On commence à être habitué à la sortie quasi mensuelle de produits signés Native Instruments. Le nouveau venu, Razor, est un synthé de la série Creative, co-développé avec Errorsmith.
En lice pour le Guinness Book, catégorie sortie de produits ? En effet, Native Instruments n’arrête plus depuis 2010 de proposer produit sur produit, dans différentes gammes ou familles, certains faisant appel à du co-développement, d’autres non. Dans la série “Creative”, regroupant des synthés et effets qui utilisent la plate-forme Reaktor, après The Mouth (test ici), Prism (test ici) ou Spark (test ici), voici donc Razor, utilisant la synthèse additive, fruit de la collaboration entre l’éditeur et Errorsmith, un producteur et DJ indépendant publié par le label Hard Wax, et un utilisateur de Reaktor depuis 1996 (quand il s’appelait encore Generator, donc…). On peut écouter sur la page dédiée du site du label allemand plusieurs extraits des productions de l’artiste, ce qui devrait logiquement donner un avant-goût des sonorités de Razor.
Introducing Razor
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Comme les précédents instruments (ou effets) de la série Creative, Razor s’ouvre au sein de Reaktor (à partir de Reaktor 5.5, version payante et version gratuite, le Reaktor 5 Player), et est donc de ce fait compatible Mac et PC, selon toutes les modalités définies pour Reaktor. Installation, autorisation relèvent de la routine habituelle chez Native via le Service Center.
Les innovations apportées par les différentes mises à jour de Reaktor sont vite utilisées, intégrées. Ainsi la version 5.5.1 de Reaktor a-t-elle fait apparaître deux nouveaux modules, tout de suite mis à profit : la Modal Bank, au cœur de Prism, et la Sine Bank que l’on retrouve ici, dans Razor.
Cette Sine Bank (constituée de trois Sine Banks, en fait) est la partie principale de ce que Native appelle l’Additive Engine, Bank qui peut générer jusqu’à 320 sinusoïdes (nommées Partials, à ne pas confondre avec les partiels, puisqu’ici harmoniques et “harmoniques inharmoniques” sont à disposition sous ce même nom), du moins selon le paramétrage de Razor, puisque le module permet (en théorie, on reparlera de la charge CPU) de disposer de jusqu’à 10 000 Partials (comment cela est-il possible ?)… Tous les “réglages” d’oscillateurs, de filtrage, de dissonance (on y reviendra), et des effets stéréo (même chose) proviennent de, et sont simulés par ce générateur : à la différence de la synthèse soustractive, par exemple, c’est par la modification des hauteurs, de l’amplitude et de la phase de chaque Partial que l’on obtient les effets recherchés de timbre, de volume, de retard, d’espace, etc.
Mais afin de rester simple d’utilisation, et compréhensible à la plupart des utilisateurs habitués à des synthèses plus classiques, Razor présente via son interface une série de “modules” familiers, utilisant des “modèles” différents d’oscillateurs, de filtres, etc.
Le pourquoi du comment
Un mot rapide sur l’interface, très bien conçue et assez originale (avec un petit air des plugs de Fabfilter, quand même). Au centre se trouve un écran affichant en temps réel le contenu en harmoniques, entre autres, avec une animation 3D que l’on s’empressera de désactiver pour cause de consommation de CPU. Chaque clic pour sélectionner un des modèles, une source de modulation d’un module affiche dans le même écran les diverses options avec icônes (important pour identifier rapidement le résultat recherché), terminé les menus déroulants, bien vu, un très bon point quant à l’ergonomie. Chaque module est débrayable, la valeur du paramètre en cours est affichée en chiffres bleus dans l’écran (on aurait pu imaginer de les afficher encore plus gros), les autres options et fonctionnalités seront abordées plus loin. Très intéressant, l’écran permet de passer de la visualisation des modifications par modules, ou en sortie globale, jusqu’à fournir un oscilloscope pour visualiser non plus le nombre de Partials (j’utiliserai aussi dans le test le terme d’harmoniques), mais bien la forme d’onde créée. On s’empressera aussi de désactiver le mode Auto, qui fait basculer d’un module à l’autre dès qu’on touche aux différents réglages, et surtout parce que ce basculement automatique génère parfois des parasites. Pour plus d’information sur la totalité des fonctions de Razor, le manuel est disponible en téléchargement sur le site de l’éditeur.
