Originellement développé sous le nom de Valkyrie, le Kyra est un module de synthèse multitimbral à prix premium désormais signé Waldorf. Voyons comment ses données techniques impressionnantes se traduisent à l’usage…

À la Musikmesse 2018, la microentreprise Exodus Digital, dirigée par Manuel Caballero, avait présenté le Valkyrie, un synthé numérique polyphonique et multitimbral. Il était alors comparé au Virus Ti2, sans doute davantage par son look que par son moteur sonore, basé sur un FPGA. Le projet avait alors flotté pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que le synthé réapparaisse au NAMM 2019 dans une nouvelle robe, avec un nouveau nom et sous une nouvelle marque : le Kyra de la maison Waldorf. La phase de développement est difficile à retracer avec précision, compte tenu de l’organisation waldorfienne plutôt protéiforme. Peu importe, c’est le son, l’originalité, l’ergonomie, la puissance et la qualité de construction qui comptent, d’autant que le module est proposé à un tarif premium. Sans parler de sa rareté en France, qui nous a conduits à demander à Thomann de nous prêter un modèle de test ; qu’ils en soient remerciés ! À l’heure où les initiatives de nouvelles sociétés et de nouveaux produits se multiplient dans le monde de la synthèse, à des conditions toujours plus abordables, en quoi les armes du Kyra feront-elles la différence ?
Classe austère
Espaces stéréo

- 01 Dual Hypersynth00:55
- 02 Panaromia00:47
- 03 Fantasia00:46
- 04 Belissima01:02
- 05 Arped Saws00:44
- 06 Moment of Pad00:51
- 07 PPGesque00:50
- 08 Arped Chords00:59
- 09 Stack House00:35
- 10 Shower Sync00:18
- 11 Arped Bass01:09
- 12 Love Spy00:54
Table de marbre
Le mode HYPERSAW utilise quant à lui l’ensemble des ressources des deux oscillateurs pour créer une onde composée de 6 oscillateurs empilés ; on peut en régler l’intensité et la largeur. On perd fort logiquement les intermodulations, mais on gagne des sonorités bien épaisses et bien grasses, comme on aime en EDM. Et si cela ne suffit pas, le Kyra peut aussi fonctionner en mode double-voix, que ce soit en mode WAVE ou HYPERSAW. Cela permet le désaccordage et l’élargissement stéréo de deux ondes identiques. Ce mode utilise alors les filtres en stéréo, pour conserver la largeur de l’image sonore. Les oscillateurs peuvent suivre l’accordage standard (tempérament standard) ou être assignés à une table microtonale (entièrement programmable, compatible MTS).
On filtre !
Une fois toutes les sources dosées (cf. schémas), on attaque la partie filtrage. On a deux filtres résonants modélisés en échelle de transistors, pouvant fonctionner en parallèle, suivant le mode (cf. ci-après). Les filtres offrent des paramètres identiques, à commencer par le mode (passe-bas, passe-bande ou passe-haut) et la pente (2 ou 4 pôles), soit six possibilités directement sélectionnables en façade. Le potentiomètre de réglage de la fréquence de coupure a une résolution insuffisante : 128 valeurs d’après nos analyses, comprises entre 40 Hz et 20,5 kHz. Le lissage fonctionne bien sur les déplacements à vitesses moyenne et rapide, mais pas sur les mouvements lents, où on entend les pas. La fréquence de coupure est directement modulable par l’ENV1, l’ENV2, le LFO2, le LFO3 et le suivi de clavier (paramètre uniquement accessible par le menu, dommage). La résonance agit sans compensation des graves, écrasés sans pitié, nous l’avons déjà dit et regretté. Pousser la résonance fait presque entrer le filtre en auto-oscillation (presque, car il faut un peu de signal en entrée), ce qui peut fortement faire saturer le niveau de sortie.
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En mode simple-filtre, les signaux des deux groupes d’oscillateurs sont dirigés vers le premier filtre. En mode double-filtre, le premier filtre reçoit le signal du premier groupe d’oscillateurs et le second filtre celui du second groupe. On peut alors régler séparément les fréquences, résonances et autres modulations. La balance entre les filtres est également ajustable et modulable. Cela permet d’avoir des couleurs sonores complexes, utiles sur certaines nappes. Activer le mode double-filtre active aussi le mode double-voix et fait basculer les oscillateurs en mode WAVE. Lorsque les oscillateurs sont à contrario mis en mode DUAL HYPERWAVE (mode double-voix + mode HYPERWAVE), le mode double-filtre est désactivé : les deux filtres sont utilisés en stéréo, mais réglés simultanément avec les paramètres du premier filtre. Au fond, c’est quand même dommage d’avoir deux filtres et de ne pas pouvoir les placer en série, ni régler la balance des différentes sources. La sortie du ou des filtres est ensuite envoyée dans un ampli stéréo avec limiteur intégré (trois niveaux de compression plus ou moins marqués), panoramique, LFO1 sur volume et LFO2 sur panoramique.
