700FS est une série limitée construite au Japon avec le plus grand soin. Affichant un tarif plutôt élitiste, séduira-t-il les nostalgiques de la marque ?
Au début des années 70, Keio Giken Kogyo est avant tout un facteur d’orgues électroniques. Voyant les premiers synthés américains se démocratiser peu à peu, la marque nippone envisage alors de développer un synthé abordable et simple d’utilisation. Monodique, il devra compléter la panoplie sonore des orgues maison à double clavier. Il se posera dessus : ses commandes seront dès lors placées sous le clavier, pour faciliter l’accès à un organiste vissé sur son siège. Né en 1973, le MiniKorg 700 est le premier synthé de la compagnie, qui finira par se rebaptiser Korg. Le 700 sera suivi en 1974 par le 700 S, doté d’un second VCO pour épaissir le son. La même année, le 800 DV MaxiKorg intégrera 2 voix de 700 dans un grand boitier doté d’un clavier de 44 touches, dont les commandes étendues sont placées en parallèle.
Le 700 S a été popularisé par Kitaro, Vangelis, The Human League, The Cars… de quoi constituer un bon fan-club de nostalgiques. Après avoir réédité les MS20, ARP Odyssey et ARP2600 dans des versions modernisées, Korg vient d’en faire de même avec le 700 S, sollicitant son concepteur d’origine, Fumio Mieda, pour en superviser le développement. C’est ainsi que le MiniKorg 700 FS a été présenté en 2021, puis produit au Japon au compte-gouttes de manière quasi artisanale. Quelques modèles étant encore disponibles en France, nous en avons récupéré un pour partager ce test détaillé…
Made in Japan
Le 700 FS reprend trait pour trait la conception et le look du 700S. Il est fait d’une coque en métal et de flancs en bois, mélangeant fonds sombres et commandes colorées. La construction est très soignée, avec des sélecteurs et curseurs refaits à l’identique, qui raviront les amateurs de design des 70’s. Leur maniement est très agréable, avec une résistance parfaite et un ancrage impeccable. Le clavier de 3 octaves est de très bon niveau, avec des touches noir satiné. Il s’apparente davantage au clavier du Kronos, avec des touches à ressorts indépendants, qu’au modèle d’entrée de gamme à touches multiples moulées, équipant les Modwave ou Odyssey. De plus, il répond à la pression (mais pas à la vélocité), ce qui ne gâche rien. Pour parachever le tout, le synthé est livré dans un écrin rigide sur mesure de couleur brune, avec un petit compartiment pour les accessoires. La classe ! Du coup, c’est un beau bébé de 74 × 28 × 12 cm pour 8,5 kg. Pas mal pour une machine appelée MiniKorg !
Les commandes reprennent l’organisation du 700 S, avec une disposition aussi particulière que la terminologie, auxquelles on s’habitue très vite ; une originalité voulue à l’époque pour se démarquer des synthés américains, mais qui n’a pas vraiment fait école. La plupart des commandes est placée sous le clavier, pour piloter le volume, la réverbe, les filtres, le VCO1, l’enveloppe, le vibrato, le portamento et l’accordage. Une autre partie des commandes, située à gauche du clavier, est dédiée au VCO2 et à ses interactions avec le VCO1, comme sur le 700 S d’origine. Grosse nouveauté, les boutons-poussoirs supplémentaires au-dessus du boitier. Ils permettent de sélectionner 14 mémoires de sons réinscriptibles et de passer en mode manuel, une excellente nouvelle qui démarque considérablement le 700 FS de son ancêtre. En tout, ce sont 14 curseurs verticaux, 3 sélecteurs rotatifs, 13 interrupteurs à bascule et 10 boutons-poussoirs qui équipent le synthé, soit un peu plus que sur le 700S. Autre singularité, on trouve un petit bâton de joie pour piloter le pitch à l’horizontale et deux paramètres assignables à la verticale (voir encadré ci-après pour la liste des améliorations).
