Depuis l’affaire des Brutes et des Keysteps, on savait Arturia prompt à bousculer le marché avec des produits innovants au rapport qualité/prix serré. Et ce n’est pas cet Astrolab, s’attaquant au marché des claviers de scène, qui va ternir la réputation du constructeur, bien au contraire…
Marque de référence depuis près de vingt ans dans le domaine de la modélisation de claviers avec sa V-Collection, Arturia a aussi su se faire un nom dans le monde des synthés matériels avec sa gamme Brute, tout en proposant du côté informatique un ensemble de contrôleurs et d’interfaces des plus abouties. Nous étions de fait nombreux à rêver d’un clavier matériel basé sur la V-Collection, plus ergonomique et plus abouti que l’Origin sorti en 2009, plus orienté live sans doute aussi. Et c’est précisément dans cette direction qu’est allé Arturia en imaginant l’Astrolab, un clavier basé sur son fameux Analog Lab.
Si vous ne connaissez pas ce dernier, rappelons qu’il est une forme de digest de la V-Collection, rassemblant plusieurs milliers de présets (plus de 13 000 si vous disposez de la V-Collection) au sein d’une interface unifiée pour ceux qui ne veulent pas forcément faire de la recherche sonore et de la synthèse dans le détail, mais veulent juste accéder simplement à des sons de qualité pour jouer et créer de la manière la plus intuitive qui soit, en studio… comme sur scène…
Car on sent bien effectivement qu’il y a dans la simplicité d’Analog Lab un parti-pris pour l’efficacité d’une grande pertinence pour le live : un gros ensemble de sons de qualité pour un maximum de polyvalence, quelques paramètres essentiels pour adapter chacun d’eux au jeu, la possibilité de définir simplement des playlists comme des splits ou des multis… Ne restait plus qu’à en faire un clavier autonome incorporant tout cela pour ravir tout le monde, et si possible pas trop cher et innovant histoire de mettre un peu de mouvement sur le marché un tantinet statique des claviers de scène et sa dominante de rouge. C’était là le brief des Grenoblois, et voici qu’ils rendent leur copie à l’occasion des 25 ans d’Arturia : passons au déballage du cadeau !
Le grand blanc avec une molette noire
L’Astrolab impressionne dès le carton. Le bougre pèse en effet son poids, et l’on comprend pourquoi au déballage : en dehors des touches du clavier et des boutons, ce dernier est entièrement en métal blanc flanqué de joues en bois clair, ce qui se traduit par un poids de 9,9 kg sur la balance pour des dimensions de 935 × 327 × 99 mm, soit sensiblement plus lourd qu’un Nord electro 6D 61 (8,1 kg) mais un peu moins lourd qu’un Nord Stage Compact 73 et son octave supplémentaire à 10,4 kg. L’ensemble a en tout cas vraiment belle allure et donne une grande impression de clarté : les contrôles sont bien espacés et disposés logiquement, cependant que la grosse molette centrale intégrant un écran donne une vraie identité au clavier…
Commençons le tour du propriétaire par la gauche où nous attendent les habituelles molettes de modulation et de pitch bend accompagnées des commandes de transposition à plus ou moins deux octaves. Passé un espace dont nous verrons l’utilité plus tard, on trouve ensuite les boutons Arp, Chord, Play et Record pour le looper MIDI intégré. On note une sérigraphie sous chaque bouton indiquant sa fonction secondaire (Hold, Scale, Tempo, Metronome), ce qui est le cas de quasiment tous les contrôles de l’Astrolab…
Au centre du clavier nous attend la fameuse molette et son écran couleur : cette dernière permet non seulement de tourner, mais aussi de cliquer pour valider vos choix dans les menus qui s’affichent sur l’écran… En regard de cette dernière, quatre boutons complètent les commandes de navigation : Back / Home, haut, bas et Shift qui permet donc d’accéder à toutes les fonctions secondaires des boutons.
À droite se trouve ensuite le panneau Instrument, dédié à la fois à la sélection d’une famille de sons (Piano, E. piano, Organ, Bass, Lead, Keys, Pad, Strings, Brass, Seq) comme à l’accès aux fonctions de split de clavier ou à l’option playlist. Quatre encodeurs proposent enfin d’accéder au paramétrage de l’instrument chargé (Brightness, Timbre, Time et Movement) comme aux fonctions de mix et d’égalisation (Volume, Bass, Mid, Treble).
