Venant judicieusement se placer dans l’entrée de la gamme Oberheim, le TEO-5 est un synthé analogique polyphonique promettant le gros son Oberheim dans un format compact avec un tarif abordable. Voyons si les bons ingrédients ont bien été réunis…
Cela fait trois ans que Sequential est entré dans le giron de Focusrite. Cela fait deux ans jour pour jour que son fondateur, Dave Smith, nous a brutalement quittés. Sa dernière contribution est le Take 5, un synthé analogique polyphonique compact plein de bonnes surprises à prix relativement serré, testé dans nos colonnes. Sequential a également concouru au développement des OB-6 et OB-X8 avec de Tom Oberheim, d’abord concurrent puis complice de toujours. Au tout récent Superbooth, nous avons pu découvrir le TEO-5, partageant à la fois le format compact et une partie de l’architecture du Take 5. Il vient ainsi compléter l’entrée de gamme de synthés polyphoniques signés Oberheim, ou plus précisément Thomas Elroy Oberheim, qui va bientôt fêter ses 88 ans…
Prise en main
Le TEO-5 emprunte le format, les matériaux et l’organisation du Take 5, avec des flancs en plastique et un panneau fixé sur une coque métallique très compacte de 64 × 32 cm pour moins de 8 kg. La construction est très sérieuse, avec des potentiomètres solidement ancrés, mais très durs à tourner au départ (il se produit une sorte de rodage qui tend à les fluidifier à l’usage). Le synthé est produit en Chine, comme l’est désormais le Take 5. La façade est couverte de commandes entourant un écran graphique OLED parfaitement lisible, affichant le nom du programme en cours et quelques valeurs de l’arpégiateur, ou encore les pages d’édition des modes Global ou Program. Il n’affiche cependant pas la valeur des paramètres lorsqu’on modifie une commande en façade, dommage ! Au total, on dénombre 34 potentiomètres, 8 encodeurs et 67 boutons-poussoirs, organisés par module sur trois rangées. En partie supérieure : volume global, saturation, LFOs, matrice de modulation, édition centrale, horloge, arpégiateur, séquenceur, effets. En partie intermédiaire : portamento, réglage Vintage, unisson, VCOs, VCF, enveloppes ; en partie inférieure : deux molettes, transposition par octave, séparation du bas de clavier, Hold et sélection des programmes.
Toujours extrêmement astucieuse, la fonction de séparation du bas de clavier permet de transposer la partie inférieure du clavier sur 1 ou 2 octaves vers le bas, afin de jouer, avec le même son, des accords et des basses simultanément malgré le clavier réduit de 44 touches (Fatar TP/9 semi-lesté sensible à la vélocité et à la pression, de très bonne qualité). Les fonctions Compare/Init/Live Panel permettent de faciliter la programmation, par ailleurs immédiate. Un éditeur signé Sound Tower est également annoncé, aux formats standalone et plugin. La connectique, assez dépouillée, est située à l’arrière : une sortie casque, deux sorties audio gauche/droite et deux prises pour pédales (interrupteur/modulation) au format jack 6,35 mm, suivies de trois prises Midi DIN, une prise USB B (Midi CC/NRPN/Synchro, gestion des mémoires, mise à jour du micrologiciel), une borne pour cordon secteur (alimentation interne, chouette !) et un interrupteur secteur.
Son Oberheim et plus
Le TEO-5 totalise 512 programmes (256 permanents et 256 modifiables), dont le numéro est affiché par un petit écran à 3 LED 7 segments. La sélection est toujours aussi peu pratique : en mode Factory ou utilisateur, on appelle une banque (1 à 16) en maintenant la touche Shift, puis un numéro de programme (1 à 16) avec les touches idoines. Un double appui sur cette rangée de touches aurait simplifié les choses, mais depuis le Prophet-5 de 1978, Sequential s’est singularisé en la matière, et comme c’est l’équipe Sequential qui a conçu le TEO-5 avec Tom sur les bases du Take 5… Dès l’allumage, le synthé est bien accordé, pas besoin de calibrer en ce qui nous concerne, et tout reste stable dans le temps. Les niveaux de sortie sont très bons (et réglables par programme), on ne note pas de bruit de fond, tout est impeccable sur ce point.