Connectique revisitée
Le 700 FS dispose d’un mode Global accessible par combinaison de boutons assez simple. On peut y régler le canal Midi, la division temporelle de la synchro, la polarité des entrées ou sorties (CV, Gate, Synchro), la réaction du clavier (prise en compte de 2 hauteurs de capteurs à l’enfoncement), le routage Midi DIN/USB, le mode Midi Local et la réponse des commandes (saut ou seuil, merci). Korg a choisi de ne pas sérigraphier ces commandes, on ne lui en voudra pas, car on y accède très rarement et le manuel succinct explique comment y accéder rapidement. Dans la machine, les circuits traversants des 70’s ont cédé leur place à une conception CMS plus actuelle, comme sur les autres rééditions Korg/ARP citées précédemment. Cela ne semble pas affecter la présence sonore et le caractère bien trempé du 700 FS, on en reparle juste après…
Le 700 S ne disposait que de deux prises jack : sortie audio Low et sortie audio High. Cette fois, Korg a sérieusement revu sa copie, propulsant le 700 FS dans le monde moderne. Non seulement la connectique est solidement ancrée ou sertie sur le panneau arrière, mais elle est généreuse : sorties L/R (jack 6,35), sortie casque (jack 6,35 TRS) avec mini-potentiomètre de volume, entrée audio (jack 6,35) vers le filtre (pour traiter un signal externe type synthé ou oscillateur avec le reste du signal interne), entrées CV/Gate (mini-jack), entrée/sortie synchro (mini-jack), entrée Midi DIN et prise USB type B. Deux points à signaler : d’abord, la sortie audio est stéréo pour bénéficier de l’effet spatial créé par la réverbe à ressort ; ensuite, toutes les commandes en façade (sauf le volume général) transmettent des CC Midi (sauf le CC07), ce qui permet l’automation de la machine ; merci à Philippe Brodu, patron de la marque Korg chez Algam, d’avoir profité de ses soirées pour dresser le tableau des CC Midi omis par Korg. Une sortie Midi DIN et une paire d’entrées pour pédales auraient fait notre bonheur, dommage. De même, on aurait préféré une alimentation interne comme à l’origine plutôt qu’un bloc secteur très cheap, qui dénote vraiment dans cet ensemble particulièrement soigné.
Sound of the 70’s
Le 700 S était réputé pour ses sonorités brutes de fonderie. Il en est de même pour le 700 FS, un synthé Bass & Lead par excellence. Le synthé est livré avec 14 présélections réinscriptibles variées : basse bien grasse, basse claquante avec enveloppe rapide sur le VCF passe-bas, voix humaine émouvante mettant en valeur les VCO et la sélectivité de la paire de VCF, lead tranchant ciselé par les mêmes VCF dont on manipule les Travelers simultanément, lead bien crade grâce à l’intermodulation des deux VCO, arpège inattendu (miam miam !), solo planant cuisiné à la réverbe à ressort intégrée. Celle-ci apporte une belle ambiance et crée un léger espace stéréo qui justifie l’utilisation des sorties L/R. On apprécie la couleur des VCO, en particulier les positons Chorus (PWM en fait) qui sortent un son très épais. On aime la saturation naturelle des filtres, tout en regrettant de ne pas pouvoir doser le niveau des VCO. Bref, on se retrouve dans cette atmosphère des débuts 70’s où le grain des 700 donnait la réplique au son US East Cost.
La qualité audio est quant à elle excellente, que ce soit au plan des niveaux de sortie ou du bruit de fond résiduel (plus marqué si on monte le niveau de la réverbe à ressort). Le 700 FS envoie du lourd et souffle très peu, ce ne sera pas un cauchemar pour les ingés son : faders à 0 dB, pas besoin de préampli ni de compression. Et comme la réverbe à ressort intégrée remplit bien son rôle, un petit Delay type BBD sera largement suffisant. Voilà un synthé qui possède peu de réglages, mais qui est rempli de sweet spots. Pour tirer parti des mémoires réinscriptibles, une amélioration conséquente par rapport à l’original, Korg fournit un petit utilitaire permettant d’organiser/importer/exporter ses programmes individuels et banques complètes via USB, merci. Ce serait d’ailleurs sympa de rallonger la liste des 14 présélections d’usine avec des sons tirés d’albums mythiques des pionniers, car le synthé se révèle finalement plus polyvalent que ses commandes frugales ne le laissent penser. De même, 14 mémoires, c’est mieux que rien, mais ça reste très peu…
- MiniKorg 700FS_1audio 1 Oumpf Bass00:21
- MiniKorg 700FS_1audio 2 Dirty Ring01:01
- MiniKorg 700FS_1audio 3 Human Voice00:38
- MiniKorg 700FS_1audio 4 LP BP HP01:34
- MiniKorg 700FS_1audio 5 Arp Game01:54
- MiniKorg 700FS_1audio 6 Quintus Shamus00:32
- MiniKorg 700FS_1audio 7 Mad Whale01:11
VCO bien accordés
Le 700 FS est un synthé analogique monodique intégrant 2 VCO, 2 VCF, 1 VCA, 1 enveloppe, 1 vibrato et 1 réverbe à ressort. Les VCO sont accordés en Hertz/Volt, pour une excellente stabilité, comme l’original. Le VCO1 possède 5 formes d’onde : Triangle, Rectangle, dent de scie, PWM lente (Chorus 1), PWM rapide (Chorus 2). Ces ondes sont imparfaites et apportent un vrai caractère au son. On peut régler la hauteur de base par octave de 32 à 4 pieds. Le VCO2 peut quant à lui générer une onde dent de scie ou deux types de bruit suivant le sélecteur de mode (cf. ci-après). Il est accordable sur +/- une octave en continu et désaccordable finement sur +/- un demi-ton par rapport au VCO1, pour un son bien épais. Son action est enclenchée avec l’interrupteur Effect. On peut ensuite régler la balance ou la quantité de modulation entre les 2 VCO avec le curseur Balance, dont le rôle dépend du sélecteur de mode.