Modulations matricielles
Le Kyra possède un portamento polyphonique, avec réglage de temps uniquement. En mode mono, seules les notes liées sont modulées. Passons aux enveloppes ADSR, au nombre de trois, bien claquantes. Les deux premières sont préassignées au filtre et au volume. Les plages de temps varient de 0 ms à 8 secondes (segment A) et 0 ms à 16 secondes (segments D et R). Le segment S possède un réglage de pente positive ou négative, qui peut aller jusqu’à 60 secondes. Par contre, on ne peut pas changer la forme des courbes de temps ou visualiser l’enveloppe sous forme graphique. Rien de bien extraordinaire dans cette section.
En plus des assez nombreuses modulations prédéfinies, le Kyra dispose d’une matrice de modulation à six cordons, chacun constitué d’une source et trois destinations. Les modulations sont bipolaires et séparées pour chaque destination d’un cordon. Les sources et destinations sont mono ou polyphoniques ; par exemple, la molette de modulation est une source mono, alors que la vélocité est une source polyphonique. La balance d’un effet est une destination mono, alors que la coupure d’un filtre est une destination polyphonique. Le Kyra permet tout type de routages, sauf une source polyphonique vers une destination mono. Bien qu’assez logique, c’est bien la première fois que l’on voit ce type de restriction. Parmi les 34 sources, citons les contrôleurs physiques, le numéro de note, un générateur aléatoire et plusieurs CC MIDI. Parmi les 82 destinations, on compte à peu près tous les paramètres de synthèse et d’effets de la machine, y compris ceux des modes double-voix, permettant d’épaissir ou élargir de son en temps réel. Seule (énorme) ombre au tableau, comme déjà évoqué, l’index de lecture des tables d’ondes qui ne fait pas partie de la liste des destinations. Ce ne sont vraiment pas des tables d’ondes, on l’aura compris.
Huit parties
Effets pléthoriques
Nous avons vu que le Kyra remettait au goût du jour les synthés à polyphonie généreuse, multitimbralité confortable et sorties séparées. Il en est de même pour les effets. À l’instar de la série Supernova de Novation en son temps, les effets du Kyra sont disponibles séparément pour chaque partie. On a donc 8 ensembles d’effets totalement indépendants, qui de ce fait font partie intégrante des programmes avec lesquels ils sont sauvegardés. Tous les synthés multitimbraux à effets devraient en faire de même ; c’est hélas loin d’être le cas, même sur certaines stations de travail réputées.
Les élèves les plus assidus du cours de maths de terminale scientifique pourront en déduire, grâce à leur calculatrice, que cela représente 72 modules simultanés, à quelques dizaines près… tout cela sans manger de polyphonie, puissant ! Ces 9 effets représentent 35 paramètres directement éditables en façade, grâce à un système matriciel assez bien pensé, organisé en 7 lignes de 5 paramètres. Les autres paramètres sont accessibles via les menus. On peut activer/désactiver certains effets dans certaines parties ; cela permet par exemple de remplacer systématiquement certains effets internes par des effets externes (ou de la STAN via USB), en conservant toujours les mêmes effets coupés/activés lorsqu’on change de programme, bien vu ! La qualité des effets internes est très correcte, mais le nombre de paramètres éditables est assez restreint.
Arpèges basiques
Pour faire bouger le son, le Kyra propose un arpégiateur indépendant pour chacune de ses huit parties, mémorisable dans chaque programme. Les notes arpégées peuvent être transmises via MIDI. Les possibilités sont assez basiques : les commandes directes concernent le mode de lecture (haut, bas, alterné simple, aléatoire, accord), le motif (128 types avec rythmiques et vélocités variées, hélas non éditables), l’étendue (1 à 3 octaves) et le tempo. Il n’y a pas de mode Latch, mais la machine répond à la commande de maintien MIDI. Via le menu, on peut régler le temps de porte, la source de synchro et la division temporelle, utile pour synchroniser tous les arpèges activés d’un Multi. L’arpégiateur répond aux messages MIDI Start/Stop/Continue lorsqu’il est placé en synchro MIDI. En revanche, il ne répond pas à la vélocité, n’a pas de réglages supplémentaires type swing, Ratchets, probabilité ou autres exotismes présents à la concurrence. Un module surtout intéressant pour sa multitimbralité.
Résultat contrasté
Au final, le Kyra nous laisse un sentiment mitigé. C’est sans doute parce que le bon et le moins bon se côtoient dans un module en définitive assez cher. Le bon, c’est l’énorme polyphonie, la multitimbralité, les sorties séparées, les effets indépendants par partie, la matrice de modulation, l’arpégiateur multitimbral, l’audio USB multicanal et la qualité de construction. Le moins bon, c’est l’ergonomie austère, l’absence d’encodeur, les tables d’ondes qui n’en sont pas vraiment, la faible résolution de la coupure du filtre, la vélocité assignée en permanence au volume et la stabilité de l’OS encore perfectible. Droit au but pour l’édition directe des sons, le Kyra manque aussi d’originalité, de gènes waldorfiens dans l’ADN. À ce tarif, la concurrence est rude, y compris les stations de travail ou les solutions à deux synthés (analogique + numérique). Nous pensons qu’il aura la vie dure, malgré une grande qualité sonore. Il fera le bonheur de ceux qui veulent créer rapidement différentes couleurs de nappes épaisses, profondes et larges, ou encore de monstrueux empilages, sans craindre de venir à bout de polyphonie.