À droite de ce panneau on trouve ensuite les encodeurs liés à la section d’effets : FX A / Intensity, FX B / Intensity, Delay / Time, Reverb / Decay, en regard de quatre boutons pour activer/désactiver chaque effet ou accéder à son édition. Enfin, un ultime potentiomètre sur la droite permet de gérer le volume global du clavier.
Avant de passer aux connectiques, précisons que chaque contrôle sur le clavier dispose soit d’un rétroéclairage, soit d’une bague lumineuse permettant de voir son état pour les encodeurs. Chaque touche du clavier est par ailleurs surmontée d’un petit repère lumineux, lequel pourra prendre une couleur bleue ou orange en fonction des zones de splits….
Avec ou sans fils
À l’arrière sont évidemment remisées toutes les entrées et sorties de l’Astrolab. De gauche à droite, on retrouve ainsi une entrée et une sortie MIDI sur DIN 5 broches, quatre entrées pour pédales (expression, sustain et deux auxiliaires), deux entrées audio au format Combo XLR/Jack accompagnées d’un potentiomètre de gain et une paire de sorties audio et une sortie casque, le tout au format Jack 6,35. On finit sur la droite avec tout ce qui concerne l’informatique et l’alimentation : une prise USB-A qui servira à alimenter le clavier mais aussi un stockage ou un contrôleur MIDI externe, un port USB-C port pour le relier à un ordinateur, un smartphone ou une tablette, une prise DC avec pas de vis pour le brancher à une alimentation secteur fournie et enfin un bouton de mise en/hors service.
Last but not least, précisons que le clavier propose une connectivité Bluetooth et Wi-fi : la première vous permettra de streamer de l’audio depuis votre ordinateur, un smartphone ou une tablette (mais c’est bien une entrée et non une sortie : vous ne pourrez donc pas appairer votre casque Bluetooth par exemple), et la seconde permettra de vous connecter à votre ordinateur pour piloter le logiciel Analog Lab Pro, ou votre smartphone via Astrolab Connect, l’appli de navigation disponible sous iOS comme sous Android.
Connect toi toi-même…
On comprend dès lors la raison de l’espace laissé entre les molettes et le reste des contrôles sur le bandeau du clavier : pouvoir poser son smartphone et disposer ainsi d’un système de navigation dont on rêvait depuis plus de 10 ans pour piloter un Komplete Kontrol par exemple… sauf que c’est Arturia qui l’a fait : bravo à eux !
Car c’est un fait, si l’argument de proposer à partir d’un unique contrôleur des milliers de presets est alléchant, force est d’admettre que sans un système de navigation efficace, cette richesse peut vite s’avérer contreproductive : la meilleure des molettes montre ainsi ses limites là où le tactile, parce qu’il permet à la fois une recherche textuelle, une navigation par tags/catégories et un défilement ultra rapide des longues listes en balayant simplement l’écran, est à n’en pas douter la solution la plus performante.
Et elle l’est d’autant plus qu’ergonomiquement, l’appli Astrolab Connect reprend l’ergonomie du navigateur de présets déployé par Arturia depuis plusieurs années : on trouve vite grâce à cela ce qu’on est venu chercher, et on paramètre sans problème les playslistes et splits de clavier. Un vrai bonheur qui, on l’espère, va faire des émules dans la concurrence…
Que les allergiques aux smartphones se rassurent : rien n’oblige à utiliser Astrolab Connect, le clavier demeurant parfaitement pilotable via ses contrôles physiques. C’est juste un gros plus pour la navigation que nous allons laisser de côté pour revenir au clavier.
