Le JU-06A ajoute une modélisation de Juno-60 à celle du Juno-106 dans un même module Boutique, pour le même prix. Fera-t-il oublier son prédécesseur ?
Les mini-synthés occupent une place grandissante dans la facture d’instruments de musique électronique. Avec la série Boutique, Roland en est devenu le principal acteur, mettant en boîte numérique les synthés et BAR vintage maison les plus connus. En quelques années, la marque a ainsi développé 10 modules, capables de modéliser avec précision leurs célèbres ancêtres : Jupiter-8, Juno-106, JX-3P, TB-303, SH-101, TR-808, TR-909, VP-330, D-50. On a même vu un module analogique pur, le SE-02, développé en collaboration avec Studio Electronics. En parallèle, certains moteurs sonores ainsi marketés sous le vocable ACB (modélisation analogique) étaient implantés dans d’autres produits, notamment la série Aira (System-1, System-8, TR-8S), embarquant elle-même des moteurs « plug-out » pas tous disponibles en module Boutique. De quoi s’y perdre ! Mais récemment, Roland a dévoilé une nouvelle plateforme, capable d’intégrer différentes synthèses (modélisation analogique revue, PCM, piano virtuel) dans différents formats (stations de travail, synthés, boîtes à groove). Enfin la convergence de ces différentes briques technologiques vers une plateforme unifiée ? Pas encore, puisque Roland vient de lancer le JU-06A, un nouveau module Boutique à synthèse ACB. Et plutôt qu’intégrer un seul moteur, Roland en a mis deux pour le prix d’un seul : le Juno-106 et le Juno-60. C’est reparti !
Mini Module
Les différents modèles de la série Boutique partagent tous la même conception : un module ultra compact (300 × 128 × 49 mm pour moins de 1 kg), pouvant être monté dans une station d’accueil clavier ou boitier (voir encadré). En dépit de leur petite taille, ils n’ont rien de gadgets : l’avant, la façade et l’arrière sont constitués d’une tôle pliée très solide ; seuls le dessous et les côtés sont en plastique. Les commandes sont de bonne facture et agréables à manier, que ce soient les 28 poussoirs, 7 interrupteurs (2 ou 3 positions) ou 17 curseurs linéaires ici présents. La course de ces derniers est toujours de 20 mm, mais les capuchons sont plus gros que ceux du JU-06, ce qui facilite la préhension et la précision ; on perd en revanche le rétro-éclairage. Autre différence notable, les deux rubans verticaux présents sur le JU-06 ont cédé la place à des commandes directes supplémentaires (mode clavier, arpégiateur, séquenceur), tant mieux.
Le JU-06A reprend l’intégralité de la charte graphique, des commandes et des modules du Juno-60, bien alignés : arpégiateur, LFO, DCO, HPF, VCF, VCA et enveloppe unique. S’y ajoute une rangée inférieure composée de boutons lumineux, permettant de gérer les séquences, les programmes, les effets, les paramètres programme additionnels et les fonctions système. Quand on appuie sur la touche Note, la rangée inférieure fait office de clavier une octave, avec transposition sur –4/+5 octaves et modes solo/unisson/poly. Elle agit de concert avec la mémoire d’accords et la fonction de maintien situées en partie gauche du panneau. L’afficheur numérique, désormais doté de 3 diodes 7 segments, permet de visualiser le numéro de programme, le tempo, les valeurs du séquenceur et les fonctions système (bien vu pour ces dernières, non sérigraphiées).
La prise en main est immédiate, car la très grande majorité des paramètres est directement accessible en façade. Le reste se fait par combinaison de touches (Manual pour les paramètres de synthèse additionnels par programme ou Arpeggio pour les paramètres système) et la rangée de 16 touches. Les paramètres système comportent l’accordage, le canal MIDI, la source d’horloge, la transposition (sur –6/+5 demi-tons), la vélocité (assignée au volume en interne), le temps de veille, le chainage de plusieurs unités, le niveau de bruit du chorus, la source d’émission des CC MIDI et le comportement de l’arpégiateur. Nous reviendrons plus tard sur les paramètres de synthèse additionnels par programme.