Le TEO-5 offre tout ce qu’on apprécie sur un synthé polyphonique analogique : riches ensembles, nappes, cuivres, strings, orgues, voix, basses grasses, leads tranchants, unissons monstrueux… et même des sonorités FM (percussions métalliques, claviers expressifs, bruits étranges… tout ce qui tourne autour de la création d’harmoniques par modulation audio), une nouveauté tout à fait surprenante sur ce genre de synthé (nous y reviendrons). On sent immédiatement la pâte Oberheim dès le premier programme, avec ce soyeux, ces médiums -aigus brillants qui viennent aérer le son sans être agressifs, ce bel équilibre musical. Le filtre 2 pôles multimode variable en continu fait merveille, un grand merci pour l’avoir intégré dans son intégralité (pas comme sur l’OB-X8). Bref, au plan sonore, c’est d’abord un Oberheim avant d’être un Sequential. On apprécie également la largeur stéréo et les effets qui apportent une belle ampleur au son, tout comme les sons évolutifs cuisinés dans la matrice de modulation.
- TEO-5_1audio 01 Variable State01:14
- TEO-5_1audio 02 Obie Brass00:20
- TEO-5_1audio 03 Phatt Bottom00:19
- TEO-5_1audio 04 Uni SEM00:25
- TEO-5_1audio 05 XMod Choir00:42
- TEO-5_1audio 06 FM Touch00:50
- TEO-5_1audio 07 Bowed SSI00:27
- TEO-5_1audio 08 Sequencer00:56
- TEO-5_1audio 09 Poly SEM00:40
- TEO-5_1audio 10 XFade00:52
- TEO-5_1audio 11 FM Perks00:41
- TEO-5_1audio 12 FM FX00:54
Début analogique…
Le TEO-5 est un synthé polyphonique 5 voix monotimbral. Le son prend sa source au sein de deux VCO (circuits intégrés SSI2130), capables de produire trois ondes simples cumulables : triangle, dent de scie et impulsion à largeur variable (réglable pour les deux VCO simultanés en relatif ou par VCO en maintenant la touche de l’onde Pulse et en tournant le potentiomètre Pulse Width). Ils peuvent être directement accordés par demi-ton sur 5 octaves et une tierce mineure, également finement désaccordés (avec LED de contrôle). Via le menu, on peut régler précisément le pitch de chaque VCO, désactiver leur suivi de clavier et doser leurs temps de Glide respectifs lorsque la fonction est activée (temps ou vitesse constant). Ils peuvent aussi emprunter l’un des 65 tempéraments internes (64 réinscriptibles via Sysex). Le VCO2 peut synchroniser le cycle du VCO1 et le moduler en fréquence linéaire through-zero. Cette X-Mod, dosable via un potentiomètre dédié, utilise l’onde triangle du VCO2 pour moduler le VCO1, ce qui donne des sons FM bien maitrisés (comprendre accordables suivant un ratio constant, façon DX7) assez inhabituels sur un synthé analogique. Rien que dans la section VCO, le TEO-5 se démarque bien du Take 5. Il n’y a pas de module mixeur en accès direct, il faut maintenir le bouton d’activation de chaque VCO, du Sub-VCO (onde carrée un peu adoucie à –1 octave) ou du générateur de bruit (blanc ou rose) puis tourner l’encodeur Value pour en régler le niveau, ou passer par le menu. Nous trouvons que le niveau relatif du Sub-VCO est trop faible par rapport à celui des VCO (70 % environ) – les concepteurs ont promis de regarder ce point. À noter que le VCO2 peut contourner le VCF pour aller directement se faire voir par l’ampli final, une fonction astucieuse très utile en X-Mod (également possible sur le Take 5 depuis une mise à jour du micrologiciel).