Brancher & jouer
La grande force de l’Astrolab, outre sa polyvalence et ses qualités sonores (pour juger de ces dernières, on se reportera aux nombreux tests des logiciels Arturia disponibles sur Audiofanzine), c’est son intuitivité. Sans même avoir à ouvrir le manuel, la prise en main est excellente. Grâce à l’excellent choix des commandes et à leur bonne organisation sur l’espace du bandeau de commandes, on comprend dès les premières minutes qui fait quoi dans les boutons ou potards et on fait de la musique en se rendant compte qu’en dépit du peu de contrôles embarqués concernant les instruments proprement dits, il y a suffisamment de réglages pour tweaker et adapter chaque préset à son jeu… La molette-écran est surtout extrêmement agréable à l’usage et l’OS de la machine a le bon goût de ne pas déployer des sous-menus à foison : merci de ne pas avoir fait de cet Astrolab une usine à gaz…
Le clavier semi-lesté est quant à lui est sans histoire. Sensible à l’aftertouch, il s’avère précis à l’usage. Il sera toutefois conseillé de l’essayer en magasin pour vous faire votre idée, tous les goûts étant dans la nature à ce sujet, car il présente un toucher un peu moins ferme qu’un Komplete Kontrol et que ses touches blanches présentent une finition brillante tandis que les noires sont mat.
Notons-le : un petit laps de temps peut intervenir lorsqu’on passe d’un préset à l’autre, lequel est variable suivant la complexité du patch. On ne parle pas là toutefois d’un laps de trois secondes, hein, et vu que c’est bien un ordinateur qui se cache dans les entrailles de l’Astrolab pour proposer 1300 presets issus de 34 instruments, on en comprend sans problème la raison ; nous ne le retiendrons donc pas comme point négatif.
Il est dans tous les cas extrêmement agréable de se servir du clavier d’autant que son intégration logicielle est très réussie, que ce soit via l’appli Astrolab Connect ou le plugin Analog Lab taillé pour lui et qui, si vous disposez de la V-Collection, vous permet d’accéder aux interfaces complètes des instruments sur votre ordinateur… Bref, nous sommes face à une bien belle bête résolument moderne et bien pensée et dont on sent qu’elle a du potentiel en studio comme à la scène, notamment via des fonctions comme le Looper MIDI, la possibilité de streamer de l’audio via Bluetooth, etc.. La façon dont on gères les multis et splits (dans la limite de deux présets) et des playlistes (divisées en songs et presets) m’a parue enfin extrêmement claire. Un produit parfait ? Autant qu’on puisse en juger, pas loin de l’être si l’on comprend bien son propos et les choix faits par Arturia…
Ce qu’Astrolab n’est pas…
Après avoir déployé ses gammes Brute, Key et Freak, Arturia attaque ainsi un nouveau marché avec Astrolab : celui des claviers de scène, bien distinct des synthés dans ce sens où ils ne sont pas pensés pour la recherche sonore.
Nous ne sommes donc pas face à un synthé au sens où un Origin ou V-Collection Keyboard aurait pu l’être, ce que regretteront certains. Nous ne sommes pas non plus d’ailleurs face à un clavier de contrôle informatique façon Keylab : le propos n’est absolument pas de piloter votre séquenceur ou d’autres plug-ins qu’Analog Lab. De mon point de vue d’ailleurs, il est sage qu’Arturia n’ait pas tenté l’hybridation car ce qu’on aurait gagné en fonctionnalité, on l’aurait très probablement perdu en simplicité.