À part l’entrée horloge (permettant aussi de faire avancer les pas du séquenceur), la connectique est située à l’arrière : interrupteur secteur, port USB type micro B (alimentation, MIDI et audio), mini-potentiomètre de volume, sortie casque, sortie ligne, entrée ligne (routée directement vers les sorties analogiques/USB, pour cascader plusieurs modules) et entrée/sortie MIDI au format DIN. Toute la connectique audio est au format mini-jack stéréo. En dessous du module, on trouve un petit HP de contrôle et une trappe pour insérer les 4 piles AA-LR6 fournies (à défaut d’un cordon micro USB/alimentation secteur qu’il faudra acquérir). Elles offrent 6 heures d’autonomie, d’après les spécifications du constructeur.
Pile ou face
Les plus perspicaces auront remarqué le petit interrupteur 60–106 en partie droite du panneau, au-dessus de l’entrée synchro. Celui-ci est crucial, puisqu’il permet à la machine de fonctionner soit en mode Juno-60, soit en mode Juno-106. Les mémoires internes sont divisées en 64 emplacements par moteur. On ne peut pas mémoriser le type de moteur dans un programme, ni le changer à distance par CC MIDI. Cela aurait été plus malin de mettre 128 mémoires avec la possibilité de sauvegarder ce réglage. Le niveau de sortie est élevé, ceux qui utilisent un casque pour lecteur MP3 ou smartphone ont intérêt à réduire le volume avec le petit potentiomètre idoine situé à l’arrière !
Aux premières notes, Il ne fait aucun doute que le JU-06A est le fils numérique de M. et Mme Juno, non seulement au plan des commandes, identiques, mais aussi au plan sonore. Les programmes préchargés parlent tout de suite : strings larges, nappes sombres, cuivres pêchus, orgues percutants, retour dans les 80’s assuré. Le chorus est très bien modélisé, quel que soit le mode (différentes vitesses/mélanges), y compris le souffle que l’on peut fort heureusement réduire ou supprimer. Le JU-06A sort également des basses puissantes, type PWM 80’s à filtre ouvert ou résonantes filtrées. Alors, la question qui brûle les lèvres : est-ce que les deux moteurs intégrés sont si différents que ça ? La réponse qui rafraichit l’haleine : OUI ! Le JU-06A est capable de simuler parfaitement le comportement de l’un ET de l’autre.
Les différences majeures concernent le comportement du DCO, la couleur du filtre, l’équilibre basses/aigus, la patate et la consistance entre les voix. Le Juno-60 est sans doute le synthé à DCO qui « sonne le plus VCO » ; le JU-06A reproduit parfaitement ce comportement. Les exemples sonores du test se concentrent sur le moteur du Juno-60 ; le lecteur pourra se reporter au test du JU-06 pour le moteur du Juno-106, les deux sonnent absolument pareil (en mode 106), nous les avons comparés sur les mêmes sons.
Au plan électronique, c’est surtout la chaine DCO-VCF-VCA qui change d’une machine à l’autre : le Juno-60 possède des CI séparés (compteurs + AO + transistors pour le DCO, IR3109 pour le VCF et BA662 pour le VCA), alors que le Juno-106 utilise une électronique bien plus intégrée (MC5534 pour le DCO et 80017A le VCF/VCA, ce dernier étant bien connu pour les problèmes de décomposition de son emballage).
Le nombre restreint de paramètres de synthèse ne permet pas des effets spéciaux poussés, hormis un peu de vent ou une hyper modulation de LFO à vitesse audio ; le JU-06A est plus à l’aise dans les sons de synthèse classiques. La technologie ACB fait là encore sensation, avec une excellente fluidité des commandes continues, de petites inconsistances d’une voix à l’autre, dans le filtre comme dans les largeurs d’impulsion, l’oscillateur restant parfaitement aligné, comme sur les Juno vintage.