Le VCF est un classique Oberheim que l’on adore, à savoir un filtre multimode résonant 2 pôles à état modifiable en continu. Le potentiomètre State permet de passer en continu entre les modes passe-bas/réjection/passe-haut (avec inversion réjection/passe-bande via le menu), ce qui apporte une diversité sonore inégalable avec un synthé à simple LPF. La pente de coupure à 2 pôles apporte également un filtrage plus doux, tout à fait complémentaire aux filtres 4 pôles, ce qui était d’ailleurs l’objet initial du module SEM, conçu pour compléter le son d’un Minimoog et son VCF passe-bas 4 pôles résonant en échelle. Sur ce point encore, le TEO-5 se démarque complètement du Take 5. La fréquence de coupure est parfaitement lisse (d’ailleurs de nombreux paramètres continus sont très finement codés en interne et lissés en NRPN, merci). Elle est modulable par le suivi de clavier (accès via le menu), l’une des deux enveloppes en façade (assignables à la vélocité) ou la matrice de modulations (nous y reviendrons). Ce filtre n’auto-oscille pas et l’accentuation de résonance n’écrase pas les basses.
… Fin numérique
En sortie de VCF, le signal est converti en numérique. Cette conception permet de simplifier considérablement l’électronique (donc d’abaisser les coûts de production quand on multiplie le nombre de voix) et d’éviter les problèmes liés aux VCA (repisse de signal, bruit de fond, pollution numérique). Par ailleurs, cela permet de créer des modulations polyphoniques à niveau audio avec la sortie du VCF en tant que source. C’est donc une confirmation de l’évolution majeure dans l’histoire des synthés analogiques polyphoniques de la marque amorcée avec le Take 5.
Le volume final est modulable par l’une des deux enveloppes. Une saturation numérique stéréo dosable est également présente en bout de chaine. Elle est plutôt réussie et pas particulièrement discrète, très bien pour salir le son, par exemple sur les imitations de claviers électriques ou les leads. Les voix peuvent être jouées à l’unisson ou en accord mémorisable (1 à 5 voix), avec désaccordage fin. Le potentiomètre Vintage permet de simuler les fluctuations et les écarts de calibration entre les voix (VCO, VCF, enveloppes). Les résultats sont convaincants, rien à redire. Sur le fond, tout comme pour le Take 5, nous n’avons pas remarqué que le passage en numérique après filtrage avait un effet négatif sur le son du TEO-5. Par contre, nous aurions aimé que les concepteurs en profitent pour ajouter l’audio via USB vu qu’ils avaient un signal numérique sous la main.
Modulations matricielles
Les modulations consistent en deux LFO, deux enveloppes et une matrice de modulation. Le premier LFO est global (toutes les voix sont modulées en même temps) alors que le second est individuel (par voix). C’est une bonne idée, car on se rend compte à l’usage qu’une destination se prête souvent mieux à l’un des deux types de modulation. Ils peuvent produire les ondes triangle, rampe, dent de scie, carré et S&H. La fréquence varie de 0,022 Hz à 500 Hz (audio) et peut être synchronisée à l’horloge. Un bouton permet d’assigner directement une destination à chaque LFO. Via le menu, on peut lisser la forme d’onde et choisir le type de redéclenchement du cycle (libre ou asservi). On trouve aussi deux enveloppes DADSR modélisées sur le vénérable OB-8, permettant d’aller des sons claquants aux évolutions molles. Elles sont modulables par la vélocité et directement routables à deux destinations. Pour la première : VCF ou Auxiliaire, avec modulation bipolaire ; pour la seconde : VCA, VCA+VCF ou VCF+Gate, avec modulation positive. Lorsque la seconde enveloppe contrôle le VCF, la première passe en mode Auxiliaire. Réciproquement, lorsque la première enveloppe contrôle le VCF, la seconde contrôle le VCA. Ces enveloppes sont par ailleurs assignables dans la matrice de modulation. Via le menu, on peut encore régler les paramètres de délai et de bouclage des segments DAD.
La matrice de modulation offre 16 cordons permettant d’assigner 19 sources à 65 destinations, avec modulation bipolaire. Ceci se fait facilement avec les touches Source/Destination, les commandes directes et l’écran. Parmi les sources : le VCO2, le bruit, la sortie du VCF, la sortie audio, les LFO, les enveloppes, les contrôleurs physiques, la vélocité, la pression, le suivi de clavier, les pédales, un générateur aléatoire, une valeur fixe et l’espacement des voix (à assigner au panoramique, par exemple). Parmi les destinations : tous les réglages de fréquence des VCO, leurs désaccordages, leurs PWM, le volume de chaque source sonore, le niveau de X-Mod, la coupure du VCF, la résonance, l’état (en continu), la saturation de sortie, le panoramique, les paramètres d’effets, les paramètres des LFO, les segments des enveloppes, le mode Vintage et les quantités de modulation des 16 cordons. Un très gros avantage sur les OB-6 et OB-X8 qui n’ont pas de matrice de modulation aussi poussée.