On retrouve donc des oscillateurs, au nombre de deux. Leur action ne correspond pas tout à fait à celle que l’on connaît : en effet, les deux “oscillateurs” se partagent un seul ensemble de Partials, défini par le premier, le mélange entre les deux permettant de modifier non pas le nombre ou la fréquence des Partials, mais seulement leur amplitude. En découle un “désaccord” entre les deux oscillateurs limité, certains comportements étant simulés plutôt que réels. Mais quelques exemples audio seront plus parlants. Prenons l’OSC 1, la première forme d’onde disponible, Pulse To Saw, en mode Saw, sans filtrage ni modulation, volume au maximum :
Ajoutons-y une Pulse Width :
Le résultat est bien une augmentation des fréquences impaires typique de la forme d’onde carrée, ce que confirme l’écran en mode Output, ainsi qu’en mode Scope.
Le bouton Ratio présent sur chaque oscillateur permet de les accorder différemment, et donc de les décaler. Sur l’OSC 1, le Ratio fait office du traditionnel décalage par octave. Sur l’OSC 2, le premier chiffre décalera par rang d’harmonique (octave, quinte, octave, tierce, quinte, septième, etc.), comme on l’entend sur cette répétition d’un simple fa et l’automation du paramètre Ratio (on apprécie par ailleurs l’affichage quasi complet des fonctions de Razor dans l’automation de Logic…).
En ce qui concerne plus précisément le désaccord de type battement (modulation d’amplitude), accessible via les deux chiffres après la virgule du ratio de l’oscillateur, malgré son deuxième nom (O2 Beating), le résultat est à la fois pauvre et artificiel. Il faudra utiliser d’autres paramètres…
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Razor offre plusieurs types d’oscillateurs, du Pulse To Saw déjà évoqué au Formant, en passant par Sync Classic, Sick Pitchbend, en tout pas moins de 14 modèles différents, avec leurs propres réglages. On pourra consulter le manuel pour les différents types d’oscillateurs. Le bouton Colour permettra de modifier au niveau des oscillateurs le contenu en harmoniques, quasi un filtre à pente très faible. Chaque réglage (à l’exception des Ratios et Colour) dispose de deux modulations possibles, à choisir parmi les 14 sources possibles (voir encadré).
La question reste : pourquoi cette configuration, pourquoi pas deux oscillateurs indépendants ? Eh bien, tout simplement parce que la synthèse additive bien menée est extrêmement gourmande. Et qu’avec un réglage de voix sur 32 (dans l’onglet Properties/Function de Reaktor), un simple accord de sept sons avec un son riche utilisant tous les modules met le Mac de test à genoux (huit cœurs à 3,2 GHz, si, si…).
Qualité filtre
Là aussi Razor nous propose des modèles familiers, même si leur comportement diffère, puisqu’il s’agit bien d’intervenir au niveau des Partials. Là aussi, le choix est vaste, 11 modèles différents, du classique Low Pass au Formant en passant par un Vowel ou un Vocoder (si !). Mais à synthé atypique, filtre atypique. Ainsi, en plus des classiques Cutoff et Boost (l’équivalent de la résonance, mais bipolaire, capable de créer donc des pics de résonance, mais aussi des creux), on dispose d’un réglage Width (largeur de bande de la résonance, qui varie suivant les modèles, très original) et d’un potard Slope, l’équivalent des pentes (rapport dB/oct.), sauf qu’ici le réglage est continu, sans passer d’un état à un autre ; c’est-à-dire qu’au lieu de ne disposer que des pentes traditionnelles (par exemple, 6 dB/oct., 12 dB/oct., 18 dB/oct., etc.), on pourra paramétrer toutes les valeurs intermédiaires.
Voici quelques exemples de balayage (ou d’effets) suivant les modèles du Filter 1, à partir d’un accord plaqué sur une onde Saw, une simple automation de Cutoff avec Boost à la moitié de sa course positive (dans le cas de filtres “classiques”) ou de l’élément prépondérant du filtre (dans le cas de filtres plus “créatifs”), dont les réglages seront effectués afin de refléter une caractéristique particulière.