Lorsqu’on débranche la sortie audio ou casque, le petit HP intégré est activé : autant le dire tout de suite, ses 0,5 W et sa position sous le capot ne lui permettent pas de briller. Très vite, il sature et peine à restituer les aigus, encore plus les graves. Il est loin des 2×2W + Bass Reflex des Reface de Yamaha et encore plus des 2×4W sur 4 HP du Jupiter-Xm. Il permet toutefois aux modules Boutique de rester sous la barre des 5V/500mA de consommation, synonyme d’alimentation via USB. On ne peut pas tout avoir…
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Bimoteur
Il y a donc deux moteurs de synthèse à modélisation analogique distincts dans le JU-06A. Si les différences sont nettes au plan sonore, comme nous venons de le voir, les fonctionnalités sont en revanche identiques, contrairement aux modèles d’origine : ainsi, le moteur Juno-106 bénéficie du pilotage de la PWM par l’enveloppe, des différentes ondes de LFO, des trois positions du chorus et de l’arpégiateur, parfait. Il s’agit d’un synthé polyphonique 4 voix (cela n’a pas changé) et monotimbral (ça non plus !). On peut jouer les 4 voix en polyphonie, en monodie ou à l’unisson (sans réglage du Detune entre les voix). Le JU-06A reprend la trentaine de paramètres de synthèse des Juno-60 et Juno-106, deux synthés analogiques polyphoniques (à 6 voix, eux !) sortis respectivement en 1982 et 1984. Il apporte quelques fonctions supplémentaires : un LFO plus rapide et un réglage continu de HPF. Pour programmer, on peut repartir d’un son en mémoire ou passer en mode manuel. Le son est généré par un oscillateur accordable sur 4/8/16 pieds, accompagné d’un sous-oscillateur à onde carrée calé à l’octave inférieure et d’un générateur de bruit blanc. L’oscillateur peut générer simultanément une onde impulsion à largeur variable et une onde en dent de scie. Il n’y a donc pas d’interactions d’oscillateurs vu qu’il n’y en a qu’un. Le pitch peut être modulé par le LFO, alors que la largeur de l’impulsion peut être réglée à la main ou modulée par le LFO ou l’enveloppe.
Les niveaux du sous-oscillateur et du bruit sont dosés avec des curseurs dédiés, puis la résultante passe dans un VCF passe-bas résonant 4 pôles, capable d’entrer en auto-oscillation, suivi d’un filtre passe-haut statique (ici à réglage continu). La fréquence de coupure du LPF peut être modulée par le LFO, l’enveloppe (bipolaire) et le suivi de clavier. La sortie de filtre entre alors dans un ampli, dont on peut régler le volume et la source de modulation (gate ou enveloppe unique). Le LFO est assez basique, avec des réglages directs de vitesse (capable de monter dans l’audio et synchronisable en MIDI via le menu) et de délai. C’est aussi par le menu que l’on choisit la forme d’onde du LFO, parmi les 7 disponibles (triangle, carrée, dent de scie, rampe, sinus, aléatoire, S&H) et le mode de redéclenchement du cycle du LFO (libre ou forcé).
C’est toujours par le menu qu’on accède au temps de portamento et à la plage de pitchbend. L’enveloppe est une classique ADSR, pêchue de surcroit ; elle est assignable au filtre et à l’ampli, mais pas au pitch. En sortie d’ampli, le JU-06A offre un chorus stéréo à trois positions (lent, un peu plus rapide, trémolo), qui élargit et réchauffe le son comme on l’aime ; il souffle tout comme son modèle, mais on peut supprimer le bruit ou le réduire de moitié. En bout de chaîne, on trouve un effet délai simple, dont on peut régler le niveau, le temps et le feedback sur 16 valeurs. Ces paramètres sont sauvegardés dans une mémoire utilisateur de 64 programmes préchargés d’usine, une pour chaque moteur, rappelons-le.
Arpèges et séquences
Le Juno-106 était dépourvu d’arpégiateur. Le JU-06A reprend celui du Juno-60. L’arpégiateur dispose de commandes directes en façade. On peut l’utiliser concomitamment avec les modes Hold et Chord. Il est capable de produire des motifs vers le haut / alternés / vers le bas, sur 1 à 3 octaves. Il peut fonctionner à différentes divisons temporelles de l’horloge globale (une dizaine) et selon deux modes de jeu (mode Juno-60, qui poursuit l’enveloppe jusqu’à la fin du déclin ou classique, avec note simplement déclenchée).