Effets doubles
Le TEO-5 5 intègre deux unités d’effets : un multieffets et une réverbe. Le multieffets offre 12 algorithmes : délai stéréo, BDD émulé, délai à bande (2 modélisations), chorus, flanger, phaser vintage Oberheim modélisé, filtre passe-haut, distorsion, modulation en anneau vintage Oberheim modélisée, haut-parleur tournant et effet basse fidélité. Chaque algorithme propose trois réglages accessibles en façade et une synchronisation des temps. Pour la réverbe, il faut se contenter d’un seul algorithme de Hall, avec réglages en façade de mix, taille, déclin, prédélai et tonalité. Cette réverbe se différencie de la réverbe à plaque du Take 5.
Comme déjà évoqués, les paramètres d’effets sont des destinations de la matrice de modulation, cela les lie d’autant mieux aux programmes. Niveau qualitatif, c’est du très bon, que ce soient les délais, le chorus, le phaser, le HP tournant ou la nouvelle réverbe (avec ses réglages judicieux, dont la taille de pièce, le temps de prédélai, le déclin et la couleur). Peut-être un bémol pour le flanger un peu trop timide même à feedback élevé et la plage de réglage trop courte sur les temps lents du modulateur en anneau. Quelques ajustements mineurs pourraient améliorer les choses.
Arpège ou séquence
Le TEO-5 reprend intégralement l’arpégiateur du Take 5. On règle le tempo avec un potentiomètre dédié ou la touche Tap dans la section horloge, la division temporelle avec un second potentiomètre, le motif (en haut, en bas, alterné, aléatoire, comme joué), la plage d’arpège (1–2–3 octaves), le nombre de répétitions à chaque pas (1–2–3 notes) et le comportement de la pédale de maintien. Rien d’inhabituel. Les notes arpégées peuvent être transmises en Midi. Bref, du très classique, mais toujours sympathique.
Passons au séquenceur à pas, là aussi identique à celui du Take 5. On enregistre les notes en polyphonie avec leur vélocité, par incrémentation, jusqu’à 64 pas. On peut entrer des liaisons et des silences en même temps ou après coup. On peut corriger des notes pas par pas après enregistrement ou ajouter des notes en fin de séquence, mais on ne peut pas insérer ou supprimer un pas. Lorsqu’une séquence tourne, on peut jouer par-dessus à concurrence de la polyphonie disponible. Pour transposer, il faut maintenir la touche Record pendant la lecture, ce qui peut s’avérer dangereux pour le motif en cours (utiliser la touche Bank serait plus judicieux). En mode Unisson, ce n’est pas nécessaire. On peut lire la séquence uniquement en avant et il n’y a pas d’enregistrement de mouvements des commandes, cela reste donc très basique. Les notes séquencées peuvent aussi être transmises en Midi et les séquences sont sauvegardées avec les programmes.
Conclusion
Le TEO-5 délivre la signature sonore analogique Oberheim dans une solution compacte et relativement abordable financièrement. Il est bien construit et simple d’utilisation, avec un maximum de commandes directes, bien qu’il en reste quelques-unes importantes cachées dans le menu Program. Moins cher que ses deux grands frères auxquels il rend 1 et 3 voix de polyphonie, ce qui peut paraitre court dans certaines situations, il n’a cependant rien à leur envier au rayon modulations, bien au contraire ! Nous avons particulièrement apprécié les intermodulations de VCO (synchro et FM through-zero), le filtre multimode à transition d’état continue, la matrice de modulation solide et la section effets réussie… sans oublier l’astucieuse transposition à l’octave du bas de clavier. Un synthé pour ceux qui ont un espace ou un budget assez contraint, mais qui veulent ajouter le grain Oberheim inimitable à leur arsenal sonore. Award valeur sûre !