Mais avant un petit rappel : les filtres de Razor ne taillent pas réellement dans une forme d’onde complexe, mais enlèvent, rajoutent, boostent, coupent les harmoniques une par une, d’où un effet de palier. Ici, le Lowpass :
Pour corriger cet effet honni sur les filtres, et que l’on trouvait pourtant (trouve encore ?) sur de nombreux synthés (virtuels et hardware), Native a implémenté un Filter Smoother, qui dispose de trois réglages, Attack, Decay et Damp, afin de minorer les sauts, parfois au détriment de la profondeur de l’effet filtrage. Le même Lowpass que dans l’exemple précédent :
Les exemples suivants seront proposés avec ces réglages activés. Dans l’ordre : Band Pass, EQ Decay, Formant, Formant Decay, Low Pass Broad, Low Pass Dirty, Low Pass Phaser, Low Pass Ramps et Vowel :
Et maintenant les modèles différents (seulement) du Filter 2, toujours avec le Filter Smoother activé. Dans l’ordre, Band Reject, Comb Notch, Comb Peak, Gaps, Phaser, Pseudo Pitch Bend, Unisono Noise et Waterbed :
Plusieurs modèles intéressants, donc, particulièrement dans les effets spéciaux, sachant que la combinaison des deux filtres décuplent les possibilités de trafic. À noter aussi que quasiment chaque réglage peut recevoir deux sources de modulation, et que le réglage “principal” du filtre peut lui en recevoir trois. Comme de toute façon, le Midi Learn est de rigueur sur tous les paramètres du synthé et qu’ils sont quasi tous accessibles via automation (du moins tous ceux situés dans la partie claire de l’interface), un son statique ne pourra être que le résultat d’une volonté déterminée…
Notons aussi deux sections très importantes, qui complètent à merveille oscillos et filtres, Spectral Clip et Safe Bass. La première permet de fixer un seuil que ne peuvent dépasser les harmoniques d’un point de vue du volume (réglage Clip), d’un point de vue timbral (avec Pitch Cut), ce dernier selon une pente plus ou moins forte (réglage Slope). La capture d’écran montre clairement son action.
Safe Bass est aussi intéressante, par le fait qu’elle permet de préserver le contenu en basses fréquences quel que soit le trafic sonore effectué, grâce à trois réglages : Amount (la proportion de Partials qui peut monter très haut), Bass Lvl (le niveau sonore) et Slope (la pente de coupure). Un exemple sur ce son à base de Bandpass et Phaser, sans puis avec Safe Bass :
Enfin, filtre un peu particulier, le Vocoder. Très simple d’emploi, ce Vocoder 34 bandes ne dispose que de deux réglages, Formant (pour décaler les formants par demi-tons) et Stretch pour modifier la courbe du filtrage. Le mélange des oscillateurs est le signal porteur (intégré, donc), l’audio entrant est le signal modulateur. Dans Logic, on utilise la version Reaktor 5 FX (dans les AU MIDI-Controlled Effects) sur une piste Instruments, et l’on choisit, via le menu Side Chain (à ne pas confondre avec le paramètre Sidechain de Razor) dans le coin supérieur droit de la fenêtre du plug, la piste ou l’une des entrées actives et il ne reste plus qu’à jouer accords et lignes sur le clavier-maître. Voici quelques exemples des possibilités du Vocoder intégré, avec effets ou non (Razor exclusivement) :
Une section très réussie.
Effets de près
Les trois dernières sections de Razor sont dédiées aux effets, comme leur nom l’indique : Dissonance Effects, Stereo Effects et Dynamics & Shaping. La première permet (enfin ?) de dérégler un peu toute cette belle harmonie, toutes ces belles harmoniques multiples entières de fondamentale pour pouvoir produire toutes sortes de bruits, de dissonances (ben oui…), de sons métalliques, etc.
À cet effet l’éditeur propose six modèles bousculant l’agencement des Partials, des effets de battement à des déplacements de fréquences en passant par diverses compressions/extensions des rapports de fréquences entre elles. Commençons par les classiques effets de désaccords afin de transformer les harmoniques en partiel, d’abord sans traitement, puis avec Beat 1 suivi de Beat 2 :
Mais on dispose aussi d’outils très intéressants, comme ce Centroïd, qui ramène toutes les harmoniques vers une fréquence déterminée, mais qui permet aussi ce type d’effet :
Ou encore Stretcher et ses effets de compression/expansion :
La deuxième section, Stereo Effects intègre bien sûr des effets de spatialisation, un peu particuliers, en cela fidèles eux aussi à l’esprit du synthé. On trouve donc un AutoPan, un LFO doté des réglages habituels (taux, vitesse) mais aussi d’un réglage Cycles définissant le nombre de cycles constituant le “barberpole” (le fameux effet tournant infini des poteaux bicolores, l’équivalent d’une vis sans fin) et Ramp qui permet de laisser stables dans l’image stéréo les Partials inférieurs. Stereo Spread reprend le même principe en appliquant l’effet toutes les deux harmoniques. Chorus est un filtre en peigne simulant l’effet du même nom, pas franchement convaincant. Unisono Noise reprend le principe du filtre du même nom, cette fois en stéréo. Simple Pan est un panner tout simple, mais doté d’un petit plus, le paramètre Ramp reprenant le principe du réglage de AutoPan. Il va de soi que tout ce petit monde peut-être automatisé, modulé (au moins le paramètre de niveau) et dispose du Midi Learn.