Le JU-06A intègre aussi un petit séquenceur 16 pas, capable de mémoriser 16 motifs indépendamment des programmes. On passe en mode séquenceur en appuyant sur les touches Start ou Edit situées en façade, ce qui permet de changer de programme alors que le séquenceur tourne. Le séquenceur joue au tempo souhaité ou en synchro MIDI. On programme les pas avec la rangée de 16 boutons. Il existe 8 multiplications ou divisons temporelles (2T à 1/32). Pour chaque pas (1 à 16), on ne peut entrer qu’une note ou un silence, au moyen du clavier ou des touches en façade : en d’autres termes, le séquenceur est resté monodique comme sur le JU-06, alors qu’il est polyphonique sur le SH-01A plus récent !
Les silences peuvent être respectés ou sautés. La vélocité (donc le volume) est prise en compte lorsqu’on entre les notes avec un clavier dynamique et que la vélocité est active en mode système, sympa. Le temps de gate se règle avec l’encodeur, sur un ou plusieurs pas en même temps suivant les boutons que l’on est capable de maintenir avec ses différents attributs corporels. Il existe différents modes de lecture : à l’endroit, en inversion des pas impairs/pairs, pas pairs joués seuls, pas impairs joués seuls, pas impairs puis pairs, pas pairs puis impairs, aléatoire. Du coup, ça met du groove dans le rythme, groove que l’on peut accentuer avec un Shuffle bipolaire. L’automation des commandes n’est pas prévue, tout comme la transposition de la séquence en temps réel. Le dernier point serait pourtant simple à ajouter…
MIDI et audio
Le JU06A émet et reçoit une quarantaine de CC MIDI via les prises DIN/USB, correspondant à tous les paramètres de synthèse et certains contrôleurs physiques. Cela permet de chainer plusieurs machines pour accroitre la polyphonie et/ou les piloter à distance. On profitera alors de l’entrée audio de l’une pour y connecter la sortie audio de l’autre, pour ainsi ne pas consommer d’entrée additionnelle sur la table de mixage ou la carte son. La prise USB permet aussi d’effectuer des Backup/Restore de la mémoire, non pas sous forme de Sysex, mais dans un mode spécial, par répertoire. Via le prise USB, le JU-06A se transforme aussi en interface audio 24 bits / 44,1 kHz. Les sons du module sont ainsi convertis en numérique et peuvent être envoyés à une STAN. Réciproquement, les sons sortant de la STAN sont convertis en analogique et envoyés à la sortie audio du module. Ceci nécessite au préalable d’installer le driver PC/Mac fourni par Roland. Très bien vu !
L’ami Juju
Roland améliore un module qui avait déjà largement fait ses preuves. Cette fois-ci, on a deux synthés pour le prix d’un (mais pas en même temps). La modélisation est une réussite et il suffit de commuter les deux moteurs pour entendre immédiatement ce qui sépare un Juno-60 d’un Juno-106. Le premier est incontestablement capable de produire des textures plus épaisses et des basses plus lourdes que le second, mais les deux excellent dans les nappes sombres et les cuivres brillants. Certains chevaliers de la latence ont déjà démontré en ligne que le JU-06A répondait aussi vite que son ombre. L’ergonomie est améliorée avec le design rétro facilitant la préhension des curseurs et le repérage. On apprécie toujours les mémoires, le petit séquenceur, le chorus, le délai et la réponse aux CC permettant au passage de chainer plusieurs unités et l’interface USB audio/MIDI. S’y ajoute l’arpégiateur présent sur le Juno-60.
Au plan des regrets, l’impossibilité de mémoriser le moteur sélectionné ni de piloter la bascule par CC MIDI. Les autres reproches existaient déjà sur le JU-06 : polyphonie réduite, séquenceur monodique et non transposable, HP faiblard, taille mini… Toutefois, face aux améliorations constatées, nous recommandons chaudement le JU-06A à tous ceux qui recherchent des sonorités typiquement 80’s sans se soucier des problèmes de maintenance, finance et encombrement qui accompagnent l’intégration d’un Juno-60 et d’un Juno-106 dans un arsenal. Sans hésiter, un Award Audiofanzine Qualité/Prix 2019.