Nous sommes donc face à une solution pensée pour donner accès à un nombre très conséquent de sons de la façon la plus simple et efficace possible en situation de jeu : ce qu’est un clavier de scène. Et de ce point de vue, l’Astrolab n’a sans doute pas à rougir face au leader Clavia dont le Nord Electro 6D 61, vendu 300 euros plus chers, pourrait bien prendre un petit coup de vieux face à ce jeune loup blanc extrêmement polyvalent, résolument moderne dans son ergonomie, et auquel ne manque vraiment qu’un jeu de sliders / tirettes qui fera défaut aux joueurs d’orgues électromécaniques. Une solution est toutefois proposée par l’Astrolab via la possibilité de connecter une surface de contrôle externe, ce qui ouvre bien des perspectives en sus des pédales qu’on peut ajouter…
Ceci étant dit, il aurait sans doute été malin de la part du constructeur de mettre plus encore à contribution l’appli Astrolab Connect qui pourrait, en marge de ses fonctions de browser, comporter une partie contrôleur polymorphe vraiment intéressante. À voir si cette dernière évoluera dans ce sens… D’aucuns auraient sans doute préféré aussi que l’écran tactile multipoint soit intérgré au clavier plutôt que de devoir passer par un smartphone. Quand on connait toutefois un peu le marché des composants électroniques, on comprend qu’un tel choix aurait sans aucun doute fait exploser le prix de l’Astrolab sans pour autant qu’Arturia puisse forcément garantir une qualité d’écran du niveau de celles qu’on trouve sur les smartphones ou tablettes de grande marque. If you can’t beat them, join them : l’adage me semble pertinent ici, sachant que c’est le métier d’Apple, Samsung et consorts de faire ce genre de contrôleur et qu’il me semble sage de la part d’Arturia de s’appuyer sur cette expertise plutôt que de réinventer la roue en moins bien…
Personnellement, j’aurais aussi préféré avoir les molettes de pitch bend et modulation sur le côté gauche du clavier plutôt qu’au-dessus. Mais gageons qu’alors le clavier aurait été plus long comme plus lourd, et donc plus cher aussi, sachant que le constructeur semble avoir fait son possible pour rester sous la barre des 10 kg. Il va sans dire toutefois que nombre de claviéristes vont attendre de pied ferme un modèle 73 ou 88 touches à toucher lourd, ce qui, en fonction de l’accueil de cet Astrolab, devrait vraisemblablement voir le jour si l’on songe à ce qui existe dans la gamme Keylab… Et c’est en y songeant aussi que d’autres voudront sans doute aussi un clavier plus petit et forcément plus abordable : 49 ou 37 touches, voire une version en rack ou module, car l’argument de la boîte à sons plug&play s’avère extrêmement séduisant au-delà du clavier même, que ce soit pour la scène ou le studio.
Bref, si cet Astrolab ne répond certainement pas à tous les publics pour l’heure, s’il ne dispensera pas Arturia de nous proposer un jour prochain un vrai clavier V-Collection permettant de mettre vraiment les mains dans le moteur (et alors, le principe de disposer d’une appli iOS/Android montrera encore sa pertinence pour gérer des interfaces hétéroclites), gageons qu’il est pour l’heure déjà très pertinent et ouvre bien des horizons. Quant à savoir s’il réussira à damer le pion à son concurrent rouge, disons qu’au-delà de son prix serré, il a bien des arguments sur le plan fonctionnel pour le faire mais que l’un des plus importants critères pour en juger demeure hors de portée de ce test : les Clavia sont connus pour leur robustesse, et si la fabrication de belle facture de l’Astrolab inspire confiance, il s’agira de voir s’il saura être aussi durable et costaud. En termes d’évolutivité, il jouit en tout cas d’un argument de poids : au rythme où sortent les nouveaux plug-ins chez Arturia, on peut s’attendre à de fréquentes mises à jour apportant toujours plus de sons et d’effets comme à des améliorations sensibles des modèles physiques existants. On attend d’ailleurs que le clavier, pour l’heure compatible avec les instruments de la V Collection 9, intègre ceux de la V Collection 10 et notamment le sympatique Acid V…
Conclusion
Fan de la V-Collection et utilisateur au quotidien d’Analog Lab, j’avoue avoir été vraiment séduit par la proposition d’Arturia qui, sans pour autant tourner le dos à la MAO (l’intégration avec le plug-in Analog Lab est évidemment parfaite et l’appli Astrolab Connect ô combien pertinente), fait oublier les origines virtuelles de son clavier au profit d’une expérience « hardware » vraiment convaincante. On allume, on joue, et on profite de la richesse des modélisations Arturiennes en toute simplicité : sans revenir sur la qualité et la polyvalence sonore qui est celle de la V-Collection, le côté intuitif du clavier est en effet la plus grande réussite du nouveau bébé Arturia. De ce fait, bien qu’on le sache pensé pour la scène, on n’a pas trop de doute sur le fait qu’il devrait trouver sa place dans plus d’un studio où son accès simple a des myriades de sons devrait séduire plus d’un musicien pour un prix de 1600 euros qui demeure bien étudié… Bravo donc aux Grenoblois qui fêtent de belle manière leur 25e anniversaire, sachant qu’on a déjà hâte de voir la suite…