Mais les plus effets les plus atypiques sont les deux Reverb, puisqu’elles n’en sont pas… En effet, elles n’utilisent pas de lignes de retard comme les réverbes algorithmiques, pas plus que de la convolution. Le principe repose sur un effet d’enveloppe, chaque Partiel étant prolongé, modulé en volume, puis atténué afin de recréer l’effet de diffusion. Les réglages permettent de paramétrer le niveau (un équivalent Wet/Dry), le Decay (durée de la réverbe), l’Attack (pas vraiment similaire à des premières réflexions, mais qui retarde plutôt l’ensemble de la réverbe) et Hi Damp, qui atténue les Partiels supérieurs. L’écran permet de bien comprendre le phénomène, où l’on voit les fréquences d’origine être modulées très rapidement puis disparaître au fur et à mesure de la durée choisie, des plus aiguës aux plus graves. En mode polyphonique, tous les Partials sont modulés indépendamment et, différence très importante par rapport à de vrais phénomènes de réverbe, la réverbe est accordée, particulièrement lorsque l’on utilise un son mono, puisque la réverbe devient elle aussi mono, c’est-à-dire qu’elle ne “répète” que les fréquences de la dernière note jouée. Ce qui veut dire aussi que l’utilisation du Pitch Bend se fera aussi entendre sur la réverbe, un paramètre à prendre en compte. Un comportement très différent donc des principes habituels, mais pas inintéressant, au contraire. En revanche, attention, vu le principe retenu à la consommation CPU…
Voici un exemple de son avant réverbe, puis avec différents réglages :
On termine avec la section Dynamics & Shaping, hébergeant un compresseur, un Dirty Limiter (comme son nom l’indique, rajoute une saturation), un Clipped Compressor (mêmes effets), un Saturator (distorsion sur deux bandes), et un Clipper (pour des grosses distorsions). Cette fois-ci les effets ne jouent pas comme les autres sur des modulations des Partials, mais bien sur le signal de sortie global. On retrouve, avec ses qualités et défauts, la signature sonore habituelle de l’éditeur pour ce type d’effets.
Enfin, voici quelques sons au hasard, pris dans les presets, trafiqués ou made from scratch :
Bilan
On ne sait parfois plus ou donner de la tête avec Native, tant l’éditeur a tendance à proposer produit sur produit, parfois sans aller au bout d’un concept, d’autres fois avec de véritables réussites. Razor peut raisonnablement figurer parmi les dernières, tant au niveau de l’ergonomie et de la recherche graphique que des possibilités de synthèse. Certes le parti pris du tout additif (à l’exception des effets de dynamique et de saturation) peut déstabiliser, notamment en termes de comportement des modules dotés de noms pourtant familiers, mais le synthé vaut de se pencher sur ses principes. Très à l’aise dans les sons métalliques, dans les effets, les nappes évolutives, la précision, la puissance, la proximité avec une certaine FM (en jouant sur les ratios entre oscillateurs), bref, tout ce qui fait le son additif, il ne faudra pas bien sûr en attendre la rondeur et la richesse de l’analogique, fut-il virtuel. Cela semble une évidence, mais il est bon de le rappeler. Tout comme il ne faut pas oublier que cette synthèse est extrêmement gourmande, malgré les garde-fous offerts par l’éditeur (limite des voix basses, trois modes de qualité, etc.).
Mais, d’un point de vue de la palette sonore, disposer d’un synthé additif est quasi incontournable. À ce prix (69 €), grâce à sa compatibilité avec Reaktor Player (gratuit, rappelons-le) et à toutes ses qualités sonores propres, Razor est un assurément un prétendant de choix.