Ce fameux sélecteur permet de choisir l’un des 6 modes de fonctionnement du VCO2 : Duet (VCO1 + onde dent de scie pour le VCO2), Modulator 1 (modulation en anneau des 2 VCO), Modulator 2 (modulation en anneau des 2 VCO avec décalage d’une octave), Modulator 3 (modulation en anneau des 2 VCO aléatoire suivant la position sur le clavier), Noise 1 (VCO1 + bruit rose bien crade avec suivi de clavier pour le VCO2) et Noise 2 (VCO1 + bruit blanc constant pour le VCO2). Sympa pour obtenir rapidement différentes couleurs sonores. Il manque en revanche une fonction synchro entre les VCO.
VCF en série
La sortie balancée des VCO entre ensuite à niveau élevé dans un double filtre maison 2 pôles passe-bas/passe-haut en série, dont on peut régler les fréquences de coupure avec les curseurs Traveler. À l’origine, il y avait un ergot de blocage sur les capuchons des curseurs pour éviter qu’ils ne se recouvrent, jusqu’à couper tout le signal en les croisant à l’extrême. Aujourd’hui, Korg fourni deux jeux de capuchons (avec et sans ergot) pour satisfaire tout le monde. En bougeant solidairement les deux curseurs, on peut générer des effets de trémolo ou de wahwah, typiquement 700. Malgré le scan numérique, il n’y a pas le moindre effet d’escalier sur les fréquences de coupure, c’est parfaitement lisse !
On peut moduler celles-ci via l’unique enveloppe AD, en activant l’interrupteur Expand (simple marche/arrêt, sans dosage de contour). La résonance des VCF n’est pas dosable, on peut juste l’activer en position fixe avec l’interrupteur Bright. Pas très souple, tout ça ! Korg aurait pu en profiter pour ajouter des curseurs sur ces paramètres pourtant cruciaux, on le sait pourtant depuis tout ce temps ! Enclencher la résonance n’écrase pas du tout le signal, tant mieux. En sortie de VCF, on trouve un VCA modulable par l’enveloppe AD, hélas, sans déconnexion ni mode Gate. Vient enfin la fameuse réverbe à ressort, avec quantité dosable via un curseur, capable d’apporter un espace stéréo naturel et subtil au son.
Modulations et arpèges
Le 700 FS dispose d’un nombre restreint de modulations, la plupart préassignées. On commence par un Autobend (simple interrupteur). Vient ensuite un portamento avec interrupteur marche/arrêt et réglage de vitesse par curseur. Puis le vibrato, avec ses réglages de vitesse et de profondeur, accompagnés d’un interrupteur de délai. Son cycle est libre. Il est assignable au pitch du VCO1 (interrupteur Vibrato) et à la coupure des VCF (interrupteur Travel Vibrato). On trouve enfin l’unique enveloppe AD et ses deux curseurs, permettant de passer de sons très claquants à des sons très doux, en conjonction avec l’interrupteur Sustain Long (changement d’échelle de temps pour les deux segments). On peut l’utiliser en conjonction avec l’interrupteur Sustain, qui enclenche en réalité un segment de Release prenant la valeur du Decay. L’enveloppe est assignable à la coupure des VCF et assignée au VCA dans le dur. Dommage qu’on ne puisse l’en débrayer via un mode Gate, comme déjà évoqué.
Côté modulations manuelles, on dispose du bâton de joie pilotant le pitch à l’horizontale et deux destinations assignables vers le haut/vers le bas à la verticale, ainsi que de la pression du clavier. L’assignation de ces trois sources à leur destination respective se fait en bougeant le curseur du paramètre cible tout en réglant la quantité d’action, sympa. Pour faire bouger les notes, le 700 FS est doté d’un arpégiateur simple avec réglage de vitesse et 7 motifs sélectionnables via les boutons des mémoires : répétition de note, ordre joué, haut, bas, pendulaire, alterné, aléatoire. La vitesse est synchronisable au tempo mais les notes arpégées ne sont pas transmises en Midi. Les réglages de l’arpégiateur sont mémorisés avec chaque programme. Toujours sympa à prendre.
Conclusion
Le MiniKorg 700 FS est le digne héritier du 700 S de 1974. Il offre, dans un ensemble compact assez singulier, le son et l’expérience utilisateur des 700 des 70’s. Il y ajoute des fonctionnalités modernes, telles que les mémoires et les CC/Sysex Midi. Il améliore également les composantes matérielles, telles que le petit bâton de joie assignable, le clavier sensible à la pression, la réverbe à ressort et la connectique confortable. Il hérite cependant de quelques inconvénients de son modèle, comme les possibilités de synthèse très limitées, que ce soit le nombre de réglages ou le choix d’interrupteurs pour certains d’entre eux pourtant cruciaux. Voilà un synthé construit avec grand soin, au son typé et au charme désuet, que ce soit par l’aspect, l’ergonomie ou la terminologie des réglages. Un instrument destiné aux musiciens plutôt aisés, amoureux du beau son des 70’s et nostalgiques d’une époque hélas révolue.